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Evénement

Immigration. Mohamed Camara, Malien, 17 ans
«Si un jour je reprends le chemin de l'Europe, ce ne sera pas par ici»

Par Jean-Hébert ARMENGAUD
jeudi 13 octobre 2005

Photo l.c.

«Il y a à peu près un an, je suis arrivé près de Ceuta. On vivait dans la forêt. J'avais une cabane, il y en a d'autres qui dormaient par terre enroulés dans leur veste. L'hiver, c'est souvent de la boue. Parfois, il fait tellement froid que l'on ne sent plus ses jambes. Pour manger, certains allaient faire les poubelles. Parfois, les Marocains nous donnaient du pain ou des pommes de terre. En février, j'ai réussi à passer à Ceuta. Pour 3 000 dirhams (300 euros), un passeur marocain nous avait coupé le grillage. Sur un groupe de 35, les gardes civils espagnols en ont pris 19, dont moi. Ils nous ont renvoyés aux Marocains. Nous avons passé trois jours en prison et ils nous ont transférés à Oujda puis relâchés vers la frontière algérienne. De là, nous sommes arrivés à Maghnia. Une semaine après, je suis reparti. A pied jusqu'à Fez (près de 400 km) puis vers Ceuta à nouveau. En chemin, des Marocains me donnaient parfois à manger, du pain, du lait... Ça m'arrivait de pleurer d'en être forcé à mendier comme ça.

A Ceuta, j'ai pu à nouveau repasser la grille. Là, on était deux, on s'est fait prendre sur le port, on s'est fait vite repérer avec nos vêtements presque en lambeaux. Ils nous ont renvoyés dans la forêt, nous ont souhaité bonne chance, en nous disant de rester bien cachés. Ma dernière tentative, c'était il y a quinze jours à peu près. Je suis passé par la mer. Nous étions deux, équipés de chambres à air comme bouées de sauvetage. Je tirais mon ami qui ne savait pas nager. Une demi-heure dans l'eau et nous avons été repérés par une vedette de la Garde civile. Ils ont discuté entre eux, certains semblaient vouloir nous garder, mais le chef a dit non. Ils nous ont renvoyés. Là on a été pris par les Marocains, trois jours dans une prison à Tanger. On a été regroupés et neuf bus sont partis vers Bou Arfa puis la frontière avec l'Algérie. Ils nous ont lâchés en pleine nuit. Nous sommes tombés sur des gendarmes qui nous ont donné à boire et à manger et nous ont mis à leur tour dans des bus, en direction du Maroc. Et nous avons retrouvé les Marocains, qui nous ont mis ici, à Oujda.

Je vais rester au Mali. Si un jour je reprends le chemin de l'Europe, ça ne sera pas par le Maroc. J'ai trop souffert ici. On nous décourage partout. Ici, la rumeur court que la Garde civile à Ceuta et à Melilla a maintenant le droit de tirer avec des vraies balles.»

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