Jeudi 09/02/2006


Ahipeaud Martial(Membre fondateur de l’UDPCI) : “Je me mets en congé de l’UDPCI” - Parlement
Fraternité Matin 09/02/2006 (note 5/5)

Comment jugez-vous l’action des patriotes face à la décision de fin de mandat de l’Assemblée nationale?


D’abord, je crois que les députés ne sont pas les seuls concernés par la question de la fin du mandat constitutionnel. Dès mars 2006, ce sera le tour des maires puis du Conseil économique et social. Si d’ici à juillet 2007, les élections des Conseils généraux ne se tiennent pas, alors ces derniers aussi seront frappés par la même situation. Ensuite, il faut noter clairement que les députés n’ont plus rien à faire dans la période actuelle, car il s’agit tout simplement d’accélérer la procédure pour organiser les élections.

Vous voulez donc dire que l’action des patriotes n’avait pas sa raison d’être?



Je fais seulement des constats simples. Je voudrais ajouter que si les patriotes voulaient, comme ils le disent, demander au Premier ministre un chronogramme du désarmement, je ne crois pas une seule seconde que la méthode choisie ait été la bonne; d’autant plus qu’il a rencontré plus d’une fois leur leader. En s’attaquant aux forces des Nations unies et surtout en réussissant à démontrer leur “ineffectivité” sur le terrain en cas de crise grave, les patriotes ont fourni les raisons objectives aux rebelles de ne pas désarmer. Car qui les protégerait si une autre crise venait à éclater après le désarmement? En clair, je crois que cette dernière action des patriotes était tout simplement inappropriée et stratégiquement inopportune, pour ne pas dire absolument inutile.

Ne craignez-vous pas que le duo Laurent Gbagbo-Charles Konan Banny se transforme en duel tout au long de cette année de transition?



Je voudrais rappeler que c’est le Président Gbagbo qui a proposé le nom de Banny parce qu’il ne voulait pas des candidats arrivés en tête lors du processus du choix du Premier ministre. Ce faisant, il me semble que Banny, avait un avantage sur les autres. Ce qui explique son choix par le Président Gbagbo. En réalité, ce n’est pas entre Banny et Gbagbo qu’il y a combat. C’est entre la résolution 1633 qui donne la primeur du pouvoir exécutif au Premier ministre de transition et la Présidence qui, du fait du système politique ivoirien est foncièrement présidentialiste, se refuse à faire quelque concession que ce soit. Je ne vois pas comment dans ces conditions on peut parler de tandem, encore moins de duo car cela suppose une entente institutionnelle, alors que la situation actuelle est tout simplement une contradiction fondamentale. Il ne faut pas se faire des illusions, car Gbagbo, comme le disait son ami Doza, est un animal politique et il ne concèdera rien qui fragilise son pouvoir. Or, la résolution 1633 fragilise la Présidence et c’est pour cela que les récentes manifestations étaient en fait une répétition grandeur nature de la confrontation entre le Palais et la Résolution 1633. Je crains que les semaines à venir ne confortent cette analyse.

Qu’a décidé votre parti, l’UDPCI, face à cette situation?


Je profite de cette occasion pour dire clairement que je me mets en congé de l’UDPCI. La division a contribué à faire disparaitre ce grand parti comme force majeure dans le paysage politique ivoirien. C’était l’objectif de ceux qui ont soutenu les différentes tendances dans leur guerre. Vous savez vous-même que le procès est bloqué pour éviter au parti du général Robert Guéi de rebondir. Cette situation a conduit à l’émergence de trois, sinon quatre tendances idéologiques. Pour ma part, j’ai soutenu la légalité et la légitimité en la personne d’Akoto Yao. Cependant, le comportement de certains individus dans son entourage, qui proclament être des républicains en participant aux attaques contre les forces impartiales, nous trouble sérieusement. Je compte dès lors me mettre en réserve pour éviter d’être pris pour ce que je ne suis pas. Le combat continuera sous une autre forme, notamment avec mon organisation, L’Union pour le développement et les libertés, UDL, dont vous pourrez consulter la lecture de la situation actuelle sur le site internet www.udl-ci.org.

Pensez-vous comme certains que les patriotes sont vraiment manipulés par le pouvoir?


Est manipulé quiconque ne sait pas ce pourquoi il lutte ou agit. Or, ce n’est pas le cas des patriotes. Ils sont engagés dans un combat contre toutes les forces qui sont contradictoires au maintien au pouvoir des refondateurs et participent, comme force d’appoint, à cette lutte. Je dirai qu’ils sont aussi les penseurs et les acteurs de la stratégie de l’émeute permanente qu’ils ont, pour la plupart, eu à expérimenter au sein de la FESCI. Je voudrais vous rappeler que je suis malheureusement le père, dans sa conceptualisation et sa mise en pratique, de cette stratégie que j’ai tirée des écrits politiques de Cheick Anta Diop. Je demande pardon aux Ivoiriens pour avoir participé à la création d’un monstre. Non, les patriotes ne sont pas manipulés. Ils savent ce qu’ils veulent. Je ne serai pas étonné qu’ils aient une confrontation interne, parce que les différentes tendances sont peut-être unies autour de la personne du Président Gbagbo, mais leurs visions et objectifs ne sont pas les mêmes. Djué est un pur produit de la gauche stalinienne du Parti populaire, parti fondateur du FPI dissous en janvier 1992. Les autres leaders, je ne sais pas trop, ne sont pas sortis de cette école et leur action est plutôt du situationnisme opportuniste.

L’ONU parle de plus en plus de sanctions. Les croyez-vous nécéssaires?


Je veux bien croire que les sanctions s’imposent pour ramener un peu d’ordre et de self-discipline sur la scène politique locale. On a la nette impression que les gens ne veulent pas qu’on sorte de la crise de part et d’autre. Alors, il faut peut-être remettre en cause les raisons pécuniaires de cette volonté délibérée de faire continuer le supplice des Ivoiriens. Pour nous autres qui sommes dans l’intermédiation internationale, cette crise est mauvaise pour les affaires et il faut en finir le plus tôt possible. Si les sanctions peuvent ramener la raison, alors tant mieux!

Le Président Sassou vient d’être nommé à la tête de l’Union africaine pour un an; pensez-vous que les choses iront un peu plus vite en Côte d’Ivoire?


Je ne vois pas comment la nouvelle présidence de l’UA pourra faire avancer les choses. D’abord parce que le Président Sassou est lui-même très controversé en matière de gestion de crise interne. Je ne veux pas faire de critique mais je crois savoir que c’est l’assaut sur sa résidence par les forces de Lissouba qui avait donné lieu au début de la guerre civile congolaise qu’il a finalement remportée contre le Président en exercice. Ensuite, il y a le grave problème du Beach qui a été survolé en lieu et place d’un vrai jugement! Enfin, il vient d’arriver et le dossier ivoirien est trop compliqué. Je ne crois pas qu’il se mouillera comme ce fut le cas d’Obasanjo ou même de Mbeki. Je suis tout simplement sceptique.
Un mot sur le nouveau Premier ministre Banny?


Je crois que le Premier ministre est venu pour deux raisons. D’abord, au plan spirituel, il est de la maison d’Houphouet-Boigny. Alors, si Dieu a permis qu’il soit là aujourd’hui, c’est bien pour compléter le travail de son père, notre père à tous. Il doit ramener la paix dans ce pays. C’est sa mission spirituelle. Mais, et c’est là le deuxième aspect, il doit travailler à redresser les torts d’hier pour semer la concorde de demain. Le pays est bloqué parce que les Ivoiriens, hier au sein du PDCI, aujourd’hui en plein multipartisme, n’ont pu choisir leur Président. Banny est venu pour que cette lacune historique de l’oeuvre du Père fondateur soit comblée. Et je parle sous l’autorité du Saint-Esprit, nul ne l’empêchera d’accomplir cette œuvre, si ce n’est lui-même. J’espère qu’il comprendra ce que je dis.

Croyez-vous qu’il bouclera sa mission avec succès?


Justement, je crois en lui. Je crois qu’il doit voir la Côte d’Ivoire une et indivisible. Je crois qu’il doit penser global et non sectaire. Je crois qu’il a une idée de sa mission et je suis persuadé qu’il mettra les pièces de son puzzle en place pour travailler comme il se doit. Les compromis, souvent, deviennent des compromissions. Et je crois que la Côte d’Ivoire n’a plus besoin de compromissions mais d’une vision claire et nette: ramener la paix et faire élire un Président par le suffrage universel. Je crois qu’il atteindra ces deux objectifs majeurs.
Des voeux pour 2006?


Mes voeux pour les Ivoiriens sont que nous retrouvions la route de la paix. Notre pays perd, de jour en jour, sa position dans le concert des nations. Le Vietnam nous menace dans notre position dans le domaine de la cacao-culture. Les autres pays ont largement grignoté notre part du marché sous-régional. Notre infrastructure est en lambeaux. Doit-on attendre l’implosion avant de réagir? Je ne crois pas. Il faut réagir maintenant en refusant de donner dans l’extrémisme. J’espère que les Eléphants ne se laisseront pas distraire par les crises internes et qu’ils atteindront leur sommet en Egypte. Je pense qu’ils n’oublieront pas de ramener un peu de joie dans les coeurs meurtris de notre peuple. Paix et prospérité pour notre pays.


Propos recueillis par
Momo Louis
Correspondant à Paris