Kenya
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De l’huile sur le feu
par
Nordine Mzalla
L’armée kényane déclarait il y a quelques jours qu’elle n’interviendrait pas dans le maintien de l’ordre. Hier, ses hélicoptères tiraient à balles réelles sur des manifestants à Naivasha, à moins de cent kilomètres de la capitale Nairobi, au lendemain du meurtre d’un député de l’opposition.
Dans ce conflit exacerbé par les résurgences du tribalisme, l’armée unitaire vient peut-être d’hypothéquer le retour à la cohésion du peuple. «La foule est incontrôlable et nous voulons la disperser, c’est pourquoi nous avons recours à des hélicoptères», commente un policier à Naivasha, comme pour justifier ce recours aux armes de guerre dans un conflit civil.
Deux hélicoptères de l’armée et un de la police pour réprimer les émeutiers. Mais en réalité ce ne sont pas des émeutes ordinaires d’une foule en colère contre des symboles de l’Etat, comme on peut le voir lors de troubles sociaux.
Le Kenya voit la tragique déchirure de son peuple où des ethnies s’affrontent au quotidien jusqu’à la mort. Une moyenne de vingt personnes tuées chaque jour soit par armes blanches, soit brûlées vives ou encore victimes de balles policières.
L’AFP a rapporté que la police avait intercédé pour protéger un groupe de Luos qui quittaient les lieux en bus. En effet, depuis plusieurs jours, de véritables combats de rue se déroulent entre membres de l’ethnie kikuyu d’un côté et luos de l’autre.
La situation s’est compliquée après l’assassinat lundi d’un député du camp de Raila Odinga, le candidat malheureux de l’opposition aux élections présidentielles du 27 décembre dernier qui ont embrasé le pays. Melitus Mugabe Were, élu à la fin de décembre député du Mouvement démocratique orange (ODM, opposition) dans une circonscription de Nairobi, a été tué par balles «devant sa maison» à Nairobi vers 00h30 mardi (21h30 GMT lundi), un crime de plus qui a fait monter la tension d’un cran, notamment à Nakuru et à Kakamega.
Cette première victime chez les élus va-t-elle changer la donne dans l’attitude des leaders plus enclins à ressasser leurs desiderata politiques qu’à réagir avec sagesse ? Vont-ils verser ce sang, comme de l’huile, et attiser le feu qui ravage le pays ? Pour l’instant, Odinga a affirmé que ses adversaires politiques, en référence au camp Kibaki, étaient impliqués «dans l’assassinat brutal» du député.
«Nous soupçonnons la marque infâme de nos adversaires» politiques dans ce meurtre, a affirmé Raila Odinga, s’adressant à la presse à Nairobi.
Une accusation publique comme carburant de la haine déjà accumulée chez les Kényans, mais atténuée cependant par le porte-parole de l’ODM, Salim Lone, qui a parlé de mardi comme d’«un jour très sombre» pour le Kenya, appelant enfin les partisans de l’opposition au calme.
Il faisait allusion aux tirs de l’armée, mais aussi aux quatre personnes tuées à la machette à Kibera, bidonville de Nairobi. Quant à la médiation de l’UA, dont nous parlions dans notre édition d’hier, il semblerait qu’elle ait enfin interpellé Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’ONU, qualifiant la situation au Kenya de « préoccupante».
Ce dernier prévoit une rencontre pour ce mercredi à Addis Abeba. Un sommet de l’Union africaine doit y débuter jeudi, «pour voir comment l’UA et l’ONU peuvent travailler ensemble» à tenter de résoudre la crise. On a connu Ban Ki-moon beaucoup plus prompt à intervenir pour déclencher « une enquête».
Faut-il attendre mille morts au Kenya pour chatouiller son agenda ? N. M.
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