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02.01.2008

Pourquoi le Kenya sombre-t-il dans la violence ?

 
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Depuis le 27 décembre, le Kenya est plongé dans la violence après la réélection contestée de son président Mwai Kibaki. Un cortège de pillages, de violences, de répression policière et de massacres interethniques qui dégénèrent.

Comment le Kenya, pays en paix, démocratique et en forte croissance économique a-t-il pu en arriver là ? Lui aussi ?! serait-on même tenté de dire…

Les violences ont pris naissance dans le contexte de l’élection présidentielle disputée et serrée du mois de décembre. La victoire annoncée par le pouvoir du président sortant a été contestée par son principal opposant, Raila Odinga, qui accuse le gouvernement de fraude électorale. Une enquête indépendante est en cours de mise en route de la part de la mission d’observation de l’Union Européenne présente lors du scrutin. Il semblerait que de nombreuses preuves corroborent les témoignages de l’opposition. Plus grave, les violences ont pris un caractère ethnique. 300 morts en quelques jours. Pire, 35 personnes (des Kikuyus, l’ethnie du président sortant, la principale minorité ethnique du pays) ont été brûlées vives dans une église hier. On parle ce matin de « nettoyage ethnique » et les 2 camps s’accusent mutuellement de génocide. Le président a accusé les partisans de l’opposition (des Luos), d’avoir planifié un génocide dont le massacre d’hier n’est qu’un des premiers épisodes.

d6ae6258a42856a1171001f750057235.jpgQu’en est-il réellement ? Le climat est certes extrêmement tendu et violent mais la menace d’un génocide semble totalement inventée par le pouvoir lui-même de manière à discréditer l’opposition qui a elle-même qualifié la répression des émeutes de « génocide ». Mais quel est vraiment le fond de l’affaire ? Il s’agit d’une lutte politique entre 2 candidats de 2 ethnies différents. Le problème ethnique au Kenya est bien réel depuis longtemps et malgré la croissance et la relative stabilité du pays depuis l’indépendance en 1963.

Le Kenya est en effet un pays multiethnique où cohabitent plus de 70 populations différentes, toutes minoritaires. Les Kikuyus sont la principale minorité du pays et exercent le pouvoir depuis l’indépendance. Situé à l’est et au sud du pays, ils ont profité du développement économique et touristique du pays et les Kikuyus, présents notamment dans les grandes agglomérations dont la capitale Nairobi, sont prépondérants dans la vie politique, économique et sociale du pays. Le président sortant, Mwai Kibaki tout comme Jomo Kenyatta, le « père de l’indépendance », est issu de cette ethnie.

Au contraire, les Luos, apparentés au Masaïs, forment la 2° ethnie du pays. Tribu venue du Nil (Soudan), ils sont beaucoup plus pauvres et marginalisés dans la vie économique, sociale, culturelle et politique du pays et forment la majorité de populations de l’ouest du Kenya, régions rurales plus pauvres, ainsi que des bidonvilles de la capitale, Nairobi, où ont démarré les émeutes.

Le contentieux ethnique est donc en fait un contentieux plus large, politique, économique, social, culturel. Le problème de la terre et la pression foncière des grandes exploitations, notamment celles des grandes plantations de café et de thé dont le Kenya est un exportateur important, ont avivé les tensions ethniques entre sédentaires et nomades, repoussant les tribus d’éleveurs comme les Luos vers des terres moins fertiles, d’où un appauvrissement conséquent.

La croissance économique n’a donc pas profité à tout le monde, plus à une ethnie qu’à d’autres et la relative stabilité politique dans laquelle vivait le pays, souvent cité comme havre de paix dans une Afrique orientale ensanglantée, était en fait un arbre qui cachait une forêt de problèmes.

Qu’arrive une élection annoncée comme discutée ou serrée et le climat de violence de la campagne électorale démocratique se transforme en climat de haine démagogique où les hommes politiques instrumentalisent leurs ethnies et leurs partisans à des fins politiques. Même dans un des pays africains qui a connu des lendemains parmi les moins difficiles des états décolonisés, les sempiternels ingrédients de la haine sont bien là, n’attendant que des cuisiniers pour mettre le feu à la marmite.

Ce climat rappelle effectivement celui du génocide rwandais entre Hutus et Tutsis de 1994. Là aussi, une ethnie plus pauvre et marginalisée dans la vie politique, économique et sociale (les Hutus) par une autre ethnie, au pouvoir depuis (et même avant) l'indépendance (les Tutsis), avait profité d’un élément déclencheur (l’assassinat du président Habyarimana) pour mettre en œuvre un génocide planifié. Heureusement, la comparaison semble s’arrêter là car les violences semblent plus spontanées que planifiées. Elles n’en sont pas moins inquiétantes.

Plus largement, cette situation pose un peu plus cruellement la cynique question de savoir si la démocratie n’est pas ici le catalyseur de la violence. Quand un pays ne connait pas un développement équilibré et que les écarts sociaux, économiques et politiques recouvrent des clivages ethniques, la démocratie se transforme vite en démagogie qui, attisée, sont une allumette de la violence et de la guerre civile. La démocratie ne rime hélas pas toujours avec la paix et la sécurité. Un postulat de plus en plus évident qui pose la question de fond : Faut-il privilégier la démocratie ou la stabilité ?

Pour en savoir plus sur le site de rue89.com 

Commentaires

Au Rwanda, les éleveurs nomades sont les Tutsis et les sédentaires les Hutus, contrairement à ce qui est écrit ci-dessus.

Ecrit par : Feravec | 02.01.2008

Les Luos ne vivent pas au Nord du Kenya, ne sont pas des pasteurs...Ils vivent en majorite dans la region appelee ici Western Kenya, et sont principalement cultivateurs.
Ils me semblent que vous confondez trop facilement les Luos et les Samburus, ces derniers etant effectivement apparentes aux Masais, et pasteurs du Nord Kenya.
Pour precision egalement, l'etat kenyan reconnait 42 differentes ethnies...

Petite correction effectuee par une ex-Belge, vivant depuis douze annees en permanence au Kenya, et plus precisement au Nord Kenya, au sein de la tribu Samburu.
Merci de m'avoir lue.

Ecrit par : lailasamburu | 02.01.2008

erreur:
le Président Daniel Arap Moi, qui a régné pendant 23 ans, n'était pas de l'ethnie Kikuyu mais Kalenjin (de l'ouset du pays, proche du Soudan)

Ecrit par : caro | 02.01.2008

Ce n'est pas juste un problème entre les Luos et les Kikuyus. Les autres tribus ont aussi leur place dans cette histoire.
Exemple les Kalenjins (ma tribu), s'entendent très bien avec les Luos, mais très mal avec les Kikuyus (ils partageaient les mêmes terres). Et donc, si jamais les Kikuyus DEVRAIENT se "battre" contre les Luos, ils n'épagneront pas les Kalenjins...Et ca, je vous l'assure.

Ecrit par : Rebecca | 02.01.2008

Rebecca, les Kalenjins sont, si je ne m'abuse, apparentés aux Luos puisqu'ils parlent des langues du même groupe nilotiques ? La solidarité entre les 2 me semble ainsi double. Les kalenjins soutenaient-ils plus particulièrement un camp ? Odinga plutôt que Kibeki ?

Ecrit par : Grünen | 02.01.2008

Sinon, merci de vos précisions. Je ne suis pas spécialiste de la question et j'ai dû effectivement commettre certaines confusions. Pour ce qui est des sambrus, je ne connaissais pas ces précisions, merci à lailasamburu.
Pour la différence entre Hutus et Tutsis, c'était une erreur d'inattention que je vous remercie d'avoir corrigé.
J'ai corrigé dans mon billet ce quelquèes points, ainsi que celui sur Arap Moi dont je ne savais pas qu'il était kalenjin. Les sources sont souvent contradictoires sur ce sujet et parfois fausses. Merci de votre indulgence pour mes erreurs.

Ecrit par : Grünen | 02.01.2008

Le massacre entre les hutus et les tutsi etait l envie de vengeance ce qui n est pas le cas au kenya



ousmane barry 11 ans dakar senegal

Ecrit par : ousmane barry | 02.01.2008

J'ignore tout du Kénya qui est loin de l'afrique de l'ouest dont je suis originaire et où je réside. Mais en lisant les différents commentaires, je réalise qu'il me faut un peu plus de temps pour comprendre ce qui se passe dans ce pays frère.
Merci quand même pour les différentes contributions.

Ecrit par : oscar | 02.01.2008

Après l'incendie volontaire d'une église avec 35 personnes à l'intérieur, n'est-il pas plutôt ou bien en plus un signe d'une guerre de religion entre tribus christianisées nombreuses dans ce pays et la montée de l'islam en Afrique?

Ecrit par : szloma | 02.01.2008

C'est une bonne question szloma. Qu'en est-il de la dimension religieuse dans un pays en majorité chrétien mais où un quart de la population est animiste et 10 % musulmans si mes renseignements sont bons. de plus, tu parles de la montée de l'islamisme, effectivement dans la corne de l'Afrique, quel est l'impact de ce phénomène, à la frontière d'une Somalie en guerre face aux milices islamistes, d'une Ethiopie, puissance régionale chrétienne face à un Soudan aux mains d'une dictature islamiste...
Si je ne m'abuse, il y a aussi parmi la population luo des réfugiés du sud-Soudan, chrétiens ayant fui la guerre civile...

Ecrit par : Grünen | 02.01.2008

Je pense que les problemes ethniques en Afrique de l'Est et des Grands lacs ne finiront jamais. Dès que une ethnie arrive au pouvoir, le premier objectif est d'appauvrir les autres ethnies et de les releguer au second plan. Au rwanda, les Hutu sont marginalisés par le pouvoir actuel. Le monde rural où vivent les hutus est complétement appauvris, contrairement, à Kigali qui est la propriété de l'éthnie Tutsi au pouvoir.

Ecrit par : aminata | 02.01.2008

Une autre dimension de ces guerres ethniques c'est la criminalité contre les femmes et les enfants. La majorité des tués dans l'Eglise de Eldoret sont des femmes et les enfants.

Comment peut on protéger tout le monde, mais surtout les plus vulnérables y compris les femmes et les enfants ?

Ecrit par : aminata | 02.01.2008

Quelles sont les mesures ou les stratégies mises en place pour assouplir les positions des différents adversaires et ^d'alléger les problème voire arreter complétement ces conflits éthniques au Kenya ?

Quelle est le rôle des Nations Unies pour calmer le jeu ?

Ecrit par : aminata | 02.01.2008

Bonne question aminata. Je trouve effectivement pesant le silence du "machin". Quant à l'UE, elle a une mission d'observation sur place mais à part appeler au calme et à une enquête électorale...

Ecrit par : Grünen | 02.01.2008

Les leaders du Kenya ont l'obligation de protéger la population : Ban Ki-moon
http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=15517&Cr=Kenya&Cr1=Secrétaire

2 janvier 2008 – Rappelant les leaders kenyans à leurs obligations envers la population, le Secrétaire général de l'ONU s'est déclaré aujourd'hui « choqué par les informations selon lesquelles des dizaines de civils ont été brûlés vifs dans une église à Eldoret » et selon lesquelles « on compterait 300 morts du fait de cet accès de violence déplorable ».


« Le Secrétaire général est de plus en plus troublé par l'escalade des tensions et de la violence au Kenya à l'issue des élections de la semaine dernière », affirme un message transmis aujourd'hui par sa porte-parole.

Ecrit par : aminata | 02.01.2008

http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=15519&Cr=Kenya&Cr1=OCHA

2 janvier 2008 – L'équipe des Nations Unies pour l'évaluation et la coordination en cas de catastrophe (UNDAC) au Kenya était aujourd'hui en consultations avec la Croix-Rouge kenyane pour trouver les moyens d'atténuer les conséquences de la crise actuelle.

Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) affirme aujourd'hui que l'accès humanitaire est devenu un problème grave alors que des milliers de personnes ont été déplacés par les violences, a rapporté la porte-parole du Secrétaire général, Michèle Montas, lors de son point de presse quotidien.

« La route entre Nairobi et Nakuru, par exemple, est aux mains de groupes de miliciens », a-t-elle affirmé.


Le bureau de Nairobi, dirigé par Anna Tibaijuka, signale aussi des cas alarmants d'abus sexuels et d'attaques contre des femmes et des enfants. « La population des bidonvilles manque cruellement de nourriture et d'autres produits de base »,.

Ecrit par : aminata | 03.01.2008

Si l'on en croit la presse, les 35 tués Kikuyus dans l'église faisaient suite aux 300 tués par les tirs délibérés de la Police Kikuyu sur le peuple qui se révoltait contre l'annonce le D 30 Dec 2007 de la réélection du Président sortant Kibaki, qu'une majorité semble-t-il considère comme frauduleuse.

Je trouve inquiétant que la presse soi-disant indépendante fasse 10 fois plus résonance sur les 35 victimes médiatisés par le pouvoir en place, que sur les 300 victimes du même pouvoir en place qui en étaient apparemment la cause.

Versailles, Thu 3 Jan 2008 09:54:20 +0100

Ecrit par : Michel Merlin | 03.01.2008

Pour répondre à Michel Merlin, la différence importante me semble être la nature des 2 massacres. Celui de l'église concerne essentiellement des femmes et des enfants, surtout "brûlés vifs" dans une église. Cela dit, il est vrai que la violence est le fait des 2 bords, la violence policière du pouvoir en place est elle aussi inquiétante.

Ecrit par : Grünen | 03.01.2008

Qui croira qu'il y aurait eu moins de femmes et enfants tués parmi les 300 massacrés à la mittraillette que parmi les 35 massacrés "à l'Oradour" ? Et même dans ce cas ce ne serait pas une raison; ne nous laissons pas trop influencer par les présentations des pouvoirs en place.
Versailles, Thu 3 Jan 2008 11:29:50 +0100

Ecrit par : Michel Merlin | 03.01.2008

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