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Ces huit derniers jours, au fur et à mesure que les manifestations de rue, initialement limitées à la capitale, prenaient de l'ampleur, la répression s'était faite plus brutale. Un photographe chilien est mort, mardi, asphyxié par des gaz. En fin de journée, mercredi, la police et la pluie ayant dispersé les derniers manifestants, le nouveau président a pu quitter l'immeuble où il avait prêté serment quelques heures plus tôt.
Lors de sa première conférence de presse, Alfredo Palacio a promis, sur un ton énergique, de "dialoguer avec le peuple", de réformer l'Etat et de respecter strictement la Constitution. "Je suis votre seul espoir", a-t-il déclaré. Médecin cardiologue, sans expérience ni filiation politique, le docteur Palacio assume ses fonctions dans un pays marqué par une instabilité chronique : il est le sixième président que connaît l'Equateur en huit ans.
Dans la matinée, faute de pouvoir pénétrer dans le Parlement encerclé par les manifestants, les députés s'étaient réunis dans un immeuble du centre de Quito. Sur les 62 parlementaires présents (ils sont 100 au total), 60 ont voté la destitution du président Lucio Gutierrez pour "abandon de ses fonctions".
"D'un point de vue constitutionnel, la décision est évidemment contestable, mais nous n'avions pas d'autre choix : il fallait rétablir le calme dans le pays et éviter un bain de sang", reconnaît un assistant parlementaire. Le ministre de la défense, le général Nelson Herrera, a alors annoncé que les forces armées retiraient leur appui au président. En début d'après-midi, les radios annonçaient que Lucio Gutierrez avait été évacué en hélicoptère du palais du Carondelet, siège du gouvernement. Des centaines de manifestants se sont alors précipités pour bloquer l'aéroport international de Quito. Les vols commerciaux ont été suspendus. "Nous empêcherons Gutierrez et tous les corrompus de quitter le pays", expliquait un des manifestants installés sur la piste, qui applaudissait en apprenant qu'un juge d'instruction venait de délivrer un mandat d'arrêt contre le président destitué. Mais le Brésil annonçait, en début de soirée, que M. Gutierrez avait trouvé refuge dans son ambassade à Quito.
Porté à la présidence de la République en 2003, après avoir promis de refonder la politique, d'oeuvrer pour les pauvres et de lutter contre la corruption, l'ancien colonel putschiste a vite déçu. "Faute d'expérience politique, faute d'une majorité solide au Congrès, Lucio Gutierrez s'est maintenu au pouvoir en trahissant ses alliés, les Indiens, qui avaient appuyé sa campagne, en s'alliant successivement avec tous les partis, en usant des pires pratiques politiciennes", commente le politologue Simon Pachano. Selon lui, "le mélange d'incompétence, de népotisme et de corruption a suscité l'indignation".
BLOUSE BLANCHE
Lucio Gutierrez a déchaîné la colère de ses concitoyens en prenant, le 8 décembre 2004, le contrôle de la Cour suprême, pour obtenir que soient amnistiés deux anciens présidents accusés de corruption et éviter d'être lui-même inculpé. Une majorité circonstancielle de députés a renvoyé 27 des 31 juges de la Cour. Le 17 avril, une autre majorité de parlementaires a annulé la restructuration de décembre.
En dépit de l'instabilité politique, l'économie équatorienne va en revanche plutôt bien. L'envolée des prix du pétrole, qui fournit 40 % des recettes de l'Etat, et les transferts de fonds réalisés par les deux millions d'émigrés (sur 13 millions d'Equatoriens) ont permis à Lucio Gutierrez d'afficher des résultats honorables. L'inflation est jugulée et les tarifs des services publics n'ont pas augmenté. Comme le note Simon Pachano, "cette fois-ci, ce ne sont pas les secteurs les plus défavorisés qui sont descendus dans la rue, mais une certaine classe moyenne urbaine, désormais exigeante en matière de démocratie et de transparence".
Alfredo Palacio est pour sa part entré en politique sur le tard, après avoir exercé la médecine pendant quarante ans. Les Equatoriens se souviennent qu'il a fait campagne en blouse blanche, derrière un ex-colonel Gutierrez souvent en treillis.
A peine nommé, le docteur Palacio s'est démarqué du président, dont il critiquait le virage à droite. Mais il reste sans véritable appui au sein de la population, ni soutien des partis.
Tout en accordant l'asile à Lucio Gutierrez, réfugié dans son ambassade à Quito, le Brésil a déclaré "suivre avec préoccupation le cadre politique constitutionnel". Brasilia encourage l'Equateur à trouver "une solution pacifique, qui assure la normalité institutionnelle". Le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, "demeure inquiet de la violence dans le pays" et appelle "à engager un dialogue urgent pour le rétablissement total de l'Etat de droit".
L'Organisation des Etats américains (OEA) a convoqué une réunion extraordinaire de son Conseil permanent, qui devait se tenir jeudi 21 avril. A Cuba, Fidel Castro estime que la chute de Lucio Gutierrez était "prévisible", car il était devenu un "allié de l'empire" -américain-. (EFE.)