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Le 20 septembre 2003 aux Maldives




L’archipel corallien des Maldives, constitué d’environ 1 200 îles, est l’un des plus petits Etats du monde : sa superficie totale tourne autour de 300 km², et environ 330 000 habitants le peuplent en 2003. Sa capitale, Malé, compte environ 80 000 habitants. Dans un des articles recueillis au sujet des faits du 20 septembre 2003, les Maldives sont désignées comme « the Indian Ocean’s most expensive holiday destination », et c’est l’une des plus prisées, puisque 400 000 touristes s’y déplaceraient chaque année. Pour ce qui est des Maldiviens, outre la réception des touristes, ils ont affaire depuis 1978 au même président « réélu » tous les cinq ans, Mamoon Abdul Gayoom. Le régime, dont il est la tête aux multiples facettes puisque également ministre de la Défense, des Finances, et de l’Intérieur – fichtre que tout ça est bien pratique –, fonctionne à la vieille mode stalinienne : presse étatique, parti unique, parlement pour faire joli, répression violente du moindre semblant de critique.
 

Le vendredi 19 septembre 2003, dans la prison de Maafushi située sur une autre île que Malé, deux prisonniers se bagarrent. Un garde qui s’en mêle prend un coup, en représailles le prisonnier fautif est emmené dans un coin et tabassé à mort. Il semble que dès cette journée, ou le lendemain, malgré la tentative des gardes de dissimuler leur forfait, d’autres prisonniers l’apprennent et manifestent violemment leur colère ; l’un des mutins est tué, d’autres blessés.

Le lendemain, samedi 20, la présence de prisonniers blessés à Malé provoque la formation d’une première « foule » aux abords de l’hôpital, où les flics refusent entre autres le passage à des amis et familles de prisonniers. C’est là le vrai commencement de l’émeute dans les rues de la capitale : les flics sont caillassés, leurs voitures brûlées, des commissariats pris d’assaut (au moins deux, voire quatre), de même que plusieurs bâtiments gouvernementaux, parmi lesquels la Haute Cour, le bureau des élections et un important centre de conférences. D’après les informations disponibles, l’émeute prend fin avec l’intervention conséquente des flics, qui ne tireraient que de l’eau et des gaz lacrymogènes pour reprendre le contrôle des rues, et il n’est ici fait état d’aucun mort, à peine de quelques blessés sans qu’il soit possible d’en déterminer précisément le nombre. Un couvre-feu nocturne est ordonné, et on procède aux premières arrestations, qui atteindront peut-être le chiffre de 300 au cours des jours suivants.
 
Dès ce jour, et le lendemain, Gayoom intervient à la télévision pour appeler au calme, dénoncer les « criminels » et autres repris de justice désignés comme auteurs des troubles, et affirmer que les flics responsables des morts de prisonniers seront également poursuivis. Le dimanche, les prisonniers de Maafushi assistent aussi à son intervention et, face à ses calomnies – car il les accuserait à tort d’avoir pris d’assaut l’armurerie de la prison – ils s’insurgent de nouveau : les tirs des gardes font beaucoup de blessés, dont une douzaine sont cette fois transférés au Sri Lanka, pour ne pas reproduire la situation de la veille (au moins deux d’entre eux meurent dans la semaine qui suit). A Malé, les flics sont postés devant les cibles des émeutiers de la veille, plus ou moins en cendres, et deux chars d’assaut protègent la résidence présidentielle.
  
A propos des informations ayant servi à la rédaction de ce compte-rendu : les dépêches initiales sont assez confuses et contradictoires, notamment à propos des premiers affrontements dans la prison et de leur bilan. C’est plutôt dans la semaine suivante que des explications plus lisibles apparaissent, qui ont servi à établir le récit qui précède. Des Maldives, l’information très contrôlée filtre mal vers l’extérieur, aucun média occidental n’y dispose de correspondance permanente. C’est certainement pourquoi la BBC, dès la première de ses dépêches que nous avons recueillies, prolonge ses comptes-rendus d’un appel à témoins, auquel répondent plusieurs emails qui apparaissent tous comme avoir été écrits depuis l’archipel, à l’exception d’un seul. Au fil de ces témoignages ou commentaires, deux tendances se dessinent, en opposition : il y a ceux qui soutiennent la ligne gouvernementale, déplorant les émeutes et que les médias occidentaux s’en emparent pour ternir l’image de leur pays (« People here have no right to throw stones and fire government buildings. It was almost crazy but the government is doing its best and I am sure they will do it. It’s all rumours in here. ») ; et puis ceux, plus nombreux, qui mettent en accusation le régime et ses méthodes, et apportent des informations, souvent assez lapidaires, sur ce qui a eu lieu le samedi 20. Ces dernières permettent d’affiner l’appréhension de l’émeute de Malé : quant à sa cause directe, le barrage de flics devant l’hôpital ; quant à son intensité (« The crowd was huge, armed with butchers’ knives and iron rods... basically anything they could find. ») ; quant aux cibles des émeutiers, citées plus haut, aucune « private property » ne paraissant avoir été visée (« there was no looting ») ; quant au jeune âge voire au très jeune âge des émeutiers (« It is not surprising at all that a large number were young. More than half the population of Male is under 15 and a large part of the rest between 16 and 25. ») ; quant à la répression zélée qui a suivi.

Sans doute, il faut prendre ce genre de témoignages « directs » et anonymes avec les réserves nécessaires, sachant qu’ils peuvent être très orientés, quand l’émotion partisane prend le pas sur la fiabilité du rapport sur les faits. Au contraire de certains journalistes veillant à quelque exhaustivité et recul, même si leurs récits sont toujours déterminés par ces parti pris qui charpentent leur fonction répressive, de tels témoins versent sans doute plus facilement, voire sciemment, dans la totale confusion entre ce qui a lieu et ce qu’ils veulent y voir. Mais certains professionnels de l’information ne se privent pas pour mentir effrontément, comme le montre le tissu de saloperies balancé par une de ces putes, en l’occurence sri lankaise, qui reprend mot pour mot dans son Daily News les calomnies de Gayoom sur les émeutiers. Celle-ci est ici une exception, à mesure qu’on s’éloigne des faits qui les ont provoqués, le ton général des commentaires, avec abondance de références à Amnesty International, tient plutôt de la mise en cause ouverte contre le si horrible régime dictatorial des Maldives, tant ses méthodes ne collent pas aux règles pour lesquelles milite le journaliste lambda, et qui justifie bien sûr pour cette raison supérieure que ceux qui subissent ce régime se sont révoltés. Pour appuyer cette interprétation, l’émeute est reliée au contexte particulier de cette période, où doit être entérinée l’« élection » de Gayoom pour la sixième fois.


En guise de conclusion provisoire, on pourrait terminer sur ce que déclare un des témoins de la BBC – qui ne prétend pas parler au nom des émeutiers, plutôt contre eux, usant d’un « nous » qui doit à peu près signifier « nous les Maldiviens qui n’avons pas cédé à la folie » – bref, on pourrait terminer sur ce qu’il déclare : « (...) outsiders like the Amnesty should appreciate the fact that they have no right to determine what we would want. », mais en le détournant, considérant que ce « nous » s’appliquerait à l’ensemble de ceux qui, le 20 septembre 2003, ont eux-mêmes commencé de transformer les rues de Malé, « which [had] not record of civil unrest » jusqu’alors, en moment d’un bouleversement possible non réductible au simple changement de régime, même si un tel bouleversement en passerait – mais quel détail ! – par la suppression de tous les Gayoom. Mais, il faut dire que cette première émeute moderne aux Maldives montre aussi les limites « exemplaires » sur lesquelles échoue souvent la révolte dans de tels Etats, sous la pression de la propagande démo-libérale extérieure, formatrice de ceux qui se destinent à devenir ses militants « de l’intérieur », soit les meilleurs alliés objectifs pour détourner toute négativité simple et prometteuse du sens historique qui pourrait lui être donné.



Première rédaction en septembre 2005, révisé pour publication en septembre 2007


Documents utilisés :

03-09-20 - News24 -- Curfew in Maldivian capital
03-09-21 - AP Yahoo! Actualités -- Violentes manifestations aux Maldives: trois morts
03-09-21 - News24 -- Maldives rocked by riots
03-09-21 - The News -- Maldives capital under curfew after riots
03-09-21 - AP Yahoo! News -- Maldives Leader Wants Calm After Riots
03-09-22 - Arab News -- Violence erupts in Maldives
03-09-22 - BBC News -- 'Arrests' after Maldives riots
03-09-22 - The Straits Times -- Tanks roll in after 2 days of violence in Maldives
03-09-23 - BBC News -- Maldives 'had second jail riot'
03-09-23 - Bloomberg.com Asia -- Maldives Government Arrests Leaders of Weekend Riots, AFP Says
03-09-25 - News24 -- Maldives arrests over riots
03-09-25 - The Guardian -- Trouble in paradise riots and arrests rock the Maldives
03-09-26 - BBC News -- Fourth Maldives prisoner dies
03-09-26 - DAWN -- Maldives president re-elected
03-09-27 - The Globe and Mail -- (By Doug Saunders)
03-09 - tourismexpress.info -- Patrouilles armées aux Maldives après des émeutes
03-10-03 - Daily News -- Riots in Male orchestrated by gangs
03-10-12 - Telegraph -- The blood and the bruises Maldives tourists don't see
03-10-18 - Deepika Global -- Maldives president set for five more years
03-11-12 - The Star -- Maldives president sacks reformists after starting sixth term
03-12 - Amnesty International -- Maldives (Janvier – décembre 2003)



    Le 20 septembre 2003 aux Maldives


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