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Evénement

Immigration. Karamoko Sekou Keïta, Malien, 38 ans
«Les Marocains nous ont dit de marcher tout droit, vers l'Algérie»

Par Jean-Hébert ARMENGAUD
jeudi 13 octobre 2005

Photos lionel charrier

«Cela fait quatre nuits que nous sommes ici. Il y a un peu plus d'une dizaine de jours, j'étais encore aux portes de Melilla. Avec un groupe d'une quarantaine de personnes, nous avons tenté de franchir la grille, mais nous avons été pris par les militaires marocains avant de réussir. Ils nous ont frappés. Ils nous ont emmenés à la prison de Nador (la ville marocaine proche de Melilla, ndlr), où nous avons passé la nuit, les mains attachées derrière le dos avec des menottes ou des cordes. Ces gens-là ne sont pas des vrais musulmans, un musulman ne fait pas ce genre de chose, surtout que nous sommes tous des Africains.

«Le lendemain, ils nous ont regroupés avec d'autres et nous ont fait monter dans des bus. Il y avait six bus, nous étions peut-être 200. Nous avons roulé, roulé longtemps vers le sud, en direction de Bou Arfa. Nous étions attachés deux par deux par les poignets. Après Bou Arfa, nous avons pris la direction de l'est, vers la frontière algérienne. Les Marocains nous ont lâchés dans le désert en nous disant de marcher tout droit vers l'Algérie. Nous avions les militaires marocains derrière nous, et devant nous allions vers les militaires algériens. Ceux-ci nous ont dit que 700 personnes étaient passées la veille mais que maintenant l'Algérie ne voulait plus être la poubelle du Maroc. Ils nous ont renvoyés d'où nous venions.

«Nous avons dormi là, en plein désert, puis le lendemain nous sommes repartis en direction de Bou Arfa. Mais là, il y avait encore des militaires marocains, ils nous ont repoussés, nous ont jeté des pierres. Nous avons repassé une autre nuit dehors, près de Bou Arfa. Il y avait une femme enceinte. Plus tard on m'a dit qu'elle était morte cette nuit-là. Avec nos portables, nous avons appelé partout, les ambassades, les associations... Alors les Marocains se sont calmés. Ils sont venus nous chercher, en bus à nouveau. Et ils nous ont ramenés ici, à Oujda.

«Maintenant on attend les avions qui nous ramèneront chez nous. Depuis cet été, je tente de passer en Espagne, je suis venu par l'Algérie, à travers les forêts. Mais avec moi, devant Melilla, il y en avait qui attendaient depuis deux ans, trois ans. On dit que l'Espagne est un pays d'accueil, pas comme la France où vous avez votre ministre, là, Sarkozy. Tout ce qui se passe en ce moment ici c'est la faute à l'Union européenne qui paye le Maroc pour faire le sale travail.»

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