Monde

Désaccord d'Angkor : la colère gagne les rues de Bangkok
Mercredi, les émeutes avaient enflammé le Cambodge.

Par Arnaud DUBUS
vendredi 31 janvier 2003

Bangkok de notre correspondant

es autorités cambodgiennes ont annoncé hier l'arrestation de 147 «extrémistes» qui auraient participé à la mise à sac et à l'incendie, la veille, de l'ambassade de Thaïlande à Phnom Penh. Apparement, soucieuses d'apaiser cette crise aussi soudaine que violente entre les deux voisins, elles ont annoncé le versement «sans conditions» à Bangkok de dommages visant à compenser les destructions de la chancellerie et de boutiques thaïlandaises à Phnom Penh. Le responsable de la station populaire radio Abeille, accusé d'avoir «incité la foule à attaquer l'ambassade en diffusant des informations fausses sur la mort de 9 à 10 Cambodgiens à Bangkok» a été arrêté. Les médias cambodgiens et le Premier ministre Hun Sen avaient également relayé des propos prêtés à la jeune actrice thaïlandaise de soap-opera Suwanan Kongying ­ qui a démenti les avoir tenus ­ affirmant que le temple d'Angkor appartenait à la Thaïlande.

«Cerveaux de buffles». Ce sont ces propos qui avaient été à l'origine de la crise mercredi. Crise qui a failli dé générer hier, cette fois dans les rues de Bangkok. Quel que 3 000 manifestants thaïlandais ont détruit l'enseigne de l'ambassade du Cambodge, brûlé des drapeaux du pays voisin en brandissant des pancartes d'insultes. L'embrasement est devenu manifeste après que des photos de presse des événements de la veille, montrant des Cambodgiens piétinant le portrait du roi Bhumibol, obtenues sur un site Internet, ont été distribuées aux passants et aux automobilistes. Immédiatement, la foule, composée jusque-là d'une centaine de personnes, a grossi : «On a piétiné le portrait du roi !»

«La destruction de l'ambassade thaïlandaise, le drapeau, ce n'est rien comparé à cela. Pour nous, Thaïlandais, c'est inacceptable», s'emporte Akraporn Somtat, employé de banque. En début de soirée, des portraits de Hun Sen, le Premier ministre cambodgien, sont brûlés. Des épithètes fleurissent: «Cambodgiens, cerveaux de buffles», «Cambodge, pays de sauvages.» C'est alors qu'une nouvelle fois, le roi de Thaïlande, Bhumibol Adulyadej, 75 ans, a fait la démonstration de son autorité morale considérable. Par un simple message, il a désamorcé la crise, au moins pour un temps. Le général Sant Sarutanond, chef de la police nationale, a lu un document du secrétariat du roi appelant à la dispersion : «Les Thaïlandais sont des héros aux yeux de la communauté internationale, nous ne devons pas agir comme des bandits.» Après avoir chanté un dernier hymne dédié au monarque, les manifestants sont rentrés chez eux.

Domination. Beaucoup de Thaïlandais se disent particulièrement choqués du sac de leur ambassade à Phnom Penh. Certains habitants de Bangkok n'en concèdent pas moins que l'attitude de leur pays vis-à-vis du Cambodge est parfois «maladroite» : «La Thaïlande exerce une domination économique et culturelle forte au Cambodge. Cela crée du mécontentement et des soupçons», analyse l'historien thaïlandais Charnvit Kasetsiri.

 

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