Agence Tahitienne de Presse


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Pacifique : 11/05/2006 à 06:05
Malaises en Mélanésie : l'Australie confrontée à son "arc d'instabilité"

(Flash d'Océanie) - À travers l'arc mélanésien, les troubles se sont multipliés ces dernières semaines, rendant encore plus tangible la théorie d' "arc d'instabilité" développée ces dernières années par le gouvernement australien.

Mercredi, le processus de paix sur l'île papoue de Bougainville, mis sur les rails sous l'égide de l'ONU avec un accord de paix signé en 2001, semblait plus fragilisé que jamais après un regain de violence sur cette île qui fut le théâtre d'un conflit sécessionniste entre 1988 et 1997, dont une vingtaine de milliers de personnes ont été victimes.
Dans le cadre de ce processus, cette île dispose depuis l'an dernier d'un nouveau statut d'autonomie qui la dote notamment de son propre gouvernement, de son Parlement et de certaines compétences dans les domaines de la police et de l'élaboration de lois locales.
Fin décembre, un petit groupe de surveillan,ce du processus de paix, placée sous l'égide de l'ONU et composé d'une quinzaine de soldats australiens et néo-zélandais, quittait définitivement l'île.
Mais un homme d'affaires autoproclamé, Noah Musingku, a pris la relève de la défunte Armée Révolutionnaire de Bougainville et contrôle toujours, au centre de cette île, une zone de non-droit, non loin de l'énorme mine désaffectée de Panguna.
Ces dernières semaines, le gouvernement central de Papouasie-Nouvelle-Guinée avait tenté de reprendre des négociations avec plusieurs sociétés étrangères, afin de relancer l'exploitation de cette mine, considérée comme recelant le troisième gisement de cuivre au monde.
Cet individu, notoirement recherché dans plusieurs pays voisins pour escroquerie au moyen d'un plan de financement de type pyramidal, a depuis l'an dernier et l'entrée en vigueur du nouveau statut de Bougainville, entrepris de former sa propre armée.
Pour ce faire, il a tenté de recruter plusieurs douzaines d'anciens soldats fidjiens dont certains refusent toujours de quitter l'île, malgré les injonctions et les multiples démarches des autorités de Port-Moresby et de Suva.
Depuis le début de la semaine, plusieurs incidents violents ont opposé des membres de cette milice, parmi lesquels les Fidjiens ont été signalés, à la police locale.
Un policier serait gravement blessé alors que d'autres ont échappé de justesse à une fusillade à l'arme lourde.
Trois postes de police des environs auraient également été incendiés, des locaux du gouvernement provincial mis à sac et une fonctionnaire de l'administration locale aurait été prise en otage.
Selon la police, il s'agirait d'une action punitive après que plusieurs membres de cette milice aient été récemment interpellés.
Alexander Downer, ministre australien des affaires étrangères, réagissant à ces derniers événements aux portes de l'Australie, sur sa façade Nord-Est, s'est jeudi refusé à considérer la situation comme un échec du processus de paix.
"Je pense que le processus de paix fonctionne, dans l'ensemble, très bien à Bougainville, mais je suis préoccupé par ces comptes-rendus. Mais je ne veux pas exagérer la situation : Bougainville n'est pas en train de s'effondrer, le processus de paix non plus. Cela montre seulement qu'il reste du travail à faire là-bas", a-t-il déclaré à Radio Australie.
Selon le Sergent Oscar Tugan, qui dirige la police de cette région, plusieurs de ses agents ont depuis pris refuge dans la jungle avoisinante.
"Nous avons perdu le contact avec eux", a-t-il déclaré.
Joseph Kabui, Président de Bougainville, s'inquiète pour sa part de l'escalade, qui intervient quelques jours seulement après que les hommes de Musingku aient érigé des barrages routiers.

Îles Salomon : encore loin de la stabilité

Aux îles Salomon, la formation d'un gouvernement la semaine dernière par Mannaseh Sogavare, nouveau Premier ministre, n'a pas non plus semblé résoudre les problème endémiques de corruption t de gouvernance auxquels cet archipel mélanésien est confronté depuis près d'une dizaine d'années.
Une intervention régionale, placée sous commandement australien, avait, en juillet 2003, mis fin à cinq années de conflit ethnique qui avait dégénéré en guerre civile entre les provinces de Guadalcanal (où se trouve la capitale Honiara) et de Malaïta.
Une fois l'ordre rapidement rétabli, cette force d'intervention (baptisée RAMSI ou "Helpem Fren" - "aider un ami" en pidgin mélanésien) s'était engagée dans un travail de reconstruction des services essentiels du pays.<
Plusieurs anciens ministre avaient aussi été déférés devant la justice, reconnus coupables d'actes allant de la corruption, d'extorsion de fonds ou d'intimidation et condamnés.
Mais depuis le mois dernier et les élections législatives du 5 avril, la nomination d'un Premier ministre proche du pouvoir sortant a provoqué des émeutes sans précédent dans la capitale, où la communauté d'entrepreneurs et commerçants chinois a été particulièrement visée par les émeutiers.
Le Premier ministre Snyder Rini a dû démissionner après seulement huit jours de pouvoir et laisser la place à Mannaseh Sogavare, transfuge de l'opposition.
Sur fond d'accusations de corruption dans les plus hautes sphères de la classe politique, M. Sogavare créait la surprise en fin de semaine dernière en choisissant de nommer comme ministre de la police et de la sécurité nationale de son gouvernement Charles Dausabea, député interpellé le mois dernier et soupçonné d'être un des meneurs de l'émeute d'avril.
Un autre élu dans le même cas, Nelson Ne'e, a été nommé ministre de la culture et du tourisme.
Ces deux individus, bien que fraîchement nommés ministres, sont toujours derrière les barreaux en attendant leur procès.
Cette situation a provoqué de vives réactions de la part des deux principaux pays contribuant à la RAMSI aux Salomon : l'Australie et la Nouvelle-Zélande, l'un exprimant sa " surprise " et sa " déception ", l'autre, par la voix de son Premier ministre Helen Clark, se déclarant franchement " atterrée ".
Ces deux pays ont d'ores et déjà annoncé leur intention de dépêcher à Honiara sous quinzaine leurs chefs respectifs de la diplomatie, MM. Downer et Winston Peters, pour demander des explications.
Le nouveau pouvoir des Salomon, quant à lui, qualifie ces prises de positions et commentaires d' " ingérence " dans ses affaires intérieures.
Entre-temps, Mick Keelty, chef de la police fédérale australienne, qui participe aussi à la RAMSI, révélait jeudi les premiers éléments de l'enquête lancée après les émeutes du mois dernier, et selon lesquels "d'importantes sommes d'argent" ont circulé peu avant l'annonce de la nomination de M. Rini, le 18 avril, jour où l'insurrection a commencé.
M. Keelty, s'exprimant lors d'une conférence de presse en Australie, mentionne notamment d'important dépôts d'argent sur les comptes de plusieurs hautes personnalités politiques dans des banques locales.
M. Keelty s'est refusé à tout commentaire quant à la provenance de cet argent et un éventuel lien avec des donneurs d'ordre soit chinois, soit taiwanais, dans le cadre d'une guerre d'influence que se livrent ces deux pays dans le Pacifique.
Par contre, M. Keelty n'a pas hésité à s'interroger publiquement sur la pertinence de la nomination de M. Dausebea au poste de ministre de la police, une situation "sans précédent", selon lui, tout en ajoutant qu'en finale, il s'agissait d'une "affaire qui revient au gouvernement de ce pays".
Les ministres des affaires étrangères des pays membres du Groupe Mélanésien Fer de Lance (GMFL, qui regroupe Vanuatu, Fidji, la Papouasie-Nouvelle-Guinée et les îles Salomon, ainsi que le Front de Libération Nationale Kanak Socialiste –indépendantiste—de Nouvelle-Calédonie), qui se réunissaient cette semaine à Honiara en signe de "solidarité" et de "soutien moral", ont jeudi conclu leurs discussions sur une déclaration qui, vis-à-vis du gouvernement des Salomon, exprimait le " respect de la présomption d'innocence " des deux ministres inculpés, a annoncé le gouvernement salomonais.

Craintes à Fidji concernant le résultat des législatives

À Fidji, alors que les élections battent leur plein cette semaine avant que le scrutin ne ferme samedi, les craintes se placent en aval : elles concernent les résultats de ces législatives et un éventuel retour au pouvoir, par les urnes, du parti travailliste et de son dirigeant, l'Indo-Fidjien Mahendra Chaudhry, qui fut une première fois élu en 1999, puis renversé un an plus tard par un coup d'État affichant des motivations nationaliste et de suprématie indigène.

La " génération perdue " selon Canberra

Ces dernières semaines, le gouvernement australien, considéré comme le grand voisin de la région, a annoncé plusieurs initiatives et feuilles de route concernant son aide à venir à la Mélanésie : ces mesures mettent notamment l'accent sur la promotion des notions de bonne gouvernance, État de droit, ainsi que la lutte contre la corruption et les activités criminelles ou terroristes trans-nationales,, dont certains éléments pourraient considérer des États insulaires aux institutions fragiles comme autant de cibles faciles.
À Canberra, la théorie des "États fragiles", d' "États en faillite" et de "maillons faibles" sur la façade maritime orientale a désormais droit de cité.
Mercredi encore, lors d'une conférence de presse pour présenté un nouveau plan baptisé "Pacific 2020", M. Downer réitérait ces grandes orientations, tout en soulignant la nécessité pour l'Australie de lier son aide au développement à des actions de promotion de la croissance économique dans les pays insulaires océaniens.
Lors de son intervention de jeudi, M. Downer a notamment mis l'accent sur les dangers que comporte le non-emploi de toute une classe d'âge éduquée et qui pourrait devenir ce que le chef de la diplomatie australienne appelle "une génération perdue" si rien n'est fait pur développer les débouchés professionnels.
Ce rapport "Pacific 2020", est en fait le résultat d'une série de tables ronds entre intervenants régionaux de haut niveau, qu'ils soient experts de l'Océanie ou, pour certains, dirigeants politiques.
Parmi les principaux thèmes abordés : les secteurs du tourisme, des forêts, des pêcheries, ou encore le problème foncier dans la région.
Ce rapport met en substance l'accent sur les bienfaits d'une meilleure gouvernance, de la mise en oeuvre rapide de réformes économiques et d'une coopération et intégration régionales accrues entre pays de la zone.
Interrogé par la presse australienne sur le supposé rôle de "shérif" du Pacifique de Canberra (rôle que certains ont nuancé par le passé en "shérif adjoint des États-Unis"), M. Downer a rejeté ce terme.
"Mais je veux dire, l'Australie, inévitablement, parce que c'est un si grand pays, et franchement un pays qui réussit énormément et qui est très riche… a des privilèges, tout cela, ce sont des privilèges, si je puis dire, mais ils entraînent aussi de grandes responsabilités", a-t-il estimé.

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