![]() Un «incident de masse» violemment réprimé en Chine
Cinq jours d'émeutes dans un village auraient fait près de 60 blessés.
Par Pascale NIVELLE
QUOTIDIEN : jeudi 15 mars 2007
Pékin de notre correspondante
Pour quelques yuans de trop, la colère explose. Et la police
charge, faisant des dizaines de blessés et peut-être un mort. Cela
s'est passé vendredi à Zhushan, village de montagne du Hunan, au
centre de la Chine, parce qu'une compagnie de bus avait décidé
d'augmenter le prix de ses billets de 5 à 9 yuans (90 centimes
d'euro). Une fortune pour les passagers, pour la plupart des
paysans qui gagnent péniblement 500 yuans par mois. Les dirigeants
de la compagnie n'ont pas plié, le mécontentement a enflé. Des
manifestants ont encerclé des bâtiments publics, accusant les
officiels locaux de collusion.
Riposte. Dans ce climat tendu, l'étincelle s'est
produite vendredi. A bord d'un bus de la compagnie Anda, un
étudiant refuse de payer un supplément pour ses bagages. Des
vigiles ripostent par des coups. Les passagers, furieux, bloquent
l'autobus, bientôt suivis par des villageois. La police arrive
quelques heures plus tard par camions, casquée et armée.
Selon des témoins, 1 500 policiers et 20 000 manifestants se
sont affrontés violemment. Des bus, des voitures officielles et des
véhicules de police ont été incendiés ; leurs carcasses fumantes,
retournées sur la route, ont fait le tour des sites Internet à
l'étranger. Les émeutes ont duré presque cinq jours, avec un pic
lundi, et ont fait une soixantaine de blessés, accueillis dans
l'hôpital de la ville proche, Yongzhou. Le
South China Morning Post, journal de Hongkong, parle d'un
mort, un étudiant. L'information n'a pu être confirmée par aucun
témoin direct.
Zhang Zilin, militant des droits de l'homme du Hunan, était sur
place lundi, au plus fort des émeutes. Il a raconté avoir vu la
police (police locale, police spéciale, police armée du peuple)
taper au jugé avec des matraques sur la foule, y compris enfants,
femmes et personnes âgées.
«Les manifestants étaient très en colère, a-t-il témoigné,
interviewé au téléphone par l'agence AP.
Ils criaient "battez les chiens du gouvernement à mort" et
lançaient des pierres et des briques. Les policiers criaient en
retour : "Battez-les à mort."» Il a vu un homme jeté de son vélo
par les forces de l'ordre, harassé de coups et laissé sur le sol
dans une mare de sang. De nombreux manifestants, surtout des
étudiants, ont été arrêtés. Comme d'habitude, la presse chinoise
est restée silencieuse sur cet
«incident de masse» (selon la terminologie officielle). Les
autorités locales, sollicitées par les médias étrangers, ont
d'abord nié, évoquant des
«rumeurs», puis reconnu les faits, en minimisant :
«Personne n'a été tué, c'est un incident mineur», déclarait
lundi un officiel de la province.
Mardi, l'agence Chine nouvelle a donné sa vérité une fois
«l'affaire calmée». Ni morts ni blessés, voilà en substance
la version à graver dans le marbre : vendredi 9 mars, devant le
mécontentement de la population, le gouvernement local a
«immédiatement» ordonné à la compagnie de bus de rebaisser
ses tarifs, ce qui a été fait le 11. Certaines personnes toujours
mécontentes auraient
«profité» du désordre pour casser et brûler des voitures de
police qui n'étaient là que pour maintenir l'ordre public.
«Après des efforts vains pour arrêter ces actes», la police a
dû intervenir et a procédé à des arrestations. La compagnie Anda a
été fermée,
«les gens se sont calmés», «la vie et le travail reprennent leur
cours normal». Fin de cet incident,
«qui a suscité la haute attention du gouvernement
local».
Cette douche tiède n'a pas suffi. Le bruit des émeutes de
Yongzhou a franchi les murs épais du Palais du peuple, place
Tiananmen, où sont réunis depuis dix jours les 3 000 députés de
l'Assemblée nationale populaire. Deux d'entre eux, informés
visiblement par d'autres sources que celles du Parti, ont
interpellé leurs collègues du Hunan :
«Comment un incident aussi important a-t-il pu arriver à
Yongzhou ?»
Saisie. Etrange question : les 750 millions de
paysans chinois, révoltés par la corruption et les immenses
inégalités sociales, peuvent se soulever n'importe où et à tout
moment. Parallèlement à Yongzhou, le 11 mars dans la province
voisine du Guangdong, 1 000 villageois, révoltés par la saisie
arbitraire de leurs terres, se sont affrontés aux policiers. L'an
passé, 23 000
«incidents sociaux» ont été officiellement comptabilisés en
Chine, sans qu'on sache combien étaient
«de masse».
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