9 juin 2007

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«Pourquoi suis-je amendé parce que j'ai eu quatre enfants?
CHINE. Inquiètes du risque d'un rebond démographique, les autorités de Pékin ont durci leur politique de planning familial, provoquant des émeutes dans la région autonome du Guangxi.
Bruno Philip, envoyé spécial dans le cantonde Dungu (Guangxi)/Le Monde
Jeudi 7 juin 2007
C'est une simple feuille. Une feuille qui tremble entre ses mains. Une feuille qui l'indigne. Ce commerçant relit pour la énième fois sa «facture» et redit son indignation: «Pourquoi devrais-je payer une somme pareille? 6000 yuans (581 euros) parce que j'ai eu quatre enfants?» Dans le village de Dungu, entre rizières fluorescentes et reliefs tourmentés de montagnes en pain de sucre, la colère gronde contre les fonctionnaires du planning familial qui s'emploient, de force plutôt que de gré, à imposer un strict respect du contrôle des naissances.

«Pourquoi voulez-vous que je paye sur la foi de ce bout de papier sans tampons?, interroge le commerçant. Mon argent risque de filer directement dans la poche de l'agent du planning familial.» Prudent, l'homme refuse de dire son nom. Sa «facture» lui ordonne de payer dans les deux jours une «taxe sociale de compensation» en application de la loi en vigueur depuis 1979: un enfant seulement pour les Chinois des villes, deux pour les Chinois des champs, mais seulement si ces derniers ont connu la déveine d'avoir une fille. L'Etat laisse alors une seconde chance aux paysannes pour leur permettre d'enfanter un garçon.

Seules certaines minorités ethniques, comme les Tibétains, ne sont pas soumises à ces obligations. En une trentaine d'années, 300 millions de naissances ont ainsi été évitées, selon les chiffres officiels. Les quatre rejetons du commerçant, âgés de 18, 16, 11 et 9 ans, ont failli lui coûter cher. Mais le jour où les agents sont revenus, il a convoqué des copains, quelques costauds, et les agents sont repartis penauds, sans rien pouvoir lui arracher. «Comment voulez-vous que je paie une somme pareille?», lâche-t-il, assis derrière le comptoir de son épicerie de village en allumant une grosse pipe en bambou.

A Dungu, comme ailleurs dans plusieurs cantons de la province du Guangxi, la colère gronde si fort que, depuis une quinzaine de jours, des milliers de personnes se sont vengées contre les bâtiments officiels. Le 19 et le 20 mai, ici comme dans sept autres cantons du district de Bobaï, la foule a brûlé des voitures, donné l'assaut aux sièges des gouvernements municipaux ou aux bâtiments abritant les locaux du planning familial.

Mardi 29 mai, deux villages d'un autre district, celui de Rongxian, ont connu des troubles et des batailles rangées avec la police. L'agence de presse Chine nouvelle a confirmé que des émeutes avaient bien eu lieu, un aveu assez rare. Une trentaine de personnes, de source officielle, auraient été arrêtées. Des rumeurs non confirmées ont fait état de plusieurs morts.

A l'entrée de Dungu, dans un autre quartier, un groupe de paysans prend le frais devant de petites maisons de pierre à l'approche de la nuit. Torse nu, un homme, qui préfère ne pas s'identifier comme le reste des villageois, est assis sur un minuscule tabouret. Il explique calmement les raisons de la colère: «Ce n'est pas tant le contrôle des naissances qui nous gêne que la façon dont il est appliqué. Rendez-vous compte: les types du planning familial débarquent chez les gens, vêtus de treillis militaires, casqués, armés de gourdins. Tous ceux qui refusent de payer les amendes voient leurs biens confisqués! Les agents démontent les fenêtres, les portes, s'emparent des ustensiles de cuisine...»

Un vieillard au visage mangé d'énormes lunettes intervient, allongeant les bras: «Parfois, ils forcent les femmes qui n'ont pas la permission d'être enceintes à avorter!» En vertu de la loi, les grossesses des femmes sont en effet sévèrement réglementées.

Pourquoi une telle violence? Parce qu'en janvier, le gouvernement central s'est ému de constater que les directives concernant le contrôle des naissances étaient de moins en moins respectées; et que les fonctionnaires trafiquaient les quotas. Pékin a donc tancé les responsables provinciaux et édicté de nouvelles directives, remettant ainsi au goût du jour des pratiques que l'on pensait être en voie de disparition: à Bobaï, affirme un journal hongkongais critique de Pékin, Apple Daily, de nouvelles règles auraient été imposées aux agents du planning familial: d'ici au mois d'août, avance le quotidien, chacun d'entre eux doit prouver qu'il a contribué à la stérilisation d'un homme ou d'une femme et doit avoir collecté une amende d'au moins 50 euros! Faute de quoi, les promotions sont supprimées.

Il y a quelques semaines, lors d'un colloque organisé à l'Université du peuple de Pékin, le chef du Bureau national du planning familial, Zhang Weiqing, s'était inquiété des perspectives d'un nouveau «rebond» démographique. Parce qu'à la campagne, les paysannes continuent de se marier trop tôt et que, en ville, les riches sont prêts à payer des amendes coûteuses pour fonder une famille nombreuse.

Il n'en fallait sans doute pas plus pour que, dans des régions comme le Guangxi, une «région autonome» assez pauvre de 46 millions d'habitants, peuplée notamment de membres de l'ethnie Zhuang, les méthodes musclées des fonctionnaires provoquent des explosions de violence. «Nous sommes pour le planning familial!», clament en chœur les villageois. Mais tous ont trois, quatre, voire cinq enfants. Ici, les quotas ont été violés depuis belle lurette!

Ce qui s'est passé en mai dans la région est comme le précipité des menaces de désordres sociaux affectant la quatrième puissance économique mondiale: écart croissant de revenus entre les citadins et les paysans, corruption endémique des fonctionnaires provinciaux, rigidité des mentalités au pays du parti unique et attachement aux traditions dans le monde rural. La Chine des campagnes donne parfois l'impression d'être assise sur un volcan.

Dans la presse officielle, le chef du district de Bobaï, Huang Shaoming, a dû reconnaître, au lendemain des émeutes, que «la façon de travailler» des fonctionnaires locaux était peut-être en partie à la source «des problèmes»...

Le montant des «taxes sociales de compensation» semble en tout cas avoir été l'objet d'une ahurissante inflation dans des coins reculés où l'on a du mal à gagner 2euros par jour: des articles dans la presse de Hongkong font état d'amendes variant entre 1200 et 2000 euros pour le premier enfant «de trop»! Les sommes peuvent doubler pour le second, tripler pour le troisième.

A Dungu, notre commerçant confirme ces chiffres: «Ils nous demandent maintenant de payer les «arriérés» pour des enfants désormais adolescents: 2000 yuans (194 euros) par année de retard pour chaque enfant.» Sous les ciels de pluies du Guangxi, la colère n'est peut-être pas près de retomber.

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