BAGDAD (Reuters) - Au 20e jour du conflit, les forces américaines ont intensifié leurs opérations à Bagdad, pilonnant une
série d'objectifs situés au coeur de la capitale après avoir tenté d'éliminer Saddam Hussein et ses deux fils en bombardant un
immeuble où ils étaient censés se trouver.
Sans pouvoir dire si le président irakien avait été tué dans le raid aérien de lundi soir, l'armée américaine a estimé que
l'emprise du raïs sur son pays diminuait d'heure en heure. "Nous ne savons pas exactement qui tient les rênes au stade actuel", a
dit le général Vincent Brooks au QG avancé américain du Qatar.
En Irlande du Nord, où ils tenaient leurs troisièmes consultations depuis moins d'un mois, le président américain George W.
Bush et le Premier ministre britannique Tony Blair ont assuré qu'un "rôle essentiel" reviendrait aux Nations unies en Irak et ont
lancé un appel à l'unité internationale après la fin des combats en cours.
Rien ne dit toutefois que leurs projets conviendront à certains pays antiguerre. Jacques Chirac, qui a dit partager la
déclaration de Bush sur le rôle essentiel de l'Onu, a aussi affirmé qu'il appartenait exclusivement à celle-ci d'assurer la
reconstruction de l'Irak. Le président français aura des entretiens en fin de semaine à Saint-Pétersbourg avec le Russe
Vladimir Poutine et l'Allemand Gerhard Schröder.
A Bagdad, avions, chars et unités d'artillerie américains ont soumis le centre administratif de la ville à un déluge de feu au
cours d'une offensive majeure engagée dès l'aube, en ne rencontrant qu'une résistance occasionnelle.
"Il pleut des bombes. Ils prennent pour cible la même zone encore et encore", a dit la correspondante de Reuters Samia
Nakhoul de l'Hôtel Palestine où logent la plupart des journalistes étrangers.
TROIS JOURNALISTES TUES
Un tir de char américain a ensuite frappé l'hôtel, tuant le caméraman de Reuters Taras Protsyuk et son collègue espagnol
José Couso de Telecinco, et blessant trois autres représentants de Reuters dont Nakhoul. Selon un responsable du Pentagone, le
char a tiré un seul obus pour anéantir des tireurs irakiens dans le secteur du Palestine, mais des journalistes présents à l'hôtel
ont dit n'avoir entendu aucun tir à proximité.
La chaîne qatarie Al Djazira a aussi annoncé la mort de son cameraman Tarek Ayoub lors d'un raid ayant provoqué un
incendie dans ses locaux, proches du ministère irakien de l'Information. Un autre membre de son personnel, Zohaïr al Iraki, a
été blessé. Par ailleurs, deux journalistes polonais ont échappé aux forces irakiennes qui les retenaient depuis lundi dans le sud
du pays.
Le général Brooks a dit que les forces américaines avaient pénétré dans Bagdad à partir du nord et du sud pour ce qui semble
s'annoncer comme la bataille finale pour la capitale. Il a rappelé qu'au nord-ouest de la capitale des forces spéciales
empêchaient des troupes irakiennes de rallier la ville de Tikrit, fief de Saddam Hussein, ou la capitale elle-même.
Deux chars Abrams ont franchi le Tigre dans la capitale en prenant le pont de Djouhouriya au cours d'une démonstration de
force visant à démoraliser les partisans de Saddam. De leur côté, des "marines" se sont assuré le contrôle de la base aérienne de
Rachid, à cinq kilomètres du centre-ville.
Le ministre irakien de l'Information Mohammed Saïd al Sahaf, plus défiant que jamais, a affirmé aux journalistes à l'Hôtel
Palestine que ses forces "détruiraient" l'envahisseur.
Le commandant Mike Birmingham, de la 3e Division d'infanterie américaine, a déclaré que l'intensité des combats était
retombée dans l'après-midi. Il a dit au correspondant de Reuters Luke Baker que les troupes américaines avaient affronté 200
à 300 miliciens et membres de la Garde républicaine dont certains étaient à pied et d'autres à bord de 40 ou 50 camions.
"Les camions ont été anéantis et la plupart des gens aussi", a ajouté Birmingham.
PAS DE NOUVELLES DE SADDAM
Des ambulances acheminaient en toute hâte des civils blessés dans les pilonnages vers des hôpitaux déjà débordés.
Parallèlement, les pillages s'étendent dans la capitale comme dans la deuxième ville du pays, Bassorah, dans le Sud.
En Ulster, Bush et Blair se sont notamment entretenus de l'après-guerre d'Irak. "Nous ferons en sorte, le plus tôt possible,
que les responsabilités gouvernementales soient placées entre les mains d'une administration provisoire composée d'Irakiens de
l'intérieur comme de l'extérieur du pays", a dit le président américain avant de repartir pour Washington. "L'administration
provisoire sera en place jusqu'à ce que le peuple irakien puisse choisir un véritable gouvernement."
Blair a dit que le chef de la Maison blanche et lui étaient convenus que l'Onu devait jouer "un rôle essentiel dans la
reconstruction de l'Irak". Londres et Washington espèrent que leur vision commune de l'après-Saddam emportera l'adhésion de
pays antiguerre comme la France, l'Allemagne et la Russie, ce qui permettrait de dissiper les soupçons nourris à travers le
monde quant aux visées américaines en Irak.
Le Kremlin a annoncé peu après un sommet en fin de semaine à Saint-Pétersbourg entre Chirac, Schröder et Poutine - tous
trois opposés à la guerre. Le dirigeant français, qui aura d'abord reçu le secrétaire général de l'Onu Kofi Annan jeudi à Paris, a
déclaré que l'on ne vivait plus "à une époque où un ou deux pays pouvaient assumer le sort d'un autre pays" et qu'il appartenait à
l'Onu, "et à elle seule", de le faire.
A Bagdad, où des colonnes de fumée s'élevaient au-dessus de ministères et d'autres bâtiments officiels bombardés, les
perspectives de reconstruction semblent encore loin.
Un avion américain A-10 en action a été abattu par un missile irakien près de l'aéroport international sous contrôle
américain. Le pilote a pu s'éjecter et a été secouru.
La télévision nationale irakienne a cessé d'émettre puis a remplacé son bulletin d'informations par de vieilles images de
Saddam. Radio Bagdad s'est aussi interrompue un moment. L'armée américaine a dit avoir pris pour cibles leurs émetteurs pour
"détruire la capacité de Saddam à répandre des mensonges".
On ne connaît pas le sort du président irakien. Lundi soir, des avions américains avaient lâché plusieurs bombes de 900 kilos
sur un immeuble du quartier bagdadi de Mansour où Saddam et ses fils, Oudaï et Koussaï, pouvaient se trouver avec d'autres
responsables. Brooks a jugé l'attaque efficace mais sans pouvoir assurer que Saddam était présent.
D'après des témoins, deux bâtiments ont été détruits et quatre autres très endommagés dans cette opération, qui aurait fait
neuf morts et quatre blessés.
Dans le Sud, où l'armée britannique a dit contrôler Bassorah depuis lundi, un porte-parole militaire a annoncé la mise en place
prochaine d'une nouvelle administration provinciale avec le concours d'un chef de tribu locale. Des habitants ont demandé aux
forces britanniques de mettre fin aux pillages.
Dans le nord de l'Irak, l'aviation américaine a bombardé intensément des positions irakiennes dans la ville pétrolière de
Kirkouk, mais les forces kurdes déployées au sol n'ont signalé que peu de progrès sur le front.