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Les réfugiés kényans dénoncent une violence planifiée

Par David Lewis Reuters - Samedi 26 janvier, 15h19

MULANDA, Ouganda (Reuters) - Bien avant l'annonce du résultat des élections au Kenya, à l'origine d'une vague de violences qui choque la communauté internationale, Irene Njoki pressentait que la situation pouvait dégénérer.

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"Ils avaient dit: quel que soit le vainqueur, vous devrez partir", raconte cette femme, mère de deux enfants, bientôt sur le point d'accoucher, dans un camp de réfugiés kényans installé dans la jungle de l'est de l'Ouganda.

"Quelques jours avant, ils ont brûlé des pneus et dit: 'On vous brûlera comme on brûle ça'."

"Cela semblait complètement planifié", ajoute-t-elle en lavant les rares vêtements qu'elle a pu conserver.

Dans les minutes qui ont suivi l'annonce de la réélection du président Mwai Kibaki, rejetée par son adversaire Raila Odinga, la maison d'Irene Njoki a été incendiée et la famille visée par des jets de pierres.

Appartenant à l'ethnie Kikuyu de Kibaki, mais habitant à Nambale, une ville du sud-ouest du pays majoritairement peuplée de l'ethnie Luo de Raila Odinga, la famille Njoki s'est réfugiée plusieurs jours dans un commissariat avant de réussir à fuir vers la frontière voisine.

Au total, plus de 6.000 Kényans, des Kikuyus pour la plupart, ont fui dans l'est de l'Ouganda. Certains se sont installés dans le camp de tentes de Mulanda, à 35 km à l'intérieur des terres. D'autres ont préféré rester près de la frontière pour continuer à surveiller l'évolution de la situation ou ce qu'il reste de leurs biens.

Mais pour la majorité d'entre eux, les violences qui ont éclaté après l'élection et fait environ 700 morts et 250.000 déplacés n'ont rien de spontané.

"C'EST NOTRE TOUR"

"Avant les élections, ils (les Luos) ont dit: 'C'est votre tour'. Ils nous ont dit que quoi qu'il arrive, ils prendraient le pouvoir", déclare Stanley Kamau, un partisan de Kibaki originaire de la ville frontalière kényane de Busia.

Pendant la campagne électorale, ce jeune militant a organisé de nombreux rassemblements de jeunes en faveur du président sortant et il explique qu'il ne peut plus retourner au Kenya car ceux qui ont organisé des meetings similaires pour Raila Odinga le connaissent et l'attendent.

Le gouvernement kényan accuse l'opposition d'avoir sciemment orchestré les attaques contre les Kikuyus, des accusations également portées par des organisations indépendantes.

"Nous avons la preuve que les responsables politiques de l'ODM (le Mouvement démocratique Orange d'Odinga, NDLR) ont activement fomenté des violences post-électorales", assure Georgette Gagnon, directrice intérimaire pour l'Afrique de l'ONG Human Rights Watch.

Après avoir mené une enquête à Eldoret, une ville de la vallée du Rift particulièrement touchée par les affrontements, Human Rights Watch estime que les responsables locaux et les anciens ont à la fois encouragé et organisé la violence.

Ils ont parlé de guerre et rassemblé des jeunes dans des groupes, qui ont pillé et incendié les maisons des Kikuyus, explique l'ONG.

Quelques réfugiés kényans en Ouganda sont restés assez longtemps pour assister à des attaques plus sophistiquées impliquant la fourniture d'armes et de moyens de transport.

"Ils se sont servis des élections pour régler une vieille rancune", affirme l'un d'eux, qui préfère rester anonyme. "Les Kikuyus se sont enrichis et ont acheté des terres. Maintenant, les Luos nous disent de retourner vers la (province) centrale d'où nous venons."

Alors que les violences se poursuivent, les deux camps n'ont signalé aucune volonté de réconciliation, hormis la première rencontre en tête à tête depuis les élections entre Kibaki et Odinga, obtenue jeudi par l'ancien secrétaire général de l'Onu Kofi Annan, qui tente une médiation.

Pour les réfugiés d'Ouganda, la réconciliation n'est pas à l'ordre du jour. "Les relations entre Luos et Kikuyus s'amélioreront peut-être un jour. Mais Kibaki ne doit pas partager le pouvoir avec Raila", déclare Irene Njoki. "Même s'ils disent qu'il a volé l'élection, c'était sûrement la volonté de Dieu."

Version française Jean-Stéphane Brosse

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