Cameroun : Lendemains d’émeutes , la fusillade d'Abong-Mbang m'interpelle

Emeutes d'Abong-Mbang : camer.beElite du coin, l’homme de loi exorcise, à sa manière, la violence de l’administration.
 
Le caractère dégouttement outrageant des événements d'Abong-Mbang (l'exécution sur la place publique de deux gamins sans aucun procès) et les tentatives maladroites de règlement de ce sinistre commandent notre réaction. Car, nous nous croyons interpellés dans ce que nous avons de plus cher, non seulement est que originaire de cette localité et y ayant toujours vécu, mais aussi en tant qu'avocat. Tant il est vrai que dans toute société démocratique, (il se peut que le Cameroun en soit une), l'avocat est un intellectuel, un révolutionnaire de Gauche. C'est le gardien des libertés. Et pour reprendre une expression si cher au bâtonnier Bernard Muna, "l'avocat est le chien de garde" de la liberté et il vaut mieux avoir un chien qui aboie tout le temps pour rien que d'avoir un chien qui n'aboie pas du tout.

Nous voulons avant de continuer notre propos, marquer un temps d'arrêt pour essayer de mieux nous faire comprendre. Cette réaction n'est pas celle d'un pyromane encore moins celle d'un opportuniste en mal de sensation. Nous savons que nous serons traité par certains compatriotes à l'intelligence ô combien débridée d'opposants à la petite semelle. Mais, nous disons que le scandale d'Abong-Mbang dépasse largement le cadre partisan et que notre réaction n'est que la résultante évidente de notre protestation enflammée et aucun leader politique fut-il à la tête d'un Etat n'a ce droit d'interdire à un être humain de pleurer. Pour revenir à notre préoccupation, nous nous sommes posé juste deux questions: Premièrement est-ce que Sylvestre Essama, préfet du Haut-Nyong, était fou ou alors s'agissait-il d'un dangereux psychopathe?

La réponse' à cette première interrogation coule de source. Car, monsieur Essama n'est ni l'un ni l'autre (Cf ses dénégations dans Mutations 21 septembre 2007). Nous l'affirmons péremptoirement parce que comme nous l'avons dit plus haut, nous connaissions cette personnalité avant le déclenchement de ces événements dont on veut lui imputer la paternité alors que pour nous il n'était qu'acteur. Sans être psychiatre, nous pouvons avec un minimum de recul, comprendre les comportements humains. Deuxièmement, la solution apportée à la crise par le gouvernement. Nous nous sommes alors demandé si on pouvait soigner une plaie profonde comme une simple entaille de la peau, en y apposant simplement un tampon de bétadine jaune sans procéder à différents types de vérifications élémentaires du genre de plaies.

Car, s'il s'agit d'une plaie cancéreuse, il faudra pour lasoigner vérifier que les métastases de cancer n'ont pas encore atteint les parties vitales. Pour être plus clair, la solution gouvernementale nous a semblé être un ersatz (saupoudrage) parce que nous sommes loin de comprendre comment un mouvement d'humeur d'enfants a pu endeuiller des familles. Pour nous, il ne s'agit pas simplement d'un problème d'électricité. Car, il ne se passe pas un mois dans notre pays sans qu'on apprenne par les médias d'Etat ou privés que les routes sont barrées par des manifestants à tel ou tel endroit (Nkometou, Ezézang ou même aux portes du Palais de l'Unité à Etoudi). Mais, on n'a jamais appris dans ces multiples cas qu'une autorité a fait périr des êtres humains pour apaiser ces mouvements somme toute bénins. Ces "grèves" ont toujours trouvé solution grâce à l'humanisme et à la compréhension des autorités interpellées.

C'est aux yeux de certains compatriotes mal informés, la première fois que, ce que certains enfants auraient pu prendre pour un jeu ou une ballade se termine aussi tragiquement depuis l'époque déjà lointaine de "zéro mort".

C'est certainement en hardis par les exploits de leurs autres compatriotes que les apprentis grévistes d'Abong-Mbang sont sortis de leur torpeur habituelle et en toute illégalité sont allés manifester leur mécontentement au représentant au représentant de l'administration. Seulement, ils ont oublié qu'Abong-Mbang n'est pas Mvomeka, Nkometou, Etoudi ou autre localité huppée. Car, sous l'ère des régimes des messieurs Biya et Ahidjo, ce n'est pas la première fois qu'à Abong-Mbang on ouvre le feu sur les populations innocentes aux mains nues sans craindre des représailles qui, d'ailleurs, ne viennent jamais. A titre de rappel historique, il y a une vingtaine d'années, le docteur Bernard Meke Me Zé (de regretté mémoire) revenant d'un de ses voyages à l'étranger, avait ramené un important stock de matériel de radiographie d'un hôpital.

Il avait alors décidé d'installer son matériel dans le centre de santé de Mayos, son village, située à 50 km d'Abong-Mbang. Le préfet du Haut-Nyong de l'époque oubliant que la propriété est sacréeet que chacun a le droit de disposer de son bien de la manière la plus absolue décida plutôt que ce matériel acquis par ce privé devait être installé à Abong-Mbang. Il affréta alors deux bataillons de la 132e compagnie militaire de Motchébom pour effectuer le hold up à Mayos. Malheureusement, pour le préfet, le village ne dormait pas encore. Il s'en était alors suivie une violente altercation avec les forces censées être de l'ordre. Et plusieurs paisibles villageois ont ainsi été tués par nos vaillants militaires simplement parce qu'ils avaient osé défendre leurs biens.

Le gouvernement de l'époque avait alors agi exactement comme celui d'aujourd'hui. On avait laissé la propriété du docteur Meké Me Zé à Mayos, les frais funéraires des victimes avaient été pris en charge par l'Etat et un message de condoléances avait été adressé au nom du chef de l'Etat aux familles éprouvées. La mémoire collective n'existant pas encore dans notre pays, seuls, ceux qui ont vécu ces tristes événements peuvent s'en souvenir et pleurer avec les familles. Il faut que cette façon peu cavalière de traiter les problèmes de la province de l'Est en général s'arrête. Car, on ne demande pas naître au Cameroun ou aux Etats-Unis, au Sud ou à l'Ouest du Cameroun. Cela nous est imposé. Au fait peut-on reprocher ses origines à un homme?

Nous reprendrons en citant Shumacher, poète satirique du 19e siècle, repris par Maxime Gorki dans ses Pensées intempestives : "faut-il reprocher au paysan d'être paysan? Non, ce n'est pas le paysan qu'il faut reprocher, il ne fait que suivre avec obéissance un chemin qui lui a été imposé par des hommes sages et intelligents." S'il est vrai que l'Est ne représente pas un grand intérêt économique en dehors de son bois sauvagement pillé, nous disons que le Cameroun n'est pas une épicerie. Nous revendiquons un traitement équitable. Pour paraphraser feu Monseigneur Jean Zoa : "il faut que s'il y en a, qu'il y en ait pour tous. S'il y a un peu, qu'il y en ait un peu pour tous. S'il n'y en a, qu'il n'y en ait pas pour tous."

Nous évoquons cette pensée de cet illustre précurseur pour dire que les événements déplorés ne sont que la conséquence de la marginalisation que vit cette partie du pays depuis l'accession du Cameroun à l'indépendance. Car, comment comprendre que l'électricité soit revenue à Abong-Mbang au lendemain de la fusillade alors que les populations de cette ville vivaient dans les ténèbres depuis plus de quatre mois? La logique nous amène à penser qu'avec peu de diligence, on aurait pu éviter le décès des petits Mvogo et Mpougou Shimpe. Simplement, les décideurs ont pensé qu'il n'y avait aucune urgence et ont laissé Aes Sonel (ce commerçant) à n'en faire qu'à sa tête. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle M. le préfet est surpris qu'on le tienne aujourd'hui pour responsable de la disparition de ces deux enfants (lire Mutations n°1996 du 21 septembre 2007).

Il était en mission commandée et attendait simplement d'être décoré, sa conscience ne lui reprochant rien. Ce manque de considération pour l'Est est une politique arrêtée et suivie religieusement par les régimes post-indépendance du Cameroun. Dans les concours administratifs, ils ont inventé ce qu'ils ont pompeusement appelé le micro-dosage sociologique et que certains nomment planification. Cette politique qui tend à faire croire à la nation entière que l'Est n'est peuplé que de "tarés", inaptes à la pensée a pour pendant le fait que toute l'élite de l'Est passe aux yeux des autres compatriotes comme des intellectuels de second étage dont l'ascension n'est due qu'à la faveur de leur origine. Cela est d'autant plus vrai qu'aucun remaniement, réaménagement ou je ne sais quoi d'autre du gouvernement, n'a donné le privilège à un fils de l'Est d'occuper un poste de souveraineté. Elle est loin l'époque où on comptait les Jean-Baptiste Mabaya, Marcel Marigoh Mboua et autres dans ce cercle très réduit. Nous ne sommes partisan ni d'une scission, ni d'une sécession, le Cameroun étant un et indivisible.

Nous ne sommes pas à la veille d'un coup d'Etat. Nous demandons simplement qu'on crée des structures d'encadrement de nos populations comme cela se fait ailleurs. En conclusion, nous avons énuméré quelques unes de ces frustrations communes parce que nous trouvons qu'il est intolérable, près de 50 ans après les indépendances, de s'habiller comme un astronaute pour aller à Abong-Mbang qui est pourtant proche de Yaoundé que Bafoussam, Douala et peut-être Ebolowa. Nous pensons que ces populations sont, pour une analyse froide et approfondie, des conséquences de ces tueries et non simplement pour un achat des groupes électrogènes pour éclairer ceux qu'on n'a pas encore réussi à tuer. Est-ce difficile de comprendre que ces populations dont on a voulu ramener la manifestation à un problème ponctuel d'électricité voudraient simplement avoir les mêmes droits et les mêmes devoirs que leurs compatriotes des autres provinces?

© Mutations : Par Me Narcisse Biwolé
Paru le 16-10-2007 08:50:02
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