Cette semaine : |
Le récit des émeutes au Cameroun, du samedi 23 février au vendredi 29 février 2008.
Le Dessin de la semaine : |
Dessin paru en « Une » du tri hebdomadaire,
Le Popoli, lundi 25 février, au sujet de la première manifestation
qui a tourné à l’émeute, samedi 23 février,
à Douala :
« Des pneus, un bus et des comptoirs incendiés. Le film des émeutes
d’un samedi noir. »
Paul Biya, devant le Palais présidentiel : « D’ici, je vois
les images de 90-91. »
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FERMETURE DE LA RADIO ET DE LA TELEVISION EQUINOXE, A DOUALA
La télévision privée Equinoxe TV a été
fermée, jeudi 21 février, par l’Etat camerounais pour «
exercice illégal de la profession de diffuseur de communication audiovisuelle.
» Ce motif n’est pas accepté par la chaîne de télévision
et de nombreux journaux privés qui estiment que la fermeture est due
à la place accordée par la chaîne à l’opposition
au projet de modification constitutionnelle annoncée par le président
Biya.
Le vendredi 22 février, l’Etat ferme la radio Equinoxe. Cette radio
privée, à l’audience considérable, accorde généralement
une place importante à l’opposition au régime.
MANIFESTATION D’OPPOSITION AU PROJET DE MODIFICATION CONSTITUTIONNELLE, SAMEDI 23 FEVRIER
L’Agence France Presse fait état d’un mort
dans les affrontements de samedi 23 février, à Douala. Le Social
Democratic Front (Sdf), principal parti d’opposition camerounais, souhaitait
organiser un meeting suivie d’une marche, que le député
Jean Michel Nintcheu reporte finalement, au vu de la présence des forces
de l’ordre. Suite à cette décision, une marche a tout de
même lieu. Celle-ci est réprimée par la police qui utilise
notamment des bombes lacrymogènes et des lances à eau. Les manifestations
ont été interdites à la mi-janvier par le Gouverneur de
la Province, dans tout le Littoral. Dans la nuit de samedi à dimanche,
des barricades sont montées dans la ville où brûlent un
bus et des pneus. Selon l’agence Panapress, deux manifestants seraient
morts dans la nuit de samedi à dimanche, au lieu dit « rond point
Dakar ».
Le quotidien public Cameroon Tribune évoque, lundi 25 février,
un mort et publie un communiqué du ministre de la Communication, Jean
Pierre Biyiti Bi Essam, qui condamne les violences et déclare notamment
déplorer « cette perte en vie humaine, ainsi que tous les dégâts
occasionnés par ces actes irresponsables » et dénonce «
fermement ceux qui exploitent la naïveté des jeunes. »
Dimanche 24, la situation reste tendue mais relativement calme à Douala.
LA GREVE DES TRANSPORTEURS TOURNE A L’EMEUTE, A DOUALA ET DANS L’OUEST
Une grève des transporteurs est annoncée depuis
le 5 février pour protester contre l’augmentation du prix du carburant.
En marge d’une grève très suivie à Douala, où
les taxis ne circulent pas, des violences apparaissent. A 16 heures, l’AFP
faisait état de trois morts . Les violences couvrent tous les quartiers
de la ville, excepté le quartier administratif de Bonanjo. Des barricades
sont montées et des pneus, bus et stations essence brûlés.
Les manifestants affrontent les forces de l’ordre. Le quotidien Mutations
fait état de quatre morts et de blessés graves, dans son édition
du mardi 26. Des symboles de l’Etat sont atteints. Les manifestants s’en
prennent à la mairie de Douala 5ème, bastion Rdpc, qui est incendiée,
à des bureaux de l’entreprise de distribution d’eau, Snec,
ainsi qu’à ceux de l’entreprise de distribution d’électricité
AES-Sonel. Des stations services sont saccagées et incendiées.
Aucun leader politique ou syndical n’est présent sur le terrain
et aucune organisation ne semble maîtriser le mouvement.
Les violences atteignent d’autres villes, dans la journée de lundi.
Dans la province de l’Ouest, notamment, l’université de Dschang
est le lieu de saccages et protestations, la ville de Buea est le théâtre
d’affrontements entre forces de l’ordre et manifestants armés
de pierre qui ont monté des barricades. Des pillages ont également
eu lieu. La presse camerounaise évoque des perturbations dans la province
de l’Ouest, qui se seraient étendues, ce lundi, aux villes de Foumbot,
Dschang et Bafang.
La presse évoque quelques incidents marginaux à Yaoundé
où des transporteurs grévistes se sont confrontés aux forces
de l’ordre. Des incidents auraient éclaté dans plusieurs
quartiers de la capitale politique, dans la nuit de lundi à mardi, selon
la presse camerounaise. La grève est largement suivie et les rares motos
taximen en exercice (non déclarés à Yaoundé, où
cette activité est interdite) sont stoppés par les grévistes.
Des incidents auraient éclaté entre grévistes et non grévistes.
ELARGISSEMENT DES REVENDICATIONS, CONDAMNATION DU POUVOIR
Les revendications semblent en tout cas avoir largement débordé
le cadre de la grève des transports. Les protestations sont ainsi motivées
par l’inflation, et non seulement l’augmentation du prix de l’essence,
la fermeture de radio Equinoxe, surnommée « la radio du peuple
» ainsi que le projet de modification de la Constitution de Paul Biya.
Un communiqué du Rassemblement démocratique du peuple camerounais
(Rdpc), le parti au pouvoir, dénonce, lundi soir, les violences. Dans
ce dernier, le parti s’en prend aux « violences aveugles et injustifiées,
intolérables dans un Etat de droit. » Il appelle les populations
à ne pas « céder à la panique » et présente
ses condoléances aux « familles endeuillées. »
Le Gouvernement, par les voix de trois de ses ministres, Jean Pierre Biyiti
Bi Essam, ministre de la Communication, Gounoko Haounaye, ministre des Transports,
Luc Magloire Atangana, ministre du Commerce, s’exprime à la télévision
camerounaise, lundi soir. Selon Cameroon Tribune, le ministre de la Communication
a jugé que les vandales sévissaient généralement
dans les zones où le Sdf est très implanté, le ministre
du Commerce estime que la hausse des prix est dû aux « nouvelles
tendances de l’économie mondiale » et que les Camerounais
doivent s’y adapter tandis que le ministre des Transports est surpris
de l’ampleur du mouvement, alors qu’il avait rencontré les
syndicats, en septembre 2007.
LE MOUVEMENT PREND DE L’AMPLEUR, NOTAMMENT A L’OUEST
Mardi 26 février, les violences et émeutes, toujours
présentes à Douala, continuent de s’implanter à l’Ouest,
notamment dans la capitale provinciale, Bafoussam. A la mi journée, un
manifestant aurait été tué dans cette ville selon l’AFP.
Cette information a été annoncée par la radio nationale,
CRTV, qui ajoute que toutes les activités sont à l’arrêt
dans la ville. A Kumba et à Bamenda, dans le Sud Ouest, des événements
auraient eu lieu. L’AFP évoque également des attaques de
stations service, afin de briser les pompes, dans la capitale politique, Yaoundé.
Reuters évoque des piquets de grève de chauffeurs de taxi devant
les stations, sans incidents à signaler. La mort du manifestant à
Bafoussam porte à six le nombre de victimes depuis le début des
émeutes, selon l’agence Reuters.
Le port de Douala est bloqué, alors q’il assure habituellement
le ravitaillement du Tchad et de la République centrafricaine.
Des pénuries, d’essence notamment, sont signalées à
Yaoundé, lundi et mardi. Redoutant un manque d’approvisionnement
plus long, les consommateurs se sont massivement rendus dans les stations services.
FIN OFFICIELLE DE LA GREVE, PREMIERES EMEUTES MASSIVES A YAOUNDE, MERCREDI 27 FEVRIER
Les syndicats de transporteurs ont accepté l’arrêt
la grève après que le gouvernement a consenti une baisse de 6
francs CFA (moins de 0,01 €) du prix de l’essence, lors de négociations
dans la nuit de mardi à mercredi. Le prix du super passe alors de 600
à 594 francs CFA le litre. Quelques taxis circulent alors à Yaoundé,
mercredi matin, durant quelques heures.
Mais dans la matinée, des incidents éclatent dans la capitale.
Des émeutes affectent de nombreux quartiers, où des barricades
sont dressées et où des manifestants lancent des pierres contre
les forces de l’ordre. Le mouvement de contestation du pouvoir de Paul
Biya et de revendication du multipartisme du début des années
1990, les « villes mortes », n’avait pas provoqué de
manifestations à Yaoundé, qui connaît cette semaine, les
premières émeutes de cette ampleur. Les manifestants s’en
prennent notamment aux étals des marchés, provoquant la fermeture
de ces derniers et de la majorité des commerces de la capitale. La presse
privée camerounaise relate les interventions musclées des forces
de l’ordre, dont l’armée, qui s’en seraient pris à
de simples passants. Une station essence est brûlée ainsi qu’un
bus de transport en commun.
Les émeutes se poursuivent, ce mercredi, à Douala, dans les villes
environnantes (Njombé et Loum, notamment) et dans l’Ouest du pays.
L’AFP fait état d’un bilan de 17 morts.
L’ambassade de France au Cameroun conseille à tous ses ressortissants
vivant au Cameroun de rester chez eux en raison des incidents.
INTERVENTION FERME DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE, QUI FUSTIGE UNE ORCHESTRATION DE L’OPPOSITION
Les médias annoncent alors une intervention radiotélévisée du président de la République, Paul Biya, à 20 heures. Le discours est bref et ferme. Le président Biya fustige les « apprentis sorciers qui dans l’ombre ont manipulé [les] jeunes » émeutiers, afin d’ « obtenir par la violence ce qu’ils n’ont pas eu par la voie des urnes. » Hors de son style habituel, le président conclut son discours en assurant que « force restera à la loi. » Le quotidien public Cameroon Tribune salue, par la plume de sa directrice de publication, Marie Claire Nnana, la « salutaire fermeté » du chef de l’Etat qui a sur poser un « regard protecteur de père de la Nation » sur les jeunes. L’opposition dénonce le discours du président, qui l’accuse d’avoir orchestré les émeutes. Joshua Osih, du Sdf, regrette que « le président [prenne] la situation à la légère » tandis que Adamou Ndam Njoya de l’Union démocratique du Cameroun (Udc), estime que le discours représente une « déclaration de guerre aux Camerounais » tout en « démentant que l’opposition tire les ficelles de la contestation », selon l’AFP.
JEUDI 28, UN « CALME PRECAIRE »26
Il est difficile, jeudi 28 février de savoir si l’appel
à l’ordre du président de la République a été
suivi d’effets. Plusieurs situations prévalent dans le pays. La
plus répandue est celle de villes, sans activités. Douala, capitale
économique, a perdu toute activité. Quelques incidents sont encore
signalés. Yaoundé est investie par l’armée qui, après
avoir maîtrisée la situation de la veille, s’est positionnée
aux différents carrefours de la ville, pour prévenir toute situation
de conflit. La situation dans les quartiers hors du centre ville est encore
tendue. La vie est paralysée, les taxis ne circulent toujours pas et
le nombre de voitures personnelles se réduit dans les rues. Au Sud Ouest,
la ville de Buea connaît une situation identique, tout comme Bafoussam.
Bamenda, capitale provinciale du Nord Ouest, est plus agitée, connaissant
une grève générale et une succession de « casses.
»
Les forces de l’ordre auraient investi la faculté dans la nuit
de mercredi à jeudi, intervenant dans la cité universitaire. Des
étudiants témoignent de saccages et de blessés dans les
chambres étudiantes.
UNE NOUVELLE RADIO FERMEE PAR LES FORCES DE L’ORDRE
Suite à l’émission interactive « Magic attitude » qui donne la parole aux auditeurs commentant le discours présidentiel, jeudi matin, la police est intervenue à la radio Magic FM, à 10h30 pour saisir matériels et téléphones portables des journalistes. La radio a arrêté d’émettre à ce moment. Certains journalistes n’ont récupéré leurs téléphones que le lendemain. Deux d’entre eux ont été entendus par la police, selon l’AFP.
REPRISE DES ACTIVITES NORMALES, VENDREDI 29 FEVRIER
Le calme semble revenu dans le pays. A Yaoundé, les
taxis ont repris le travail et les commerces ont ouvert. L’armée
et la police contrôle toujours la ville. Il convient de signaler que le
délégué du gouvernement à la Communauté urbaine
de Yaoundé (Cuy), Gilbert Tsimi Evouna, a publié un communiqué,
vendredi matin, annonçant que les taxis garés aux « places
inappropriées » seront mis « en fourrière »
s’ils ne libèrent pas « ces différentes places dans
les 24 heures. »
Les appels au calme et à la paix se sont multipliés, provenant
aussi bien du pouvoir en place que de l’opposition.
Le bilan des victimes des émeutes est, vendredi, d’une vingtaine
de morts, selon l’AFP.
Rémi BRANCATO
1 Cameroun : la télévision
privée Equinoxe fermée par les autorités ; AFP
; 22-02-08
2 Cameroun : tensions à Douala après les violences de samedi
(reportage) ; AFP ; 24-02-08
3 Cameroun : Une douzaine de morts dans des émeutes ; Panapress
; 25-02-08
4 Incidents de Douala : 2 morts selon des témoins, un tué selon
les autorités ; AFP ; 25-02-08
5 Douala – Au moins quatre morts et des blessés graves ;
Denis Nkwebo ; Mutations ; 26-02-08
6 Douala, Kumba, Yaounde, Nkongsamba, Bafang, Dschang, Bamenda : la révolte
du peuple ; Noé Ndjebet Massoussi ; Le Messager ; 26-02-08
7 Ouest : « Paul Biya doit partir », Michel Ferdinand, Mutations,
26-02-08
8 Yaoundé : scènes de guerre à Mendong ; Edouard
Tamba ; Le Messager ; 26-02-08
9 Emombo, Minbomam et Essos en feu ; Beaugas-Orain Djoyum ; Le Jour
; 27-02-08
10 Briqueterie : des motos taximen molestés ; Jean François
Channon ; Le Messager ; 26-02-08
11 Un amalgame de messages portés ; Eugène Dipanda ; Mutations
; 26-02-08
12 Cameroun : le parti présidentiel dénonce des « violences
aveugles » ; AFP ; 25-02-08
13 Le gouvernement prend ses responsabilités, Monda Bakoa ; Cameroon
Tribune ; 26-02-08
14 Cameroun : un manifestant tué dans des incidents dans une ville
de l’ouest ; AFP ; 26-02-08
15 Les manifestations s’étendent, au moins 6 morts ; Reuters
; 26-02-08
16 La distribution du carburant perturbée à Yaoundé
; Evariste Menounga ; Le Jour ; 27-02-08
17 La capitale en panne sèche ; Lindovi Ndjio ; Mutations
; 27-02-08
18 Cameroun : fin officielle de la grève, mais poursuite des incidents
; AFP ; 27-02-08
19 Des manifestations barrent des rues à Yaoundé, au Cameroun
; AFP ; 27-02-08
20 Le marché central déserté ; Evariste Menounga
; Le Jour ; 28-02-08
21 Les militaires s’en prennent aux passants ; Cathy Yogo ; Le
Jour ; 28-02-08
22 Cameroun : au moins dix sept morts depuis le début des violences
; AFP ; 27-02-08
23 Salutaire fermeté ; Marie Claire Nnana ; Cameroon Tribune
; 28-02-08
24 Violences : Paul Biya « prend la situation à la légère
» (opposition) ; AFP ; 28-02-08
25 Etat des lieux : Douala reste ville morte, les violences se poursuivent
à Bamenda, un semblant de calme ailleurs ; Cameroon-info.net
; 28-02-08
26 Cameroun : l’armée prend position à Yaoundé
où règne un calme précaire ; AFP ; 28-02-08
27 Cameroun : une radio interdite ; AFP ; 29-02-08