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Banlieues: des jeunes, sans visages, refusant le modèle social français
Sans revendications, sans idéologie déclarée, sans porte-parole et même sans visages: les jeunes qui ont déclenché ces émeutes en banlieue, du jamais vu en France, ont en commun leur refus du modèle social français, remarquent plusieurs intellectuels de renom.
Pour le sociologue Alain Touraine, »nous sommes actuellement dans une phase de désintégration marquée à la fois par le rejet des groupes minoritaires et par le repli communautaire».
»Il n'est donc pas étonnant, dit-il, que ces jeunes de banlieue agissent négativement par l'émeute». »Ils n'ont pas le désir de changer mais de casser».
»Le mouvement actuel, explique-t-il, est à l'opposé de la marche des Beurs en 1983. On était alors en pleine phase d'intégration, de montée de confiance. Les 100.000 personnes qui avaient alors participé à cette marche pour l'égalité étaient tous culturellement français. Maintenant, les jeunes de banlieue disent: on ne se sent plus français».
»Ces jeunes en banlieue, remarque aussi Michel Wieviorka, sociologue spécialiste des violences urbaines, sont le fruit d'une décomposition qui dure depuis 25 ans». »Nous avons affaire maintenant à des conduites de crise».
L'explication? Pour Alain Touraine, qui avait analysé les émeutes de Vaulx-en-Velin en 1990 - elles étaient restées localisées - »il y a maintenant, en France, des phénomènes de ségrégation dans l'espace, de ghettos. Avant, il n'y avait pas de quartier homogène. Aujourd'hui, il y a des quartiers entiers ou l'on ne vend ni vin ni porc».
Ce phénomène de ghettoïsation est aussi souligné par l'architecte urbaniste Roland Castro, chargé, sous François Mitterrand, de s'occuper de rénovation urbaine: »Il y a 25 ans déjà, on observait un énorme problème urbain, des problèmes liés à notre histoire coloniale, des quartiers de pauvres, souvent noirs et maghrébins. Aujourd'hui, la situation a empiré: les pauvres, toujours noirs ou maghrébins, pauvres blancs aussi, sont deux fois plus chômeurs que les autres dans des quartiers moches et remplis de familles monoparentales».
A Roland Castro qui dénonce »l'état général du tribalisme de la société», »celui de Neuilly-Auteuil-Passy comme celui de Clichy-Montfermeil», répond en écho Alain Touraine qui constate »les multiples manifestations de rejet, de l'école et de nombreux profs par exemple, à l'égard des jeunes issus de l'immigration».
Partout, souligne-t-il, »il y a des signes de rupture avec le pacte social français» et »un repli communautaire net».
»La population d'origine musulmane s'est beaucoup transformée», ajoute-t-il. Il en veut pour »preuve» la situation des filles »qui s'est complètement dégradée en dix ans. Une fille, il y a dix ans, pouvait se balader en jupe, en tenant la main d'un garcon. Aujourd'hui, c'est totalement impossible. Son frère lui casserait la gueule».
»Ce qui se passe en ce moment n'est ni économique ni religieux, estime-t-il aussi. Les autorités religieuses se sont d'ailleurs placées du côté de l'ordre. Elles, elles tiennent à l'intégration».
Pour Michel Wieviorka aussi on assiste à »un déclin historique de notre modèle social. C'est quelque chose de très profond», estime-t-il, considérant que »la violence se manifeste dans les quartiers où les problèmes sont les plus condensés».
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