Journal l'Humanité

Rubrique International
Article paru dans l'édition du 26 avril 2003.

 

Irak.
Mossoul panse ses plaies

Les précaires équilibres de la guerre.

Voyage dans la grande ville pétrolière du nord de l'Irak.

Mossoul (Irak),

envoyée spéciale.

Comme chaque matin l'effervescence est grande devant l'aéroport international de Mossoul. Mais, chaque jour, la tension monte d'un cran. Les rassemblements se font plus importants, suscitant une nervosité accrue des gardes américains. Depuis leur entrée dans la ville, le 11 avril, les marines ont fait de l'aéroport leur quartier général. Loin, très loin du centre-ville où ils avaient essuyé des tirs à leur arrivée. Bien qu'ils soient entrés sans combattre après une retraite négociée. Les forces américaines ont fort à faire à Mossoul, vaste cité à ras de terre, traversée par le Tigre, où les deux millions de personnes qui y vivent appartiennent à différentes communautés dont les Arabes et les Kurdes. Les antagonismes historiques ont été ravivés par la chute de Saddam dans cette ville que l'on disait habituellement favorable au régime de Bagdad.

Bureau de doléance

À l'aéroport, les Américains sont aux aguets. Des barbelés interdisent de s'approcher trop près. Pourtant, au fil des heures, les groupes qui attendent sont plus denses. Les gens viennent ici réclamer du travail, le paiement de leurs salaires pour les fonctionnaires, prendre des nouvelles des disparus ou se plaindre des pillages dont ils ont été victimes. Le " fort Chabrol " américain est devenu à son corps défendant un bureau de doléances pour les simples citoyens. Il n'y a toujours pas d'autorités à Mossoul et l'US Army est dépassée par cette situation qu'elle n'arrive pas à contrôler. Un opposant exilé, président du Parti patriotique irakien, dont le siège est à Damas, Mashan Al Juburi, s'était autoproclamé gouverneur de la ville avec l'accord, disait-il, de Massoud Barzani, le chef du Parti démocratique du Kurdistan (PDK). Juburi était l'une des six personnalités de la direction collégiale désignée lors des conférences de Londres et de Salahhadine qui réunissaient l'opposition irakienne sous l'égide américaine. Le règne de Juburi n'aura duré que quelques jours, sa nomination forcée n'a provoqué que contestations et il a dû se démettre. Depuis, les Américains cherchent, avec les notables, à créer un " conseil chargé d'assurer un environnement de sécurité " rassemblant les responsables des différents services administratifs, mais il semblerait que les volontaires fassent défaut. Ils multiplient les réunions avec des interlocuteurs aussi divers que des chefs de tribu, des religieux des personnalités, des fonctionnaires mais aucun accord n'est intervenu en vue de former ce fameux conseil. Sans aucun doute Mossoul traîne des pieds pour coopérer. Malgré les appels du lieutenant-colonel américain Waltemeyer pour que les administrations rouvrent leurs portes et que la vie se normalise.

Difficile réorganisation

de la police

Le général Abdul Aziz Omar, désigné par ses pairs, comme le nouveau chef de la police de la ville s'en désole un peu. Seuls 400 policiers sur les 6 000 en place sous Saddam sont revenus prendre leurs fonctions. " Nous n'avons pas d'interlocuteurs officiels, pas de moyens et nous sommes bien trop peu pour rétablir la sécurité ", se plaint-il. " Nous organisons quelques patrouilles le soir, mais c'est plutôt symbolique, et les gens ont tendance à s'organiser par quartier en comité de défense. " Ce qui plus signifie aussi une autodéfense par communauté, des milices locales et des armes. Il s'inquiète de cette absence d'autorité qu'il juge extrêmement dangereuse. La situation peut se dégrader d'un moment à l'autre. Pour le général Omar, les responsables des violences qu'a connues Mossoul sont désignés. " Saddam Hussein a, il y a quelques mois, ouvert les portes des prisons aux droits communs. Ce sont eux qui sont à l'origine des troubles ", affirme-t-il. Consultant son carnet de notes, où il tient une comptabilité précise des élargis, il poursuit : " 2 200 criminels ont été libérés et 450 voleurs. Ces libérations étaient une erreur. Nous ne pouvons plus arrêter personne, nos effectifs sont insuffisants et les tribunaux sont fermés. "

La ville est encore en état de choc après l'ouragan de destructions et de pillages et deux jours d'anarchie quasi totale durant lesquels tous les bâtiments administratifs ont été détruits, mais aussi l'université et de multiples commerces. L'hôpital Al-Zahraway a été au cour de tous les drames de Mossoul depuis le déclenchement de la guerre. La famille de Bachar Faraj, réunie dans une chambre, est en pleurs autour d'un couple. Lui a perdu un oil et est blessé au bras. Elle, est complètement défigurée et ne voit plus.

Les souffrances

de la population civile

Elle était enceinte et a perdu son bébé. Leur petite fille de deux ans a laissé la vie sous les décombres de leur maison atteinte par les bombes dans un faubourg de Mossoul. La jeune femme pourrait peut-être recouvre la vue après une opération qui demande des moyens sophistiqués.

La famille a l'intention de demander aux Américains de s'en charger. " Ils nous doivent au moins ça ", relève une des jeunes parentes. Après avoir accueilli les victimes des bombardements américains, le service a réceptionné les victimes des affrontements qui ont suivi la libération de la ville. " Le 11 avril jour de l'arrivée des Américains, l'hôpital a été attaqué, une vingtaine d'ambulances ont été volées ", nous déclare le Dr Dhia T. Rajab, responsable des urgences. Reste des violences de la semaine passée, une voiture, le pare-brise criblé par les balles, est encore stationnée de travers dans l'allée qui mène aux urgences. Les infirmiers en avaient retiré le corps du conducteur mort le pied calé sur la pédale. " Nous avons reçu quotidiennement 10 à 20 morts, tués lors des pillages ou des règlements de comptes. L'hôpital même a été la cible de tireurs le dimanche 13 avril. Il n'y avait alors ni eau ni électricité pour soigner les dizaines de blessés. Il y a eu vingt-quatre heures d'accalmie, puis le mardi suivant ce fut de nouveau l'enfer. Des fusillades ont éclaté place du Gouvernement, 25 personnes ont été tuées et 19 gravement blessées. Il s'agissait de civils, ils n'avaient pas d'armes. " Que s'est-il donc passé. Il existe vingt versions différentes, Les Américains ont reconnu avoir tiré sur la foule " agitée et hostile " en affirmant qu'ils répondaient à tirs qui les visaient.

Au centre-ville, sur les lieux du drame, les quelques commerçants ouverts restent très prudents sur les événements. " Il y avait une manifestation devant le Parlement. Et des coups de feu sont partis des toits du palais du gouverneur. C'est tout ce que je peux dire ", concède Amer, cinquante-trois ans, qui se met dans la foulée à regretter le régime antérieur qui assurait la sécurité. Ses voisins approuvent : " Les Américains laissent se dégrader la situation pour rester plus longtemps. " Et encore : " Ils sont venus parader dans les rues de Mossoul, le drapeau étoilé au vent. C'était une véritable provocation. " En même temps certains regrettent que leurs patrouilles soient rares. Les Hawaks qui passent à ce moment au-dessus de nos têtes échauffent les esprits. " Qui va maintenant diriger le pays ? demande Ahmed, l'Arabe, qui avoue à voix basse sa " peur des Kurdes ".

Au quartier général, le porte-parole américain, James Jarvis, reconnaît que sans la coopération des représentants des anciennes structures, il ne peut pas faire grand-chose. Aussi les Américains ont-ils décidé de faire appel aux officiers de l'ex-armée irakienne, en retraite et même ceux qui étaient encore en activité. Le colonel Rachid Tahir est de ces derniers. En treillis, il parle fièrement de ses faits d'armes à Bagdad à l'aéroport. " Le moral était bon, nous voulions nous battre. Je regrette qu'il n'y ait pas plus de résistance. Nous avons reçu l'ordre de reculer et puis plus rien... Il n'y avait plus d'état-major et ce fut la surprise de l'effondrement du régime en quelques heures. On s'est senti abandonné. Il n'y avait plus rien à faire. Ma famille habite Mossoul, j'ai pris une voiture de l'armée et je suis venu ici. Mais ces cochons de Kurdes me l'on volée. Ils m'ont braqué avec un revolver. Je déteste les peshmergas et tout ce que je demande aux Américains c'est de remettre le pays en marche. " Sous la tente dressée à cet effet, Tahir et ses collègues en civil se font inscrire auprès des interprètes locaux recrutés par les marines. " C'est drôle, ils semblent compter sur nous pour se sortir du pétrin, rigole Tahir. Moi, ce qui m'intéresse, c'est de retrouver ma voiture et d'être payé. Ça fait deux mois qu'on n'a pas touché notre solde. "

Dominique Bari

 

 
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