
ar Nicolo Gnecchi et Andrew Cawthorne
NAIROBI (Reuters) - L'appel au rassemblement lancé par l'opposition kényane à Nairobi ne semble pas avoir trouvé d'écho auprès de ses
sympathisants, accordant un répit au pays après une semaine de violences.
En début de matinée, aucune manifestation n'était visible dans le centre de la capitale, où le parti de Raila Odinga, candidat malheureux de
l'élection présidentielle du 27 décembre, avait appelé à la mobilisation.
"Nous sommes fatigués, nous ne défilerons pas", a déclaré Samuel Muhati, un habitant de bidonville de Mathare, où des milliers de
manifestants avaient affronté jeudi la police. "Que les combats s'arrêtent."
La vice-secrétaire d'Etat américaine aux Affaires africaines, Jendayi Frazer, est attendue vendredi à Nairobi où elle doit rencontrer Odinga
et son rival, le président Mwai Kibaki, dont l'annonce de la réélection a déclenché de graves violences dans l'ancienne colonie britannique.
"Ils ont l'occasion de parvenir à une sorte d'accord qui aidera à panser les plaies", a déclaré à Reuters le président américain George W.
Bush.
L'opposition avait annulé jeudi un premier rassemblement à la suite de heurts entre les forces de l'ordre et des militants.
Vendredi à 10h00 (08h00 GMT), heure initialement prévue pour la mise en branle du cortège, aucun dirigeant de l'opposition n'était arrivé au
Pentagone, leur QG à Nairobi, a rapporté un journaliste de Reuters.
La manifestation devait rallier le parc Uhuru (liberté), encerclé depuis l'aube par des unités de la police anti-émeute.
Plus de 300 personnes ont été tuées depuis le début des violences, certaines lors de heurts entre police et manifestants, les autres dans
des affrontements ethniques. Au moins 100.000 personnes ont fui leurs foyers.
Alliés à d'autres groupes ethniques, les Luos fidèles à Odinga s'opposent aux Kikuyus, tribu dont Kibaki est issu et considérée comme
favorisée politiquement et économiquement.
"RÉPUBLIQUE BANANIÈRE"
Alors que les efforts de la communauté internationale pour rapprocher les deux rivaux n'ont pour l'instant pas donné de résultat, l'impatience
monte chez les Kényans.
"Malgré l'inquiétude évoquée de part et d'autre quant à la dangerosité de la situation du Kenya et les déclarations publiques de volonté de
dialogue, les affrontements submergent encore les voix de la raison", écrit le quotidien Daily Nation.
En dépit d'appels de plus en plus insistants à la formation d'un gouvernement d'unité nationale, ni Kibaki ni Odinga ne semblent prêts à
envisager cette option, ce dernier affirmant être le président légitime à l'issue du scrutin.
Le secrétaire général du parti d'Odinga, le Mouvement démocratique orange (MDO), a réclamé la démission de Kibaki et la mise en place
d'un processus de transition avant la tenue d'une nouvelle élection - "dans trois mois maximum", a précisé Anyang Nyong'o.
Mgr Desmond Tutu, archevêque anglican sud-africain qui fait office de médiateur, a rapporté lui que le président kényan n'était "pas hostile
à la formation de coalitions mais qu'il devait y avoir clairement reconnaissance qu'il existe une autorité qui gouverne ce pays".
Les Kényans sont également atterrés de voir une telle crise s'emparer de leur pays, destination touristique prisée et base logistique pour les
diplomates, journalistes et travailleurs humanitaires actifs en Afrique de l'Est.
"Les images de république bananière qui passent sur toutes les grandes chaînes occidentales, dans les journaux, sur les sites internet,
montrant des corps à la morgue, des violences policières et des guerriers tribaux brandissant haches et machettes, tout cela est terrifiant et
écoeurant", écrit l'éditorialiste Fred Mudhai.
Dans les bidonvilles entourant la capitale, les violences se sont poursuivies selon des témoins jusqu'aux premières heures de vendredi.
Les répercussions économiques de la crise commencent à se faire sentir et la Banque mondiale a mis en garde contre des dégâts à
l'économie du Kenya et des pays voisins qui dépendent de Nairobi. L'Ouganda, le Rwanda et le Burundi subissent déjà des pénuries de
carburant, le conflit paralysant l'activité du port de Mombasa.
Pour Kibkoech Tanui, rédacteur en chef au journal Standard, laisser Kibaki poursuivre son nouveau mandat de cinq ans malgré la façon
suspecte dont il l'a remporté serait un moindre mal si cela permettait la fin des massacres, comme celui lors duquel 30 Kikuyus ont péri dans
l'incendie volontaire de l'église où ils s'étaient abrités.
"J'essuierai mes larmes et j'oublierai que j'ai été trompé si la seule autre issue possible est de voir des églises transformées en bûchers
pour des enfants qui ignorent encore qui dirige le Kenya", écrit-il.
Version française Henri-Pierre André et Gregory Schwartz