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Juillet 2005, soulèvement au Yémen





Situé au fond de la péninsule arabique, le Yémen est un territoire grand comme la France, qui compte un peu plus de vingt millions d’habitants regroupés dans la partie ouest du pays où se trouvent les principales villes. Lors de la décomposition du stalinisme au début des années 1990, la république bureaucratique du Yémen du Sud a été intégrée à la république islamique du Nord, l’Etat unifié prenant la forme de cette dernière. A cette date, Ali Abdullah Saleh, le président du nord, a pris la tête de tout le pays, qu’il tient encore en 2005 après 16 ans de règne et de régulières réélections couronnées par des scores d’honnête dictateur (96 % aux dernières de 1999).

En grattant l’image véhiculée par l’information la plus grossière qui en fait un Etat « voyou » et un repère d’islamistes – le système juridique se base sur la charia, le Yémen a soutenu l’Iraq au moment de la première guerre du Golfe –, on découvre un contexte yéménite plus complexe, composé de luttes pour le pouvoir et de guérillas sécessionnistes. Si l’on va voir derrière cette deuxième modélisation, dépassant ainsi les travaux des universitaires et des spécialistes qui ne sont pas légion pour ce pays, on se rend compte que l’Etat du Yémen est secoué depuis l’unification par des mouvements de révolte périodiques, assez forts pour apparaître dans les courts historiques des encyclopédies, et qui influent sur la gestion du pays. Dans leurs comptes-rendus par des observateurs officiels, ces actes collectifs se retrouvent intégrés à une explication économiste de la société humaine, ramenés à des facteurs objectifs. « Inflation galopante et taux de chômage record » qui caractérisent le Yémen du début des années 1990 – et encore aujourd’hui d’ailleurs – paraissent effectivement de puissants déclencheurs de soulèvements populaires. Car le pays est considéré, économiquement parlant, comme l’un des plus pauvres du monde. Notamment parce qu’à la différence de l’Arabie saoudite voisine il ne dispose pas de gisements pétroliers très importants, et que les quelques bénéfices qui en proviennent finissent, semble-t-il, dans les poches de la classe dirigeante où ils rejoignent une partie de l’aide internationale. Les mauvais gestionnaires yéménites sont donc périodiquement aux prises avec la colère des pauvres qu’ils sont chargés d’encadrer.


Antécédents


Les plus lointaines expressions encore visibles de cette colère sont à dater du mois de décembre 1992. Des manifestations contre une importante hausse des prix virent à l’émeute dans les villes de Sanaa, Hodeïda et Taïz. Sept morts seront recensés dans cette dernière ville, et au moins les deux premières auraient été touchées par des pillages. L’article de l’Humanité du 11 décembre 1992, semble-t-il le seul francophone disponible aujourd’hui sur ces événements à partir d’Internet, signale corollairement à l’explication économiste des troubles, le rôle joué alors par le retour d’un million d’immigrés yéménites expulsés d’Arabie saoudite après la guerre du Golfe en représailles de l’engagement anti-américain du Yémen, et qui viennent s’ajouter au nombre déjà élevé de chômeurs. Après une recherche plus pointue, j’ai pu dégotter un deuxième article sur ces événements, en anglais celui-ci, tiré du Guardian. Selon son auteur, trois jours d’émeute auraient fait 12 morts et 77 blessés, touché quatre villes et nécessité l’arrestation de 250 personnes.

En 1995, sous la pression puis la tutelle du FMI et de la banque mondiale, les gestionnaires yéménites entreprennent un programme de réformes économiques visant à éliminer les derniers carcans étatiques qui entravent encore la liberté de la marchandise. D’après un texte de 2001 tiré d’une revue francophone sur le Yémen (Chroniques yéménites), ce programme est un succès : « Il a réussi dans la stabilisation macro-économique, la maîtrise de l'inflation, des déficits budgétaires et de la balance des paiements courants (…) » Voilà de quoi rassurer les créanciers internationaux. Et du côté des pauvres ?  « (…) mais il s'est traduit par une aggravation de la pauvreté et du chômage sans les bénéfices attendus en matière de croissance et d'encouragement aux investissements. » Merdre ! D’autant que les effets de la « crise asiatique » atteignent le Yémen en 1998. Comme Suharto quelques mois auparavant, qui vient tout juste de se faire botter le cul par l’insurrection indonésienne, Saleh reporte de semaine en semaine la coupure des subventions étatiques, craignant les réactions de la plèbe devant les hausses de prix. Il s’exécute finalement à la fin du mois de juin, les prix des produits « de première nécessité » ainsi que ceux du pétrole grimpent de 25 à 40 %. Le vendredi 19 juin 1998, les premières manifestations ont lieu dans les principales villes du Nord-Ouest. La colère monte rapidement, des pneus et des voitures sont brûlés dans les rues. Les documents encore accessibles aujourd’hui, sur les faits négatifs qui commencent à ce moment-là, sont peu nombreux sur Internet. La plupart des articles relevés lors des événements de juillet 2005 reviennent sur le précédent de 1998, mais sans donner beaucoup de détails et en mentionnant des nombres de morts très différents (entre 34 et 92, d’autant que ce deuxième chiffre ne concernerait que la police et les forces armées). J’ai pu mettre la main sur quelques articles de l’époque tirés de la presse yéménite et de médias arabes, ainsi que sur le rapport d’une organisation droitdelhommiste et sur une chronologie assez rudimentaire qui décrit « l’histoire » du Yémen année par année depuis l’unification. A partir de ces sources, on prend connaissance d’une révolte de rue assez forte qui semble par moments s’être retrouvée mêlée au conflit entre les deux systèmes d’encadrement, l’Etat et les organisations tribales, qui s’envenime à ce moment-là.

Le samedi 20 juin 1998, des milliers de manifestants convergent vers le centre de Sanaa, bloquent la circulation, caillassent les flics et saccagent le mobilier urbain. Dans la province de Dhamar, l’émeute est plus évidente encore, commerces et bâtiments publics sont dévastés et pillés. Le lendemain, la répression s’organise. Malgré le déploiement de l’armée, les gueux ne quittent pas la rue. Du coup, les affrontements deviennent plus violents faisant entre quatre et dix morts pour la journée du 22 juin. Ce même jour ou le lendemain, une foule de manifestants pille 170 000 sacs de farine. Le 23 juin, il y aurait six tués de plus durant des « unrest ». Le 24, ils seraient entre huit et vingt-et-un. Le 25, le régime interdit toute manifestation. A ce moment-là, la révolte paraît changer de forme, la mobilisation populaire est apparemment interrompue. Face aux moyens militaires engagés dans la bataille par l’Etat, et même si des fusillades ont déjà eu lieu lors des manifestations, le mouvement de révolte passe alors significativement à une forme armée. Dans la province de Marib, une des principales régions pétrolifères du pays, des « tribesmen » bloquent des routes, empêchant l’approvisionnement en pétrole de la capitale, et sabotent des oléoducs. Dans Marib même, ils attaquent et dévastent une banque. La confrontation avec l’armée est violente et s’étend aux provinces d’Al-Jawf et de Shabwah où des routes sont également coupées. Entre le 27 et le 28 juin, une vingtaine de membres de sécurité serait tuée par les combattants « tribaux ». Le 29 et le 30 juin, les manifestations qui reprennent dans les villes sont réprimées par les flics. Au 1er juillet, le régime yéménite annonce un retour au calme. Il semble qu’il y ait encore quelques manifestations tandis que les sabotages et les affrontements armés continuent durant le mois de juillet.

Ces quelques informations, bien que trop éparses et peu détaillées, permettent de se faire une idée sur ce précédent tant rappelé par les articles de 2005. L’émeute a été forte, étendue à plusieurs villes majeures du nord, orientée contre l’Etat et la marchandise. Le pillage semble en effet en avoir constitué une caractéristique importante sans que l’on puisse dire s’il a été massif. Il reste difficile de comprendre le déroulement exact des faits, comme de mesurer l’emprise des partis d’opposition qui appelaient alors à la manifestation, celle surtout des « tribus » dont les liens avec la révolte proprement dite restent assez flous. Les divergences sur le nombre de morts sont maintenant plus compréhensibles, ceux qui en donnent 34 ne prennent en compte que les « victimes des émeutes », ceux qui parlent de 92 tués incluent les affrontements armés dans le mouvement de révolte. Une analyse plus fouillée permettrait d’évaluer plus précisément le rapport entre le soulèvement populaire urbain et la résistance armée, peut-être attribuée trop hâtivement aux formations tribales. A partir des seuls éléments rassemblés pour la rédaction de ce compte-rendu, ce mouvement se présente comme un repère non négligeable pour la période 1994-2001, supposément pauvre en révolte, dans laquelle n’auraient surnagé que les exceptions du Bahreïn, de l’Albanie et de l’Indonésie. Si elle n’atteint vraisemblablement pas l’ampleur de ces trois révoltes, l’émeute majeure du Yémen tire toutefois son intérêt de s’être produite dans le sillage de l’insurrection indonésienne, en partant du même déclencheur, d’un même phénomène mondial. La caractéristique particulière de la révolte au Yémen consistant aussi dans son traitement par l’information dominante, qui semble, à première vue, l’avoir maintenue dans l’ombre. On se rend également compte que l’été 1998 aura été particulièrement chaud, si l’on se souvient que simultanément les pauvres de Kabylie s’attaquaient de leur côté à l’Etat et la marchandise dans plusieurs villes et durant plusieurs jours, à la suite de l’assassinat du chanteur Matoub Lounès.


2005


Plus récemment, des affrontements ont éclaté à l’occasion de manifestations contre une nouvelle taxe proposée par le gouvernement yéménite, qui avait de nouveau donné lieu à une hausse des prix. Le 15 et le 16 mars 2005, à Al-Hadida, Hodeïda et Taïz, les flics et les manifestants ont échangé des coups. Les clashes n’auraient fait que quelques blessés. Les protestataires, apparemment bien encadrés par l’opposition, n’ont pas a priori porté leur colère au-delà de la simple flicaille qui leur faisait face. Mais on voit que pour mener à bien leurs réformes budgétaires, les dirigeants du pays sont obligés de manœuvrer avec précaution sous peine de réveiller la rue.

Car en 2005 le programme inauguré dix ans plus tôt, pour satisfaire les organisations financières internationales au détriment des habitants du Yémen, est toujours d’actualité. Une de ses mesures consiste en la suppression des subventions étatiques sur le commerce des produits pétroliers à l’intérieur du pays. Elle est mise en application le mardi 19 juillet 2005 et se traduit par une importante hausse des prix des carburants (diesel, essence, kérosène). Pour certains produits, les prix sont doublés et la hausse s’étend aux tarifs des transports en commun qui augmentent de près de 30 %. Les pauvres (ici compris comme la catégorie économiste qui compte 19 millions d’humains au Yémen d’après le barème du seuil de pauvreté mis en place par la banque mondiale) vont donc payer pour la mauvaise gestion qu’ils subissent.

Le 20 juillet 2005 au matin, des centaines voire des milliers de manifestants investissent les rues du centre de Sanaa pour exprimer leur colère. La mobilisation paraît spontanée, notamment parce qu’elle est immédiatement réactive à la mesure du gouvernement et de son premier ministre, Abdul-Qadir Bagammal, contre qui sont dirigés les slogans scandés. A cette spontanéité de la mobilisation s’ajoute ensuite le caractère incontrôlable des actes collectifs qui lui succèdent. Les bâtiments gouvernementaux – plusieurs ministères entre autres –  sont logiquement visés, attaqués et caillassés. Mais les commerces, les banques – souvent d’Etat –, les entreprises, les restaurants, les voitures sont aussi pris pour cibles et n’échappent pas aux destructions. Selon le Yemen Observer, la première confrontation avec les flics, rapidement soldée par un mort de chaque côté, aurait changé la manifestation jusque-là pacifique en émotion collective. Passé ce cap, les émeutiers, descendus des quartiers les plus pauvres, coupent les rues à l’aide de pneus enflammés et derrière la fumée lapident l’adversaire policier et militaire. Dans le quartier d’Al-Hassada, au nord de la ville, les flics défendent avec peine le siège du parti au pouvoir qui est pris d’assaut. Ailleurs ce sont les résidences des cadres du régime, vice-président et ministres, qui concentrent la fureur des gueux. Dans un autre quartier, la route de l’aéroport est barrée par 300 manifestants aux cris de « No Bagammal after today ». Deux journalistes sont malmenés par la foule. Avant que la ville ne retrouve un semblant de calme dans l’après midi, des coups de feu se font entendre. Les flics ne sont pas les seuls à tirer, des manifestants armés leur opposent résistance. Parmi les émeutiers, il y aurait de huit à dix morts. La répression ne serait pas l’unique motif de la fin de l’émeute, une dépêche AP attribue le retour au calme à l’apparition de la pluie et à la traditionnelle consommation de qat de l’après midi. Si l’explication paraît un peu légère, on ne peut pas affirmer qu’elle soit fausse pour autant.

D’après le Yemen Observer, les propriétés privées prises pour cibles durant cette journée le seraient parce qu’on les soupçonne d’appartenir à l’oligarchie. A l’image de l’Indonésie d’avant 1998, investisseurs et gestionnaires semblent ici se confondre. Mais cette manière de donner une orientation claire aux actes émeutiers, de leur prêter des intentions conscientes et limitées, porte déjà le travers réducteur de l’interprétation causale. L’article du Yemen Times du même jour, le 21 juillet, montre bien comment la fureur a allègrement débordé la simple animosité contre ce régime particulier. Une compagnie d’assurance, les hôtels et restaurants à touristes, les véhicules individuels n’ont pas échappé au courroux général. Dans l’émotion collective, ceux qui n’ont rien ne sont pas sélectifs, du moins pas suivant les critères des commentateurs dominants.

La révolte ne se limite pas à la capitale et c’est plus tardivement que trois autres villes connaissent le même désordre. Dans le sud, à Ad Dali (orthographiée aussi Dhala) de cinq à sept personnes sont tuées, dont un flic, au cours d’affrontements. A Taïz, toujours dans le sud, les habitants s’en prennent à des bâtiments publics. Dans la province de Dhamar, un manifestant est tué. Là aussi visiblement, des fusillades ont accompagné l’émeute. Cette « radicalisation » de l’émeute, et par conséquent de sa répression, semble s’expliquer par la présence de millions d’armes à feu dans le pays (certaines sources parlent de 50 millions, d’autres de dix fois moins), où la possession d’une arme est directement liée à la tradition tribale. D’ailleurs on peut nuancer l’importance de cette caractéristique locale, et la barbarie qu’elle sert parfois à évoquer en Occident, en remarquant que le pourcentage de détenteurs d’armes à feu est moins élevé qu’aux Etats-Unis. Quoiqu’il en soit, comme cela s’était déjà produit en 1998 et peut-être en 1992, certains manifestants n’hésitent pas à équilibrer le rapport de force en faisant usage de leur flingue au cours de l’émeute. 

L’appel au calme de Bagammal n’arrange rien. Le jeudi 21 juillet 2005, ce sont sept provinces qui sont touchées par la révolte. A Sanaa, les chars de l’armée prennent position aux endroits stratégiques. De nouveau, il y a des fusillades au cours desquelles un membre des services secrets et un policier anti-émeute sont abattus, au moins quatre manifestants sont également tués. Des commerces et des voitures partent une nouvelle fois en fumée. Mais les affrontements les plus violents auraient lieu à Hodeïda, au bord de la Mer Rouge, où les forces de l’ordre ouvrent le feu sur des révoltés qui tentent de prendre d’assaut les installations pétrolières. Il est fort possible alors que les victimes soient plus nombreuses que les huit morts rapportés, car l’affrontement armé continue jusque dans la soirée. Dans le nord, à Saada, les manifestants lancent leur offensive sur le QG du parti au pouvoir, sur une banque d’Etat et contre la compagnie pétrolière gouvernementale. Ils se heurtent à la canaille policière. Deux flics restent sur le carreau. Pour les autres villes de province, les informateurs, plus avares en détails, ne rapportent que les nombres de morts. A partir de cet indicateur on peut dire qu’il y a, sinon des émeutes, au moins des affrontements à Demneh (1 mort), Marib (2 morts), Ad Dali (4 morts, 10 blessés), Taïz (2 morts), Al Hadida (3 morts et 7 blessés), Amran (3 morts dont un soldat), Ibb (15 blessés). Outre les villes de Radaa, Al-Baidha et Lawdar – attaque de véhicules et de commerces dans cette dernière – pour lesquelles des troubles sont évoqués, l’émeute touche maintenant Aden, autre port important du pays et ex-capitale du Yémen du Sud. Les émeutiers y incendient une station-service, deux d’entre eux sont abattus par la police.

Le vendredi 22 juillet, le mouvement semble s’estomper. Cependant, contrairement à ce qu’affirment plusieurs informateurs, il n’est pas complètement éteint. A Aden, des troubles se produisent dans deux quartiers, une zone commerciale et une banlieue, il y a au moins un blessé. A « Dhalea » (il s’agit vraisemblablement d’Ad Dali, mais j’ai préféré conserver l’orthographe utilisée par l’article qui traite de ces faits, car il subsiste un léger doute) et Habilin, ceux qui semblent les derniers émeutiers prennent d’assaut un bâtiment municipal et les bureaux du parti au pouvoir, le « Congrès général du peuple », entraînant des affrontements avec les flics.

Comme en 1998, au moment où le mouvement s’essouffle, des « hommes tribaux » (Le Monde) entrent dans le conflit contre l’Etat. Dans la province de Marib, ils bloquent 63 camions citernes. L’implication de ces « tribesmen » paraît se limiter à cette action d’après les informations dont on dispose.

Entre le 24 et le 26 juillet, les gestionnaires yéménites décident finalement de faire demi-tour et de réviser leur réforme, preuve que la rue menace certainement encore à ce moment-là. Quel intérêt sinon de venir à bout d’une telle offensive pour ensuite retirer ce qui avait eu tant de mal à passer ? Le régime s’est vraisemblablement fait une grosse frayeur au cours du soulèvement. D’après les chiffres donnés par le ministère de l’intérieur, 12 militaires ou flics ont été tués et 255 ont été blessés. On apprend également par l’intermédiaire d’un article de Gulfnews, sorti deux mois après les émeutes, que 2 245 personnes ont été arrêtées. Alors qu’il parvient tout juste à se faire une respectabilité au niveau international en se rangeant du côté des Etats-Unis après être longtemps resté dans la liste des « Etats voyous », l’Etat du Yémen a bien failli perdre plus que des plumes dans cette insurrection naissante. Seuls l’intervention de l’armée et le retrait de la mesure qui avait déclenché la colère lui ont permis de parer tant bien que mal la charge des gueux.

Les partis d’opposition, qui ont été mis en cause par le pouvoir pour leur implication dans les troubles et qui se sont organisés en coalition, semblent n’avoir joué qu’un rôle très secondaire que ce soit comme organisateurs, ou comme récupérateurs.

Les responsables religieux, accusés par le passé d’attiser l’insatisfaction des pauvres, ont par contre servi de tampon et travaillé à mettre fin à la colère. Au troisième jour d’émeute, le vendredi jour de prière, saint et férié pour les musulmans, les imams, tout en condamnant la répression pour conserver leur crédit, ont surtout appelé au calme et au retour à l’ordre. On peut penser que ces personnages encore influents ont été entendus et que leurs sermons ont influencé certains révoltés, à ce moment-là troublés par leurs propres excès de la veille. Arabic News révèle d’ailleurs que l’Etat lui-même, par l’intermédiaire de ses ministres, a appelé les imams à la rescousse pour demander publiquement la fin des émeutes. Le discours moral qui situe un événement aussi extraordinaire que l’émeute dans l’un des camps du manichéisme religieux, celui du mal, a évidemment plus d’impact que les discours de faux-culs des hommes d’Etat discrédités.

Pourtant, même cette influence des curés musulmans paraît toute relative, il reste l’impression que de l’explosion de colère de ce grand nombre de pauvres a transparu une sorte d’autonomie. Le caractère fédérateur du déclencheur y est certainement pour beaucoup, la situation extrêmement misérable de l’immense majorité des pauvres et l’impunité de leurs gestionnaires aussi. Mais une telle hostilité partagée au quotidien pour le régime, qualifié de corrompu par un bon nombre de yéménites interrogés par les journalistes, laisse aussi imaginer qu’une autre force déjà constituée joue peut-être un rôle social important. Ce pourrait être l’organisation tribale qui ne paraît pourtant, sous sa forme archaïque, n’être impliquée que dans des luttes d’intérêt, voire qui collabore avec l’Etat et fait marcher le clientélisme. L’armement de certains émeutiers et leur semblant d’organisation obligent tout de même à une certaine prudence quant à l’apparente « pureté » des acteurs de ces faits négatifs.


Il reste que cette révolte est parmi les plus importantes de l’année 2005, bien qu’elle n’ait trouvé qu’un faible écho dans l’information. Le traitement toujours plus spectaculaire du Moyen-Orient permet de reléguer dans l’ombre de tels événements, et le Yémen n’entre pas, de toutes façons, dans la liste de plus en plus courte des Etats éclairés par les projecteurs de l’information occidentale, de l’information dominante.




Première rédaction en mars 2006, révisé pour publication en juillet 2007


Documents utilisés :

Evénements de décembre 1992 :
92-12-11 - l’Humanité -- EMEUTES A SANAA
92-12-12 - The Guardian -- Uneasy calm after Yemeni riots

Evénements de juillet 1998 :
98-06-20 - Arabic News -- Oil, wheat prices increase in Yemen causing riots
98-06-22 - Yemen Times -- Price Hikes Spark Demonstrations
98-06-26 - Yemen Times -- Targeted for Yemeni Anger
98-06 - Yemen Times -- Press Review
98-07-03 - Yemen Gateway -- Deaths in riots
Report on Human Rights Practices for 1998 --Yemen
Yemen Gateway --Yemen chronology 1998 (June-July)

Evénements de 2005 :
05-03-16 - BBC News -- Riots in Yemen over sales tax
05-07-20 - Infoshop News -- Thirteen die in Yemen riots over fuel price rises
05-07-20 - Al Jazeera -- Yemenis killed in fuel price riots
05-07-20 - AP Yahoo! Actualités -- Emeutes meurtrières sur le prix des produits des pétroliers au Yemen
05-07-20 - BBC News -- Yemen petrol riots leave 10 dead
05-07-20 - myTELUS -- Protestors and police clash in Yemen, at least 8 dead
05-07-20 - The Washington Post -- Eleven die in Yemen riots over fuel price rises
05-07-20 - Turks.US Daily News -- Yemenis Killed in Riots over Fuel Prices
05-07-21 - Woodland Daily Democrat -- Yemen Protests Leave 4 Dead, 7 Injured
05-07-21 - Yemen Observer -- Life, business gradually back to normal in Yemen's capital
05-07-21 - Swissinfo -- Mueren 9 personas en Yemen en protestas por subida combustibles
05-07-21 - ABC News -- Three Yemenis die storming oil facility
05-07-21 - Arab News -- 10 Killed in Yemen Protests Over Fuel Price Hikes
05-07-21 - El Pais -- Disturbios contra aumento de la gasolina causan 39 muertos
05-07-21 - Khaleej Times -- Twelve killed, 50 injured in Yemen clashes over oil-price hikes
05-07-21 - Yemen Times -- Price hike enrages public
05-07-21 - Yemen Observer -- Situation stable in capital as security forces stand their guard
05-07-21 - Reuters Yahoo! Actualités -- Emeutes contre la hausse du carburant au Yémen, 11 morts
05-07-22 - JTW News -- Tanks patrol riot-hit Yemen towns
05-07-22 - The Washington Post -- Yemen Troops Disperse Groups After Riots
05-07-22 - BBC News -- Dozens dead in Yemen fuel riots
05-07-22 - AP Yahoo! Actualités -- Emeutes au Yémen 36 morts
05-07-22 - RFI -- Les émeutes du pétrole font des morts
05-07-22 - Le Monde – Yémen : émeutes meurtrières après le doublement du prix de l'essence
05-07-22 - AFP Yahoo! Actualités -- Calme précaire au Yémen après la mort de 39 personnes dans des heurts
05-07-22 - Reuters Yahoo! Actualités -- Un blessé à Aden au Yémen où l'on redoute les pillards
05-07-22 - The Daily Chew -- Stability retained in Yemen cities; Mosque preachers called for peace
05-07-23 - Arab News -- Most Yemeni Provinces Calm After Deadly Clashes
05-07-23 - Arabic News -- Acts of stealing in Aden; cautious calm in Sanaa
05-07-24 - Arab News -- Yemen to Reconsider Diesel Price Hikes
05-07-26 - Dawn -- Yemen cuts fuel prices after riots
05-07-28 - Middle East Report -- Cracks in the Yemeni System, by Sarah Phillips
05-07-28 - Tunis Hebdo -- 39 tués dans la révolte du pétrole
05-09-19 - Gulfnews -- More than 800 to stand trial over riots that killed 43




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