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Douala : Quatre jours d’insurrection populaire |
DOUALA - 3 MARS 2008 © Mutations |
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La grève déclenchée par les syndicats de transporteurs a été émaillée de violents affrontements entre manifestations et forces de l’ordre. |
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Le lundi 25 février dernier, la ville de Douala s’est levée sous des bruits de balles. Des nuages de feu et de fumée s’élevaient soudainement vers le ciel, aux principaux carrefours. Des jeunes gens torses nus, la mine menaçante, réputés proches des différents syndicats des transporteurs, écument les rues et dissuadent toute tentative de rouler en voiture ou à moto. Les véhicules personnels qui tentent de se frayer un passage sont saccagés et mis en feu. C’est alors que le doute est levé sur la nature des événements qui viennent de suspendre l’intense activité habituelle dans la capitale économique. La grève annoncée par les différents syndicats de transports par taxis et mototaxis était donc effective. Pour faire tenir le mouvement dans la durée sur toute l’étendue de la ville, des piquets de grève sont maintenus aux points chauds, et aux coins névralgiques que sont les principales entrée et sorties de Douala que sont Bonabéri et « village ».
Quelques instants seulement après ses débuts, la grève tourne à l’émeute. Des jeunes gens surexcités déversent leur colère sur les hommes en tenue visiblement débordés. Au feu rouge et dans la vallée de Bessenguè, les manifestations prennent une tournure dramatique. Entre les grands feux qui brûlent sur la voie publique et les projectiles que jettent les manifestants, les balles de la police et de la gendarmerie sifflent avec une extrême violence. On signale une prise d’otage ; une femme gendarme aux mains des jeunes manifestants qui l’ont gardée nue dans une cellule de fortune. A coups de matraque et de gaz lacrymogène, elle est libérée après avoir passé près de deux heures en captivité.
Avant midi, ce quartier chaud de Douala pointe déjà deux morts à son compteur. Le face-à-face opposant les émeutiers aux forces de l’ordre sera d’ailleurs maintenu jusqu’à la fin des événements. Ailleurs dans la ville, les transporteurs à la base du mouvement de grève sont introuvables. Les populations ont fait siennes la contestation et se sont jetées dans la rue. Ndokoti, Akwa, Brazzaville, Madagascar, Bonabéri, Nyalla, Déido, Bonamoussadi, Makapè vibrent au rythme des affrontements. En plus de la croisade contre la vie chère, les revendications d’ordre politiques naissent et des slogans hostiles au chef de l’Etat, Paul Biya, sont lancés. Les manifestants dénoncent le projet de révision de la constitution qu’ils assimilent à un plan du président de la République pour s’éterniser au pouvoir.
Carnage
De lundi à jeudi dernier, soit quatre jours, Douala a donc vécu une insurrection populaire durant laquelle, les forces combinées de la police, la gendarmerie et l’armée n’ont pas eu la gâchette facile. Les sources officieuses soutiennent qu’au moins dix personnes ont été mortellement atteintes par les balles tandis que plusieurs dizaines d’autres grièvement blessées ont été admises dans les centre hospitaliers et principalement à l’hôpital Laquintinie de Douala. Un des deux morts de Bessenguè a été lâchement abattu par une femme gendarme. A Bonabéri, c’est dans la confusion que les sources déclinent les chiffres, quatre victimes selon les forces de l’ordre, deux selon la police. L’une des victimes a été tuée a bout portant par un commissaire de police menacé de lynchage. Des tireurs d’élite appartenant au corps du Groupement spécial d’opération (Gso) ont été aperçus, postés au dessus des immeubles sur la rue du Lycée polyvalent de Bonabéri. D’ailleurs, les unités d’élite dont le Gso et le Bataillon d’intervention rapide (Bir) ont pesé de leur expertise pour ramener les manifestants sous contrôle et casser définitivement la contestation rendue à son quatrième jour jeudi dernier.
Dans les rues de la ville, les ruines témoignent de la violence des événements. A Bonabéri, des milliers de projectiles encombrent encore le désert laissé dans toutes les stations service. Les boutiques de ces installations étaient les premières à recevoir la visite des bandes organisées qui se sont invités sur la scène pour procéder aux pillages. Pendant trois jours, en effet, les grands commerces à Akwa sont restés sous la menace. Quelques commerces chinois, les boulangeries, les boutiques de téléphone ont été vidés de leur contenu. A Bonapriso, le magasin Goodies a échappé de justesse aux pillards tandis que les assaillants partis à l’assaut de Score et Chococho ont été repoussés par des groupuscules d’autodéfense. Depuis que certaines surfaces ont été réduites en ruines, et grâce à la fin des « hostilités » intervenue jeudi dans la nuit, les patrouilles séparées de l’armée, de la police et de la gendarmerie sont multipliées pour pérenniser le retour au calme et la reprise des activités.
D. Nkwebo
Malaise : La faim justifie les moyens
Le mal-vivre fait le lit de la révolte, loin des batailles politiciennes.
L’image aurait dû sonner comme une alerte, pour ceux qui gouvernent le Cameroun et qui sont censés faire de la prévision. Au soir du 7 février dernier, et alors que les Lions indomptables viennent de vaincre le Ghana, pays organisateur de la Coupe d’Afrique des nations (Can) de football, des dizaines de jeunes envahissent le cœur de Yaoundé et se lancent dans des actes de vandalisme. La police doit intervenir pour disperser ces agités, au moment où le pays a pourtant le cœur à la fête.
Quelques mois avant, en mi-septembre 2007, de sanglantes émeutes secouent la ville d’Abong-Mbang. La population, en majorité jeune, exige le rétablissement de l’énergie électrique dont elle est sevrée depuis des mois. Kumba s’embrasera à son tour pour les mêmes raisons. Ici et là, on l’aura noté, aucun mot d’ordre à caractère politique n’a été lancé. La machine sociale a atteint le seuil de l’implosion.
A chaque fois, on a certes déploré des casses et des violences très souvent gratuites. On peut regretter que des bandes de voyous se soient glissés dans la foule pour sévir, mais la plupart du temps le soulèvement populaire allait bien au-delà des revendications officielles. Il y avait comme des relents d’expression d’un mal-vivre qui va croissant. Tout se passe comme si la majorité dite silencieuse cherchait le moindre prétexte pour se défouler, dire son ras-le-bol et surtout passer un message de désespoir aux gouvernants.
En 1993, l'Etat décidait de réduire les salaires de ses employés de l’ordre de 70%, pour certains. A quoi s’est ajouté, en février de l’année suivante, la dévaluation de 50% du franc Cfa. Aux revendications portant sur la revalorisation de la rémunération des fonctionnaires, le gouvernement a multiplié des promesses vagues, invoquant la récession économique, l’ajustement structurel et autres tensions de trésorerie. Des agents de la fonction publique veulent-ils marcher pour revendiquer la revalorisation de leurs revenus ? On leur donne de la trique et du gaz lacrymogène.
Pendant ce temps, les députés de la nation se voient octroyer de substantielles augmentations de revenus. Le train de vie de l’Etat n’a jamais été aussi aisé et ostentatoire, la corruption est rampante et le chômage des jeunes atteint des niveaux inégalés. Dans les marchés, les produits de première nécessité sont de plus en plus hors de prix. En juillet 2007, la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Beac) indiquait que les prix des transports et des communications avaient augmenté au Cameroun de 7,8%, ceux des produits alimentaires de 5,3%, ceux de l’alimentation, des boissons et tabacs de 5,2%. «Au total, précisait la note de conjoncture, de mars 2006 à mars 2007, les prix des produits locaux se sont accrus de 4,4% et ceux des biens importés de 4,3%.» Des tensions inflationnistes qui font le lit de la révolte, qui n’attend que la moindre étincelle pour éclater.
Loin des joutes politiques, le Camerounais lambda connaît de réels problèmes de survivance au quotidien. Les indicateurs des deux premières enquêtes sur les ménages (Ecam), commanditées par le gouvernement, même si elles ne le disent pas formellement, présentent un pays assis sur un volcan. Une lecture plus objective et moins passionnée du contexte, aurait sans doute permis de constater un malaise social grandissant, d’anticiper et ainsi d’éviter aux autorités cet amalgame qui voit des manipulations et des tentatives de coup d’Etat partout.
Félix C. Ebolé Bola
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