ABIDJAN (AP) - Les violences antifrançaises se multiplient en Côte d'Ivoire, notamment dans la capitale commerciale Abidjan. Pour la deuxième journée consécutive, des milliers de jeunes loyalistes, certains armés de machettes, de haches et de bâtons sont descendus dimanche dans les rues, se livrant à des déprédations et pillages.
Au lendemain de la mort de neuf soldats français et d'un ressortissant américain dans un raid de l'armée ivoirienne à Bouaké (centre), quelque 400 militaires français sont arrivés dimanche en renfort à l'aéroport international d'Abidjan. Les soldats français en ont pris le contrôle samedi soir, après avoir détruit deux avions Soukhoï et cinq hélicoptères de l'armée ivoirienne, en riposte au bombardement gouvernemental quelques heures plus tôt.
En outre, des bâtiments militaires français ont pris position aux abords de plusieurs ponts stratégiques d'Abidjan. Un photographe de l'Associated Press a vu une vingtaine de véhicules lourds transportant des soldats français se diriger vers Abidjan, dont plusieurs quartiers étaient en proie à des incendies.
Les soldats français arrivés dimanche matin viennent renforcer les 4.000 militaires français déployés dans le cadre de l'opération Licorne. Leur priorité, explique-t-on de source française, est d'assurer la sécurisation des 14.000 ressortissants français en Côte d'Ivoire, alors que les "jeunes patriotes", partisans du président ivoirien Laurent Gbagbo, multiplient violences et pillages. Des établissements scolaires et commerces français ont notamment été pris pour cibles.
"Nous avions récupéré ce matin 80 personnes. Là, il y a environ une heure, c'était déjà 150. Nous faisons le maximum, nous sommes là pour eux", a déclaré dimanche en début d'après-midi sur France Info le colonel Henri Aussavy, porte-parole de l'opération Licorne. Une douzaine de personnes, selon des témoins, ont ainsi été évacuées par hélicoptère de l'hôtel Ivoire, un des principaux établissements d'Abidjan.
Plusieurs milliers d'émeutiers ont assiégé dimanche une base militaire française à Abidjan, et cherchaient, maison après maison, des familles étrangères en Côte d'Ivoire. Les militaires français ont dû ouvrir le feu au cours de la nuit de samedi à dimanche pour repousser des manifestants massés sur des ponts, l'aéroport international et la base militaire d'Abidjan, selon le colonel Aussavy.
Une foule en colère déferlait dans les rues d'Abidjan, érigeant des barricades et brûlant des pneus. "Nous sommes tous terrifiés et on tente de se rassurer mutuellement", expliquait par téléphone un ressortissant français, qui a requis l'anonymat. "L'ambassade nous a dit de rester chez nous", a-t-il ajouté.
"A la suite des développements militaires intervenus le 6 novembre, il est vivement recommandé à tout Français résident ou de passage en Côte d'Ivoire de s'abstenir de tout déplacement sauf absolue nécessité, de rester à son lieu de résidence, de se tenir informé et d'observer très attentivement les conseils donnés par le Consulat de France", a expliqué le ministère français des Affaires étrangères.
Les émeutiers étaient galvanisés par les chefs des "jeunes patriotes", qui ont exhorté la population à se soulever. "Nous vous demandons de descendre dans la rue", a demandé sur les ondes de la télévision publique Blé Goudé, chef d'une milice loyaliste.
Pascal Affi Nguessan, président du Front populaire ivorien (FPI, au pouvoir) a également demandé aux "jeunes patriotes, où qu'ils se trouvent, de descendre dans les rues et libérer la Côte d'Ivoire".
Un premier bilan des violences à Abidjan faisait état de 150 blessés, la plupart touchés par balles, a indiqué un responsable de la Croix-Rouge, Kim Gordon-Bates, qui a refusé de s'exprimer sur d'éventuelles décès.
Le président de l'Assemblée nationale ivoirienne Mamadou Koulibaly soufflait de son côté le chaud et le froid, affirmant que la Côte d'Ivoire était prête à un cessez-le-feu après avoir accusé, sur France Inter, Paris d'être de "connivence avec les rebelles".
"Cessons le feu sur le front et parlons", a-t-il lancé à la télévision nationale. Le président Laurent Gbagbo, a-t-il dit, est "ouvert à la discussion, aux négociations". Un peu plus tard, un porte-parole du chef d'Etat ivoirien annonçait que les troupes gouvernementales allaient se retirer des lignes de front. Mamadou Koulibaly a fait état d'une trentaine de morts, côté ivoirien, "occasionnés" par les soldats français, un bilan que "rien ne permet de confirmer ou d'infirmer", d'après le colonel Aussavy.
Samedi, le Conseil de sécurité de l'ONU a exigé l'arrêt immédiat de toutes les actions militaires en Côte d'Ivoire et a confirmé que les casques bleus et les troupes françaises pouvaient utiliser "tous les moyens nécessaires" pour remplir leur mission.
Une réunion d'urgence du Conseil a été décidée après la violation du cessez-le-feu par l'armée gouvernementale ivoirienne qui a bombardé des positions rebelles et les forces d'interposition françaises à Bouaké. AP
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