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[OAXACA] Une nuit à Cinco Senores...
Par [cp], Monday, Nov. 20, 2006 at 9:45 AM
12 Novembre. Le croisement de "Cinco Senores" brille comme un champ de bataille, et de fait c'en est un. Celui-ci a été un des points où l'affrontement avec la Police Fédérale Préventive (PFP) a été le plus virulent. Aujourd'hui il continue à être un point chaud, les tirs des paramilitaires y sont choses courantes. A l'intérieur de l'APPO c'est aussi devenu un thème gênant. En effet il avait été décidé de rendre le carrefour comme mesure d'apaisement. Cependant ses défenseurs s'y opposent.
[OAXACA] Une nuit à ...

Bien qu'on la connaisse sous le nom de la barricade "Cinco Senores", il
s'agit en fait de diverses barricades sur un carrefour à seulement une
centaine de mètres du Campus Universitaire de l’UABJO (Ndt:Université
Autonome Benito Juarez d'Oaxaca). Ces barricades sont constituées de
plusieurs bus mis en travers des avenues qui y convergent. Certains sont
couverts de graffitis, d'autres sont complètement brûlés, squelettes
muets des combats du jour des morts. Autour du rond-point se trouve
"l'armement" pour la défense : des boîtes et des boîtes de soda, prêtes à
être remplies et converties en cocktails Molotov, une table de matériaux
pour faire des pétards, des morceaux de métal, des caddies remplis de
pierres. Les "bazuqueros" exhibent leurs légendaires armes, des tubes de
PVC qui leur permettent de lancer les "fusées" (cohetones) qu'ils portent
sur le dos dans leurs musettes. Cette nuit, plusieurs bus de la caravane
de Mexico et quelques personnes, la majorité des jeunes de l'université,
sont venus renforcer la défense de cette barricade. Rapidement on leur
apprend comment utiliser les pétards et les cocktails molotovs.
Incrédules, ils tiennent les bouteilles graisseuses à la main les
regardants avec des grands yeux. Puis après viennent les instructions sur
ce que l'on doit faire lorsqu'on leur tire dessus avec une arme à feu,
comment réagir en cas d'urgence. Il est très clair que cela n'est pas un
jeu pour ceux qui gardent le rond-point.

L'APPO avait décidé de donner cette position, en signe d'apaisement.
Cependant, au début, les personnes de la barricade n'avaient pas été
consultées. Cette position est importante pour deux raisons. Avec la
barricade de Soriana, elle s'est convertie en une icône de la résistance
de Oaxaca. En effet c'est ici qu'avec des pierres, des fusées et des
molotovs, les défenseurs du campus universitaire ont contenu l'attaque de
la PFP, obligeant cette dernière à se replier après 7 heures de combats.
L'importance de ce site n'est pas seulement stratégique, elle est aussi
fortement symbolique. Réunis en assemblée, les participants de cette
barricade ont décidé de ne pas la laisser. Cette décision est aussi due au
coût élevé de sa défense. Les morts, les blessés, les séquestrés à cet
endroit de la périphérie de l'université sont autant de motifs pour la
garder.

"Vous savez déjà que cette barricade est la barricade de la mort". Les
visiteurs approuvent de la tête. Les compañeros ne blaguent pas. Les
sicaires les ont constamment attaqués avec des fusils AK-47 et R-15. Ils
circulent en camionnettes blanches ou rouges. À d'autres occasions, ils
sont arrivés en taxis. A approximativement 1 kilomètre se trouve le parc
de l'Amour, où la PFP a établi un campement. Cependant ils n'ont rien fait
pour arrêter les incursions des sicaires. Au contraire la proximité de la
PFP est un motif de préoccupation. Au parc de l'Amour plusieurs personnes
ont été détenues et transportées en hélicoptère vers des camps militaires.
Certains de ceux qui défendent "Cinco Senores" sont des étudiants de
l'université. Mais d'autres sont des enfants des rues. Avant l'incursion
de la PFP "ils habitaient" ce croisement. Aujourd'hui ce sont ses plus
féroces défenseurs. La barricade de Soriana est composée d'étudiants et
de la "bande okupa"(des jeunes qui avaient décidé d'occuper un ancien
commissariat de police). Ils ont tous participé aux affrontements du 2
juin. Nous sommes en train de parler de la jeunesse d'un des Etats les
plus pauvres du pays, à laquelle se joignent les dépossédés, ceux qui
n'ont plus rien à perdre et tout à gagner. En dessous de leurs masques
improvisés on devine leur jeunesse, certains sont presque des enfants.
Toutes les nuits, ils risquent de recevoir une rafale de mitraillette et
pourtant ils ne doutent pas lorsqu'ils sortent de la barricade quand une
voiture suspecte approche. Ils crient pour que le conducteur s'arrête et
éteigne ses phares. S'il n'obtempère pas, un molotov ou un pétard explose
à coté du véhicule en signe d'avertissement.

La nuit suit son cours entre soubresauts et fausses alarmes. La majorité
sont des conducteurs perdus ou ivres qui rentrent chez eux. Au fond de la
barricade il y a une cuisine improvisée avec du café et de la nourriture.
C’est par là que se trouve la "Doctora", une des voix de Radio
Universidad. Mais en ce moment, elle accomplit son premier devoir au poste
de secours. Un des moments les plus tendus fut lorsqu'une voiture blanche
sans plaque n'a pas obéi aux ordres d'éteindre ses phares et de s'arrêter.
Elle a reçu une pluie de projectiles, certaines pierres l'atteignirent et
elle fut arrêtée alors qu’elle prenait la fuite. En fait il s'agissait de
personnes alcoolisées. Elles ont été contrôlées et ils les ont laissées
partir. Malgré la fermeté et la combativité de ces gardiens, aussi
impressionnants qu’ils puissent être, cette situation m'a paru totalement
suicidaire. Les dernières attaques ont été faites avec des armes de
longues portées. Quelles chances aurait ce groupe armé de pétards et de
bouteilles contre un groupes de camionnettes remplis de sicaires armés de
"Kalachnikov" ?

Personne ne dort : l'alerte est constante. A la moindre alarme, tout le
monde court, les bazuqueros devant, derrière eux d'autres avec des
molotovs et des pertards, beaucoup de cris, il ne se passe rien, ils
reviennent à leurs positions jusqu'à ce qu'il y ait une autre voiture
suspecte ou des personnes qui ne s'identifient pas et de nouveau le
vacarme, une fois puis une autre, c'est ainsi qu'arrive le matin et que la
ville de Oaxaca commence à se réveiller, si du moins elle a pu dormir.
Cette nuit a été tranquille. "On a seulement entendu des tirs du côté de
Soriana, mais rien d'autre" me commente un compañero, la radio à la main.
La discussion sur le fait rendre ou non cette barricade reflète les
différences entre deux formes de faire de la politique qui confluent au
sein de l'APPO, celle des leaders et de la "direction" et celle de
l'horizontalité. Dans l'APPO il y a plus de 380 regroupements politiques
qui, lors des 10, 11 et 12 novembre, ont cherché à consolider une
organisation permanente. Créés au départ par les instituteurs sur le
zocalo (place centrale), puis par des voisins en de nombreux points de la
ville, les barricades sont devenues un symbole de résistance, de lutte,
d'organisation, de camaraderie. Ils sont nombreux ceux qui ne veulent pas
les démanteler, pour ces motifs, et bien sûr aussi pour des motifs de
sécurité. "La caravane de la Mort" continue son action impunément, sans
que rien ne lui coupe la route. La ville vit dans l'insécurité, les
activistes et les voisins solidaires vivent sous de constantes menaces,
ils sont suivis, et les disparitions continuent. Dans les rues où les
barricades ont été retirées, les habitants ont été harcelés et ont été
menacés. "Cinco Senores" est la barricade la plus radicale, mais aussi une
des plus héroïque, on y voit sur des bus tagués une pancarte où l'on peut
lire : " LA BARRICADE NE SE VEND PAS, NI NE SE NEGOCIE".

Traduit par Mik.

quebec.indymedia.org/fr/node/26043

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