Une fausse analogie avec le Rwanda
LE MONDE | 04.01.08 | 14h45
NAIROBI CORRESPONDANT

a force avec laquelle le monde entier s'est efforcé d'ignorer le génocide rwandais, en 1994, explique peut-être pourquoi, par un retournement nourri de culpabilité, a grandi depuis la peur de "rater" un nouveau crime des crimes qui ensanglanterait un coin de planète.

Le Kenya de ces temps troublés est-il un candidat pour cette qualification ? Dans un pays où les lignes de fracture politiques recoupent les découpages ethniques, au grand dam d'une partie de la population qui refuse de se laisser happer dans une machine entretenue par les leaders des partis, il serait tentant, mais faux, de le croire. Même lorsqu'intervient un drame terrible à forte charge symbolique, comme celui qui s'est produit, lundi 31 décembre, dans l'ouest du pays, près de la ville de Nakuru.

Un groupe d'environ 400 personnes appartenant à l'ethnie kikuyu, craignant pour leur vie, s'était réfugié dans une église en bois que des jeunes appartenant à l'ethnie kalenjin ont incendié. Plus de 35 personnes sont restées dans les décombres, brûlées vives. L'horreur de la scène a frappé les imaginations et offert un parallèle trompeur avec l'extrême horreur des scènes du génocide au Rwanda, où les églises furent des lieux de supplice, comme l'était tout le reste du pays.

De cette analogie d'images, de cet écho d'émotions, est né un malentendu confinant à la malhonnêteté, entretenue par des responsables kényans. Kivutha Kibwana, ministre des terres, accuse : "Il devient de plus en plus évident que ces actes de génocide et de nettoyage ethnique bien organisés ont été soigneusement préparés et répétés par les dirigeants de l'ODM (Mouvement démocratique orange, opposition) avant les élections."

Raila Odinga, chef de l'ODM, lui a emboîté le pas sans complexe. Jeudi après-midi, empêché de tenir un rassemblement de ses partisans, il s'est rendu à la morgue municipale de Nairobi, assénant ce commentaire : "Ce que nous venons de voir est au-delà de toutes les descriptions. Nous pouvons seulement décrire ceci comme un génocide à grande échelle."

Un homme, au sein de l'opposition, finit tout de même par résister à la spirale de la folie des accusations, source presque certaine de nouvelles violences à venir. Peter Anyang'Nyong'o, secrétaire général de ODM, vient d'échapper aux gaz lacrymogènes de la police anti-émeutes. Il corrige le tir : "Je ne pense pas que le Kenya ait atteint ce niveau."


Jean-Philippe Rémy
Article paru dans l'édition du 05.01.08