|
|
dimanche 11 janvier 2004, 10h58
Rancoeurs et frustrations couvent dans le quartier al-Hadidi de Kirkouk
KIRKOUK (AFP) - Dans cette rue du centre de Kirkouk, Kurdes, Arabes et Turcomans vivent les uns à côté des autres. A l'extérieur, la tension est contenue, mais dans le huis clos des maisons, les frustrations, la détresse et les rancoeurs ont libre cours.
Chacun affirme vouloir vivre en bonne intelligence avec ses voisins mais tous se regardent désormais en chien de faïence. Les tensions sous-jacentes ont éclaté au grand jour depuis la revendication par les partis kurdes de la ville de Kirkouk, provoquant des heurts parfois meurtriers entre les différentes communautés.
"La situation se détériore. C'était calme jusqu'au 21 décembre, mais depuis, nous avons été attaqués par les Turcomans, et les Américains sont venus perquisitionner chez nous à plusieurs reprises", affirme Saleh Ahmad Faraj. Ce Kurde d'une soixantaine d'années représente 70 familles installées dans un ancien complexe gouvernemental, face au siège d'un parti turcoman.
Expulsées de Kirkouk en 1991 par le gouvernement de Saddam Hussein, qui voulait arabiser la ville, ces familles sont revenues à la chute du régime. Elles ont trouvé leurs maisons détruites ou occupées, mais assurent que rien ne les fera plus partir. "Nous sommes les fils de Kirkouk. Nous ne demandons rien d'autre que de rester ici même si nous devons manger de la poussière et dormir par terre", dit Abdelkarim Ali, 71 ans, dont la famille a été balayée par la répression de l'ancien régime.
L'homme est tranquille et doux, mais sans concession. Pour lui, Kirkouk est une ville kurde. Elle appartient également aux Arabes, Assyriens et Turcomans qui y sont nés, mais les autres, les milliers de familles arabes qui se sont installées lors de la politique d'arabisation, les "10.000 dinars" comme il les appelle, ceux-là doivent partir. Saddam Hussein offrait une prime à ces familles arabes, souvent originaires du sud, pour venir s'installer à Kirkouk. "L'intention de Saddam était d'arabiser Kirkouk, mais les gens qu'il a fait venir souhaitaient seulement une meilleure vie. On ne peut pas les expulser comme ça", se désole un voisin arabe, influent membre de la tribu des Hadidi qui a donné son nom au quartier.
"Personne ne peut dénier le fait que les Kurdes ont été persécutés, c'est évident. Mais aujourd'hui chacun clame qu'il est le propriétaire de cette ville, et même dans ce quartier traditionnellement calme, les extrémistes de tous bords deviennent plus forts jour après jour", poursuit-il, souhaitant rester anonyme "en raison du contexte".
A l'autre bout de la rue, dans le bâtiment de l'Union de la jeunesse turcomane, Aziz Khader Samamchi s'énerve. "Les Kurdes veulent réinventer l'histoire", tonne ce conseiller du Front turcoman irakien. "Ils essayent de changer la donne démographique en achetant des terres, en construisant des maisons, mais Kirkouk est majoritairement turcomane", affirme-t-il, rappelant que sa communauté a aussi été victime de la politique d'arabisation.
Le dernier recensement date de 1957 et les déplacements forcés de population ont brouillé tous les repères, mais qu'importe: chacun sort des cartes, des vieux registres d'école, et propose d'aller déterrer les tombes dans les cimetières pour mettre en évidence les origines de la ville. "Nous ne demandons qu'à vivre en paix. Mais s'ils veulent conserver de bonnes relations avec les autres communautés, les Kurdes ont intérêt à se conduire autrement", avertit Abdelkader Bayatley, un autre Turcoman, accusant les Kurdes d'avoir mené il y a quelques jours une attaque au RPG contre le siège de son parti.
Depuis sa fenêtre, il regarde avec satisfaction une patrouille américaine perquisitionner les locaux d'une association kurde de l'autre côté de la rue. "Ca bouillonne. Mais je pense que la situation finira par se calmer", dit simplement un des soldats américains.
|
|
|