Pakistan
Le campus des islamistes

(Source : www.pu.edu.pk)
De notre envoyée spéciale à Lahore
« Ceux de la Jamiat sont arrivés un jour avec des gants sur les mains et des ongles en bois étaient accrochés au bout. Ils ont commencé à frapper les étudiants… Ils montraient leur pouvoir et leur autorité ! Les étudiants ont couru pour sauver leur vie et les filles se sont cachées. La plupart d’entre eux ont perdu beaucoup de sang… ». Humaira Tariq est étudiante en Master d’anglais. Elle raconte ce qu’elle a vu sur le campus il y a un an : des jeunes hommes et femmes battus parce qu’il discutaient entre eux. L’université du Punjab est une petite ville à elle seule : 26 000 étudiants s’y côtoient. Les rues qui la traversent sont calmes, peut-être un peu trop. On croise des étudiants hommes et femmes mais ils ne sont jamais ensembles.
L’université est complètement noyautée par une seule organisation étudiante, la plus puissante du pays : l’Islami Jamiat e Talaba, la Force étudiante islamique. Son responsable à Lahore, Salman Ayub, a 25 ans. Il est habillé « à l’occidentale » : chemise à carreaux et pantalon à pinces et sa barbe est strictement taillée. Il a l’air réservé, calme, mais son attitude cache des opinions virulentes : « En Irak et dans le monde entier, les musulmans sont opprimés. Le Djihad est le combat contre l’oppression et c’est notre devoir. Nous ne forçons personne… Mais nous motivons les étudiants à partir faire le Djihad. Et si, après qu’on les aient motivés, ils veulent partir, alors c’est très bien ! »
Ce discours est officiellement interdit à l’université et Salman Ayub y est persona non grata. Malgré cela, il dispose d’un bureau dans l’enceinte de l’université pour organiser les activités de la Jamiat. Il se déplace en toute liberté sur le campus, entouré de ses sbires. Les muttafik constituent la police des moeurs de la Jamiat et se charge du « travail » que les membres ne veulent pas faire. La Jamiat a aussi crée une fondation pour aider les étudiants les plus pauvres et surtout pouvoir les contrôler. La SAFE (en français : « sans danger ») paie les frais d’admission, les logements et propose des bourses mensuelles selon les besoins des étudiants. Plus précisément, elle met en contact les jeunes avec ceux qui financent la Fondation. Ce sont tous des anciens membres de la Jamiat, aisés, qui appartiennent maintenant au premier parti islamiste du pays : la Jamaat e Islami. Ceux-la savent l’intérêt de former une nouvelle élite d’intellectuels toute dévouée à leur cause.
Des intérêts protégés par les enseignants et l’administration
Sur chaque mur du campus, des affiches de propagande ont été accrochées. Un département résiste : les enseignants et les étudiants d’anglais se battent contre l’influence de la Jamiat. La responsable, le professeur Shaista Sirajuddin, a les cheveux coupés court et les manches de sa robe sont relevées : tout dans son apparence révèle qu’elle est une femme engagée. « Il y a une sorte d’arrangement en place et d’une certaine manière, les intérêts de la Jamiat sont protégés, remarque-t-elle avec colère. Et ils sont représentés par des enseignants qui sont placés à des postes clefs dans l’administration de l’université ! »
La direction de l’université est censée mettre fin au prosélytisme, à la corruption et à la violence. Le président, le lieutenant général Arshad Mahmood est un militaire à la retraite, placé à la tête de l’université par Pervez Musharraf. « Je ne peux pas faire grand-chose contre eux, parce que c’est le travail normal du gouvernement, avoue-t-il. La situation est directement liée à ce qu’il se passe au niveau national ou international. Le nettoyage des islamistes ici est proportionnel à ce que fait le gouvernement. Ce que j’ai fait, j’en suis satisfait. Par la grâce de Dieu, moi seul dirige cette université et personne d’autre. » Face à ce discours contradictoire, la responsable du département d’anglais l’accuse de soutenir officieusement les fondamentalistes, tout en prônant la lutte. Il est probable qu’Arshad Mahmood soit tout simplement impuissant face à eux. Et l’avouer serait un constat d’échec.par Claire Billet
Article publié le 09/05/2006 Dernière mise à jour le 09/05/2006 à 11:43 TU