"Moins de ministres, de vice-ministres, de ministères, de téléphones portables, de voitures de fonction", a déclaré le président Gonzalo Sanchez de Lozada, dit
"Goni", après la démission de son gouvernement, le 19 février. Le président libéral, au pouvoir depuis six mois, a déclaré qu'il renonçait à ses émoluments et qu'il réduirait de 50 % ceux des députés. Ces mesures d'austérité, surtout symboliques, visent à enrayer les émeutes populaires de la semaine dernière qui ont fait trente-trois morts.
Dès les premiers morts, le président a retiré son projet de réforme fiscale. Mais la démocratie reste en sursis. "Ces violences étaient prévisibles : nos dirigeants n'ont vraiment pas compris le message des dernières élections", se désole El Deber. "Il n'y a pas de démocratie sans justice sociale ; cet impôt a été la goutte qui a fait déborder le vase de la misère. Nous reprenons le slogan des élections de 2002 : assez de ce modèle économique et politique qui génère l'exclusion et la pauvreté !", renchérit une dirigeante indienne dans Los Tiempos.
90 % de Boliviens survivent avec 2 € par jour. Le reste connaît mieux Miami que La Paz et place son argent dans les paradis fiscaux. Selon le quotidien local El Pais, "le gouvernement était condamné dès sa naissance. Sanchez de Lozada n'a été élu qu'avec 22 % des voix", talonné par le socialiste Evo Morales, qui représente les cultivateurs de coca, avec 20 %.
DIKTAT RIGIDE
Formé aux Etats-Unis, il a privatisé durant son précédent mandat (1993-1997) les services publics et fermé les mines, qui constituaient la colonne vertébrale de l'économie. Poussé par Washington, il a relancé la lutte contre les cocaleros, menaçant de faillite 300 000 paysans. "Ce n'est plus possible que le FMI applique ses recettes sous prétexte de maintenir la stabilité macroéconomique avec des résultats qui restent à prouver. Ces mesures néolibérales donnent l'inverse de ce que l'on en attend. Une des raisons en est la méconnaissance du pays, des singularités de sa réalité économique et sociale, par la technobureaucratie financière internationale", explique Los Tiempos.
"L'Amérique latine est prise entre la rationalité et le rejet du modèle néolibéral, résume Clarin, de Buenos Aires. La rébellion en Bolivie n'est pas un cas isolé, mais c'est peut-être celui qui illustre le plus clairement l'effondrement progressif de la démocratie dans le sous-continent, qui est synonyme pour beaucoup de Latino-Américains d'un changement de modèle économique. Il est pourtant clair que ces sociétés endettées ne peuvent plus honorer les réductions budgétaires exigées. Elles ne peuvent plus adhérer à la philosophie qui les accompagne."
Ces contradictions poussées à l'extrême peuvent déstabiliser des régimes. "La crise bolivienne ne vous rappelle rien ?, demande El Comercio d'Equateur. Cette crise et celle qui a secoué l'Argentine jusqu'à chasser son gouvernement doivent alerter les pays de la région soumis au diktat rigide des organismes internationaux. Ces crises ont des causes structurelles communes. La mondialisation de l'économie ne peut plus reculer, mais sa gestion peut être modifiée et humanisée, comme certains le réclament jusque dans les pays les plus riches."
Christine Lévêque