QUITO (LatinReporters.com) - La destitution du président Lucio Gutierrez, auquel a succédé mercredi le vice-président Alfredo Palacio, confirme l'instabilité de l'Equateur. La crise menace ses voisins, la Colombie et le Pérou, deux pays dont les gouvernements sont les seuls considérés aujourd'hui comme pro-américains en Amérique du Sud.
Destitué par la majorité du Congrès des députés et abandonné par l'armée après une semaine de manifestations qui ont fait trois morts et plus de cent blessés à Quito, le déjà ex-président équatorien Lucio Gutierrez fuyait mercredi en hélicoptère le palais présidentiel et se réfugiait à l'ambassade du Brésil, pays dont il sollicite l'asile politique.
Après avoir prêté serment comme nouveau chef de l'Etat, le vice-président Alfredo Palacio, cardiologue de 66 sans affiliation politique, a promis de "refonder la République". Il envisage de convoquer un référendum sur une nouvelle Constitution.
La crise actuelle découle du vaste dégoût populaire à l'égard de la corruption et de l'incapacité gouvernementale contre la misère. Il est difficile de prévoir si, dans les jours et les semaines qui viennent, l'Equateur sera classé "à gauche" ou "à droite". A Quito, les dizaines de milliers de manifestants conspuaient l'ensemble de la classe politique en criant "Qu'ils s'en aillent tous".
Ex-colonel putschiste de 48 ans, Lucio Gutierrez fut considéré comme "le Chavez équatorien" lorsqu'il remporta les élections présidentielles de 2002, promettant une lutte sans merci contre la corruption et la pauvreté, qui frappe près de 80% des 13 millions d'Equatoriens.
Comme le président vénézuélien Hugo Chavez, ex-officier putschiste lui aussi, Lucio Gutierrez souleva un immense espoir populaire, surtout au sein de la forte minorité indienne, qui constitue entre 30 et 40% de la population de l'Equateur.
Mais à la différence d'Hugo Chavez, Lucio Gutierrez n'a jamais pu s'appuyer sur une majorité parlementaire propre. Son parti, la Société patriotique, ne put faire élire en 2002 que 5 députés sur les 100 du Congrès.
A la recherche d'alliances, Lucio Gutierrez tenta de soumettre le pouvoir judiciaire, au profit notamment de l'ex-président Abdala Bucaram, revenu le 2 avril dernier de son exil panaméen après avoir été amnistié du délit de corruption. Ce retour mit le feu aux poudres, déclenchant à Quito les émeutes qui ont forcé Lucio Gutierrez à fuir.
Contrairement encore à Hugo Chavez, Lucio Gutierrez s'était rapproché des Etats-Unis. Il négociait avec Washington un traité de libre-échange et ne remettait en question ni la dollarisation impopulaire de l'Equateur ni l'utilisation par l'aviation américaine de la base militaire de Manta, sur la côte pacifique équatorienne, plate-forme de l'espionnage aérien contre le narcotrafic et la guérilla colombienne.
Dès 1999, un porte-parole de la guérilla marxiste des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie), Rodolfo Gonzalez, assimilait la base de Manta à "un poste avancé de l'impérialisme gringo". La guérilla colombienne n'a pas pardonné à Lucio Gutierrez l'arrestation de l'un de ses chefs, Simon Trinidad, interpellé le 2 janvier 2004 à Quito par la police équatorienne et livré aux autorités colombiennes, qui l'ont extradé aux Etats-Unis pour y répondre de l'accusation de narcotrafic.
Avant cet épisode, des émissaires des FARC tenaient ouvertement des conférences de presse à Quito. Voisin de la Colombie, l'Equateur était, pour les rebelles colombiens, une base arrière naturelle et un couloir à peine clandestin d'approvisionnement en armes. L'instabilité politique actuelle pourrait rendre à l'Equateur ce rôle déstabilisateur pour la Colombie, principal allié politique et militaire des Etats-Unis en Amérique du Sud.
Quant à l'autre voisin de l'Equateur, le Pérou, le voilà ébranlé sur son flanc nord par le tourbillon équatorien, comparable à celui qui, sur son flanc sud, avait débouché sur la fuite aux Etats-Unis, en octobre 2003, du président bolivien néolibéral et pro-américain Gonzalo Sanchez de Lozada.
Lui-même proche des Etats-Unis, sur lesquels il s'appuie pour empêcher la renaissance de la guérilla maoïste du Sentier lumineux et avec lesquels il négocie aussi un traité de libre-échange, le président péruvien Alejandro Toledo est menacé par diverses accusations de corruption. Sa popularité s'est effondrée au-dessous de 10%. Les événements d'Equateur et de Bolivie le fragilisent davantage.
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