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Soulèvement au Baloutchistan du 26 au 30 août 2006 (Pakistan) [1]



Le Baloutchistan est une région d’Asie centrale divisée en trois par les frontières entre l’Iran, l’Afghanistan et le Pakistan. La partie comprise dans les limites de l’Etat pakistanais porte aussi le nom de Baloutchistan, il s’agit de la province la plus grande mais la moins peuplée du pays (environ 7 millions d’habitants pour quelque 350 000 km2). C’est une région montagneuse et désertique, où les villes sont rares, où le climat est dur, où les modes de vie traditionnels paraissent encore en vigueur. Comme chez le voisin afghan, l’Etat central y est en concurrence avec les organisations tribales. Qu’y a-t-il donc à convoiter sur ces terres hostiles qui ne semblent que cailloux et poussière ? Du gaz, du pétrole, de l’uranium, un accès à la mer, entre autres. Paradoxe suffisamment répandu dans le monde pour ne plus en être véritablement un : les retombées de ces ressources matérielles sont nulles pour la grande majorité de ceux qui vivent là. L’insatisfaction produite est détournée par et vers une guérilla intermittente opposant des milices tribales, plus ou moins autonomistes, au pouvoir central. Depuis qu’une roquette, tirée par des rebelles baloutches, est tombée à 300 mètres de Musharraf lors de sa visite à Kohlu en décembre 2005, les opérations militaires de l’Etat se sont intensifiées, entraînant par endroits des déplacements conséquents d’habitants de la région.

Le samedi 26 août 2006, d’importants combats, menés par l’armée nationale, aboutissent à la mort du principal chef tribal baloutche passé depuis peu à la clandestinité. Le septuagénaire Nawab Akbar Khan Bugti, vétéran de la rébellion et gestionnaire à ses heures, est enseveli, avec plusieurs dizaines de ses hommes, par des bombardements aériens dans sa cache des montagnes de Kohlu. L’annonce de sa mort dans la soirée provoque les premiers troubles à Quetta. Au cours de la nuit, des dizaines de bus et de voitures sont brûlés près de l’université locale, tandis que ceux qui sont alors désignés comme des étudiants par l’information bloquent les rues avec des pneus enflammés. Le lendemain matin, alors qu’entre 200 et 450 personnes auraient déjà été arrêtées et qu’au moins trois banques et une station-service seraient parties en fumée, l’Etat instaure un couvre-feu. Les gueux de Quetta s’empressent de l’enfreindre pour incendier cette fois des commerces, d’autres banques et des véhicules de police. Inaugurées dans la nuit, les fusillades entre certains protestataires et les flics se poursuivent. Neuf de ces derniers, qui tentent de s’opposer à l’attaque des banques et des magasins, sont blessés dans des affrontements avec des pillards. L’émeute oblige les autorités à convoquer l’armée qui prend position dans la capitale baloutche. Les manifestations de colère n’y seraient pas cantonnées, sans nommer systématiquement les villes ou villages, certains articles recueillis parlent de violences étendues à travers la région. Dans le district de Khuzdar, quatre banques étaient déjà visées par des incendiaires dès le samedi soir, et dans la ville portuaire de Gwadar, un bureau de la compagnie aérienne étatique est brûlé et des installations publiques prises pour cibles ce dimanche. A Karachi, la capitale du Sind, où vivent de nombreux Baloutches, des renforts policiers sont acheminés dans des quartiers paralysés par des piquets de rue, où l’on caillasse les flics derrière la fumée des pneus en feu. Mais l’épicentre de la colère reste Quetta où les deux premiers morts sont recensés à la fin de la journée : « Baluchistan police chief Chaudhry Mohammed Yaqoob said one Bugti supporter and one policemen were shot dead in separate incidents during Quetta's large-scale rioting Sunday. »

Le lendemain, malgré la grève générale appelée par les organisations baloutches et la condamnation unanime de l’offensive d’Islamabad contre Bugti, exprimée par l’ensemble de l’opposition officielle à Musharraf, les jeunes baloutches ne reviennent pas à la raison. Ils sont à l’attaque dans plusieurs villes de la province. A Pasni, sur la côte, une foule met le feu à un marché, à un échangeur téléphonique ainsi qu’aux bureaux d’une compagnie aérienne. Deux banques, des bâtiments gouvernementaux, et des propriétés privées seraient aussi attaqués. Les flics tirent, en l’air d’abord, puis sur les émeutiers, en blessant au moins six d’entre eux. Plus à l’ouest, à une centaine de kilomètres de là, la ville de Gwadar s’enflamme derechef : 1 000 gueux y incendieraient deux banques, un hôtel, un hôpital privé et une dizaine de commerces. A Wadh, le commissariat est attaqué, et c’est le bureau de poste qu’on brûle. A Nal (ou Naal), il s’agit du siège du parti de Musharraf.

Contrairement à l’image qu’en donnent certains médias, Quetta n’est pas complètement engourdie par la grève. Dès la matinée, « un grand nombre » de protestataires se regroupent et prennent pour cibles deux instituts universitaires, dont ils pillent le matériel, incendié ensuite sur la chaussée. Au passage, plusieurs bus servent également de combustible. Ailleurs, d’autres mettent à sac les bureaux du PNUD, le programme des nations unies pour le développement. Là aussi un feu de joie emporte les voitures garées alentour. Plusieurs bureaux gouvernementaux sont saccagés. Des véhicules de l’ONU seraient également brûlés à Karachi où les flics dispersent 500 manifestants au gaz lacrymogène.

Alors que Musharraf avait tout d’abord qualifié la mort de Bugti de « grande victoire » et félicité en conséquence les militaires, son gouvernement affirme maintenant qu’il n’était pas dans leur intention de tuer le vieux chef, mais que la présence d’explosifs stockés dans sa grotte lui a malheureusement coûté la vie. Après trois jours d’émeute, la fureur, qui n’a pas l’air de s’estomper, en devient d’autant plus inquiétante pour les garants de l’ordre. La mort du leader, de l’icône, est visiblement ressentie comme une profonde humiliation par les pauvres de la région, qui ont vu, ces dernières années, les méthodes répressives de l’Etat se durcir. En réponse à de régulières opérations de sabotage, les rafles menées par les services de sécurité se seraient multipliées depuis 2005, entraînant la disparition de nombreux « jeunes baloutches ». Mais nul besoin d’être un « supporter de Bugti » pour prendre part aux actes collectifs qui balayent la misère du quotidien, nul besoin non plus d’être un défenseur de la cause baloutche pour participer à l’incendie de banques. Si des militants régionalistes se mêlent certainement aux troubles, le cadre étriqué de leur discours et de leur idéologie est plus menacé que renforcé par ce qui commence à pointer dans les villes de la région. La principale tactique du camp de la conservation va alors consister à identifier les révoltés à la rébellion qui « résiste » au pouvoir depuis des années au nom du peuple baloutche. 

Le mardi 29 août, la première cérémonie funéraire réunit au moins 10 000 personnes dans un stade de Quetta. Leaders politiques et religieux se pressent dans l’enceinte sportive entourée d’une forte présence policière. Le beau-fils de Bugti appelle au calme : « Bellowing through a loudspeaker, Bugti's son-in-law and Pakistani senator, Agha Shahid Bugti, appealed for calm, yelling: "Anyone who is looting and damaging other's property has nothing to do with us. We are peaceful. They are our enemies." », traçant ainsi justement la ligne de démarcation qui séparent les représentants politiques, baloutches ou non, partisans du chef tué ou non, de ceux qui prennent les rues. De leur côté, les autorités ont interdit le port d’armes à feu pendant deux mois dans toute la province. Comme le corps de Bugti n’a toujours pas refait surface, soit parce que comme le dit l’Etat il est encore coincé sous d’énormes rochers, soit parce qu’il a été mis au frais en attendant que la tension retombe, il n’est pas encore procédé à l’enterrement, mais seulement à des prières funéraires. A leur issue, des affrontements commencent avec les nombreux flics postés dans la ville, il y a des caillassages, puis des fusillades. « Des groupes de jeunes hommes masqués » cassent des vitrines autour du stade et brûlent un poste de sécurité. On bloque les rues et on passe à l’incendie des commerces. Les destructions s’étendent à d’autres endroits de la ville : des voitures, des banques, des restaurants, des bureaux du gouvernement sont attaqués par le feu. Des gueux armés, dont certains postés sur les toits, tireraient sur les flics. L’annonce initiale de l’explosion de deux bombes à l’extérieur du stade est finalement réfutée par les flics eux-mêmes, expliquant qu’il s’est en fait agi de celle de bonbonnes de gaz présentes dans les échoppes enflammées. Dommage pour les journalistes qui trouveront tout de même un opportun attentat à se mettre sous le clavier pour l’amalgamer à la révolte, celui qui, quelques heures plus tard, fera trois ou quatre morts dans un restaurant de Hub à quelque 600 kilomètres de Quetta. Mais c’est ailleurs qu’il faut regarder pour trouver d’autres gueux en action, à Khuzdar, Turbat et Gwadar, les mêmes cibles – banques, boutiques et voitures – connaissent le même sort que dans la capitale de la province. A Karachi, 35 protestataires sont arrêtés et deux adolescents sont blessés par les tirs des flics au cours d’une « riot ».

Le mercredi 30, les derniers incendies emportent un bureau du gouvernement et plusieurs commerces à Khuzdar. Dans le reste de la région, le calme semble revenu. Seuls les barrages de routes subsistent, et ils sont visiblement contrôlés par les organisations baloutches qui, après discussions avec les autorités, les font lever le lendemain. Accompagnant la grève qui se prolonge, il y a encore des échauffourées dans certains quartiers de Karachi, au moins jusqu’au 1er septembre, mais ce ne sont que les ultimes braises de la brève mais forte éruption qui s’éteint maintenant.

A sa place, les sabotages contre des installations énergétiques, pylônes électriques et gazoducs, déjà fréquents avant la mort de Bugti, prennent le relais. Dans leur médiation, les journées du soulèvement qui auront fait entre 8 et 10 morts et conduit à l’arrestation d’au moins 700 personnes, se retrouvent noyées dans les marottes journalistiques : divisions ethniques et régionales, mise en scène du faux débat entre chefs tribaux et pouvoir central, constat et exagération de particularités locales.



1.  Avant le traitement ayant servi à la rédaction de ce compte-rendu, nous n'avions pas relevé les derniers troubles du 30 août à Khuzdar ; raison pour laquelle la fin du soulèvement est datée au 29 août dans la chronologie 2003-2006 et dans sa présentation. 


Décembre 2007


Documents utilisés :

06-08-26 - AP Yahoo! Actualités -- Un chef tribal pakistanais tué par les forces de l'ordre
06-08-26 - CNN -- Tribal leader killed in Pakistan
06-08-26 - MND -- Curfew in Pakistani City After Rebel Leader Killed
06-08-27 - ABC News -- Pakistan authorities impose curfew after rioting
06-08-27 - Al Jazeera -- Baluch rioting spreads in Pakistan
06-08-27 - Al Jazeera -- Pakistan imposes curfew on Quetta
06-08-27 - BBC News -- Pakistan rebel death sparks riots
06-08-27 - Fox News -- Riots in Pakistan After Military Kills Tribal Leader
06-08-27 - Indymedia Paris Île-de-France -- Pendant ce temps au Balouchistan
06-08-27 - International Herald Tribune -- Pakistan reports killing of militant tribal leader
06-08-27 - International Herald Tribune -- Tribal chief's killing sparks unrest in Pakistan
06-08-27 - Reuters Yahoo! Actualités -- Couvre-feu indéterminé à Quetta au Pakistan
06-08-27 - The Times of India -- Pak forces kill Baloch leader Bugti
06-08-27 - Turkish Press -- Riots spark after rebel chief killed in southwest Pakistan
06-08-27 - Dawn -- KARACHI: Riots in Baloch-dominated areas
06-08-28 - BBC News -- Strike over Pakistan rebel death
06-08-28 - Belfast Telegraph -- Thousands riot after killing of Baluch chief
06-08-28 - Daily News & Analysis -- Death stirs riot Bugti's killing will galvanise anti-Musharraf forces
06-08-28 - FOX News -- Pakistan Unrest Follows Death of Tribal Chief
06-08-28 - Hindustan Times -- Battleground Balochistan
06-08-28 - International Herald Tribune -- Pakistan A country unravels
06-08-28 - La Prensa -- Asesinato de líder rebelde desata violentas protestas
06-08-28 - Le Monde -- Le Baloutchistan secoué par des émeutes après la mort du chef nationaliste Nawab Akbar Bugti
06-08-28 - The Daily Star -- Pakistan kills Baluch tribe leader, sparks riots
06-08-28 - Turkish Press -- Eight hurt as riots continue in Pakistan over killing of tribal chief
06-08-28 - USA TODAY -- More rioting hits southwestern Pakistan
06-08-29 - ABC -- Pakistan PM rejects tribal chief's killing was targeted
06-08-29 - Al Jazeera -- Clashes at Bugti's funeral prayers
06-08-29 - AP Yahoo! Actualités -- Quatre morts dans un attentat au Pakistan
06-08-29 - CBS News -- Rioting Kills 3 After Pakistan Funeral
06-08-29 - CCTV -- Violences au Pakistan
06-08-29 - Dawn -- Balochistan crippled by strike, violence
06-08-29 - International Herald Tribune -- Mourners riot after Pakistani tribal leader's funeral
06-08-29 - IRIN -- Tribal chief’s killing leads to violence
06-08-29 - Monsters and Critics -- At least 3 killed as protests continue in Pakistan province
06-08-29 - Reuters -- Pakistani policeman dies in riot over rebel's death
06-08-29 - The Scotsman -- Blast kills 3 as violence erupts in Pakistan
06-08-29 - The Times of India -- Violence erupts in Pak over Bugti killing
06-08-29 - VOA News -- Tribal Leader's Death May Affect Pakistan Politics, Terror War
06-08-30 - Arab News -- 4 Die as Bomb, Riots Rock Balochistan
06-08-30 - BBC News -- Press unease at Baloch killings
06-08-30 - Reuters -- Pakistani soldiers work to clear rebel's cave
06-08-30 - The Manila Times -- Karzai condoles with rebel chief's family
06-08-30 - Woodland Daily Democrat Associated Press -- Protesters Block Roads in South Pakistan
06-08-31 - IRIN -- PAKISTAN: More fighting in Balochistan, but no aid in eight long months
06-09-01 - Al Jazeera -- Pakistani rebel leader's body found
06-09-01 - Gulfnews -- Baloch leader's body 'pinned under boulder'
06-09-01 - Turkish Press -- Strike paralyses Pakistan's restive Baluchistan province
06-09-02 - Dawn -- KARACHI : Strike paralyses life in Karachi
06-09-02 - La Prensa -- Paquistán enfrentó huelga
06-09-03 - Gulfnews -- Baloch crisis needs quick settlement
06-09-03 - The News -- Serious setbacks for political economy of Pakistan
06-09-04 - Gulfnews -- More attacks by Balochistan militants feared
06-09-07 - Dawn -- Call to stop operation in Balochistan
06-09-12 - Dawn -- Power supply to 15 districts hit- 4 pylons blown up in Balochistan
06-09-26 - IRIN -- Baloch tribal gathering appeals to International Court of Justice
06-10 - Le Monde diplomatique -- Contestation indépendantiste au Baloutchistan, par Selig S. Harrison




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