Kenya | 3.05.2004
Après un quart de siècle de pouvoir de Daniel Arap Moi, un nouveau chef de l'Etat a pris les rênes du pays. Il s'est très rapidement prononcé en faveur d'une plus grande liberté d'expression. Le Kenya reste par ailleurs un véritable pôle régional pour la presse étrangère.
Début janvier 2003, le président Mwai Kibaki a annoncé la composition du nouveau gouvernement. Quelques jours plus tard, le ministre du Tourisme et de l'Information, Raphael Tuju, a affirmé que sa priorité était de libéraliser totalement les ondes radio. Jusqu'à présent, les radios privées n'ont l'autorisation d'émettre que dans une zone restreinte. Seule la radio-télévision d'Etat, Kenya Broadcasting Corporation (KBC), bénéficie d'une couverture nationale. Par ailleurs, l'attribution des fréquences se faisait, sous l'ancien gouvernement, de manière arbitraire.
Dans le même temps, le puissant Syndicat des journalistes du Kenya (KUJ) a accusé le pouvoir judiciaire de restreindre la liberté de la presse dans le pays. Il a dénoncé, entre autres, les fortes amendes imposées aux journalistes et aux entreprises de presse. Le KUJ a demandé aux nouveaux dirigeants du pays de créer un environnement favorable aux journalistes afin qu'ils puissent promouvoir la démocratie et le développement de leur pays.
Mi-septembre, le ministre du Développement, Njeru Ndwiga, a dénoncé "l'oisiveté" des journalistes, qu'il accuse d'attaquer le gouvernement pour vendre davantage de copies.
Trois journalistes interpellés
Le 29 septembre 2003, Tom Mshindi, directeur général du quotidien East African Standard, David Makali, rédacteur en chef de l'édition dominicale Sunday Standard, et Kwamchetsi Makokha, son assistant, sont arrêtés et placés en détention provisoire dans les locaux de la Direction des investigations criminelles (CID) de Nairobi. Selon le ministre de la Sécurité nationale, Chris Murungaru, les trois hommes ont violé la loi en publiant les retranscriptions des interrogatoires de deux des assassins présumés de Crispin Odhiambo Mbai, enseignant à l'Université de Nairobi et membre de la Conférence constitutionnelle. Celui-ci avait été tué par balles le 14 septembre. Tom Mshindi et Kwamchetsi Makokha sont libérés après plus de six heures d'interrogatoire, mais doivent se présenter tous les jours à la police. David Makali n'est relâché que le 1er octobre après le paiement d'une caution de 5 000 shillings (environ 60 euros).
Huit journalistes agressés
Le 9 avril 2003, James Ng'anga et George Omonso, du quotidien The Nation, Wanyama Chebusiri de la BBC, et Willy Faria de l'East African Standard, sont battus par des policiers sur ordre d'un commissaire alors qu'ils couvrent une manifestation pacifique à Kainuk (frontière du West Pokot-Turkana). Les caméras de certains reporters sont confisquées.
Le 21 mai, alors qu'ils effectuent un reportage sur une manifestation qui vire à l'émeute, quatre journalistes sont attaqués par des étudiants du Kenya Polytechnic, qui les blessent et dérobent leurs affaires (téléphone portable, caméra, argent). Le photographe en chef de l'East African Standard, Hudson Wainaina, et un stagiaire de la chaîne de télévision Nation TV, Hakubwa Owino, sont frappés sur la tête avec des pierres. Des étudiants malmènent également un reporter de l'Agence France-Presse, Lilian Mariba, et volent l'appareil photo d'un journaliste free-lance.
Pressions et entraves
Le 8 avril 2003, le président Mwai Kibaki dépose une plainte contre deux quotidiens privés, l'East African Standard et le Kenya Times, pour avoir publié dans leurs éditions du 31 mars le compte rendu d'un procès opposant le chef de l'Etat à une société de distribution de carburant. Aucun journaliste n'était présent à l'audience et le Président somme les reporters de révéler leurs sources, car certains sujets publiés n'avaient pas encore été abordés par le juge. Le lendemain, la Haute Cour refuse d'enquêter sur la façon dont les journaux ont obtenu leurs sources. Selon elle, "les médias peuvent trouver leurs informations dans le registre du tribunal. Ils peuvent lire les plaidoiries et les plaintes déposées". Le juge ajoute que l'article était exact.
Le 30 novembre, Wallace Gichere, ancien photographe du Kenya Times, paralysé depuis sa défenestration par la police en 1991, entame une nouvelle grève de la faim pour demander le paiement de dommages et intérêts maintes fois promis par les autorités. Le journaliste avait déjà fait une grève de la faim en 2002 sans obtenir gain de cause. Deux ans auparavant, le chef de l'Etat avait accepté de lui verser des indemnités après avoir reconnu que les informations communiquées à Amnesty International par Wallace Gichere et son Association de lutte pour la démocratie étaient à l'origine de sa défenestration. Finalement, en décembre, le gouvernement annonce le versement de 9,4 millions de shillings (près de 100 000 euros) au profit du photographe.
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