undi, en fin d'après-midi, le soleil décline doucement. Les marines de la 7e division du Ier bataillon, chargés de sécuriser l'immense Cité médicale Saddam Hussein à Bagdad, empilent des caisses de munitions irakiennes découvertes par hasard. Ils sont là, notamment pour protéger le complexe hospitalier des pillards. Soudain, un individu arrive en expliquant que des habitants du quartier d'à côté lui ont signalé la présence d'hommes en armes. Une escouade se met en chasse, suivie au pas de gymnastique par le lieutenant-colonel Brian McCoy, qui a «pris» Bagdad mercredi dernier. La petite troupe serpente entre les immeubles avant d'arriver à un carrefour où une banque est apparemment en train d'être mise à sac.
Jeunesse déshéritée. Tous ceux qui se trouvent à l'intérieur de la banque Rafidain et dans sa proximité immédiate sont appréhendés et alignés contre un mur, mains en l'air et pieds écartés. Dix-sept adolescents, pour la plupart vêtus des habituelles guenilles de la jeunesse déshéritée des banlieues, ainsi que deux hommes d'âge mur et trois enfants d'une douzaine d'années. L'un des jeunes a la main en sang. «Têtes contre le mur !», hurlent les marines. Ceux qui ont le malheur de tourner la tête reçoivent un coup de poing ou sont poussés de la crosse. Les ordres sont criés dans les oreilles, mais la plupart du temps les Irakiens ne comprennent pas un mot d'anglais. Un Irakien montre son genou qui le fait souffrir : il est sommé de s'allonger à plat ventre. Comme il relève la tête, une Rangers s'abat sur sa nuque, lui arrachant des sanglots bruyants. De l'autre côté du carrefour, un attroupement se forme. Lorsque les marines ordonnent à tous leurs prisonniers d'ôter leurs chemises afin de vérifier si aucun d'eux ne porte de ceinture d'explosifs, les grondements des sifflets montent parmi les badauds. Des gosses ramassent des cailloux par terre et l'on est à deux doigt d'une petite intifada. L'un des deux hommes, proteste et dit qu'il est policier et qu'il était en train d'interpeller les malfaiteurs. Il est traîné au milieu de la rue, agenouillé de force et attaché les mains dans le dos. Les voisins du quartier, qui avaient fait appeler les marines, accourent prendre sa défense et même celle des voleurs. «Ce n'est pas eux qu'il faut arrêter, les vrais gangsters sont passés ce matin», explique enfin un anglophone «Si je comprends bien, ce ne sont que des Ali Babas, ponctue le lieutenant-colonel McCoy. Alors ils en sont quittes pour une petite peur.» Les dix-sept chapardeurs ne seront pas embarqués. McCoy conclut par un conseil au policier irakien qui transpire à grosses gouttes : «Si vous voyez des Ali Babas ou des Fedayin de Saddam, venez-nous voir ! Et n'oubliez pas votre drapeau blanc !» Non, il n'oubliera pas son drapeau blanc, promis.
Trois jours de manif. Hier, les patrouilles mixtes irako-américaines ont commencé à tourner dans Bagdad. D'autres incidents similaires à celui de lundi se sont multipliés hier à Bagdad et une grogne de plus en plus perceptible monte dans la population contre la présence américaine. Pour la troisième journée consécutive une petite manifestation de quelque 250 personnes s'est déroulée devant l'hôtel Palestine, l'un des QG des forces américaines et le lieu de rendez-vous de la presse internationale.
En trois jours, les slogans sont passés de «Peace, peace», à «par notre sang, par notre âme, nous te défendrons ô Irak» et désormais «A bas les USA !» avant que soit parvenue la nouvelle de la tuerie de douze manifestants à Mossoul par l'armée américaine. Les journalistes qui prenaient des photos des manifestants ont été dispersés. Le périmètre de sécurité autour de l'hôtel a été renforcé. L'armée américaine a distribué hier un communiqué écrit aux habitants de Bagdad où il leur est demandé de rester à domicile la nuit, et d'«approcher les forces de la coalition avec une extrême précaution».