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Le 12 septembre 2004 à Herat (Afghanistan)



Cinq jours après l’attaque d’associations humanitaires à Faizabad, une nouvelle émotion populaire cible des installations occidentales en Afghanistan. Les faits se produisent à Herat, la troisième ville du territoire avec 140 000 habitants, et ils prennent une toute autre ampleur que ceux de la capitale du Badakhshan.

La région est sous la coupe des troupes d’Ismaël Khan, le « warlord » du coin et gouverneur de la province. Comme c’était le cas avant l’arrivée au pouvoir des talibans, le semblant d’Etat afghan est partagé entre les différents chefs de guerre. Chaque milice locale ayant contribué à leur éviction s’est vue offrir un bout du pays. Les américains bataillent depuis pour donner un réel pouvoir au pantin qu’ils ont mis aux manettes à Kaboul. C’est dans cette optique que le pantin de Kaboul, dénommé Hamid Karzaï, annonce le samedi 11 septembre 2004 la révocation de Khan du poste de gouverneur ; révocation maquillée en promotion au rang de ministre pour le seigneur de guerre tadjik. Depuis sa prise en main de la ville, celui-ci n’en ferait qu’à sa tête, refusant le désarmement de ses milices, confisquant les recettes des droits de douane qu’il est censé reverser à l’Etat, et perpétuant une tradition rigoriste à la manière des talibans dans le contrôle des mœurs des habitants d’Herat, mœurs par contre en voie d’occidentalisation dans la capitale afghane. Progressivement, le pouvoir central a rogné sur les prérogatives de ce potentat local, installant même, depuis l’été 2004, ses troupes et leur parrainage américain dans la région, au prétexte d’arbitrer la guérilla entre les milices de Khan et celles d’un chef de guerre pachtoune. A l’approche des élections présidentielles du 9 octobre que Karzaï ne peut envisager de perdre, la destitution de Khan, d’autant plus brutale qu’il refuse le ministère « des mines et de l’industrie » qui lui est proposé, est l’ultime coup de force d’un long processus de renforcement de l’Etat dans la province.

La décision présidentielle déclenche une manifestation de protestation le samedi 11 septembre 2004 « dans la principale rue d’Hérat ». 300 personnes y scanderaient des slogans contre les Etats-Unis et contre Karzaï. Sans s’étendre davantage sur des affrontements possibles, le correspondant de l’AFP sur place signale que trois manifestants sont alors blessés par des militaires afghans. D’après d’autres sources, la foule envahirait les rues dans la soirée, jetant des pierres sur l’armée nationale et sur la police. Ces altercations nocturnes, qui décuplent la colère le lendemain, ne sont évoquées que brièvement par les observateurs qui se concentrent dès le 12 sur les attaques contre l’ONU. Elles sont pourtant certainement plus importantes que ce que leur traitement dans les articles relevés laisse préalablement penser, et elles sont surtout un moment essentiel pour comprendre la suite des faits. Seuls des médias hispanophones les rapportent avec quelques détails : des affrontements auraient bien lieu dans la nuit, conduisant vraisemblablement les soldats afghans et américains à tirer. Deux manifestants seraient tués. Cette version, récusée par des responsables US, n’est pas reprise par la presse anglophone et francophone.

Le lendemain dans la matinée, plusieurs centaines de manifestants, voire un millier d’après le chef de la police, se rassemblent devant des bâtiments des nations unies. Ils pénètrent dans les locaux de « la mission d'assistance des Nations unies en Afghanistan (UNAMA) et du Haut commissariat pour les réfugiés (UNHCR) » qu’ils pillent et auxquels ils mettent le feu. Une demi-heure plus tard, les GI’s interviennent, parvenant à repousser les fauteurs de troubles le temps d’évacuer les employés onusiens. Les manifestants brûlent des véhicules ainsi que la guérite du gardien. Caillassés, les soldats américains ripostent à balles réelles, tuant et blessant plusieurs assaillants – une grenade serait même jetée dans la foule. Car l’ampleur de ce qui devient visiblement une émeute est bien plus importante que ce que laissent entrevoir les premières dépêches, ainsi que le confirmeront les articles du lendemain. Ce sont au moins six installations de l’aide internationale qui sont ravagées et vidées par les gueux, comme l’AFP le rapporte le 13 septembre à travers les propos de responsables locaux de l’ONU :


« "J’ai vu dans ma vie beaucoup de locaux de l'ONU détruits, mais j’ai rarement vu le genre de destruction que j’ai constaté dans les bureaux de la Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan" (Unama), a déclaré lors de cette conférence de presse, l’adjoint du représentant spécial de l’ONU en Afghanistan, Filippo Grande.
"Le bureau était en cendres, tout avait brûlé (...) l’ensemble du bureau a disparu" et les locaux du Haut commissariat aux réfugiés (HCR) ont été "complètement pillés", a-t-il poursuivi.
"Il y avait même un coran, dépouillé de sa couverture traditionnelle, jeté dans un coin. L’employé du HCR qui l’a vu était en larmes".
Les saccages, qui selon les informations disponibles lundi, ont touché ces deux agences de l’ONU et trois ONG, ont en réalité été beaucoup plus étendus.
"L’Unicef, le Programme alimentaire mondial, l’Organisation internationale des migrations (OIM), la Commission indépendante afghane des droits de l’Homme, le Comité d'assistance danois, la Fédération internationale de la Croix-Rouge: toutes ces agences ont souffert des attaques contre leurs bureaux ou leurs logements ou les deux", a-t-il déclaré.
"Les pillards ont détruit plus de dix véhicules tout-terrain", se désolait, sur place, un employé de l’OIM, Said Abdul Karim.
"Mon dieu, mais qu’ont-ils fait au bureau", se lamentait un autre employé de l’OIM, constatant que les locaux avaient été entièrement brûlés.
Dimanche, environ 500 manifestants s’en étaient pris à ces organisations, après être descendus dans la rue pour protester contre le limogeage par le pouvoir central du gouverneur de la province, Ismaël Khan.
Face à la foule en colère, la police et l’armée régulière, épaulées par des soldats américains, ont sans douté été débordées, après le "vide" créé par le changement de pouvoir à Herat et les difficultés de "communication" entre les différents intervenants, selon l’ONU.  »



Quel chambardement pour un motif qui reste dans l’ensemble des médias le limogeage de Khan ! Lui qui affirmait dès le 11, au cours d’une apparition sur une chaîne télévisée locale, qu’il fallait respecter la décision de son remplacement, avant d’appeler au calme : « "Replacement is a normal procedure in a government, so you should not be upset," he said. However, he also said he was "upset that the national army fired on our Muslim brothers" ».

Au cours des affrontements du dimanche, il y aurait au moins sept morts et plus de cinquante blessés, parmi eux peut-être quinze soldats américains. The State parle de « 36 hours of clashes », information qu’il est le seul à donner.

Le calme paraît revenir le lendemain. Responsables onusiens et journalistes s’interrogent alors sur la prise pour cible de « l’aide internationale ». Certains émettent la thèse de l’émeute organisée, fomentée pour détruire des documents compromettants. Un autre attribue les troubles aux « ennemis du peuple d’Afghanistan ». Karzaï laisse entendre un son de cloche assez similaire, définissant l’émeute comme le fait de quelques hors-la-loi. Aucun n’évoque les tirs à balles réelles des troupes nationales et des américains, aucun ne parle des émeutiers tués.

A partir de toutes les informations disponibles, voilà ce que nous pouvons dire : les acteurs des faits semblent bien être des habitants d’Herat, au vu de leur nombre il paraît peu probable qu’ils se soient concertés préalablement à l’émeute, leurs cris traduisaient bien davantage une position contre Karzaï et les Etats-Unis que pour un chef de guerre quelconque, et à première vue il ne semble pas qu’ils aient utilisé des armes à feu. Les bâtiments de l’ONU ont été visés dans un deuxième temps, la première offensive des gueux s’est vraisemblablement portée contre les flics nationaux et américains, avant de s’étendre ensuite à la présence occidentale dans son ensemble.


Epilogue provisoire :

Le lundi, les organisations des nations unies quittent la ville d’Herat. Quelques jours plus tard, le nouveau gouverneur en place exprime publiquement le souhait de leur retour. La prise en main des régions par l’Etat central se poursuit : on apprend par l’intermédiaire de Institute for War and Peace Reporting que le gouverneur de Ghowr, province voisine, évincé ce même week-end, a pour sa part accepté un poste de conseiller au ministère de l’intérieur.




Première rédaction en décembre 2006, révisé pour publication en janvier 2008


Documents utilisés :

03-12 - Le Monde Diplomatique -- L’Afghanistan, vu d’Herat (relevé complémentaire)
04-09-11 - AFP Yahoo! Actualités -- Ismaël Khan, puissant gouverneur de l’ouest afghan, démis de ses fonctions
04-09-12 - AFP Yahoo! Actualités -- Afghanistan : des bâtiments de l’ONU attaqués à Herat
04-09-12 - AFP Yahoo! Actualités -- Trois morts, 47 blessés dans une manifestation dans l’ouest afghan
04-09-12 - AP Yahoo! Actualités -- Une manifestation pro-Khan réprimée dans le sang à Herat
04-09-12 - BBC -- Afganistán: 7 muertos en protestas
04-09-12 - Daily Bulletin -- Afghans riot to protest firing of warlord
04-09-12 - Swissinfo -- Siete muertos en Afganistán tras destitución de gobernador local
04-09-12 - The Washington Post -- Protestors Riot After Karzai Ousts Governor
04-09-13 - AFP Yahoo! Actualités -- L’ONU sous le choc après le saccage de ses bâtiments en Afghanistan
04-09-13 - China Daily -- Up to 7 die in clashes over ousted Afghan governor
04-09-13 - The State -- Violence targets U.N. offices in Heart, aid workers abandon Afghan city
04-09-14 - Diario La Capital de Mar del Plata -- La ONU se retira de Herat
04-09-15 - Institute for War and Peace Reporting -- Ismail Khan’s Dismissal Sparks Violence in Herat
04-09-15 - The News -- Herat’s new governor hopeful of aid agencies return
04-09-15 - Tehran times -- Aid workers dismayed after attacks in Afghan city of Herat




    Le 12 septembre 2004 à Herat (Afghanistan)

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