BAGDAD (Reuters) - Les forces américaines et britanniques s'efforçaient samedi de ramener l'ordre dans les grandes villes
irakiennes en proie à l'anarchie et aux pillages, qui n'épargnent pas plus les hôpitaux que les écoles, les ministères ou les magasins.
A Bagdad, soldats et chars américains ont pris le contrôle du dernier bastion connu des combattants arabes non irakiens fidèles à
Saddam Hussein dans le centre-ville. Une semaine après le début de la bataille pour la capitale, les Marines ont annoncé des patrouilles
dans certains quartiers et un couvre-feu partiel à l'est du Tigre pour réduire les pillages.
"Nous devons faire cesser les pillages d'une façon ou d'une autre", déclarait le lieutenant-colonel Jim Chartier, commandant du 1er
bataillon de chars des Marines.
"Il y aura un couvre-feu, de 15h00 à 02h00 (GMT), ce qui correspond aux heures d'obscurité", a dit Chartier. "Nous allons
patrouiller (la nuit). S'il y a des gens dans les rues, nous les interpellerons. Nous n'arrêterons pas tout ce qui circule, mais à certains
points clés nous arrêterons tous les véhicules. Nous ne tirerons sur personne à moins d'être menacés."
Des pillards ont dévalisé le musée archéologique de Bagdad, emportant des trésors multimillénaires remontant à l'aube de la
civilisation mésopotamienne, ont rapporté des employés du musée.
Dans le quartier Mansour, qui rassemblait les ministères de l'Information et des Affaires étrangères sur la rive ouest du Tigre, un
officier américain a affirmé que la résistance de combattants étrangers avait été vive ces trois derniers jours mais s'était épuisée
samedi matin. Tandis que les chars américains prenaient position, on apercevait des pilleurs dans les bâtiments ministériels voisins.
Dans certains quartiers, habitants et commerçants ont créé des milices armées chargées de protéger leurs biens et dont les membres
passent à tabac toute personne soupçonnée de vol.
"Nous rêvions de tuer Saddam depuis vingt ans mais n'avons pu le faire. Nous sommes donc reconnaissants aux (Etats-Unis). Nous
n'aurions pas pu le faire sans eux", explique Nezar Ahmed, électricien dans le centre de la capitale. "Mais les Américains laissent les
voleurs prendre tout ce qu'ils peuvent aux Irakiens. Ils ont pour responsabilité de préserver la sécurité."
"VOLONTAIRES POUR MAINTENIR L'ORDRE"
Près de l'hôtel Palestine, où logent la plupart des journalistes étrangers, une centaine d'Irakiens ont manifesté samedi contre
l'anarchie ambiante en réclamant "un nouveau gouvernement au plus vite pour assurer la sécurité et la paix". L'un d'eux, un étudiant, a
exprimé leur volonté de coopérer avec le nouveau gouvernement irakien et les troupes américaines.
De leur côté, plusieurs anciens policiers irakiens se sont entretenus à l'hôtel Palestine avec des officiers américains auxquels ils
proposaient leurs services. "Nous sommes volontaires pour maintenir l'ordre dans la ville", a dit Mohammed al Bandr, policier mis à la
retraite d'office en 1996 par le gouvernement de Saddam Hussein.
Plus au nord, un premier convoi militaire américain est entré dans Mossoul, ville stratégique tombée sans coup férir aux mains de
"peshmergas" kurdes et d'une poignée de soldats américains. La plupart des "peshmergas" devaient laisser la ville passer samedi soir
sous contrôle militaire américain, mais certains s'employaient à y limiter les désordres en contrôlant les véhicules pour intercepter des
pilleurs et leurs butins.
Une équipe de Reuters en déplacement dans Mossoul y a vu des soldats américains postés deux par deux avec des armes lourdes à
des carrefours très en vue, avec leur drapeau national. La ville restait cependant très instable et des échanges de coups de feu s'y
produisaient en divers points.
A Bassorah, dans le Sud, l'armée britannique espère faire circuler dans les 48 heures des patrouilles communes avec la police locale
afin de rétablir l'ordre et éviter les pillages.
Le capitaine Al Lockwood, porte-parole britannique au commandement central américain basé au Qatar, a estimé que les pillages et
les mises à sac diminuaient à Bassorah après la perte de contrôle du régime de Saddam Hussein.
"Nous avons trois ou quatre jours d'avance par rapport à Bagdad dans le processus de libération", a-t-il déclaré à Reuters. "A
Bassorah, avec l'aide de la population locale, nous avons réussi à réduire les pillages et sommes sur le point d'engager une série
d'autres initiatives qui, nous l'espérons, permettront d'y mettre un terme définitif."
A Nassiriah, autre ville du Sud qui doit accueillir mardi à l'initiative des Etats-Unis une réunion inter-irakienne sur la future
administration intérimaire de l'Irak, des Marines coopéraient avec des employés municipaux en vue de rétablir les services publics.
Mais le rétablissement de l'électricité pourrait prendre plusieurs semaines.
SECURISER LES HOPITAUX
"J'espère que dans les trente jours nous aurons rétabli le courant, ce qui serait à mes yeux serait un succès remarquable", a dit le
lieutenant-colonel Erick Grabowsky, chef de détachement du 4e Groupe des affaires civiles auprès des Marines. Un retour à la
normale s'observe malgré tout à Nassiriah, où les pillages sont restés contenus. La population circule à nouveau, deux hôpitaux
fonctionnent de même que le réseau téléphonique et la collecte des ordures s'effectue, a dit Grabowsky.
A Washington, le secrétaire américain à la Défense Donald Rumsfeld a nié que l'Irak s'enfonce dans le chaos et accusé les médias
d'exagérer considérablement l'ampleur des pillages.
Des responsables de l'aide humanitaire ont déclaré que l'étendue des pillages dans les villes d'Irak risquait de compromettre
l'acheminement de fournitures vitales, mais la Croix-Rouge a indiqué que des soldats américains avaient entrepris samedi de protéger
l'une des principales stations d'épuration d'eau de Bagdad ainsi qu'un grand hôpital.
"Divers signes indiquent que les forces américaines essaient de prendre des contacts et des initiatives qui vont dans le sens de ce
que nous demandons, à savoir la sécurisation des infrastructures essentielles", a dit à Genève Antonella Notari, porte-parole du Comité
international de la Croix-Rouge (CICR).
Le CICR, qui avait engagé l'armée américaine à stopper le chaos consécutif à la chute du régime, a organisé des entretiens entre
responsables américaines des affaires civiles et représentants des services de santé irakiens qui ont débuté vendredi soir. "Un
résultat concret de ces réunions (...) est que dans la soirée des soldats américains ont sécurisé l'une des principales stations
d'épuration d'eau de Bagdad qui risquait d'être attaquée par des pillards", a dit Notari.
Des soldats protègent aussi un grand hôpital où il est maintenant possible de reprendre le travail", a-t-elle ajouté. Le CICR avait
indiqué auparavant que les 33 hôpitaux de Bagdad ne pouvaient pas faire face aux blessés de guerre ni aux personnes atteints de
maladies chroniques telles que le diabète.
Notari a dit que le CICR tentait d'organiser des visites auprès de soldats américains capturés mais que son personnel ne pouvait
désormais plus s'adresser à ceux qui étaient encore ses homologues irakiens il y a quelques jours. Les Etats-Unis ont fait état vendredi
de onze soldats américains portés disparus et de sept autres faits prisonniers de guerre.