ccroché au mur du bureau d' Evo Morales, à la Chambre des députés de La Paz (Bolivie), c'est le portrait de Che Guevara qui accueille les visiteurs. Le révolutionnaire argentin orne le calendrier 2001-2002. En dessous, un gigantesque portrait peint de Morales, défenseur des cultivateurs de coca boliviens, les «cocaleros». Morales vient au Parlement chaque semaine depuis 1997, année où il fut le député le mieux élu du pays. Son influence se mesure désormais au nombre de personnes qui attendent devant sa porte, une troupe de journalistes armés de caméras et micros et les représentants des «camarades mineurs de Potosí».
Menaces. Le leader des cocaleros est le petit homme qui monte, qui monte... Candidat aux dernières élections présidentielles, il fait un carton et arrive au deuxième tour. L'ambassadeur des Etats-Unis avait prévenu les Boliviens: «Si vous votez pour ceux qui défendent le trafic de cocaïne, ne comptez plus sur l'aide américaine». La menace aurait en fait apporté un flot de voix protestataires à ce candidat qui détonne dans la vie politique bolivienne. En août, il a pourtant dû s'incliner devant l'autre candidat, Gonzalo Sánchez de Lozada, propriétaire minier parmi les plus riches du pays, ancien président de Bolivie.
Dans le couloir du Congrès, Evo arrive enfin, le portable vissé à l'oreille, vêtu d'un blouson bleu brodé «somos MAS»‚ qui se traduit à la fois par «Nous sommes plus» et «Nous le MAS», pour le parti Movimiento Al Socialismo. Il est préoccupé par les négociations qu'il mène avec le président Lozada sur la question de l'éradication de la coca. «C'est la rencontre entre le président des riches et le président des pauvres», commente un cocalero.
Nationalisations. Célibataire de 43 ans, ce fils de paysans indiens de l'Altiplano, est venu s'installer dans le Chaparé, où les terres étaient encore inoccupées, dans les années 80. Comme les autres, il a planté une parcelle de coca. Jusqu'à ce que les Americains décident d'éradiquer les cultures du Chaparé, qui alimentent entre autres les nombreux laboratoires clandestins de cocaïne. La répression militaire renforce le mouvement des cocaleros et Evo Morales se place bientôt à leur tête. Appuyé sur cette base syndicale, il entre en politique. Cette année, il est parvenu à rassembler derrière le MAS bien plus que ses traditionnels cocaleros. Trois ans de récession ont provoqué un ressentiment profond des paysans appauvris contre la mondialisation.
Du coup, le discours anti-capitaliste de Morales séduit: nationalisation des ressources naturelles exploitées par les multinationales, redistribution des terres des grands propriétaires... Il se veut aussi la voix des indiens, largement majoritaires dans le pays mais quasiment absents de la démocratie. «Depuis 15 ans, il y a maintenant une véritable présence des indigènes en Bolivie. Ce n'est pas une concession des partis libéraux, mais un mouvement venu du peuple». Morales se réjouit du succès électoral de Lula, au Brésil, et rêve «de nombreux Cuba en Amérique Latine», pour contrer «la toute puissance américaine». «L'ambassade des Etats-Unis menace les hommes politiques boliviens de leur couper les aides et de bloquer leurs visas pour Miami. Mais nous, on n'a pas d'argent et pas de billets pour l'Amérique, alors ces menaces ne nous touchent pas».
«Morales a ses chances pour la présidentielle de 2007, assure un journaliste. Il pourrait bien remporter une victoire à la Lula.» Et il s'y prépare. Un éditorialiste constate d'une plume acide que Morales le syndicaliste «a pris du ventre et un peu la grosse tête, bref il ressemble déjà plus à un homme politique».
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