Sefrou. Les (nouveaux) émeutiers de la Koumira
Interview. Mohamed El Ayadi
Reportage. Azemmour mon amour
Société. Good Morning Oukacha
Pakistan. Musharraf sur la corde raide
Assurances. Objectif : concentration
Cinéma. Films à la chaîne
Festival. Des mots pour le dire
N° 291
Webmaster
TelQuel : Le Maroc tel qu'il est

Par Driss Bennani

Sefrou. Les (nouveaux) émeutiers de la Koumira

ça a commencé par une marche, ça a
tourné à la course, puis à l’émeute.
(AIC PRESS)

Que s’est-il réellement passé à Sefrou ? Comment une simple manifestation contre la vie chère a-t-elle dégénéré en soulèvement populaire ? Surtout, faut-il craindre une contagion vers d’autres villes ?


Une foule survoltée, des policiers dépassés, des jets de pierre, une agence bancaire dévastée et des voitures calcinées… Ce dimanche 23 septembre 2007, la petite ville de Sefrou a frôlé l’insurrection populaire. Pendant plus de sept heures, de violents affrontements ont opposé les habitants de la ville aux quelques dizaines de policiers, qui
tentaient (vainement) de rétablir l’ordre dans les quartiers de l’ancienne médina, suite à une banale manifestation “contre la vie chère”. Le bilan : des dégâts matériels s’élevant à quelques millions de dirhams, des bâtiments publics saccagés, une cinquantaine de personnes arrêtées et plus d’une centaine de blessés, dont plusieurs policiers et membres des Forces auxiliaires. “Les autorités de la ville n’ont dû leur salut qu’à l’appel à la prière d’Al Maghrib. À ce moment, les manifestants sont tous rentrés chez eux rompre le jeûne. Les forces de l’ordre en ont profité pour reprendre les choses en main. Si ces événements s’étaient produits dans une grande ville, le scénario aurait ressemblé à celui des émeutes de Casablanca en 1981 et de Fès en 1992”, affirme, sur un ton grave, une source autorisée à la wilaya de Fès. À l’heure de la prière d’Al Icha, les ruelles de la petite ville, d’habitude animées, restent désespérément désertes. Les fourgons de police, venus en renfort depuis Fès et Ifrane, maintiennent un couvre-feu qui ne dit pas son nom. Sefrou panse ses plaies en silence.

Le lendemain, un bruit court dans toute la ville : des militaires auraient été postés à l’entrée de la petite localité, juste au cas où… Dans les maisons, les plus jeunes retiennent leur souffle. “On a l’impression que les policiers veulent à présent venger leurs collègues blessés. Ils arrêtent les jeunes à tour de bras, souvent suite à des informations fournies par des moqadems ou des caïds. Les parents sont empêchés de voir leurs enfants arrêtés ou de leur ramener des provisions. Pour nous, la terreur continue”, confie Saâd, jeune lycéen de Sefrou.

Au début, un banal sit-in
Et dire que tout a commencé par un banal sit-in de “protestation contre la vie chère”, à l’appel de la section locale de l’AMDH. Prévue à 11 heures, la manifestation pacifique rassemble quelques centaines de personnes et se tient à proximité du siège de la préfecture. Comme d’habitude, on y scande des slogans plus ou moins usés, stigmatisant l’incapacité du gouvernement à juguler la récente hausse du prix du pain. Au fil des minutes, la manifestation attire de plus en plus de monde. “Le thème du pain est forcément fédérateur et plusieurs habitants se sont spontanément joints à notre sit-in pour protester contre les hausses généralisées des dernières semaines”, explique un responsable de l’AMDH à Sefrou. Mais au moment de la lecture du communiqué final du sit-in, les esprits s’échauffent. Les retardataires (dont plusieurs badauds attirés par le rassemblement) ont encore envie de “crier un petit coup, de se défouler dans une ville où il ne se passe pas grand-chose, encore moins un dimanche du mois de ramadan”, pour reprendre l’expression d’un journaliste originaire de la ville. Quand les responsables de l’Association se retirent, le sit-in se transforme en une marche spontanée (et non encadrée) vers le siège de la préfecture. Les barrières montées à la hâte par les policiers présents sur place ne résistent pas longtemps à la foule déchaînée, forte de quelque 3000 personnes, selon des sources associatives locales. Les slogans reprennent de plus belle, les responsables sécuritaires sont sur les nerfs. Les talkies-walkies commencent à crachoter et la tension monte…

Un coup de pied malheureux
Manifestement en sous-effectif, la police semble dépassée. L’affrontement est désormais inévitable. Un gradé met le feu aux poudres lorsqu’il assène un violent coup de pied à une jeune manifestante. L’indignation est générale, et des membres de l’AMDH, venus protester contre cet “acte barbare”, se font immédiatement arrêter. La grogne monte. La jeune fille se relève avec difficulté, les insultes contre les policiers et les responsables de la préfecture pleuvent de toute part. “À ce moment, les policiers ont essayé de disperser la foule en tapant dans le tas. Mais cette fois, cela n’a pas marché. Reculant de quelques mètres, les plus jeunes se sont mis à jetter des pierres en direction des policiers, avant de prendre la fuite en direction des ruelles étroites de l’ancienne médina”, raconte un témoin rencontré sur place. La ville s’embrase. Les policiers, lancés à la poursuite des jeunes manifestants, se font piéger dans les petites ruelles et reçoivent une pluie de cailloux. Sur leur trajet, les manifestants saccagent une agence bancaire, un bureau de poste, brûlent la voiture d’un moqadem et attaquent le siège du quatrième arrondissement. “Ils ont déchiré des documents administratifs et cassé les meubles. Ils ont tout détruit, sauf les portraits du roi”, confie une source officielle à Sefrou. Les policiers se dispersent pour couvrir les différents quartiers où des actes de vandalisme sont signalés. Mais ils ont à chaque fois droit au même accueil : des jets de pierre et des amas de pneus brûlés. “Les manifestants n’ont pas attaqué les commerces ou les voitures des particuliers. Ils ont choisi leurs cibles : les bâtiments officiels ou ceux qui représentent des intérêts financiers comme l’agence bancaire”, raconte un jeune Sefrioui, que les manifestants ont laissé passer à bord de sa voiture personnelle. Comment expliquer dès lors que les manifestants aient attaqué la résidence du parlementaire istiqlalien de la ville ? “C’est également un message clair. Le nouveau découpage électoral a élargi la circonscription de Sefrou. Du coup, les candidats passent souvent grâce aux voix des villages voisins. Les habitants de la ville ne se reconnaissent plus dans leurs élus”, argumente un journaliste sur place. En milieu d’après-midi, les manifestants franchissent un palier en tentant d’attaquer la prison locale. “On ne sait par quel miracle ils ont décidé de faire marche arrière”, affirme une source associative, qui poursuit : “Le nouveau concept d’autorité n’est pas encore arrivé dans des petites villes comme Sefrou. Ici, le commissariat fait encore peur aux gens et un policier peut encore se permettre tous les dépassements. À la première occasion, les gens se sont donc vengés. La violence des affrontements qui ont opposé habitants et policiers l’a clairement montré”.

Message reçu 5 sur 5 !
Dès lundi, au lendemain des événements, Mohammed VI réunit une commission présidée par le ministre de l’Intérieur en personne pour annoncer “le retour à la normale” du prix du pain, soit 1,20 DH. Hasard de calendrier ou réaction préventive de Mohammed VI ? Plusieurs observateurs penchent pour la seconde option. “Le roi a vraisemblablement reçu le message des habitants de Sefrou. Tout au long de ces dernières semaines, il a également eu vent des marches et des sit-in qui s’organisaient ici et là. Il aurait été trop imprudent de laisser pourrir la situation sans réagir, d’autant que le gouvernement ne semblait pas préoccupé par la grogne sociale qui montait un peu partout dans le pays”, explique un patron de parti politique. Selon des sources à la DGSN, les mesures de sécurité auraient également été renforcées autour des quartiers populaires dans des grandes villes comme Casablanca, Tanger ou Fès. Dans la semaine, le gouvernement sortant, pourtant à l’origine de toutes ces hausses de prix, annonce précipitamment la révision à la baisse des prix de plusieurs produits de consommation. Les taxes prélevées dans les différents marchés de gros du pays sont également suspendues. Mercredi dans la soirée, l’agence de presse officielle MAP se fend même d’une incroyable dépêche, détaillant les prix de vente des fruits et légumes dans les principales villes du pays. À Rabat, le message de Sefrou semble avoir été reçu cinq sur cinq. Avant même d’être nommé, le futur gouvernement Abbas El Fassi a déjà une sacrée patate chaude entre les mains.



Zoom. Sefrou, la rebelle ?

En temps normal, seul le fameux concours de Miss Hab L’mlouk sort Sefrou de son anonymat. Une fois par an, la petite ville se refait une beauté pour élire la plus belle de ses jeunes filles et lui offrir un petit tour en carrosse. Cela donne quelques clichés folkloriques dans la presse, mais aussi de petites polémiques entre modernistes et barbus locaux. En creusant un peu dans le passé de la ville, on retrouve une autre histoire, plus sombre et moins festive. En 1971, Sefrou a été l’une des premières étapes du convoi militaire qui a conduit les élèves de l’école militaire d’Ahermoumou vers le Palais royal de Skhirat. “La ville est toute proche de l’école militaire et pendant les années qui ont suivi la tentative de putsch, Sefrou a subi injustement la colère du Pouvoir de l’époque”, raconte un habitant de la ville. Sefrou a aussi un lien de longue date avec la gauche. Dans les terrasses des cafés de l’ancienne médina, les plus vieux citent à l’envi le nom d’un certain Oustad Yekhlef, économiste gauchiste qui avait fait la gloire de la ville. “Après le prophète, il n’y a que Yekhlef qui mérite notre confiance”, ont-ils l’habitude de répéter. Pendant des décennies, et jusqu’aux années 2000, Sefrou a été un fief de la gauche. “Mais le nouveau découpage électoral a favorisé l’émergence de nouvelles élites de droite ou venant de partis dits administratifs, qui se sont fait élire grâce au vote des villages voisins”, explique un journaliste local. Lors des élections du 7 septembre, les trois sièges de la circonscription ont été décrochés par l’Istiqlal, le MP et l’USFP.

 
 
TelQuel : Le Maroc tel qu'il est © 2008 TelQuel Magazine. Maroc. Tous droits résérvés