BAGDAD (Reuters) - L'Irak a sombré davantage dans le chaos vendredi au fur et à mesure de l'avancée des troupes
américaines et de la désintégration du pouvoir central.
Au 23e jour de guerre, les forces de Washington et leurs alliés kurdes ont achevé leur conquête du Nord irakien en capturant
Mossoul mais Bagdad et d'autres villes ont basculé dans l'anarchie.
La Maison blanche a estimé que le gouvernement de Saddam Hussein avait perdu tout contrôle à l'exception de poches de
résistance principalement autour de Tikrit, ville natale du "raïs" à 175 km au nord de Bagdad et dernier grand objectif
stratégique des forces anglo-américaines, que l'aviation continuait de bombarder.
Mais l'administration Bush se refuse encore à crier officiellement victoire, s'attend encore à de rudes combats et demeure
concentrée sur la phase militaire de son intervention avant d'envisager celle de la reconstruction.
Dans le Nord, Mossoul, troisième ville du pays, est tombée en matinée sans coup férir, au lendemain de la chute de Kirkouk, le
grand centre pétrolifère voisin, que les Kurdes ont promis d'évacuer pour ne pas irriter la Turquie.
Mais quelques heures après l'entrée des "peshmergas" dans la ville de plus d'un million d'habitants, violences et pillages se
sont répandus dans les rues.
DES DIZAINES DE CADAVRES DANS LES RUES
A Bagdad, "c'est l'anarchie", a témoigné un correspondant de Reuters dans la capitale où des hommes en armes errent dans les
rues en tirant sur les passants et où des bâtiments officiels et commerciaux sont en flammes.
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) doute que les hôpitaux, débordés par l'afflux de blessés ces derniers jours,
soient en mesure de fonctionner en raison des saccages et du manque de personnel médical.
A Medina-Saddam, gigantesque quartier pauvre à majorité chiite du nord-est de la capitale, des combats auraient opposé dans
la nuit des habitants chiites à des Fedayine de Saddam, une milice restée loyale au "raïs" disparu, selon des sources militaires
américaines.
Les Marines présents en ville assistent aux pillages sans intervenir, des dizaines de cadavres gisent dans les rues ou dans des
voitures détruites par les forces américaines dans leur progression éclair vers le centre-ville.
Aux yeux de nombreux Bagdadis, les Etats-Unis semblent n'avoir absolument pas réfléchi aux conséquences de la vacance du
pouvoir provoquée par le renversement de Saddam Hussein.
Le système de quadrillage mis en place par le régime pendant 24 années signifie que nombre d'habitants ont collaboré avec
l'ancien pouvoir et se sont fondus dans la population. Certains participent aux pillages. "Elle a travaillé ici, elle n'a pas le droit
de le prendre", s'est écrié une habitante en agrippant une autre femme dérobant du matériel dans un bureau administratif.
Dans des quartiers de la ville, des groupes d'habitants ont constitué des milices et érigé des barrages pour se protéger.
Dans le Sud, à Bassorah, deuxième ville du pays, les forces britanniques ont abattu jeudi cinq pilleurs de banque.
"SOIT MORTS, SOIT EN FUITE"
Aux actes de pillage s'ajoute le spectre de violences claniques ou ethniques, soulignée jeudi par le lynchage du dignitaire
chiite Abdou Madjid al Khoei dans la mosquée sacrée abritant le tombeau d'Ali, peut-être inspiré par un clan rival.
Dans le Nord, Mossoul est le siège d'une rivalité historique entre populations arabe et kurde. Kirkouk est revendiquée par les
Kurdes comme leur capitale historique, mais aussi par la minorité turcophone locale.
Ankara a ouvertement manifesté son inquiétude après l'entrée des "peshmergas" dans Kirkouk. Les Etats-Unis l'ont informé
que les Kurdes se retireraient de la ville mais en attendant des renforts, les forces américaines n'avaient apparemment pris le
contrôle vendredi soir que de l'aéroport de la ville et des gisements pétroliers avoisinants, qui représentent 40% de la
production nationale.
A Mossoul, les Kurdes et Américains sont entrés sans coup férir et l'ensemble du Ve corps d'armée irakien se serait rendu,
selon le commandement central américain au Qatar.
Mais la présence militaire dans la ville est semble-t-il très réduite alors que des écoles, des bâtiments publics et un marché
local ont été incendiés.
Les dirigeants irakiens, eux, restent introuvables. "Soit ils sont morts, soit ils ont détalé comme des lapins", a déclaré le
général américain Tommy Franks, commandant de l'offensive, qui s'est rendu vendredi en Afghanistan.
Au commandement central américain au Qatar, on indique qu'une liste de 55 noms de responsables recherchés "morts ou vifs"
avait été distribuée aux GI's. Certains dirigeants pourraient avoir tenté de fuir à l'étranger, ajoute-t-on.
Un avion américain a largué six bombes guidées par satellite sur la résidence de Barzan Ibrahim Hassan el Tikriti,
demi-frère de Saddam Hussein et ancien chef des Moukhabarat, les services de renseignement, à Ramadi, à 110 km à l'ouest de
Bagdad.
Les Etats-Unis vont tenter d'organiser une réunion de dirigeants de l'opposition dans la semaine à venir en présence de
l'envoyé spécial de Washington sur l'Irak, Zalmay Khalilzad.
De leur côté, les trois chefs de file du camp opposé à la guerre, Jacques Chirac, Vladimir Poutine et Gerhard Schröder se
sont réunis à Saint-Pétersbourg pour réaffirmer leur souhait de voir les Nations unies jouer un rôle prépondérant dans
l'après-Saddam.