NAIVASHA, Kenya (Reuters) - Nombre d'habitants de Naivasha, dans la vallée du Rift, se sont réfugiés au commissariat de police à la faveur de la nuit, tandis que d'autres se sont abrités dans la prison. Les autres se sont regroupés dans l'obscurité, chantant pour se donner du courage, épuisés qu'ils sont par le face à face avec des foules d'ethnies rivales impatientes d'en découdre.
La plupart des membres des communautés Luo et Luhya, agressés depuis deux jours par des bandes de Kikuyus, n'ont qu'une idée en tête: regagner la région du Kenya dont ils sont originaires et où ils savent qu'ils seront bien accueillis.
"Le gouvernement devrait nous ramener chez nous, dans l'ouest", dit Samson Matovo, un Luhya qui travaille habituellement chez des horticulteurs en bordure du lac Naivasha, mais qui vient de passer la journée assiégé par des centaines de jeunes brandissant des machettes et des gourdins.
"Nous sommes vraiment ennemis maintenant. Même si cela se calme les prochaines semaines, cela va recommencer", prédit-il.
De la fumée s'élève de différents endroits de la ville située à environ une heure de route de Nairobi, tandis que des Kikuyus, l'ethnie du président Mwai Kibaki, traquent les Luos, les Luhyas et les Kalenjins, soupçonnés de soutenir l'opposition.
Le Kikuyus ont juré de venger la mort de membres de leur ethnie dans d'autres régions du Kenya après la victoire électorale de Kibaki contestée par le chef de l'opposition, Raila Odinga, qui dénonce des fraudes électorales.
Un gros camion bleu est chargé d'évacuer hommes femmes et enfants au commissariat de police situé en bordure du country club et à la prison de la ville, transformée en camp de réfugiés.
A chaque rotation du camion, un policier donne l'ordre de laisser d'abord monter les femmes et les enfants. Peine perdue, chacun se précipitant vers le véhicule avec un maximum de bagages.
Une dizaine de policiers protègent les réfugiés de centaines de Kikuyus armés de machettes dont un brandit une pancarte proclamant que "Pas de paix tant que les Luos ne repartent pas".
REPRÉSAILLES
Non loin de là, les policiers ont dû ouvrir le feu pour protéger un autre camion de réfugiés attaqué par la foule.
Naivasha, dans la vallée du Rift, a été épargnée pendant des semaines par les violences qui ont fait quelque 850 morts au Kenya depuis l'élection présidentielle du 27 décembre.
Rien que dans le Rift, les affrontements interethniques ont fait près de 100 morts ces derniers jours, essentiellement à Naivasha et dans la localité proche de Nakuru.
Dans les jours qui ont suivi le scrutin, des Kikuyus ont été pris à partie dans l'ouest du Kenya, fief d'Odinga, et nombre de Kikuyus figurent parmi les 250.000 personnes déplacées par les violences. Ils se sont réfugiés sur leurs terres ancestrales, dans le centre du pays, ou ont quitté le Kenya. Maintenant, ils ont soif de représailles.
"Cela n'a rien avoir avec la politique, c'est de la vengeance", dit Matovo. "Nous vivions ici comme frères et soeurs. Maintenant ils nous attaquent parce que des membres de leur ethnie ont été chassés de l'ouest du Kenya".
La plupart des observateurs locaux et internationaux ont conclu à l'existence de fraudes électorales. Mais l'ancien secrétaire général de l'Onu Kofi Annan, venu tenter une médiation, reconnaît que les violences dépassent le différend électoral.
"Ce sont eux qui ont tout commencé. Il faut qu'ils partent tous", clame David Chege, un homme d'affaire Kikuyu, tandis que ses amis brandissent des gourdins en insultant des policiers en train d'aider une dame âgée.
Le ministre kenyan de la Justice, George Saitoti, s'est fait huer lundi par des centaines de personnes auxquelles ils demandaient de ne pas se faire justice elles-mêmes.
Le sentiment d'insécurité prévaut largement.
"Nous voulons juste un véhicule pour rentrer chez nous. Nous ne pouvons pas rester ici, c'est impossible", explique Karen Achieng, une Luo de 36 ans occupée à transporter son fils et plusieurs seaux au commissariat de police.
"Nous sommes ici depuis 22 ans, mais nous ne sommes pas nombreux à Naivasha, de sorte que nous ne pouvons pas nous défendre", sanglote-t-elle.
Version française Nicole Dupont
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