Le Gri-Gri
no.43 - 17 novembre 2005

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Allô banlieue ? ici gri-gri... j’écoute

 

La Rumeur : " On rétablit des lois d’exception. La télé, c’est l’ORTF "

Présents sur la scène rap depuis plus de dix ans. Une crédibilité incontestée. Traînés devant les tribunaux par le ministère de l’Intérieur pour avoir dénoncé les bavures policières. Des textes sans équivalent en France sur le plan politique. Des actions avec le M.I.B. (1) ou les Indigènes. La Rumeur et son "rap de fils d’immigrés" était le client idéal pour le Gri-Gri… Rencontre avec Ekoué et Hamé.

Pourquoi on vous entend si peu depuis le début des émeutes ?
Hamé : Il y a une récupération, de petits intérêts particuliers, une sorte de classe moyenne artistico-culturelle, plus ou moins issue de l’immigration… Et c’est eux qui ont la visibilité.
Ekoué : Ça permet de mieux nous resservir la soupe des "Français issus de l’immigration non-intégrés". Soyez des Français et tout ira bien.
H. : Les mecs qui brûlent des bagnoles sont très bien intégrés, ce sont des Français. Mais intégrés au sous-sol.
E. : Quand les agriculteurs déversent leurs récoltes dans la rue, c’est pas le même gâchis ? On a vu à la télé un jeune demander pourquoi Sarkozy ne va pas "provoquer" en Corse… Sur le plan médiatique, voir des flics blancs taper sur des Blancs… Et quand on sait le poids des Corses en Afrique, toucher à la Corse, c’est toucher à la France. Alors que des intérêts financiers en banlieue, y’en a pas.

Pourquoi les mecs ne viennent pas casser dans Paris ?
E. : Pour qu’ils sortent de leurs cités, déjà, c’est compliqué. Ce qui inquiète Poivre d’Arvor, quand il interroge Villepin, c’est de savoir si nos centres-villes sont menacés. On est tous d’accord, symboliquement, c’est ici, dans Paris, qu’il faudrait casser, c’est ici qu’il y a le pognon…
H. : Ensuite, on sait ce qui va se passer. On va saupoudrer la banlieue de fric. Acheter la paix sociale.

SOS Racisme a récupéré en 86 les mouvements qui avaient débouché sur la Marche pour l’Égalité… Mais les militants d’alors étaient politisés. Pas ceux-là…
H. : En plus, il n’y a pas de leader-récupérateur identifié. N’importe qui peut s’approprier cette colère.
E. : Quand on en est à demander à la deuxième religion de France de régler les problèmes des quartiers, c’est un aveu d’échec de la République.
H. : D’ailleurs, c’est l’U.O.I.F. (2) — donc Sarkozy, puisqu’il leur a donné leur légitimité —, donc l’islam, qui sert d’extincteur.
E. : Comme en Afrique noire on a utilisé les marabouts.

Vous diriez quoi à un mec qui "casse" en ce moment ?
E. : C’est toujours délicat… On sait qu’ensuite il va se prendre tout dans la gueule, ça va être hardcore pour lui… Je lui dirais de se politiser, de savoir pourquoi il fait ça. J’en croise. Certains me disent : "Avec ce que les Français font en Afrique, c’est un juste retour des choses." Ce discours-là m’intéresse. Parce que, franchement, des voitures qui brûlent, à côté de l’ingérence de la France sur le continent africain, des guerres, des charniers, c’est rien. Symboliquement, ça se passe presque au moment où sort la loi [dite du 23 février 2005] sur les bienfaits de la colonisation…

Comment interprétez-vous le relatif silence des antiracistes institutionnels ?
H. : De la part de la gauche, l’idée c’est rester dans le rôle d’opposition, en égratignant, mais un peu seulement. Le PS est d’accord avec l’état d’urgence et le couvre-feu — honteuse mesure d’exception, prise pendant la guerre d’Algérie… Quand on parle de "l’héritage colonial", on nous trouve caricaturaux. À Clichy-sous-Bois, où les deux gosses sont morts, le maire, PS, a mis dans les pattes des familles des gosses un avocat ami personnel de Hollande. En restant prudent, SOS [Racisme] y va. Un peu.

E. : Ça dépasse les clivages gauche-droite. À part reprocher à Sarkozy de mettre de l’huile sur le feu, on s’entend sur l’essentiel. Nous, on a joué à Evreux, à Mantes-la-Jolie, ce sont des poudrières. Si pour quelques bagnoles on s’effraie, qu’est-ce que ce sera si les mecs font tout péter ?
H. : Tout péter avec un objectif politique serait quand même plus bandant.

Quand Sarkozy a débarqué à Argenteuil, la première fois, vous avez pensé quoi ?
H. : C’était un prélude. Il est en campagne, par rapport à l’électorat d’extrême droite : "Pas besoin de Le Pen, je n’ai pas peur. Je suis même prêt à me faire caillasser…" C’est ce qu’il avait fait, en allant au Bourget, aux rencontres de l’U.O.I.F., réactiver le débat sur le voile… Il était sûr de s’y faire siffler. Ce qui se passe est suscité par lui. Le jour de la mort des deux gosses, il les traite de cambrioleurs… En fait, les deux s’apprêtaient à rompre le jeûne, les flics sont arrivés pour un contrôle d’identité… Sachant que ça peut mal tourner, les mecs se sont barrés pour s’éviter ça et être chez eux pour la rupture du jeûne. Il s’agit d’une bavure. Point.
E. : Villepin semble avoir une posture plus apaisante. Mais, en Afrique, il a plus de sang sur les mains que Sarkozy… Lui, c’est le Rwanda. Et ça, c’est pas du passé… La nouvelle habitude consiste à se confiner dans le passé, dénoncer le colonialisme pour ne pas évoquer le néo-colonialisme. Moi, j’en ai rien à foutre des 150 ans de la fin de l’esclavage… Il ne faut pas que le rapport au passé occulte le véritable débat.

Vous m’avez parlé d’une émission de télé déprogrammée…
H. : Il était prévu sur France 2 un débat, monté par Ardisson. On nous a contactés. En haut lieu finalement, il a été décidé que ça n’aurait pas lieu…
E. : C’est très cohérent. On rétablit des lois d’exception, datant de 1955. La télé, c’est l’ORTF.


Que répondez-vous à ceux qui disent que la violence ne résoud rien ?
H. : Comme Disiz la Peste ? (rires) Le monde avance comment si ce n’est pas par la violence ? Kool Shen (ex NTM) a bien répondu dans une émission : si on insufle 100 millions d’euros, c’est bien parce que les mecs ont cassé…

Le mot de la fin ?
E. : Ne parlons plus d’émeutes, mais de révolte. Il y a un côté "marxiste"… Ils s’en prennent à des symboles. La voiture, c’est l’individualisme et la propriété. Les écoles… C’est là qu’on fabrique l’échec. Et toutes les grandes enseignes, genre Saint-Maclou, qui bénéficient des zones franches, et embauchent rarement les gens issus des quartiers.

Propos recueillis par Grégory Protche

1 - Mouvement pour l’Immigration des Banlieues
2 - Union des Organisations Islamiques de France

PRINCE POKOU
Jumelons Clichy et Bouaké !

Le baron des nuits africaines, le prince de la lecture entre les lignes et le roi du recueil de confidences, le Prince Pokou est de plus en plus en forme… Sur TF1-PPDA, Villepin s’est exprimé comme un président du Conseil de la IIIe République lisant un texte d’ancien élève de la France d’Outre–Mer. Pourtant, lorsqu’il quitta l’ENA pour le Quai d’Orsay, il apprit à être plus circonspect. Sous la férule de Mitterrand-Cheysson, Galouzeau allait devenir un fervent pro-Arabe. Mais voilà que 20 ans après, Premier ministre français, ex de l’Intérieur et des Affaires étrangères, "spécialiste" de l’Afrique, il se prend en pleine gueule la révolte des jeunes issus de l’immigration, les excès de Sarko et l’évanouissement de Jacquot. Alors, Villepin sonne la charge et, après "les cent jours", décrète le couvre-feu national, entouré des Maréchaux Sarko, Alliot, Borloo, et du Grenadier-flambeau Azouz Begag. Manque de pot, on n’est pas à la Star’ Ac ou à la ferme-tagueule-des-célébrités, Jamel Debbouze et Joey Starr ont plus de public que gros Raoult, patapouf Gaudin et tous les ministres de la répression. Certes, il y a des morts et c’est un drame qui n’a rien à voir avec la télé réalité. Mais c’est Bouygues et Giscard qui ont inventé le regroupement familial. 

C’est Barre, Deferre et Mauroy qui ont accéléré la venue toujours plus importante de nos frères fuyant la misère, la maladie et la faim. Même lorsque Rocard, dans ses inimitables borborygmes, édictait que la France "ne pouvait accueillir toute la misère du monde", Bérégovoy et Balladur poursuivaient ardemment le peuplement de tristes banlieues. Chirac, patron du SAMU Social, voulut, en 1995, réduire la fracture sociale. En paroles. En 2002, réélu façon Eyadéma avec 82%, il ne forma pas un gouvernement de rassemblement national, il donna Matignon à la grenouille de Poitou-Charentes. Confia la sécurité des Gaulois à son ennemi Sarko et demanda à la "Folle du régiment" d’aller s’occuper de la Licorne chez Gbagbo. Le bon Laurent, lui, face à ses émeutiers et à ses rebelles-racailles, n’aurait jamais eu l’idée de confier le ministère de l’intérieur ivoirien à Soro Guillaume. Jacquot ! Tu devrais demander à Simone Gbabgo de venir présider à Marcoussis la table ovale française de la réconciliation avec les Maghrébins, Africains, Asiatiques et autres Pakistanais.
P.S. : Pourquoi ne pas jumeler Bouaké avec Clichy-sous-Bois ?
SAR Pokou

Droit de vote
Étrangers, le Droit d’élire

À l’heure où la France devient un cimetière de voitures calcinées, au milieu de l’hystérie politique et sécuritaire, une petite voix sarkozienne évoque, entre deux expulsions, la vieille question du "droit de vote aux étrangers". Espérant donner vie à un débat à peine amorcé, Le Gri-Gri propose deux éclairages sur le sujet : le point de vue des Indigènes de la République et…… celui de membres concernés de l’équipe du Gri-Gri !

À la santé des étrangers !

Dans un petit bar proche de la rédaction du Gri-Gri, ceux qui fabriquent votre journal se mettent à table sur la question du "droit de vote aux étrangers" : Mil’Pat, dessinateur congolais, Gnim, journaliste togolais, et Khalid, le coup de crayon marocain. Mil’Pat commence par raconter à Gnim son premier vote à Kinshasa…
- Il y avait un bulletin rouge si tu étais pour, et un bulletin vert si tu étais contre.
- Ah, c’était pour un référendum ?
- Mais non ! C’était la présidentielle sous Mobutu. Et ceux qui votaient vert, je t’assure qu’on les revoyait plus…
- Au Maroc, c’est pareil, rigole Khalid. C’est pas la peine de voter, les élections sont pliées d’avance. C’est pour ça que je trouve que ça vaut le coup de voter en France. Ça change vraiment quelque chose !
- Oui, s’emporte Pat, moi j’aimerais bien voter aux élections locales ! Tu fais partie de la vie de la cité, tu es respecté. Étant réfugié politique, je ne suis ni congolais, ni français. "Apatride", comme ils disent. J’aimerais bien qu’au moins, dans mon quartier, je puisse avoir mon mot à dire sur le logement, les crèches… Qu’on arrête de me voir comme un "Noir" de plus…
- C’est pour ça que j’encourage ma femme à voter, renchérit Khalid. Elle est française, d’origine marocaine. Elle a la nationalité. On n’est pas du tout d’accord politiquement, mais je lui ai dit, si tu peux voter : fais-le ! Ou alors ne le fais pas, mais à ce moment-là, aies une vraie réflexion sur l’abstention. T’es pas d’accord Gnim ?

- Non. Moi je suis Togolais. Je suis marié à une Française : quand je veux, je peux avoir la nationalité, et le droit de vote avec. Mais j’ai pas envie. Je tiens à ma culture, à mes origines. Les gens croient que tous les Africains veulent être français, c’est pas vrai...
- Mais ça te plairait pas de pouvoir voter ?
- Je vais plus loin. Je suis pour que tous les habitants des anciennes colonies françaises aient le droit de vote aux présidentielles françaises ! Ce serait normal. Au Togo, en 2002, on a prié pour que ce soit Jospin qui devienne président de la France. Tu sais pourquoi ? Parce qu’on savait que s’il gagnait, il nous foutrait la paix. Que le Togo serait libre. C’est pas Eyadéma qui dicte la politique dans notre pays : c’est l’Élysée.
Khalid médite.
- C’est vrai que les Français, au Maroc, c’est les rois. Quand ils viennent chez nous, ils sont traités comme des princes. L’administration n’existe pas pour eux : ils sont chez eux. Alors qu’ici, la question du droit de vote aux étrangers est soulevée en même temps que le problème des banlieues. Comme si c’était la question du droit de vote aux racailles.
- Exactement. C’est discriminatoire, confirme Gnim. Et puis le droit d’élire, c’est une chose, mais le droit d’être élu, on n’en parle toujours pas...
La discussion se poursuit. On ne boit que de l’eau, évidemment. D’ailleurs, c’est tellement sérieux tout ça, qu’on va reprendre une tournée…
Propos recueillis par Anna Borrel

Pour une citoyenneté de résidence

Depuis plus de trente ans, les associations issues de l’immigration revendiquent l’accès aux droits politiques en général et le droit de vote en particulier. Sans celui-ci, en effet, les intéressés restent une population de seconde zone, que l’on peut traiter différemment des autres citoyens. Sans celui-ci, l’immigration et ses enfants peuvent être pris en otage à chaque échéance électorale. Il est ainsi possible, sans aucune conséquence dans les urnes, de dire tout et n’importe quoi sur cette composante de la société. Il est ainsi fréquent de les voir présentés comme responsables de tous les maux de la société, c’est-à-dire de les offrir en " boucs émissaires ". Gageons que si ces citoyens avaient le droit de vote, la prudence serait beaucoup plus forte du côté des candidats aux différentes élections.
Le refus d’accorder le droit de vote est issu d’une confusion entre deux réalité : la nationalité et la citoyenneté. Or la première n’est qu’un statut juridique alors que la deuxième renvoie à la sphère politique. Il n’y a aucune raison légitime pour que les droits soient liés à la nationalité. À l’inverse, habiter durablement sur un territoire, c’est y avoir des intérêts, c’est-à-dire une opinion légitime sur les décisions qui s’y prennent et qui ont des conséquences sur la vie quotidienne. À l’évidence, la citoyenneté de résidence est plus cohérente avec les sociétés contemporaines - dans lesquelles cohabitent de plus en plus des personnes d’origines et de nationalités différentes - que la citoyenneté nationalitaire actuelle. 

La construction de l’Europe a déjà conduit à accorder le droit de vote aux résidents européens, créant ainsi une injustice encore plus insupportable. Aujourd’hui, un Sénégalais résidant en France depuis 30 ans peut être exclu du droit de vote, alors qu’un Allemand présent depuis 3 mois y aura accès.
Le droit de vote était dans le programme du candidat Mitterrand en 1981. Il a été oublié une fois celui-ci élu à la présidence de la République. Depuis, démagogiquement, il ressurgit dans la bouche de tel ou tel homme politique pour être ensuite rapidement oublié. Cela souligne, une nouvelle fois, qu’un droit n’est jamais acquis. Il est toujours le résultat d’une lutte. Sans cette lutte, le droit de vote finira sans doute par être accordé mais avec des restrictions et des conditions qui le dévitaliseront. À nous de nous battre pour un droit de vote sur la base de la seule condition du séjour, et à toutes les élections.
Saïd Bouamama est sociologue. Il est l’un des initiateurs du mouvement des " Indigènes de la République ".
Pour en savoir plus : http://www.indigenes.org/

Lettre ouverte d’un ancien soixante-huitard admiratif aux " racailles "

Chers émeutiers…
En tant qu’ancien combattant de mai 68, je suis obligé de vous tirer mon chapeau.
Sans organisation, sans leaders, sans mots d’ordre, sans slogans, sans banderoles, vous avez fait plier le gouvernement. Sans rien demander vous avez tout obtenu. "Prévention", "proximité", "associations"… Tous les mots honnis du sarkozisme reviennent en grâce. Des crédits pourraient même inonder les quartiers... En mettant le feu, vous avez grillé les partis politiques. Défilant sagement entre la République et la Bastille, vos effectifs auraient été ridicules. Quelques cocktails Molotov plus tard, les télés ne parlent que de vous. Plus fort que les dockers de Marseille ou les marins de la SNCM…
Même le dernier disque de Johnny est passé au second plan…
Vous avez eu raison de ne pas franchir le périph’ pour mettre le feu aux Champs Elysées. Comme le disait Mao, ou Périclès, il faut imposer son terrain à l’ennemi. Les médias du monde entier ont pris le chemin de vos cités. Même à Oulan Bator, on connaît maintenant l’existence de Clichy-sous-bois !
C’est très fort. Le bilan politique de ces quinze jours est impressionnant. Vous avez déstabilisé Sarkozy, rendu l’Elysée aphone et fait apparaître Villepin-Sarko-Chirac dans leur plus mauvais rôle : "les trois maudits."
Quant à l’absence de femmes dans votre mouvement, je crois qu’elle était très calculée. Habile division du travail... Les garçons au baston tandis que les frangines offrent le thé aux journalistes pour causer ascenseur social…
Tout cela à cause d’une bande de glandeurs irresponsables et apolitiques ! Je serai franc : cela me gêne quelque part. Il me faut revoir quelques concepts de base. Je crois toujours que c’est le peuple qui fait l’Histoire. Mais je dois admettre que c’est la racaille qui fait l’actualité.
Fredo Manon Troppo

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