Ouvertures > Entrer dans le détail des faits > Le 7 septembre 2004 à Faizabad (Afghanistan)    





Le 7 septembre 2004 à Faizabad (Afghanistan)



Depuis la guerre principalement menée par l’armée américaine à l’automne 2001, l’Afghanistan est devenu le poste avancé et le terrain d’expérimentation des Etats occidentaux dans cette région charnière du Moyen-Orient et de l’Asie centrale. Outre l’opération « Enduring freedom » qui justifie, trois ans après la chute des talibans, la présence prolongée des forces états-uniennes chargées officiellement d’en finir avec ce qu’il reste des troupes du mollah Omar, organismes militaires et humanitaires se partagent maintenant, sous la férule de l’OTAN, reconstruction, rénovation, répression et sécurité. Ravagé par les nombreuses années de guerre civile, puis sous le joug des talibans, et enfin mis sous tutelle par les Etats autoproclamés libres, le pays semble la destination évidente des organisations « philanthropiques » modernes. Mais en partie du fait de ce passé chaotique et guerrier, la campagne civilisatrice occidentale se heurte à de multiples résistances. L’ostensible collusion des ONG avec l’envahisseur US nourrit notamment une juste hostilité à leur égard. Comme sur le plan médiatique les manœuvres pour étatiser convenablement le territoire afghan se trament dans l’ombre du fiasco iraquien, il faut une relative attention pour suivre les déboires des humanitaro-militaires occidentaux. Nombre d’entre eux n’ont aucun intérêt du point de vue du négatif, quelques-uns demandent à être considérés avec plus de soin. C’est le cas de ces attaques d’agences humanitaires à la fin de l’été 2004.

Le mardi 7 septembre 2004 dans la ville de Faizabad, capitale de la province du Badakhshan située au nord-est du pays à la frontière avec le Tadjikistan, des centaines à un millier d’habitants mettent le feu aux bureaux de deux organisations humanitaires. Une dizaine d’employés est frappée et caillassée, quelques-uns de leurs véhicules sont brûlés. L’intervention d’une milice locale, dont le chef menacerait de tirer dans la foule, mettrait fin à l’attaque.

Les articles à disposition émettent plusieurs hypothèses au sujet de ce qui a pu provoquer de tels faits. Selon deux officiels du gouvernement, l’agence Aga Khan Developement Network, propriété du chef religieux des ismaéliens nazérites et accessoirement milliardaire Karim Aga Khan, aurait, sous couvert de son action humanitaire, tenté de convertir plusieurs employés sunnites à l’ismaélisme. Hypothèse qui n’explique pas alors pourquoi l’agence suisse Medair a été elle aussi prise pour cible. L’article du Times of India, qui relate cette version, donne également celle d’un des membres de l’AKDN, selon laquelle un regrettable malentendu serait à l’origine des troubles : deux employées travaillant du blé dans une pièce mal aérée auraient été prises d’une sorte d’ivresse que leur entourage aurait alors imputée à une prise forcée de drogue. De suppositions en suppositions, il aurait ensuite soupçonné les ONG d’avoir abusé sexuellement des deux femmes. Dans un article sorti plus de quinze jours après les faits, le journal pakistanais PakTribune parle clairement de deux viols, mais commis cette fois sur deux employées d’une autre fondation : Focus for Humanitarian Assistance.

Les versions sont trop divergentes et confuses pour trancher de manière évidente. Elles permettent seulement de supposer qu’il s’est agi d’une colère spontanée, et que les actes auxquels elle a donné lieu ne peuvent être mis sur le compte d’une organisation existante, militarisée, islamiste ou tribale par exemple ; même s’il est fait référence, encore sous forme d’hypothèse, à l’utilisation probable d’une roquette au cours des faits. Dans cette région où ils n’ont apparemment jamais pu s’implanter, l’événement ne semble pouvoir être imputé aux talibans, à la différence peut-être de l’attaque des locaux de l’association Afghan Aid le samedi 18 septembre dans la petite ville de Kamu proche de la frontière pakistanaise, pour laquelle il est moins aisé de détecter une franche et sincère colère populaire. Même s’il est fait état de pillage par un « grand nombre de personnes », cette attaque-là est vraisemblablement à attribuer à une virée talibane comme l’affirmera publiquement un de leurs « porte-parole ». Ce serait d’ailleurs les habitants du village qui s’interposeraient et mettraient fin aux destructions.

Le premier événement n’est rapporté directement que par le seul article du Times of India élaboré à partir d’une dépêche Reuters. Le journal pakistanais l’aborde seulement pour interroger le rôle des troupes allemandes cantonnées dans Faizabad, qui sont apparemment restées passives devant les corrections infligées aux ONG. Ce dont ces dernières s’indignent d’ailleurs, démontrant au passage le besoin mutuel entre militaires et humanitaires. Les PRT (Provincial Reconstruction Team) allemandes ont semble-t-il respecté trop scrupuleusement leur mandat pour les employés des ONG qui les auraient souhaitées plus vigoureuses.


Première rédaction en décembre 2006, révisé pour publication en janvier 2008


Documents utilisés :

04-09-07 - The Times of India -- Conversion rumour sparks Afghan riots
04-09-21 - AFP Yahoo! Actualités -- Des employés d'une ONG battus et dévalisés dans l'est de l'Afghanistan
04-09-25 - PakTribune -- Role of German troops in north Afghanistan questioned after riot





    Le 7 septembre 2004 à Faizabad (Afghanistan)

... ->
Invitations au Débat sur la Totalité