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Soulèvement majeur au Kirghizistan en mars 2005
Soulèvement majeur au Kirghizistan en mars 2005
Quasiment inconnu aux yeux contemporains, car inexistant sur la
scène de l’information dominante, le
Kirghizistan [1]
est un petit Etat montagneux d’Asie centrale
enclavé entre
le Kazakhstan, la Chine, le Tadjikistan et
l’Ouzbékistan.
Après le passage de la vague de révolte ayant
ébranlé cette zone du monde au tournant des
années
1990, la République socialiste soviétique de
Kirghizie
devient indépendante en 1991, avec un certain Askar
Akaïev
à sa tête. D’abord
réputé pour
être l’un des dirigeants les plus
« démocratiques » de
la région, il
est progressivement taxé de népotisme. Au cours
de ses 15
années à la tête de l’Etat,
il a promu
plusieurs membres de sa famille à ses
côtés afin de
s’assurer une totale liberté de mouvement et mis
la
plupart des informateurs du pays sous ses ordres. Il n’a eu
jusqu’ici aucun mal à se faire
systématiquement
reconduire à son poste et, depuis 2003, il s’est
aménagé une immunité à vie.
Seule tache à son parcours de gouvernant
modèle : en
mars 2002, ses flics répriment lourdement une manifestation
pour
la libération d’un opposant arbitrairement
emprisonné, faisant 5 morts et des dizaines de
blessés
dans le district d’Aksy, au sud. Le premier ministre Bakiev
sert
finalement de fusible, mais malgré sa démission,
sous la
pression populaire, Akaïev est obligé de promettre
de ne
pas se représenter à la fin de son mandat.
Outre cet épisode, les événements
récents
dans certains Etats de l’ancien bloc soviétique
ont de
quoi faire redouter au chef de l’Etat une transition dans les
formes qui signifierait sa révocation. Quelques mois
auparavant
en Ukraine, ce qui a été nommé
« révolution orange »
par
l’information dominante – qui n’a rien
à voir
avec une quelconque révolution puisqu’il ne
s’est
agi que d’une succession de manifestations pacifiques contre
le
résultat de l’élection
présidentielle
jugée frauduleuse – a
entraîné finalement,
à l’issue d’un troisième
tour, la victoire du
candidat d’opposition contre l’ancien premier
ministre. Fin
2003, c’est en Georgie qu’une passation de pouvoir
du
même type a eu lieu. La crainte d’Akaïev
est
d’autant plus vive que depuis l’installation
d’une
base militaire américaine sur le territoire kirghize en
2001,
une forme d’opposition conséquente est apparue,
les
Etats-Unis accélérant alors
financièrement le
développement des ONG occidentales, semble-t-il
déjà massivement implantées dans le
pays depuis
les années 1990, et dont l’un des objectifs
affichés
est de former des opposants et de leur fournir des moyens de
communication
« indépendants ».
Ainsi, pour la première fois depuis 1991, l’ancien
membre
du soviet suprême voit sa candidature aux
présidentielles
d’octobre 2005 compromise si le résultat des
élections législatives, dont le premier tour est
prévu fin février 2005, ne lui est pas favorable.
Un
parlement à sa botte lui permettrait de modifier la
constitution
qui lui interdit de se présenter une troisième
fois,
assurant ainsi sa réélection et la conservation
de son
immunité. Il prépare donc le terrain comme il a
appris
à le faire, à l’ancienne : exclusion
arbitraire de
plusieurs candidats d’opposition, notamment dans les
districts
où des membres de sa famille font campagne, coupure
d’électricité chez le principal
éditeur de
journaux indépendants, coupure de l’unique radio
indépendante du pays. En cette fin de mois, des
manifestations
de protestation ont lieu dans la majorité des oblast [2] de l’Etat.
Frondes en province
Début mars, après le premier tour du 27
février
douteusement favorable au régime, les manifestations
organisées par des militants de l’opposition
débouchent sur des occupations de bâtiments
étatiques. Elles sont localisées au sud et
à
l’ouest, régions les plus démunies,
où des
groupes de soutien à certains candidats se sont
formés.
Seuls trois documents relatent ce qui se passe à ce
moment-là et leurs versions des faits divergent quelque peu.
A
Jalal-Abad [3]
le 4 mars, où selon les dires de l’opposition
10 000
personnes se rassembleraient au centre-ville, 1 000
à
3 000 protestataires parviennent à
s’emparer du
siège de l’administration locale suite
à
l’élimination du candidat
d’opposition ; ils
réclament la démission du gouverneur de
l’oblast,
du maire de la ville et d’Akaïev, ainsi que
l’anticipation des présidentielles –
l’ancien premier ministre Bakiev [4],
candidat désigné de l’opposition pour
les
présidentielles, s’essaie
déjà à
tirer profit des protestations naissantes, en leur rendant une visite
apparemment tolérée. Dans l’oblast
d’Och, ils
seraient 300 à tenir un bâtiment officiel. Au
nord,
1 500 manifestants bloquent la route reliant la capitale
Bichkek
à la Chine, principal lieu de passage de la marchandise dans
le
pays, au niveau d’un village – nommé
Karachiy dans
l’un des articles recueillis, Kochkor dans un autre
–,
contre l’exclusion d’un candidat communiste. Le
barrage est
levé au bout de plusieurs jours, libérant quelque
800
véhicules immobilisés. Il est probable alors,
comme cela
transparaît dans certains articles, qu’il y ait des
actions
du même type dans d’autres localités.
Après plusieurs jours d’occupations, et
à la suite
du second tour victorieux pour le clan d’Akaïev le
13 mars,
les flics parviennent à déloger les importuns le
samedi
19, à l’issue d’affrontements faisant
une dizaine de
blessés, dont 3 flics. 200 occupants sont
arrêtés
à Och et 20 à Jalal-Abad. Entre temps,
d’autres ont
repris une pratique similaire, multipliant les occupations de
bâtiments gouvernementaux dans le Sud et l’Ouest du
pays. A
Toktogul, dans l’oblast de Jalal-Abad, un gouverneur local et
un
procureur sont capturés : on les accuse
d’être
de mèche avec le pouvoir central.
Le dimanche 20, à Talas,
au
nord-ouest, on assaille le bureau du gouverneur, tandis
qu’à Jalal-Abad, plus au sud, 10 000 à
20 000 manifestants se retrouvent
devant le
siège de l’administration locale. Ils
réclament la
démission d’Akaïev, ainsi que la
libération
des occupants arrêtés la veille. Mais pas question
cette
fois de rassemblement pacifique ; la colère gronde
sur la
place et ne sera pas contenue longtemps. L’assaut est
donné sur le commissariat ; environ 2 000
« jeunes » armés de
bâtons et de
cocktails molotov, se servant d’un bus comme
bélier,
libèrent une trentaine [5]
de prisonniers, prennent des armes et brisent toutes les vitres des
bâtiments, avant d’y mettre le feu avec les flics
à
l’intérieur. Impuissants, ces derniers se
réfugient
sur le toit et tirent en l’air. Ceux qui s’opposent
aux
révoltés dans la rue ne sont pas plus fringants.
Complètement débordés, ils se font
tabasser et
prennent finalement la fuite ; quatre d’entre eux
sont
battus à mort. Les manifestants acharnés se
réapproprient le bureau du gouverneur perdu la veille,
accrochant aux fenêtres des banderoles contre le chef de
l’Etat. Ils envahissent aussi celui du maire et incendient
d’autres édifices gouvernementaux, caillassant au
passage
des gestionnaires en fuite. Quelques véhicules sont
brûlés, alors qu’à
l’aéroport,
des camions de graviers sont vidés sur les pistes et des
pneus
sont allumés pour empêcher
l’atterrissage
d’éventuels renforts policiers. Jalal-Abad a
changé
de mains ; les protestataires ont viré les
dirigeants
locaux et leur bras armé, ouvrant ainsi une
sérieuse
brèche dans l’apparente toute-puissance du
régime
en place. Au cours de cette journée, il y a entre 21 et des
centaines de blessés, selon les sources, dont 14 flics, et
de 10
à 16 morts dont les 4 flics. A Och, deuxième
ville du
pays, les troupes policières sont là aussi
battues par
les manifestants et forcées de fuir quand la foule
s’engouffre dans le bâtiment du gouvernement
régional. Suivant certaines sources, les flics se
retireraient
d’eux-mêmes. Le lendemain matin, entre
1 000 et
2 000 « jeunes »
eux-aussi munis de
bâtons et de cocktails molotov se regroupent, scandant
« Akaïev
dehors ! » et déchirant
des livres signés de son nom. Quelques affrontements ont
lieu,
le commissariat et des postes de police sont pris par la foule sans
qu’elle rencontre beaucoup de résistance. Les
vitres du
siège du tribunal et du commissariat municipal sont
brisées, comme pour marquer la conquête de ces
édifices. L’aéroport est sous
contrôle et les
flics en civil qui essaient de fuir la ville sont menacés.
Dans
la soirée, les vainqueurs se rassemblent dans un parc
où
ils brûlent le portrait présidentiel.
Voilà Och
à première vue débarrassée
elle aussi de
ses gestionnaires et de leur police. Mais déjà,
parallèlement aux premiers signes de liesse, quelques
candidats
au pouvoir et leurs partisans organisent des
« patrouilles », avec
l’aide de flics
restés sur place, pour « maintenir
l’ordre » et éviter
d’éventuels
débordements. Pour ces arrivistes, la colère des
pauvres,
utile pour renverser les suppôts d’Akaïev,
n’est
déjà plus supportable, il s’agit de ne
pas les
laisser prendre conscience de leur puissance et de faire passer ce
changement de mains pour une victoire :
« “Power
in Osh has been taken over by people !” senior
opposition
figure Anvar Artykov told the protesters. “I congratulate you
on
our victory and urge you to maintain
order” ». Cela dit
la maîtrise de l’opposition sur le
déroulement des
événements reste relative ; comme le
signale ce
commentaire de l’agence russe Novosti du 24 mars, qui
reconnaîtra à sa manière
alambiquée
qu’en effet le soulèvement en marche a
échappé, par certains de ses aspects, au
schéma
classique de ces changements de régime au profit
d’opposants intérieurs adoubés par les
commentateurs étrangers : «
C’est le
lumpen-révolutionnaire classique qui est descendu dans la
rue
où il fait usage de méthodes ignorées
à
Belgrade et à Tbilissi. C’est davantage Moscou de
1993
(affrontement parlement-président) mais dans une forme
extrême exagérée. Réveiller
ce genre de
passions n’est pas sorcier. Il est bien plus difficile de les
maîtriser et de les engager dans un “cours
politique”. Cependant, les initiateurs de
l’émeute
n’ont pas fait montre de qualités de meneurs ni
proposé de stratégie alternative. Qui plus est,
ils ne
sont pas capables de contenir leurs
“insurgés”. Au
lieu d’arracher des libertés civiles au pouvoir,
la foule
rendue furieuse par les vexations et les promesses non tenues arrache
des repris de justice des prisons. Les rebelles ont
effectivement
adressé un ultimatum. Pas au président, mais
à la
société civile. » Cette
représentation
de l’événement, particulière
aux
médias russes dans leur ensemble farouchement hostiles
à
l’opposition, est peut-être celle qui rend le mieux
compte
de l’espèce d’alliance de circonstance
qui
s’établit alors entre les opposants officiels,
leurs
militants, et la masse des pauvres entrés dans la bataille.
Toutefois, à Och comme à Jalal-Abad, des
gouvernements
locaux sont très vite mis en place par les opposants qui
semblent obtenir après négociation les services
des
flics. Il est difficile de mesurer à quel point les forces
policières collaborent avec les adversaires du
régime, si
elles se plient entièrement à leurs nouveaux
chefs comme
l’affirment des « proches de
l’opposition ».
D’après l’un
d’entre eux : « Au sud du pays,
les policiers ont
refusé de tirer sur les opposants et ils prêtent
serment
à l’opposition. » ;
pour un autre :
« Il n’y a maintenant plus de risque de
violence, car
la police se rallie à
l’opposition ».
Le mardi 22, à Pulgon, au sud-ouest du pays, le
bâtiment
de l’administration locale est pris par 300 à 600
protestataires. Cette fois, les flics ont abandonné leur
poste
et se sont directement joints à eux – sans
qu’on
sache si c’est le fruit d’une
négociation
préalable avec des militants d’opposition ou bien
s’il s’agit d’un ralliement
spontané. A
Kadamjay également, un bâtiment administratif serait
envahi
dans la soirée. Sur la base des articles à
disposition,
peu clairs à ce propos, il est possible qu’il s’agisse en
fait
de l’événement localisé à
Pulgon, ville du district de Kadamjay.
La moitié ouest de l’Etat semble être
à ce
moment-là aux mains des groupes de l’opposition,
bien
qu’on puisse penser qu’elle est pour une part
irriguée par une protestation populaire qu’ils ne
contrôlent qu’en partie. Cependant, Akaïev
refuse
toujours de démissionner tout en promettant de ne pas
résoudre par la
« force » ce qu’il
réduit à une
« crise ». Il se dit
ainsi prêt à entamer des négociations
–
initiative qui lui aurait été soufflée
par des
officiels russes lors d’une visite à Moscou le 20
–
quand d’autre part, au cours de différentes
déclarations, lui et ses acolytes qualifient les
événements de la veille de
« tentative de coup
d’état »,
« dirigés et
financés par
l’étranger ». Thèse
en partie démentie par les dires d’un
« spécialiste » de
l’Université américaine de
Bichkek :
« La plupart des manifestations dans le sud ne sont
pas
organisées par les partis politiques, mais par des groupes
de
soutien à tel ou tel candidat battu. Leurs motivations de
fond
sont “avant tout régionales”,
même s'ils
militent maintenant pour la démission de M.
Akaïev. » Les habituels
propriétaires de la
parole publique s’emploient à perturber ce qui est
en
cours, jusqu’à user des plus grossières
calomnies,
ici par la bouche d’un porte-parole du
gouvernement :
« La “troisième
force”, des
éléments criminels liés au trafic de
drogue,
contrôlent totalement la situation à Osh et
Jalal-Abad et
se battent pour prendre le pouvoir (…)
L’opposition ne
contrôle plus la situation ». Au milieu
des versions
les plus diverses et des considérations les plus
intéressées, des traces de
vérité semblent
par moments apparaître.
Les frondes contre le camp d’Akaïev n’ont
pas encore
atteint Bichkek. Toujours sous contrôle, les
télévisions y diffusent ce qui arrange le
maître.
Dans les rues de la ville, une manifestation de 10 000
étudiants d’universités
d’États et
autres fonctionnaires – avouant eux-mêmes avoir
été payés ou fortement
encouragés à
y participer – simule un semblant de soutien populaire. La
capitale est pour l’instant protégée
par les
chaînes de montagnes qui traversent le pays d’est
en ouest,
dont le régime a fait fermer les cols sous
prétexte de
risques d’avalanches. Mais des convois de bus partant du Sud
sont
déjà en route pour Bichkek, où un
grand
rassemblement d’opposition est prévu devant le
bâtiment présidentiel.
Alors le lendemain mercredi 23, Akaïev, qui commence
à
flipper, nomme un nouveau ministre de l’intérieur
chargé de rétablir l’ordre dans le pays
et surtout
d’éviter la propagation des protestations
jusqu’à la capitale. Les déclarations
de ce dernier
se font plus menaçantes : « La
loi nous donne
tous les droits d'agir, y compris par l'usage de la force physique, de
moyens spéciaux et d'armes à
feu ». Mais
c’est une menace qui cache mal la panique, car
déjà
le danger se rapproche significativement. Ce jour-là, il y a
des
affrontements lorsque les flics dispersent des centaines de
manifestants à Bichkek ; 20 à 30
personnes sont
arrêtées.
Emballement à Bichkek
Le jeudi 24, un cortège de quelques milliers de manifestants
part des périphéries de Bichkek en direction de
sa place
centrale, il est acclamé et rejoint petit à petit
par des
habitants, puis par un autre cortège, pour atteindre enfin
10 000 à 20 000 participants aux abords du
siège présidentiel. Des
« forces
gouvernementales » – milice de
fonctionnaires se
distinguant par un ruban bleu autour du bras, et composée en
majorité d’employés
d’entreprises
étatiques réquisitionnés pour
l’occasion
– sont chargées de
« l’escorter » :
les esprits
s’échauffent quand ces dernières
tentent de
disperser la foule aux abords de la place centrale. Les manifestants
armés de bâtons et de pierres ripostent contre ces
flics
de fortune qui ne font pas le poids et se font corriger, prennent la
fuite ou se rallient finalement à la masse des
protestataires.
La foule gronde et scande « Akaïev
dehors ! » tout en se rapprochant
dangereusement de la
« maison blanche » kirghize,
pendant que les
flics sont malmenés ailleurs dans la ville. Aux alentours de
la
place, certains à cheval sont mis à terre et
tabassés. En dernier rempart, les forces
anti-émeutes se
déploient tout autour de la bâtisse, tentant
d’en
protéger l’accès. Des
« leaders » opposants essaient de
calmer les
ardeurs de la foule du haut de la plate-forme située devant
le
bâtiment convoité, mais plus personne ne les
écoute. Le face-à-face se resserre : les
dalles de
cette plate-forme en marbre, utilisée habituellement comme
estrade pour les discours, sont arrachées et
brisées,
leurs débris servent de munitions. Les défenseurs
de
l’ordre matraquent à tout va, mais semblent mal
équipés pour la circonstance,
c’est-à-dire
sans armes à feu. Dans une dernière tentative,
ils
chargent la foule, la faisant reculer dans un premier temps. Puis un
nouvel élan collectif fait céder les cordons
policiers.
Des centaines de manifestants défoncent les portes du
siège présidentiel et s’y engouffrent.
Akaïev
et ses ministres ont pris la fuite – ils auraient
réussi
à s’échapper discrètement
une demi-heure
avant –, alors que d’autres bâtiments
administratifs
comme celui de la télévision nationale sont, eux
aussi,
assiégés. Chaque recoin de l’antre
présidentiel est investi. On saccage les bureaux, les
archives,
on boit le champagne, on jette des meubles, des ordinateurs, des
climatiseurs et des portraits d’Akaïev par les
fenêtres, sous les acclamations de ceux qui sont
restés
sur la place. Certains sortent du palais les bras chargés
d’ordinateurs, de vases, de téléphones,
de livres.
Deux ministres, celui de la défense et celui de la
sécurité intérieure, pris de court et
retranchés dans leurs bureaux, sont capturés et
forcés à démissionner par
écrit. Le bureau
du président est également saccagé,
alors que
quelques insurgés s’assoient dans son fauteuil
à
tour de rôle. Pendant ce temps, des « leaders de
l’opposition » appellent au calme,
déplorant le
pillage des lieux qu’ils considèrent
déjà
comme les leurs. Un ex-chef de la police et opposant à
Akaïev, Felix Kulov [6],
est libéré de prison le jour même et
reprend la
direction des forces de l’ordre, alors que Bakiev redevient
premier ministre par intérim. Malgré la
condamnation
unanime du pillage et du saccage par les nouveaux dirigeants, des
groupes décrits comme principalement composés de
« young men » poursuivent les
festivités
dans la nuit. Ils pillent des centres commerciaux, dont ceux
appartenant à l’ancien président qui
sont aussi
incendiés, des supermarchés, des restaurants, des
bâtiments administratifs. Les magasins sont vidés
de leurs
marchandises, certaines sont brûlées dans les rues
quasi vides de flics. A l’issue de cette journée
environ
150 manifestants et 31 flics sont blessés et 3 à
4 morts
sont recensés. Seul un article de Clarín
daté du
26 mars donne le chiffre de 15 morts, d’après
« una versión de los servicios
secretos ».
Pendant la nuit qui suit, du vendredi 25 au samedi 26, les pillages
continuent en dépit du couvre-feu instauré par le
nouveau
pouvoir. Des centaines de
« jeunes » parcourent
les rues armés de bâtons et caillassent des
voitures, se
jouant des « patrouilles »
organisées,
composées de flics et de
« volontaires »
– dont le nombre
semble avoir sérieusement augmenté depuis la
veille
–, qui tentent d’empêcher la mise
à sac des
commerces. Entre 3 et 6 pilleurs sont tués, environ 60
blessés et plus d’une centaine
arrêtés. Puis
l’ordre est à peu près
rétabli le samedi,
avec l’aide des milices urbaines et de la police
dirigée
par Kulov.
On ne peut pas affirmer avec certitude que le pillage devient massif,
les informateurs se montrant peu diserts à son sujet
–
même si, en passant, une dépêche AFP du
25 mars
parle de « massive looting », et
que le nouveau
responsable du maintien de l’ordre, Kulov, compare la razzia
au
pillage irakien. A partir du 24, hommes d’Etat et
journalistes
s’accordent là-dessus :
l’événement est terminé, il
n’y a plus
qu’à en finir avec les dérives
auxquelles il donne
maintenant lieu. Or, de notre point de vue, malgré le manque
d’information, c’est certainement le
zénith du
soulèvement. Quand par l’extension du pillage
à la
marchandise, après une soi-disant victoire, un nombre
important
de gueux montrent qu’ils ne comptent pas en rester
là.
Dès la prise de la maison blanche, leurs actes entrent en
contradiction avec la volonté des nouveaux souverains comme
avec
la représentation médiatique donnée
jusqu’ici. Si récupérateurs et
observateurs
occidentaux fantasmaient un dénouement à
l’ukrainienne, c’était sans compter les
pauvres
kirghizes bien peu alléchés par le devenir
middleclass
qu’on leur fait miroiter. Le nombre de morts, quelques
estimations disponibles des dégâts, quelques
brèves
descriptions et photos, laissent penser que les pilleurs ont
été nombreux et particulièrement
actifs (le
très partial média russe Novosti –
à prendre
avec des pincettes donc, d’abord pour être prudent,
ensuite
pour ne pas se salir – parle de 100 millions de dollars de
dégâts pour la seule nuit du 24 mars ;
chiffre
émanant apparemment d’une ONG occidentale
basée
à Bichkek). La dernière bataille se joue
là, hors
du faux débat, entre partisans des
récupérateurs
et pillards.
Représentations médiatiques contre la
révolte
Si le Kirghizistan était inexistant dans
l’information
dominante avant 2005, il s’est tout à coup
retrouvé
propulsé sur le devant de la scène durant ces
quelques
jours. L’enjeu était d’autant plus
important pour
elle qu’il l’était pour ce qui se joue
contre ce
monde entièrement étatisé :
en dépit
des plans réformistes pour le maintenir, un Etat a
vacillé dangereusement.
C’est d’abord en ramenant
systématiquement ce
soulèvement aux transitions politiques récentes
des Etats
de l’ex-URSS, comme l’Ukraine ou la
Géorgie, que sa
version occidentale tendance
européano-étatsunienne a
calomnié la révolte à
l’adresse des pauvres
du reste du globe qu’elle concernait alors plus que tout
autre
événement. En mettant l’accent sur le
rôle
des organisations d’opposition, elle a appuyé le
but que
celles-ci voulaient imposer, jusqu’à le
présenter
comme le seul but de l’ensemble des participants à
la
révolte : changer pacifiquement de
président,
adopter un mode de gestion plus
« démocratique »,
à
l’occidentale. Tant que les protestations, que les moyens
utilisés restaient dans des proportions encore inoffensives
pour
l’organisation de la société, les
petits
bureaucrates de l’opposition pouvaient encore exercer un
contrôle relativement aisé ; il se trouve
qu’une partie des révoltés kirghizes en
a
décidé autrement. Le mouvement de protestation
s’est finalement avéré plus radical que
ce qui
pouvait d’abord transparaître dans sa
modélisation
journalistique. La plupart du temps stigmatisé comme
étant le fait de bandes de
« voyous »
à travers les propos relayés des divers hommes
d’Etats, le pillage l’a été
à la
mesure de son ampleur et du danger qu’il
représente. Ce
fut la preuve supplémentaire, s’il en
était besoin,
de la différence essentielle et qui alors ne pouvait plus
être cachée, entre ce mois de mars au Kirghizistan
et les
autres prétendues
« révolutions » :
les pauvres
étaient ici à l’offensive.
Une autre tendance s’est
révélée chez
certains informateurs, en particulier russes, qui pour diffamer la
révolte ont sorti l’épouvantail de la
guerre
civile, minimisant quant à eux le rôle des groupes
d’opposition. Une dépêche de Novosti du
24 mars
schématise ainsi la situation :
« Ce qui se
passe dans le sud de la Kirghizie, ce n'est pas une tentative de
révolution démocratique, c'est une guerre civile.
Et ce
ne sont pas du tout des désaccords politiques qui sont
à
l'origine de la fracture locale. (…) Par ailleurs, les
adversaires du pouvoir n'ont pas de programme politique. Ici
l'opposition a cessé d'exister. Son activité a
été le détonateur des
désordres, mais pas
leur teneur sémantique. » Cette version
des faits a
probablement été la plus relayée aux Kirghizes
pendant le soulèvement, à travers la
télévision russe
« très regardée
au Kirghizistan, [et qui] avait tout fait pour donner l'impression que
les révolutionnaires étaient de dangereux
hooligans qui
avaient semé l'anarchie dans le sud du
pays. »
(Libération du 25 mars).
Dans les thèses finalement pas si
éloignées de la
transition démocratique et de l’effrayante guerre
civile
menée par quelques intrigants [7],
il manque seulement, c’est embêtant, le principal
acteur de
ces jours mouvementés, la foule des anonymes qui a battu les
flics, pris les bâtiments
administratifs,
attaqué la marchandise. Sans elle, rien n’aurait
eu lieu.
Mais dans le discours médiatique, nulle place pour un tel
acteur, sinon comme moyen, soit pour l’accession au pouvoir
de
quelques vieux caciques réformistes de fraîche
date, ou
comme hordes de sauvages bonnes qu’à
répandre le
chaos, faisant ainsi les affaires de quelques barons de la drogue et
autres islamistes.
Les défenseurs de l’Etat contre la
révolte
S’il est bon de noter, contre le discours de
l’information
dominante, les différences essentielles entre un tel
mouvement
et les changements de pouvoir pacifiques qui ont eu lieu
précédemment en Georgie (là pas
complètement pacifique peut-être) et en Ukraine,
il faut
tout de même remarquer un point commun avec ces deux
précédents qui tient à
l’apparente mainmise
de l’opposition sur la direction et les résultats
de la
révolte. Mainmise d’autant plus
étonnante ici que
la rupture pratique a été forte et
créée
par un grand nombre de pauvres, assez forte semblait-il pour
dépasser le faux débat entre politiciens
adverses. Le
déclencheur de la révolte y est sans doute pour
quelque
chose. La flagrante magouille électorale
désigne
des coupables : le gouvernement, le
président ;
d’autant plus que les arbitres US et européens la
condamnent immédiatement, donnant par là le feu
vert
à une contestation par eux ainsi
légitimée. Et ce
sont sûrement des militants politiques qui sont à
l’origine des premières occupations de
bâtiments
gouvernementaux le 4 mars à Jalal-Abad. La
répression du
19 mars provoque ensuite le soutien de milliers de gueux dont il est
peu probable qu’ils appuient tous activement les candidats
d’opposition. Mais leurs actes s’ancrent
déjà
dans un conflit posé préalablement entre ceux qui
discutent le résultat des élections et les
autorités. Entre le 4 et le 19 mars, les centaines de
personnes
qui occupent le siège de l’administration ont
dû
discuter, organiser la résistance, propager les raisons de
leur
insatisfaction. Qu’une occupation similaire ait lieu
à Och
et qu’une route principale soit bloquée au
même
moment au nord laisse penser que le mouvement est
déjà
pré-organisé avant que
n’éclatent les
affrontements avec les flics et les attaques de commissariats. Lorsque
les gueux prennent alors l’offensive, c’est par des
actes
dirigés contre le pouvoir, contre les gestionnaires locaux
et
contre les flics. Dès lors c’est comme si ces
assauts
venaient pour appuyer le projet des opposants officiels, et ces
« émeutes
orientées » laissent
encore à ces opposants officiels la possibilité
de donner
leur sens aux événements : il faut virer
le
président pour que nous puissions le remplacer. A partir des
informations à disposition, on a du mal à
déterminer les capacités de mobilisation et
d’organisation des candidats
d’opposition ; comme on
l’a vu, certaines sources mettent en avant
l’éparpillement total de ces candidats
à la
gestion, d’autres révèlent le travail
fructueux
accompli depuis des années par les Etats-Unis et les ONG
pour
leur fournir des moyens importants laissant ainsi supposer la
présence d’une force d’opposition unie
et
préparée.
Un autre élément étonnant de cette
révolte
est le nombre très bas de morts. En moins d’une
semaine,
des insurgés font chuter un gouvernement en comptant
à
peine une dizaine de morts dans leurs rangs,
d’après les
informations disponibles. Comment des gestionnaires se laissent-ils
renverser sans réprimer plus lourdement les manifestations
quand
elles arrivent aux portes du palais ? Alors
qu’à la
moindre émeute dans le reste du monde, une des
premières
dispositions prises par les gestionnaires en chef est
l’instauration d’un couvre-feu ou/et de
l’état
d’urgence, qui se révèlent parfois
efficaces en
permettant une répression meurtrière avec
l’alibi
de la sommation, les responsables de Bichkek, eux, ne semblent pas
prendre la mesure de la menace qui pèse sur eux et ne
prennent
aucune disposition exceptionnelle, à part celle de mettre en
place une sorte de milice de fonctionnaires, totalement impuissante
d’ailleurs, comme dernier rempart face aux milliers de
manifestants. La faiblesse de la répression peut
s’expliquer par le fait qu’une grande partie des
flics a
apparemment rejoint l’unanimité de toute une
population
contre le pouvoir dès que le rapport de force a
commencé
à s’inverser, donc très rapidement. Le
24 à
Bichkek, les chefs des forces policières se sont apparemment
résignés à ne pas faire usage des
armes à
feu – certains d’entre eux n’ont pas pour
autant
échappé à un tabassage en
règle de la part
des révoltés. Tout du long, Akaïev
lui-même
s’est montré réticent à
utiliser la force.
Dès le début du mouvement, le 21 mars, un
spécialiste interrogé par Libération
mettait en avant la faiblesse de l’Etat
central
Kirghize, notant notamment l’absence
d’armée et de
milice fortes, et comment l’ordre était seulement
confié à une « multitude de
polices
locales ». De plus, l’autorité
du chef de
l’Etat devait déjà être
sérieusement
entamée avant le déclenchement même de
l’offensive, ce qui expliquerait aussi pourquoi il
n’a pas
usé de tout ce que d’autres se permettent pour
conserver
leur poste. Là encore, le rôle de
l’opposition et
son possible travail de sape en amont semblent avoir pesé.
Et ce
qui est tombé, ce n’est ni l’Etat ni une
représentation politique, c’est
l’oligarchie mise en
place progressivement par Akaïev au fil de son
règne et qui
n’était que la forme visiblement scandaleuse de ce
qui
l’est essentiellement, c’est-à-dire
l’autonomisation et la séparation du pouvoir
politique,
système encore en vigueur au Kirghizistan, comme dans le
reste
du monde. Une fois cette sorte de tzar parti, le parlement est
à
peine renouvelé, on fait sortir de prison un ancien chef des
flics pour lui faire reprendre du service, l’ex-premier
ministre
le redevient. La focalisation de la colère sur
Akaïev et
son équipe a ainsi permis le retour d’anciens
comme autant
d’opportunistes qui n’attendaient que leur heure
pour
prendre la place du président, sans avoir de comptes
à
rendre sur leur collaboration passée avec lui. Ensuite, face
aux
pilleurs du 24 et du 25, ils se sont même montrés
bien
plus zélés dans l’application de la
répression que leurs prédécesseurs
dont
l’autoritarisme et les manières fortes avaient
été tant décriés [8].
Du mouvement dans son ensemble
Pendant ce mois de mars au Kirghizistan on relève plusieurs
formes du négatif telles qu’on a pu les observer
ailleurs
dans le monde, mais rarement associées dans un
même
mouvement. D’une part, des frondes locales, au
départ
relativement excentrées et dispersées, qui
convergent
dans une même vague de protestation contre le pouvoir en
place,
à travers l’occupation de bâtiments
gouvernementaux
ou le blocage de route, contaminant plusieurs provinces du Sud et de
l’Ouest du pays. D’autre part, le pillage
d’un centre
urbain, à première vue important, qui a
été
permis par les circonstances et qui était susceptible
d’approfondir la portée de la mise en cause. Là où d’autres révoltes
restent
confinées à une région, à
quelques villes
de province, les révoltés ont ici atteint la
capitale, le
cœur de l’Etat ; et là
où le pillage
étendu est parfois rendu possible par des facteurs
extérieurs comme en Iraq en avril 2003, ici ce sont les
gueux
qui ont créé ses conditions en portant la
révolte
là où la marchandise pullule. Cette
variété
des formes du négatif nous autorise à relativiser
fortement le rôle de l’opposition dans ce qui a eu
lieu,
même si elle semble à l’origine des
premières
occupations et qu’elle tire son épingle du jeu par
la
suite. Ce sont les centaines de pauvres qui ont
récupéré par la force les
bâtiments
étatiques du Sud, comme ce sont eux qui ont pris de la
même manière le palais
d’Akaïev, quand les
opposants envisageaient seulement de rester mobilisés devant
l’enceinte du bâtiment. Quand à Bichkek
les
révoltés investissent la maison blanche et la
pillent
sous les yeux horrifiés des prétendants au
pouvoir, puis
quand durant les deux nuits qui suivent ils font le même sort
aux
commerces de la capitale, ils réfutent alors en actes
l’objectif
unique qu’avait fixé pour eux l’ensemble des
employés de l’ordre, au terme duquel il aurait fallu rentrer
chez soi.
Apparemment préparé de longue date, le changement
de
régime ne s’est pas déroulé
tel qu’il
était prévu. Quand la rue insatisfaite entre dans
la
partie, si elle accélère opportunément
le cours
des événements, elle brouille aussi toutes les
prévisions. Effectivement quelques vieux opportunistes ont
pris
le pouvoir, effectivement la majorité de ceux qui ont fait
le
mouvement est restée sous leur influence, mais on peut
penser
que la mise sous tutelle des gueux kirghizes, qui ont
multiplié
les transgressions durant plusieurs jours, ne sera pas une
tâche
aisée à l’avenir pour les usurpateurs
de la
révolte. Pour l’instant, on peut
déplorer
l’apparente absence de critique des encadrements politiques
dits
d’opposition dans cette zone du monde. La colère
et le
courage physique n’ont pas fait défaut, la compréhension de
l’unité du camp de la conservation, de
l’identité des Akaïev, Bakiev et autres
enkulovs, a
par contre cruellement manqué, précipitant la
défaite des vaillants insurgés.
Même s’il semble être resté
assez loin
derrière elle du point de vue de la profondeur et de
l’intensité des actes critiques collectifs, sur la
période dont nous rendons compte pour le moment, depuis le
début de 2003 jusqu’à la fin de 2006,
ce
soulèvement majeur constitue selon nous le mouvement de
révolte le plus important après
l’insurrection
bolivienne de 2003 : par le déploiement de sa charge
offensive
sur plusieurs jours et à l’échelle
d’un Etat
entier, lorsque celui-ci est ébranlé sur ses
bases
notamment parce que la révolte à son
zénith
irrigue jusqu’au centre de sa capitale.
L’écho
qu’il trouve ensuite de l’autre
côté de la
frontière, en Ouzbékistan moins de deux mois plus
tard,
démontre également la dangereuse inspiration
qu’il
a pu véhiculer dans cette région
troublée
où récupérateurs
réformistes et islamistes
travaillent à neutraliser une insatisfaction aux
manifestations
particulièrement vigoureuses [9].
Parce qu’ils auront retenu la leçon kirghize, les
gardiens
de l’Etat ouzbek n’hésiteront pas
à utiliser
tous les moyens répressifs en leur pouvoir pour noyer le
début de révolte dans le sang.
Première
rédaction en avril 2005, révisé pour
publication en octobre 2007
1.
Il compte 5 218 000 habitants en 2007 sur un territoire de
198 500 km2. 2.
Division administrative des 7 régions du
Kirghizistan. 3.
Jalal-Abad
compte 75 000 habitants. Parmi les autres villes
citées,
Bichkek la capitale en compte 900 000 ;
Och :
220 000 ; Talas : environ
32 000 ;
Toktogoul : environ 16 000. 4.
Apparatchik
de province jusqu’à son accession au poste de
premier
ministre en 2000, Kourmanbek Bakiev est élu en 2004
président du Mouvement populaire du Kirghizistan, regroupant
entre autres les partis
« communiste » et
« républicain ». En
juin de la même
année, il est désigné pour
représenter ce
parti lors des présidentielles de 2005. 5.
Parmi
les articles à notre disposition, un seul mentionne le
chiffre
70 que nous reprenons dans la chronologie
générale de la
révolte dans le monde sur la période 2003-2006.
Il semble
plus probable qu’il n’y ait eu en fait
qu’une
trentaine de prisonniers libérés. 6.
Felix
Kulov : ancien vice-président, ministre de
l’Intérieur et maire de Bichkek, il est le chef du
parti
« Ar-Namys ». Etant
l’un des principaux
opposants à Akaïev, il est condamné au
début
des années 2000 à une dizaine
d’années de
prison pour abus de pouvoir et/ou détournement de fonds. 7.
Ces
deux « analyses » en apparence
opposées
fournies par l’information dominante reflètent
aussi la
place de ce petit Etat d’un point de vue « géopolitique ». Point de chute stratégique pour
l’armée américaine en 2001, mais aussi
pour la
promotion de la
« démocratie »
marchande lorsque l'implantation et le financement d'ONG sont accélérés. Mais
Akaïev
n’en est pas moins resté à la botte de
la Russie
qui soutenait son régime. En 2003, une base militaire russe
fut
ouverte aux alentours de Bichkek. A travers sa division
Occident/Russie, l’information ne fait que reproduire cette
concurrence entre Etats. 8.
Malgré
leur unanimité dans la mise en place de la
répression, la
confusion générale règne chez les
nouveaux
gestionnaires. Aucun des deux parlements, celui d’avant les
élections et celui récemment
« élu », ne veut
lâcher ;
c’est finalement le nouveau qui prendra fonction
après
négociations. Le lundi 28, une centaine de manifestants se
rassemblent devant son siège,
« à cause de la
présence parmi les députés de nombreux
partisans
de M. Akaïev » (AFP du 28 mars) et veulent
les
empêcher d’y pénétrer. Alors
que sur 75
députés, une quinzaine est reconnue comme
étant
des cas « litigieux », et que
dans six
circonscriptions, l’élection n’avait pas
été validée du tout, le chef
intérimaire de
la commission électorale se contente de
déclarer :
« Dans les quinze prochains jours on examinera les
problèmes existant dans les 14 circonscriptions
litigieuses ». Ce qui avait
été le
déclencheur de la protestation, placé au centre
par
l’opposition, est finalement passé
d’inadmissible
à une situation à
« examiner ».
Preuve supplémentaire, s’il en fallait une, que
les Bakiev
et autres opposants sont bien les ordures que leur parcours
jusque-là avait révélé. En
attendant, des
présidentielles sont prévues pour le 26 juin,
sans que la
démission officielle d’Akaïev
n’ait encore
été obtenue ; elle le sera le 4 avril. 9.
Les
risques de contagion ont apparemment été pris au
sérieux par l’ensemble des responsables des Etats
limitrophes qui ont tous provisoirement fermé leurs
frontières avec le Kirghizistan. Il semble même
que ce
soit la plupart des Etats de l’ex-URSS encore sous la coupe
de
la Russie qui aient redouté la mauvaise influence kirghize
susceptible d’agir sur les pauvres qu’ils encadrent. Dès le lendemain de la chute d’Akaïev,
une
manifestation d’un millier de personnes contre le
président biélorusse est
réprimée à
Minsk.