ABIDJAN, Côte d'Ivoire (AP) - Après avoir riposté au raid aérien ivoirien qui a coûté la vie samedi à neuf de ses soldats, la France s'efforçait dimanche de protéger ses ressortissants en Côte d'Ivoire, en particulier à Abidjan, où des milliers de partisans du président Gbabgo, parfois armés de machettes, sont descendus dans les rues pour s'en prendre aux familles françaises.
"La situation est sous contrôle mais demeure tendue", reconnaissait en fin de journée la ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie, qui a répété qu'il n'était "pas question" de rapatrier les quelque 14.000 ressortissants français.
Dans la journée, 300 hommes et un escadron de gendarmerie ont été envoyés en renfort d'Istres, tandis que 300 autres soldats français étaient arrivés un peu plus tôt du Gabon. Plusieurs centaines de militaires doivent être redéployés pour assurer la sécurité des ressortissants français, essentiellement à Abidjan.
L'essentiel des quelque 4.000 hommes de l'opération Licorne est en effet déployé dans le long de la "zone de confiance", une zone-tampon entre le Nord tenu par les anciens rebelles et le Sud, qu'elle surveille avec les 6.000 casques bleus de l'ONUCI.
La situation a basculé samedi quand deux Soukhoï-25 de l'aviation ivoirienne, qui avait mené les jours précédents des bombardements contre les positions des anciens rebelles, a attaqué un poste de stationnement militaire français à Bouaké, fief rebelle dans le centre du pays.
Neuf soldats français et un ressortissant américain ont été tués et 34 militaires blessés dans cette attaque, la plus lourde subie par l'armée française depuis le début de l'opération Licorne.
Le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin a rendu visite dimanche au régiment d'infanterie chars de marine (RICM) de Poitiers (Vienne), dont cinq des soldats tués faisaient partie. Trois autres français tués appartenaient au deuxième RIMA d'Auvours (Sarthe) et un au 515e régiment du train de La Braconne (Charente). Une cérémonie à la mémoire des neuf militaires français aura lieu mercredi aux Invalides à Paris, selon le ministère de la Défense.
Après le raid, sur ordre du président Jacques Chirac, l'armée française a entrepris samedi la destruction des appareils ivoiriens ayant violé le cessez-le-feu ces derniers jours. Outre les deux avions de chasse Soukhoï, cinq hélicoptères ont été "neutralisés". Des mesures appuyées dans la soirée par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.
La riposte française à cette attaque, qualifiée d'"erreur" par les autorités ivoiriennes, a été suivie d'une nuit de violences notamment à Abidjan, le centre économique du pays et Yamoussoukro, la capitale.
Pour la deuxième journée consécutive, des milliers de "jeunes patriotes", fidèles du président Laurent Gbagbo, certains armés de machettes, de haches et de bâtons sont descendus dimanche dans les rues, se livrant à des déprédations et pillages. Une foule en colère déferlait dans les rues d'Abidjan, érigeant des barricades et brûlant des pneus.
"Nous sommes tous terrifiés et on tente de se rassurer mutuellement", expliquait par téléphone un ressortissant français, qui a requis l'anonymat. "L'ambassade nous a dit de rester chez nous".
Pour protéger les ressortissants français, des navires français ont été positionnés aux abords de plusieurs ponts stratégiques d'Abidjan et l'armée française a pris possession de l'aéroport. Des blindés des forces françaises ont été déployés et l'armée française a utilisé des gaz lacrymogènes et des grenades à percussion pour disperser les foules d'émeutiers. Dans le secteur de l'aéroport, face aux "nombreux débordements de foule", Licorne a procédé à "des tirs d'intimidation", selon l'état-major.
La Croix-Rouge a aidé à soigner 150 blessés à Abidjan, la plupart touchés par balles, d'après un responsable de l'organisation, Kim Gordon-Bates, qui a refusé de s'exprimer sur d'éventuels décès.
Le président de l'Assemblée nationale ivoirienne Mamadou Koulibaly a affirmé que l'armée française a "occasionné une trentaine de morts" et "plus d'une centaine de blessés", un bilan que "rien ne permet de confirmer ou d'infirmer", d'après le colonel Henri Aussavy, porte-parole de "Licorne".
Les troupes françaises ont procédé à de nombreuses évacuations dans la ville et mis en sécurité une centaine de ressortissants au camp français, selon l'état-major des armées. Un hélicoptère militaire français est venu chercher une dizaine de civils réfugiés avec leurs valises sur le toit d'un hôtel d'Abidjan.
Les autorités ivoiriennes ont alterné propos très hostiles et plus conciliants. Mamadou Koulibaly a ainsi demandé que l'opération Licorne "libère le territoire et s'en aille". "Depuis le début de cette crise, nous avons le sentiment et les preuves que c'est Jacques Chirac qui a armé les rebelles", a-t-il dénoncé sur France-Inter.
Quelques heures plus tard, il annonçait que le gouvernement est prêt à un cessez-le-feu et à l'ouverture de négociations. "Cessons le feu sur le front et négocions", a déclaré le numéro deux du régime ivoirien à la télévision nationale.
Après avoir averti la veille que le président Laurent Gbagbo serait "personnellement" tenu responsable de l'ordre public à Abidjan Michèle Alliot-Marie précisait dimanche que les mesures de sécurité étaient prises en liaison avec les autorités ivoiriennes.
"Ensemble, retrouvons le calme", souhaitait pour sa part le ministre français des Affaires étrangères Michel Barnier, qui assurait que la France n'a pas "d'intention cachée" et que son seul projet est "la paix". AP
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