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accueil >> actualités : afrique >> 2 janv. 2008
KENYA •  Derrière les massacres, la haine interethnique
A l'issue d'élections contestées, le Kenya se retrouve plongé dans une succession d'émeutes à caractère ethnique et de répression policière. Une situation qui a déjà fait plus de 200 morts. Reportage.
A Nairobi, le 1er janvier 2008
AFP
Identifiés par des étiquettes collées sur leurs torses nus, les corps sont alignés sur le parquet maculé de sang de la morgue de Kisumu. Un certain nombre d'entre eux sont dignement recouverts d'un drap, mais la plupart sont exposés aux regards, leurs yeux sans expression fixant le plafond blanchi à la chaux. Presque tous semblent avoir été abattus, les uns d'une balle, les autres de plusieurs.

Nul ne connaît exactement le bilan des affrontements dans la troisième ville du Kenya, qui a été le théâtre des violences les plus meurtrières du pays depuis l'investiture, le 30 décembre, du président Mwai Kibaki à la suite d'un scrutin très contesté. Des employés de la morgue, peut-être sous la pression d'un gouvernement soucieux de minimiser les chiffres dans ce fief de l'opposition, se contredisent les uns les autres. L'un d'eux parle de 39 morts, un autre de 56, alors que 62 corps au moins portent les marques d'une mort violente.

Ce qui est clair, c'est que le massacre a été général. Entre les cadavres de deux hommes – un jeune et un vieux – reposent ceux de Bencella Seleta et de son fils de 2 ans, Melvin, serré au creux de son bras. La mère et l'enfant ont été tués par la même balle, qui a d'abord transpercé le corps de l'enfant, que Bencella portait sur son dos, avant de la tuer tandis qu'elle tentait d'échapper aux policiers qui tiraient sur la foule autour d'elle.

Selon les habitants de la ville, la plupart des victimes ont été tuées par les forces de l'ordre. Kisumu, où l'ethnie luo est majoritaire, a voté massivement pour Raila Odinga, l'adversaire de l'actuel président Kibaki, et les autorités les auraient sanctionnés pour cet affront.

A l'extérieur de la morgue, des parents et des amis parlent de Luos tués sans mobile apparent : Ambai, un commerçant, touché à la jambe alors qu'il vendait des oignons puis au cœur pendant qu'il se rendait en boitant à l'hôpital ; Benson Ondieki, un gardien de nuit, atteint de trois balles dans le dos alors qu'il se rendait au travail ; Tom et Dan, deux frères, criblés de balles alors qu'ils allaient acheter le journal.
"La police a tiré sans sommation", proteste la sœur des deux hommes, Rose Onyango. "C'est un meurtre et le responsable est Kibaki."

Selon des sources de l'Eglise, de la police et de l'opposition, au moins 200 personnes, pour la plupart luos, ont été tuées à Kisumu en l'espace de trois jours. Il serait abusif de dire que la police a agi sans mobile. Après l'annonce du résultat de l'élection, des Luos se sont livrés à des actes de violence, pillant et incendiant des magasins, des maisons et un hôtel appartenant à des Kikuyus, l'ethnie du président, ou à des Kényans d'origine indienne ou pakistanaise. Des milliers d'habitants ont alors pris la fuite. Mais depuis que le gouvernement a, dit-on, ordonné à ses forces de tirer pour tuer, on peut penser que de nombreux civils innocents sont tombés sous les balles.

Quelle que soit la raison du carnage, il est clair que chaque mort fait monter un peu plus la tension dans cette ville entraînée dans une spirale de violence sans précédent. "Ils tuent des enfants, ils tuent des femmes", se lamente un artisan du nom de Jared Ngowe. "La police nous traque comme des animaux. Mais si nous sommes prêts à mourir, nous sommes également résolus à nous venger. Le Kenya brûlera, mais n'oubliez pas que c'est Kibaki qui a allumé le feu."

Ce port endormi des rives du lac Victoria ressemble aujourd'hui à une ville en guerre. Des carcasses de véhicules incendiés sont abandonnées dans des rues bordées de bâtiments saccagés ou détruits. Et même si dans la ville la situation semble un peu plus calme – si ce n'est moins tendue –, on ne peut en dire autant des villages voisins de la province majoritairement luo de Nyanza, où des représailles rapides et brutales se sont déchaînées contre les Kikuyus.

Coupées du monde par les barrages mis en place par des combattants luos, les routes menant à Kisumu sont elles aussi cernées de maisons en flammes, et des tourbillons de fumée montent vers les collines environnantes. Dans les plaines, les plantations de canne à sucre et les champs de maïs appartenant à des Kikuyus ont eux aussi été incendiés. Des animaux de ferme et des hérons, terrorisés, sont blottis sur la chaussée tandis que les récoltes partent en fumée de l'autre côté de la route.

Même si les violences ont été incontestablement déclenchées par l'élection, perçue par beaucoup de Luos comme les ayant privés de leur première chance d'accéder au pouvoir depuis l'indépendance, en 1963, des tensions plus anciennes sont également remontées à la surface. Les représailles sont infligées par une ethnie qui voyait en M. Odinga sa dernière chance de réparer ce qu'elle considérait comme une injustice. "Nous sommes prêts à mourir pour Raila", proclame Morris Okoth, un paysan luo de la province de Nyanza.
Adrian Blomfield
The Daily Telegraph
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