Monde

La contestation sociale tourne à l'émeute en Bolivie
Au moins 23 morts lors de heurts entre policiers et soldats.

Par Marie-Laure COLSON
vendredi 14 février 2003

ix mois après son accession au pouvoir, le président Gonzalo Sanchez de Lozada prend durement la mesure de l'exaspération des Boliviens. A peine son gouvernement venait-il d'entamer des négociations avec les cocaleros, producteurs de feuilles de coca, au terme de deux semaines de troubles qui ont fait douze morts, que, mercredi, les abords du palais présidentiel à La Paz étaient le théâtre d'affrontements violents entre policiers et soldats.

Bâtons de dynamite. Cette quasi-insurrection policière, qui a fait au moins vingt-trois morts et quatre-vingts blessés, a débuté lorsque des soldats ont tenté de disperser des étudiants qui brisaient les vitres du palais présidentiel, sous le regard impassible de plusieurs centaines de policiers. La plupart des policiers de La Paz avaient refusé de prendre leur service mercredi pour protester contre une mesure annoncée la veille. Pour réduire le déficit budgétaire de 8 % à 5 %, comme l'exigent les institutions financières internationales, le gouvernement entendait prélever un impôt de 12 % sur les salaires de 750 000 fonctionnaires, dont ceux de la police. La télévision a montré des soldats tirant en direction du QG de la police, situé en face de la présidence. Policiers et soldats, deux corps rivaux depuis la révolution nationaliste de 1952 et le renversement du régime de l'époque par les policiers, se sont alors livré une véritable bataille, faisant usage d'armes de gros calibres et de bâtons de dynamite.

Dès l'annonce des premiers morts, le président bolivien a prononcé une brève allocution télévisée annonçant le retrait de ses mesures. Les troubles ont néanmoins continué pendant la nuit. Plusieurs milliers de Boliviens sont descendus dans les rues et ont incendié des bâtiments publics, dont le ministère du Travail, et saccagé des commerces ainsi que les bureaux d'une filiale de la Lyonnaise des eaux.

Hier, alors que les services publics et les écoles étaient fermés, des représentants du gouvernement et de la police ont conclu en hâte un accord de «pacification et restauration de l'état de droit» qui prévoit notamment le versement de 10 000 dollars aux familles des policiers tués et de primes exceptionnelles aux quelque 15 000 policiers du pays.

Cocaleros. Mais le libéral Sanchez de Lozada n'est pas au bout de ses peines. Le patronat, qui lui est favorable, a sévèrement critiqué la mesure fiscale à l'origine des violences et agite la menace de la récession. En signe de protestation, le syndicat unique, la Centrale ouvrière bolivienne (COB) a appelé hier à une grève générale et à la démission du chef de L'Etat. Le député Evo Morales, chef de file de l'opposition (gauche radicale) et dirigeant des cocaleros, s'est joint à l'appel. Morales, un Indien qui a fait de la défense des cocaleros le fer de lance de la contestation sociale, avait obtenu plus de 20 % des voix en juin 2002, serrant de près l'actuel Président, issu d'une riche famille de propriétaires miniers.

Cette levée de boucliers risque de remettre en cause les négociations entamées avec les cocaleros. Ces derniers demandent de pouvoir reprendre la culture d'un lopin de coca afin de disposer d'un moyen de subsistance. Mais c'est l'ensemble de la politique économique du gouvernement qui est contestée dans un pays où les réformes néolibérales de ces dernières années et les tentatives, soutenues par les Etats-Unis, d'éradication de la coca, n'ont fait qu'accentuer la pauvreté et le mécontentement. Hier à La Paz, 5 000 manifestants qui réclamaient le départ du Président ont été dispersés par des tirs à balles réelles et six personnes ont été blessées.

 

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