PARIS (Reuters) - Alors que les appels au calme de la communauté internationale se multiplient, la vague de violence
déclenchée par la reproduction dans la presse mondiale de caricatures du prophète Mahomet a encore fait mercredi trois
morts en Afghanistan.
Ces nouveaux décès, lors d'affrontements entre la police et manifestants protestant contre ce qu'ils considèrent comme
un blasphème, portent à dix le nombre des victimes en Afghanistan - auxquelles il faut ajouter un autre mort dimanche à
Beyrouth. Le conseils des oulémas afghans a lancé un appel à l'arrêt immédiat des violences.
Depuis vendredi, des dizaines de milliers de musulmans outrés ont exprimé leur colère à travers le Moyen-Orient, l'Asie
et l'Afrique tandis que, au nom de la liberté d'expression, des journaux des cinq continents continuaient à reproduire les 12
caricatures incriminées, publiées pour la première fois en septembre au Danemark.
Ce pays, qui se retrouve dans l'oeil du cyclone - ses missions diplomatiques ont été incendiées ou attaquées à Damas,
Beyrouth et Téhéran - a accusé des éléments "radicaux, extrémistes et fanatiques" de souffler sur les braises de la colère
musulmane "pour faire avancer leurs propres objectifs".
Le Premier ministre danois Anders Fogh Rasmussen, à qui le président George Bush a exprimé sa solidarité, a estimé que
"cette crise mondiale grandissante recèle un potentiel d'escalade échappant au contrôle des gouvernements et autres
autorités" et a réitéré son appel au dialogue.
CHIRAC CONDAMNE LA PROVOCATION
Rasmussen a été entendu par Kofi Annan, secrétaire général de l'Onu, qui s'est associé au chef de la diplomatie
européenne, Javier Solana, et au secrétaire général de l'Organisation de la Conférence islamique, Ekmeleddin Ihsanoglu,
pour estimer que "les récents actes de violence dépassent les limites de la protestation".
"Nous comprenons la douleur et l'indignation profonde ressenties dans le monde musulman. Nous estimons que la liberté
de la presse suppose responsabilité et mesure et qu'elle doit respecter les convictions et les croyances de toutes les
religions", disent les trois hommes dans un communiqué commun publié mardi soir.
L'hebdomadaire satirique français Charlie Hebdo a publié mercredi les 12 dessins danois de la discorde et en y ajoutant
en "une" une caricature de son cru montrant Mahomet consterné, se cachant de visage des mains et murmurant: "C'est dur
d'être aimé par des cons".
Sans citer cette publication, qui alimente ainsi le débat sur les limites de la liberté de critique, le président français
Jacques Chirac a condamné aussitôt "toutes les provocations manifestes, susceptibles d'attiser dangereusement les
passions".
Les responsables et les locaux de Charlie Hebdo ont été placés dès mardi sous protection policière. Au Danemark, les 12
auteurs des caricatures publiées par le journal Jyllands-Posten vivent désormais dans une quasi-clandestinité sous la
protection de la police après avoir reçu des menaces de mort.
COLERE INSTRUMENTALISEE
A Téhéran, le quotidien iranien Hamchahri, le plus fort tirage de la presse iranienne, a lancé un concours de dessins
"humoristiques" rival sur le thème de l'Holocauste afin de "tester" les limites de la tolérance dont se réclament les pays
occidentaux.
L'Iran est, avec la Syrie et le Liban, le pays du Moyen-Orient où les réactions ont été les plus violentes alors que
l'Egypte et l'Arabie saoudite, dont les populations ne sont pas moins choquées par les caricatures de Mahomet, n'ont pas
connu de troubles.
Selon les analystes, la Syrie et l'Iran, qui sont engagés tous deux dans une logique de confrontation avec les Etats-Unis
et les Européens - la première à cause du Liban, la seconde de son programme nucléaire -, instrumentalisent la colère des
foules.
Javier Solana s'apprête à entamer une tournée de capitales arabes et musulmanes pour tenter de contribuer à un
apaisement de esprits, a annoncé la présidence autrichienne de l'Union européenne, laquelle a été prise pour cible en tant
que telle par des manifestants ces derniers jours à Gaza et mercredi à Hébron, en Cisjordanie.
Les caricatures incriminées du Prophète ont été publiées dans huit pays de l'Union - Hongrie, Italie, Espagne, Pays-Bas,
Pologne, Danemark, Allemagne, France - ainsi qu'en Bulgarie, en Norvège, en Suisse et en Ukraine, mais aussi en Australie,
aux îles Fidji, au Japon, en Malaisie, en Nouvelle-Zélande, en Afrique du Sud et aux Etats-Unis.
Dans les pays arabes où ces dessins ont aussi été publiés , comme le Yémen et la Jordanie, les journaux qui les ont
reproduits ont eu maille à partir avec la justice ou les autorités. Au Japon, le ministère des Affaires étrangères reconnaît
avoir "conseillé amicalement" aux directeurs de journaux de s'abstenir de jeter de l'huile sur le feu.