![]() La guerre de l'enfant unique renaît en Chine
Dans le sud du pays, une révolte contre cette loi jugée inique bascule dans la violence et la répression.
Par Pascale NIVELLE
QUOTIDIEN : jeudi 24 mai 2007
Pékin de notre correspondante
Ils étaient des milliers, des dizaines de milliers peut-être,
qui n'avaient rien à perdre. Révoltés contre un nouveau tour de vis
donné à la plus impopulaire des lois chinoises, celle de l'enfant
unique. Samedi, ces paysans de sept villages du Guangxi, dans
l'extrême sud du pays, dont la plupart gagnent à peine 100 euros
par mois, ont attaqué des bâtiments administratifs à Bobai, brûlant
des voitures et des meubles, molestant des employés du planning
familial. La riposte des autorités a été brutale : des milliers de
policiers armés ont étouffé l'émeute dans la violence. On compte
des blessés des deux côtés. La presse chinoise n'a pas évoqué
l'affaire jusqu'à hier. Dans un communiqué, l'agence officielle
Chine Nouvelle fait rare en de telles circonstances a reconnu
que la manifestation
«avait mobilisé 3 000 personnes» , que des bâtiments publics
avaient été
«endommagés» et que 28
«meneurs» avaient été arrêtés.
«Certains ne comprennent pas le travail de contrôle de la
population», a-t-elle précisé en guise d'explication.
Chiffres truqués. La colère montait depuis des
semaines autour de Bobai. En décembre dernier, alors que le Comité
central décidait de reconduire et même de durcir au niveau national
«le travail du Planning familial pour résoudre les problèmes
posés par le poids démographique», chaque province a été sommée
de rendre des comptes. Dans le Guangxi, et plus particulièrement du
côté de Bobai, la natalité avait explosé malgré des chiffres
truqués donnés depuis des années. Le système d'amendes par enfant
«illégal» (de 1 000 à 20 000 yuans, 100 à 2 000 euros) était
loin d'être appliqué à la lettre.
Les dirigeants de Bobai, critiqués et sommés de faire
«une autocritique du travail du passé» ont décidé de mettre
de l'ordre et de lancer une
«campagne» dans 28 villages de ce district peuplé, trop
peuplé, de 1,58 million d'habitants. Selon
le Quotidien du Guangxi, organe de la presse officielle, la
municipalité de Bobai aurait mobilisé 5 896 employés et 150
véhicules de fonction. Ce journal parle aussi de
«3 964 opérations de stérilisations chez les femmes et les
hommes» et de
«568 avortements». En un mois, ajoute le journal, les amendes
auraient rapporté 2,27 millions de yuans (227 000 euros). Un
quotidien de Hongkong à la langue déliée, le
South China Morning Post , évoque une directive locale
demandant à chaque membre du Planning familial d'effectuer des
examens sur toutes les femmes. En cas de refus, une amende de 1 000
yuans, presque un mois de revenus, doit être infligée. Tous ceux
qui ont violé la loi de l'enfant unique
«seront imposés et le cas échéant stérilisés».
Equipes de voyous. Depuis le mois de février, chaque
maison est inspectée, chaque famille doit rendre des comptes. Ceux
qui ne veulent ou ne peuvent pas payer sont battus et leurs biens
sont systématiquement saisis :
«Quand il n'y a rien à confisquer, les équipes cassent les
murs», a raconté sous couvert d'anonymat une femme recrutée dans
une équipe du planning familial. Sur le Net, les images des émeutes
tournent d'un site à l'autre, et les témoignages concordent : de
véritables équipes de voyous ont pillé plusieurs familles
incapables de payer les amendes astronomiques, emportant mobilier,
cochons et postes de télévision, cassant tout ce qui ne pouvait
être emporté.
«Les gens du planning familial étaient comme les Japonais
pendant la guerre, ils ont tout pris et détruit ce qui
restait», a raconté un villageois à l'agence Reuters. Autour du
19 mai, pic des manifestations, plusieurs banlieues de Bobai
auraient été en ébullition. Le calme serait revenu depuis
lundi.
Réforme en douceur. Peu de voix s'élèvent en Chine
contre la politique de l'enfant unique. Ceux qui protestent, comme
«l'avocat aux pieds nus» Chen Guangcheng, sont en prison. Cet
aveugle, juriste autodidacte, avait ouvertement dénoncé les
stérilisations forcées dans sa province du Shandong. Il a été
condamné en août dernier à quatre ans et trois mois de prison pour
«organisation de malfaiteurs en vue de perturber la
circulation», malgré une intense mobilisation internationale.
D'autres, comme le vieil intellectuel Ye Tingfang, 71 ans, député à
la Conférence consultative politique, un groupe de personnalités en
marge du Parlement, tentent de changer la loi en douceur. Lors de
la dernière session de mars, avec une vingtaine d'autres députés,
il a soumis une proposition de réforme de cette politique qu'il
juge trop radicale. Son rapport souligne les dangers psychologiques
que courent les enfants uniques privés de frères, d'oncles et de
cousins dans une société structurée depuis toujours sur la famille,
et surtout l'affaiblissement économique prévisible dans une Chine
vieillissante, où la population active devrait baisser de 100
millions entre 2012 et 2020.
«La politique du planning familial commence à montrer plus de
défauts que d'avantages», écrit Ye Tingfang, qui conclut
prudemment :
«Un enfant c'est bien, deux c'est parfait.» Sa proposition
est pour l'instant restée lettre morte.
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