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Présentation à la chronologie générale de la révolte dans le monde pour la période 2003-2006




   2003  /  2004  /  2005  /  2006




Comme premier document de référence, cette chronologie offre une vision d’ensemble sur les actes négatifs portés à notre connaissance grâce à l’activité d’observation que nous avons menée en continu depuis 2003. D’emblée, elle se veut une première démonstration de l’actualité de la révolte, qui se manifeste sur tous les continents, contre l’ignorance quotidienne, l’occultation intéressée, l’indifférence généralisée régnant à ce sujet. Cette chronologie dit d’abord : voilà un point de vue contradictoire sur le monde où nous sommes, et pour preuve les manifestations du conflit qui l’anime. En même temps, la relation inaugurale de l’ensemble de ces faits, un à un décrits de façon sommaire tout en veillant à ce qu’en apparaissent leurs caractéristiques spéciales et l’essentiel, vise à poser leur unité : comme hypothèse et parti pris de notre part, constat d’un manque qui les affecte tous dans leur isolement respectif, mise en perspective d’un objectif stratégique pour les révoltés présents et à venir.


Conception et fonction générale 


D’abord, comme l’explique Méthode de la consultation et du tri élémentaire de l’information (2003-2006), sur la base de nos relevés de l’information nous avons établi des chronologies mensuelles, depuis janvier 2003 jusqu’à décembre 2006. Au fur et à mesure de notre observation, les connaissances et les réflexions qu’elle alimentait nous ont conduit à préciser nos choix quant à la sélection des faits retenus. Pour l’essentiel, cette sélection a consisté en un premier jugement sur leur qualité et leur intensité, qui dépendait pour une part de la conception sur le négatif que nous partagions au commencement de nos recherches, et donc, d’autre part, sur ce que ces recherches nous révélaient : la chronologie générale en constitue une synthèse, puisque ce que les actes observés nous ont montré « par et pour eux-mêmes » a agi sur le cadre fixé initialement – qui, par définition, l’avait été dans cette perspective, et dans cette attente.

Une fois les premiers choix opérés à la conception des chronologies mensuelles, nous avons procédé à une seconde sélection au moment de leur réunion. Par l’examen de cet ensemble, en confrontant les faits entre eux, grâce à des comptes-rendus plus détaillés déjà réalisés, suivant les opinions que nous nous sommes forgées sur l’évolution de telle situation dans un Etat particulier, ou les impressions laissées par telle autre à mesure que nous en observions les suites, nous avons pris le parti d’un certain minimalisme : tout ce que nous avons appris en quatre ans ne figure pas dans ce document. Il s’agit du résultat d’une estimation subjective, forcément discutable puisque la nôtre seulement, mais qui est aussi fondée, pour nous. Par la publication de cette chronologie, nous commençons à mettre en évidence ce qui nous paraît le plus significatif, le plus important à prendre en considération. En comparaison de ce qui est dit d’habitude, de tout l’inepte sur quoi les attentions conformées se focalisent, des croyances dominantes sur les révoltes particulières et sur l’histoire en général, ce premier document de référence, au vu de ce qu’il révèle et contient, pourrait apparaître comme exhaustif, ou définitif. Il ne l’est pas. Il ne prétend pas à l’être. Il est bien plutôt une autre manière d’affirmer notre parti pris, la vue en coupe des quatre dernières années du point de vue de quelques pauvres animés par la ferme volonté de se prononcer sur ce qui a lieu, pour le livrer et se livrer au débat, à la lumière de cette base négative.

Suivant ce qui nous apparaîtra par la suite, suivant ce que d’autres pourraient nous adresser d’après leurs propres connaissances et jugements, certaines de nos appréciations pourront évoluer : si elle se veut une première façon d’exposer, d’affirmer l’actualité primordiale de la révolte, cette chronologie générale est aussi conçue comme un document de référence et de travail partiel, malléable, critiquable, ouvert. En l’indiquant les cas échéants, nous pourrons être amenés à le corriger. Car il s’agit d’un moyen et d’une étape, essentiels selon nous, parmi un ensemble d’autres moyens encore à définir, qu’il reste à forger au-delà de l’association que nous formons.    


Indications sur la mise en forme : descriptifs, légende et catégories


Lorsque nous avons déterminé, au rythme d’un bilan mensuel, quels faits négatifs nous retenions, nous avons utilisé un système de codifications qui consistait pour l’essentiel à les différencier suivant les intensités négatives respectives que nous leur reconnaissions. Au moment de formaliser leur compte-rendu public d’ensemble, nous avons réévalué ce système, dans l’intention de le rendre plus précis, plus pertinent. Dans sa forme publiée, la chronologie générale présente ces variations d’intensité, ou qualitatives, auxquelles nous avons couplé une différenciation entre des ensembles de faits, par la définition de catégories, et qui est aussi une autre manière de se prononcer sur leur qualité.


Chacun des faits négatifs, ou chacune des situations conflictuelles, est daté et situé suivant l’Etat, puis la ville ou le lieu où il survient, les capitales étant soulignées – avec pour les plus grands Etats la division administrative intérieure à leurs frontières où se situent cette ville ou ce lieu. Parfois, même s’ils se sont étendus sur plusieurs jours ou plusieurs lieux, les descriptions de certains faits, de certaines situations, n’occupent pourtant qu’une seule ligne de la chronologie : en général, ce choix signifie que nous leur attribuons une importance moindre, en termes de perspectives négatives, de la critique en actes ; au contraire pour les faits ou situations jugés supérieurs de ce point de vue, ce qui a lieu est indiqué jour après jour, et pour le même jour autant de lignes peuvent se succéder qu’il y a de lieux concernés. De façon la plus systématique possible, les faits ou situations sont décrits par :


-    Une indication sur leur contexte et/ou sur un prétexte déclencheur, avec parfois le rappel de faits antérieurs auxquels ils sont liés ;

-    si possible le nombre de personnes impliquées – en reprenant parfois, et en le signalant par l’emploi de guillemets notamment, certaines désignations identitaires utilisées à leur sujet, ce qui est en général une autre façon d’indiquer quelque chose de l’ordre d’un contexte particulier, d’un prétexte déclencheur ;

-    ce qui constitue le cœur de ce qui a lieu, les actes collectifs qui font le moment de révolte, ce que ciblent les révoltés, la rupture qu’ils créent, l’unité, l’idée de cette unité, qu’ils révèlent alors entre eux, à la fois dans des contextes, suivant des prétextes, particuliers, mais dans un moment pratique où leurs actes priment et n’y sont plus réductibles ;

-    des bilans sur les nombres de morts, blessés, arrestations – déterminés d’après différents informateurs qui reprennent eux-mêmes différentes sources, d’où l’usage de fourchettes ;

-    de façon moins systématique, certaines mesures, certains usages répressifs, plutôt lorsque nous apparaît leur caractère inhabituel, significatif dans ce sens ;

-    de façon moins systématique parce qu’elles ne nous sont apparues que rarement, d’autres indications relatives à la situation des révoltés, parce qu’elles révèlent, ou suggèrent, une extension qualitative dans leur pratique – par exemple en termes d’organisation.


Pour chacun de ces descriptifs, nous appliquons une mise en forme typographique particulière, qui les différencie suivant les degrés d’intensité, et les catégories auxquelles ils appartiennent, tels que nous les apprécions : leurs descriptifs respectifs en constituent une première justification, que les explicitations détaillées sur la légende précisent d’un point de vue plus général. Lorsque ce sera le cas, commentaires et analyses supplémentaires, accessibles à partir de liens insérés dans les lignes de la chronologie, l’expliqueront davantage.


Nous avons opéré une première différenciation générale, représentée par le partage entre les styles de police « normal » et « italique ». Le premier correspond à ce qu’on pourrait nommer la catégorie du négatif principal. Il concerne la grande majorité des faits dont nous rendons compte. Le second repère des cas dont certaines caractéristiques l’emportent selon nous sur ce qui définit ce négatif principal en général, à savoir l’immédiateté dans l’expression de la colère collective, l’anonymat des acteurs non soumis à des rapports hiérarchiques, l’attaque directe contre les gestionnaires en place ou leurs concurrents récupérateurs, le pillage et la destruction contre la marchandise, l’agression et l’insulte contre les informateurs professionnels, de tels actes commis de telle façon qu’ils prévalent, ou paraissent prévaloir, sur tout plan ou discours préconçus, portés d’avance par une ou quelques conscience(s) isolée(s). Toutes les situations repérées en « normal » ne manifestent pas l’ensemble de ces caractéristiques, mais elles en présentent au moins certains aspects : pour les différencier entre elles, suivant donc une gradation dans l’intensité, nous en avons établi quatre niveaux – pour l’instant, puisque relativement aux faits observés. Leur attribution dépend du constat que nous faisons sur ces caractéristiques : plus elles nous apparaissent dans leur ensemble, relativement à une situation de révolte particulière, plus nous jugeons celle-ci intense, prometteuse, redoutable, tournée vers l’essentiel, manifestation de cet essentiel. L’intensité dépend aussi de l’extension dans le temps, et dans l’espace. On peut également l’estimer par rapport à l’ampleur des moyens répressifs convoqués contre les révoltés, qu’indiquent parfois les nombres de morts, de blessés, d’arrestations (bien que l’information sur ces chiffres soit la plupart du temps délivrée par ceux qui répriment, d’où la nécessité de les considérer avec prudence pour cette raison).

Pour ce qui concerne les faits repérés en « italique », nous définissons six catégories relatives à leurs caractéristiques respectives plus particulières, avec pour chacune deux niveaux possibles d’intensité.


Explicitations détaillées sur la légende :    



    « Négatif principal »


Les degrés d’intensité que nous repérons, pour le négatif principal, traduisent avant tout une intensification, de l’un à l’autre, dans la confrontation directe, dans la rupture en actes. Chacune de ces mises en forme, notamment les deux premières les plus largement appliquées, recoupent des situations certes proches par plusieurs aspects, mais aussi fort différentes, à considérer aussi dans leurs particularités. Ceci pour dire que nous ne voulons pas signifier un nivellement, un amalgame simplificateur, l’affirmation d’une exacte identité entre les actes de chacun des quatre ensembles. Les différenciations que nous opérons valent surtout pour le passage de l’une à l’autre, pour signifier une gradation dans l’amplitude, la profondeur, l’entièreté, de la critique en actes. Nous n’idéalisons pas ces actes. Nous n’en suggérons pas une quelconque perfection, ni ne leur conférons la valeur d’un aboutissement ou d’un summum. Il importe de les affirmer primordiaux à la fois pour le courage, pour la rage, pour la vie qui s’y manifestent, et pour saisir ce sur quoi ils butent, pourquoi ils s’épuisent, comment vaincre ces insuffisances.    


-    en normal :

A ce premier niveau d’intensité, nous associons les faits négatifs dont nous jugeons l’envergure la moins grande. Souvent, il s’agit des moins étendus dans la durée, autour de quelques heures, n’en dépassant pas vingt-quatre dans leur grande majorité. De même, leur espace est restreint, plutôt une à quelques zones d’une même ville, que plusieurs quartiers à l’ensemble d’une ville. En général, ce sont les faits pour lesquels les nombres de personnes impliquées sont les plus faibles. Il en va de même en termes de cibles visées, et des bilans des affrontements ou de la répression ; dans ces cas les morts sont les plus rares.

Par ailleurs, une série de limites diverses empêchent selon nous l’accession de ces actes au grade qualitatif supérieur, du moins tels qu’ils nous apparaissent et que nous les jugeons : quand prévaut un contexte particulier, lorsqu’ils surviennent à l’occasion de manifestations préméditées, encadrées, commémoratives (par exemple en Colombie et au Nicaragua le 18 mai 2004, en Corée du Sud le 22 novembre 2006) ; même genre de prévalence, lorsque des déterminations identitaires, ethniques ou religieuses, semblent dominer les motivations des acteurs, du commencement à l’issue de leur engagement (par exemple, et notablement pour ces deux Etats où on le constate souvent, en Inde le 9 septembre 2003, ou au Nigeria le 28 janvier 2004) ; lorsque certaines situations, dans un Etat particulier, se ritualisent suivant les termes d’un conflit davantage commandé par des partis ou des organisations politiques contestant le régime en place (comme pour le Népal, ou le Bangladesh, pour lesquels nous avons choisi de ne pas faire figurer un certain nombre de faits initialement relevés, préférant mettre l’accent sur des moments où sont survenus des actes débordant les pratiques habituelles – voir, pour le Népal, au début du mois d’avril 2006 ; et pour le Bangladesh, fin août 2004 et fin octobre 2006) ; lorsque les auteurs des faits sont désignés comme appartenant à la même corporation ou au même groupe limité, notamment les étudiants, qu’il semble que ce soit le cas, et que nous ne constatons pas de signes probants que d’autres que ceux-là prennent part à ce qui a lieu (comme c’est au contraire le cas au Sri Lanka au début de mars 2005, ou à Belize le 20 du mois suivant) ; dans le cas de rassemblements à l’occasion de confrontations sportives, où ce genre de prétexte paraît circonscrire par avance l’extension de l’émeute (ceci plutôt en Occident, notamment aux Etats-Unis ; avec ces contre-exemples de mars 2005 au Mali, de septembre de la même année en Zambie, de mars 2006 en Algérie, et surtout du soulèvement en Syrie en mars 2004).  

Car il arrive ainsi que ce genre de limites, s’il peut apparaître au commencement d’une situation de révolte, ou dans son cours, soit aussi renvoyé au second plan, dépassé, par les actes mêmes de ceux qui prennent les rues. Dans ce cas, c’est une explication du passage au deuxième niveau d’intensité négative.


-    en normal gras :

A partir de ce deuxième niveau, les faits négatifs conquièrent ce qui définit, selon nous et d’après ce qu’ils sont, leur caractère exceptionnel, leur potentialité historique. Alors, des humains créent ces moments – ou bien ils y tendent de la façon la plus conséquente, la plus prometteuse – qu’aucune autre situation dans le monde n’équivaut, du point de vue de leur devenir sujet, de la possibilité de s’affranchir collectivement de la domination de toute détermination préconçue, de toute médiation autonomisée, sur lesquelles ils ne statueraient pas en amont. Là où les faits du niveau inférieur ne nous le paraissent pas de façon probante, ceux-là contiennent selon nous ce possible, avec bien plus d’évidence. Mais, il faut immédiatement préciser cette appréciation : nous ne disons pas que chacun de ces faits négatifs réalise ce possible ; nous pensons qu’ils constituent autant de situations où des voies pour cette réalisation commencent à être déblayées, effectivement ; et, encore une fois, qu’elles placent aujourd’hui dans le monde leurs acteurs à l’avant-garde de sa mise en question.

Par rapport au degré inférieur, dans ces situations de révolte les nombres de personnes impliquées sont plus importants. En général, elles ne se créent encore que dans un seul lieu, et sur un seul jour – dans les cas contraires, c’est parce qu’il nous paraît que persistent certaines limites de l'ordre de celles énumérées précédemment, même si elles se trouvent à la fois débordées dans ce qui a lieu, que nous les maintenons à ce deuxième niveau. Offensives, destructions, affrontements, mises en cause, sont plus francs, plus amples, plus profonds : par le nombre de cibles visées, par leur diversité. L’augmentation des bilans répressifs indique aussi la même intensification.


-    en normal gras avec ajout de l’abréviation « s », pour « soulèvement » :

Ces soulèvements ont manifesté une dangerosité de la révolte, pour les ordres qu’elle attaque, encore supérieure. Sur le mode de l’explosion initiale, la colère se propage et se renforce, ses ravages s’approfondissent.

L’immédiateté du commencement est dépassée, elle inaugure le durcissement, l’amplification du conflit. La révolte s’étend à l’échelle d’un même centre urbain et/ou à plusieurs villes ; elle se poursuit au-delà du premier jour. En ce qui concerne cette extension dans la durée, deux dates y font cependant exception, dans cette liste. Pour le 10 avril 2005 en Chine, il s’agit du jour de l’émeute grâce à laquelle les révoltés auraient gardé le contrôle sur l’espace libéré après avoir défait les flics : pour cette raison nous parlons de soulèvement. Pour les Tonga, si quelques destructions ont encore été commises le 17 novembre, il semble bien que l’essentiel ait eu lieu ce 16 novembre 2006 : c’est l’étendue des dévastations, au cœur de la capitale, qui vaut à ce jour la qualification de soulèvement.

Dans ces situations, l’incendie et le saccage des représentations étatiques, la destruction et le pillage des marchandises, se généralisent. Si l’estimation paraît quantitative, nous croyons qu’elle traduit un véritable gain qualitatif.

Ceci dit, deux des cas que nous associons à cette catégorie ne présentent pas ce dernier aspect, notamment en ce qui concerne l’attaque de la marchandise. Il s’agit encore du 10 avril 2005 en Chine, et de la révolte qui précède en 2004 dans le même Etat, de fin octobre à début novembre : essentiellement, nous estimons cette dernière en tant que soulèvement pour son extension dans la durée, et pour le nombre de protestataires qui s’y sont engagés.


Si plusieurs de ces soulèvements gagnent l’ensemble d’une région à l’intérieur d’un Etat (par exemple : la wilaya d'Ouargla en Algérie, le Kurdistan syrien, le Kurdistan turc), ou secouent fortement des capitales (par exemple : au Yémen, au Soudan, dans les Iles Salomon et celles des Tonga), il ne semble pas qu’ils aillent jusqu’à mettre sur la sellette les régimes, les gestionnaires en place : si c’était le cas, ce serait une des conditions du passage au pallier encore supérieur. Par ailleurs, en termes de limitations à ces soulèvements, on peut aussi remarquer ce phénomène, parce qu’on l’observe à plusieurs reprises, comme en Syrie, au Togo, au Soudan, d'une évolution vers des affrontements entre pauvres, ce qui paraît alors un des moyens les plus efficaces de leur répression.    


En général, nous attribuons l’abréviation « s », ainsi que celle qui suit, à l’ensemble des lignes se rapportant au même événement, pour signifier son unité. Il arrive que des variations apparaissent, notamment au commencement ou à la fin de ce genre de situations, par la mise en forme de certaines lignes en « normal » ou en « gras » seulement, pour traduire une gradation d’intensité dans leur cours, ou sa baisse à l’inverse. Ce type d’indications n’est pas systématique dans la chronologie : pour chacune de ces situations, son évolution sera mieux appréciée et décrite dans le cadre de comptes-rendus à part entière.


-    en normal gras avec ajout de l’abréviation « S », pour « soulèvement majeur », ou « situation insurrectionnelle » :


Avec les caractéristiques du soulèvement tel que précédemment décrit, ceux-là gagnent une dimension supplémentaire, majeure, insurrectionnelle. S’ils n’éclatent et ne se propagent encore qu’à l’intérieur d’un seul territoire étatique, le régime contre lequel les insurgés s’érigent massivement est touché au cœur, et il chancelle – dans ces deux cas, en Bolivie comme au Kirghizistan, les présidents en place ont en effet été contraints à la fuite.  

Dans le cours des quatre années dont nous rendons compte, les insurgés de Bolivie et du Kirghizistan sont sans doute ceux qui sont allés au plus loin dans la création de conditions pour s’approprier la définition et la maîtrise du débat sur tout.

Mais, il faut remarquer qu’en comparaison des insurrections de 2001-2002, en Algérie et en Argentine, il ne semble pas que ces soulèvements majeurs se soient accompagnés d’expériences neuves en termes d'organisation, qui se seraient renforcées, qui auraient perduré, au-delà de la menée des frondes initiales. Si en Bolivie, dans le cours de leur pratique les insurgés se sont posés la question de l’organisation, il semble que la réponse apportée a surtout consisté à s’appuyer sur des structures anciennes, en acceptant au final l’interposition des mots d’ordre réformistes que leurs tenants se contentaient d’afficher comme un summum. De même, ceux d’Asie centrale paraissent avoir conservé une trop grande crédulité à l’égard des concurrents aux gestionnaires en place, même si dans l’ultime offensive, les pilleurs de Bichkek ont aussi montré que cette tendance n’en était qu’une, qui a seulement pris le dessus pour cette fois.

C’est là une première manière de se prononcer sur l’état de la révolte dans l’époque actuelle, du point de vue de l’ensemble présenté dans cette chronologie, et de ces deux manifestations que nous estimons les plus importantes : si la révolte ne manque pas, si le parti du négatif et de l’histoire remue toujours les entrailles du monde, tout reste à faire pour transcender cette puissance, pour que l’humanité en devienne la maîtresse.



    Catégories plus particulières


A chaque ligne en « italique », un code est attribué par l’inscription d’une abréviation, qui correspond à l’une des catégories suivantes. Pour chacune de ces catégories, l’abréviation correspondante, ou sa première lettre, peut être passée en majuscules, pour signifier une intensité, une ampleur, plus grandes ; dans ce cas, l’« italique » du descriptif se double d’un « gras ».      


-    « mm » ou « MM » pour « mobilisation massive » :

« mm » se rapporte à des faits plus ponctuels, localisés.

Une majorité d’entre eux se situent dans des contextes ruraux, souvent ils consistent en la contestation d’activités industrielles ou d’exploitation de matières premières sous la coupe d’entreprises privées, étrangères, au détriment des habitants des régions concernées.

Plusieurs de ces frondes se dirigent contre des gestionnaires locaux corrompus, ou leurs sbires, dont certains sont pris en otages, voire lynchés – particulièrement au Mexique, en août 2004, en janvier et mars 2005 ; l’Amérique latine étant le continent où ce genre de mise en cause apparaît comme le plus répandu.

Dans cette catégorie, il faut signaler un cas très particulier, entre la fin septembre et le début octobre 2005, avec les assauts de migrants africains sur les enclaves espagnoles du nord marocain, à Ceuta et Mellila.


« MM » désigne des mouvements plus longs, plus amples, pour lesquels le qualificatif de « massif » prend véritablement son sens. Entre 2003 et 2006, nous repérons quatre mobilisations de cette envergure supérieure :


Le négatif est présent, mais il se manifeste sur un mode moins offensif, moins direct, moins destructeur. Des ensembles conséquents de personnes se forment, qui mènent et organisent principalement leur protestation sur la base de cette force collective que dès lors ils constituent, en imposant leur volonté au moyen de grandes marches à répétition, de blocages de routes et de rues, d’occupations.

Si des organisations préexistantes jouent un rôle dans ce qui a lieu, il semble plutôt qu’elles s’y fixent, qu’elles s’y immiscent, mais sans le contrôler, sans le diriger de bout en bout. Pour une grande part, la masse des anonymes qui s’assemblent le fait de son propre chef, c’est elle qui fait ces mouvements, comme en Equateur en avril 2005. Mais, on peut aussi comprendre leur issue limitée par un manque de critique et de défiance à l’encontre de ce genre d’organisations préexistantes, dont les mots d’ordre et les représentants finissent alors par se substituer à l’ensemble des acteurs et leurs aspirations, comme ça a été notamment le cas en Bolivie en juin 2005.

Car, si en actes la rupture est moins nette, l’engagement des protestataires paraît porteur des perspectives d’un bouleversement radical. Là où, dans le cas des soulèvements du négatif principal, la colère explose en déferlante immédiate, elle se diffuse ici de façon plus sourde, plus rentrée, à la fois comme contenue mais plus sûre d’elle-même. L’occupation du terrain, et la maîtrise sur la durée, se font d’une manière décidée, et conséquente. Au moins jusqu’à atteindre un objectif principal, et même si on peut en critiquer le caractère souvent partiel, les protestataires ne lâchent pas les rues facilement. Ce faisant, ils créent des situations propices à l’élaboration de moyens d’organisation nouveaux. Des bribes de discours transparaissent, qui commencent de faire écho à ce qui se manifeste en actes par ailleurs. Un possible est alors mis en jeu, ou en passe de l’être, qui fait défaut quand prévalent la rupture immédiate, et le conflit qui s’étend et se durcit en affrontements directs.    


-    « p » ou « P » pour « pillage » :

Le pillage apparaît comme la pratique unique, ou largement prédominante, au contraire de ces situations nombreuses où il est commis dans le cours de révoltes dont les acteurs ne s’y adonnent pas seulement.

Dans ces cas de pillages isolés, des situations, qui les permettent pour ainsi dire, sont provoquées par des facteurs extérieurs, c’est-à-dire indépendants de la volonté des pilleurs, par exemple des attaques militaires comme en mars 2003 en République Centrafricaine ou en novembre 2006 au Tchad, par exemple des ouragans, comme à la Nouvelle-Orléans fin août début septembre 2005, et le mois suivant au Mexique.   

Nous usons également de cette désignation particulière pour repérer des faits simultanés à d’autres, dans le même Etat, dans la même ville, dans le cours d’un même « événement ». Par exemple en Haïti en février-mars 2004, ou au Timor Oriental en mai-juin 2006, certains « faits négatifs » deviennent ces facteurs extérieurs qui provoquent le pillage : c’est parce qu’on suppose alors une distinction entre les pillards et les auteurs de ces « faits négatifs ».

Enfin, il faut signaler ici le cas exceptionnel de l’Iraq en avril 2003, exceptionnel du point de vue de l’ensemble de la période considérée, pour l’ampleur du pillage qui s’y est généralisé.


-    « aa » ou « AA » pour « affrontement armé » :

Lorsque les acteurs des faits relatés, dont nous pensons qu’il s’agit de pauvres en révolte, ou bien certains d’entre eux, usent d’armes à feu, et que les affrontements qu’ils ont avec le parti adverse, ou les attaques qu’ils mènent, constituent l’essentiel de ce qui a lieu.

Mis à part les cas uniques situés en Indonésie (janvier 2004), au Yémen (novembre 2004), en Bolivie (septembre 2006), et ceux relevés respectivement pour le Nigeria (au moins février et août 2003) et le Guatemala (août 2004 et janvier 2005), ce genre de situation concerne deux Etats principalement : l’Iraq à partir de l’invasion occidentale contre le régime de Saddam Hussein, avec les plus intenses affrontements armés en avril 2004 ; et Haïti, en septembre 2003 suite au meurtre d’un chef de gang, et surtout dans les quatre derniers mois de 2004, après la rébellion armée et populaire de février et mars qui a entraîné la dislocation du régime d’Aristide.


A l'exception de ces cas que nous avons donc isolés, l’usage d’armes à feu est quasi inexistant, d’après ce que nous savons des faits que nous rapportons, même si on pourrait parfois le supposer au vu de certaines situations. On le constate dans des contextes particuliers où le port d’armes est répandu (comme au Yémen, au Nigeria), ou bien lorsque leur usage a tendance à se généraliser dans le même temps qu’une situation devient plus chaotique, comme en Iraq ou en Haïti. Quand l’usage des armes devient dominant, qu’il se répand, il semble que ce soit souvent dans le même temps les termes d’un conflit limité qui s’imposent sur toute autre perspective. Des groupes très restreints peuvent suffire à l’entretenir, au détriment de la plus grande majorité qui ne le subit que comme procédé répressif, d’autant plus qu’Etats et informateurs professionnels ont toujours intérêt à ce que perdure ce genre de conflit quelque part dans le monde, pour en tenir la chronique le doigt sur le curseur du volume, à faire varier selon leurs besoins.


-    « f » ou « F » pour « flic » :

Lorsque les acteurs des faits sont décrits en tant que policiers, soldats, ou ex-soldats ; et lorsqu’il ne paraît pas que ceux-ci soient rejoints par d’autres personnes, comme c’est au contraire le cas, par exemple, au Guatemala au début du mois de mai 2003, ou au Timor Oriental à la fin du mois d’avril 2006.

Comme l’a montré la révolte de mars 2005 au Kirghizistan, le basculement des flics dans le camp des révoltés représente un de ces moments déterminants, en général, pour précipiter la défaite du pouvoir. D’où l’intérêt que présentent les situations rassemblées dans cette catégorie.

Cependant, de tels acteurs sont issus de groupes fortement soumis à la hiérarchie, et programmés pour la défense de l’ordre étatique. Dans le moment où ils se révoltent, on peut considérer qu’ils sortent de cette détermination, qu’ils la dépassent ou qu’ils tendent à le faire. C’est en partie vrai au vu de certains des actes qu’ils commettent, qui pour eux comme pour d’autres peuvent primer sur ce qui les définissait et les contraignait auparavant, quand ils se retournent contre ; mais dans ces cas, le renversement de perspectives est certainement un des plus difficiles à opérer, des moins évidents à maintenir. Les révoltés de Bolivie l’ont appris à leurs dépens, en février 2003, lorsque les flics mutins du premier jour, d’apparents alliés sont redevenus, à balles réelles, leurs vrais ennemis le second.


-    « mut. » ou « Mut. » pour « mutinerie » :

Révoltes dans des lieux d’emprisonnement, dont nous avons constaté de nombreuses manifestations, en choisissant de ne retenir que celles où sont avérées des évasions significatives, nombreuses, sorte de preuve que les révoltés du dedans ont pris le dessus, un moment au moins. Mais alors, ils ne sont encore que peu nombreux, au contraire de ces situations où l’enfermement est brisé avec l’aide du dehors, comme en Ouzbékistan le 13 mai 2005, ou au Nigeria le 22 février 2006.


-    « sab. » ou « Sab. » pour « sabotage » :

De toutes les catégories plus particulières, cette dernière l’est le plus, puisque qu’elle concerne, à l’exception du Daghestan en Russie en décembre 2004, l’Iraq seulement, où les sabotages, contre les oléoducs surtout, apparaissent dès la deuxième moitié de 2003, et se multiplient dans le cours de l’année suivante. Au premier abord, les sabotages ainsi mis en évidence le sont en tant qu’actes isolés, au contraire d’autres qui sont commis dans le cours de révoltes faites de pratiques diverses, comme le 10 octobre 2003 en Bolivie, le 20 avril 2005 à Belize, les 11 septembre 2003 et 2006 à Santiago du Chili. Mais ils le sont surtout parce qu’ils concernent la situation en Iraq dans son ensemble, en 2003 et 2004. Ils le sont en tant qu’actes de résistance possibles, qui s’ajoutent à l’ensemble des faits de révolte qui se multiplient dans cette période, et qui dessinent un conflit certes difficile à cerner, mais tout autre que celui offert par la vision officielle, spectaculaire, dont l’institution s’est opéré en parallèle d’une réduction des perspectives sur le terrain, et certainement comme la cause principale de cette réduction, avec la promotion des oppositions confessionnelles et ethniques, matinées de cet opportun terrorisme à tout va.



Enfin, un dernier signe apparaît : « ≈ » accolé à un descriptif signale nos doutes persistants au sujet des faits rapportés.

Certes, puisque nous dépendons toujours des informations par le biais desquelles nous prenons connaissance des faits, leur appréciation est toujours sujette au doute. Cependant, en général, la confrontation de différents comptes-rendus journalistiques permet de se faire une idée assez précise, qu’aucun de ces fragments insuffisants ne saurait rendre, pris isolément. Mais il arrive que des informations sommaires persistent en tant que telles, sans que nous ayons pu mettre la main sur d’autres, pour les confirmer, pour les préciser, pour affermir notre jugement. Parce qu’il nous paraît que ces seules bribes disponibles relatent une situation digne d’intérêt, nous utilisons ce signe, ajouté à un descriptif en style de police « normal ». Souvent, nous l’utilisons parce que nous ne pouvons pas dire si les faits en question ne se sont pas cantonnés à des affrontements entre pauvres, lorsque des motifs notamment religieux interviennent, comme en Inde, au Sri Lanka, en Indonésie, au Nigeria.

Il est d’autres cas où nous faisons figurer ce même signe en l’associant à des descriptifs en « normal gras » : pour Haïti en février et mars 2004, le Nigeria et l’Indonésie en avril 2004, le Liberia en octobre de cette même année, le Nigeria en février 2006, le Timor Oriental en mai 2006. Si l’intensité de ces faits nous semble avérée, il nous est plus difficile de nous prononcer à leur sujet, sur cette espèce d’évidence du négatif par ailleurs plus visible, plus décelable. Ces situations méritent d'être mieux examinées afin de résoudre notre incapacité provisoire à trancher.





 avril 2007




    Présentation à la chronologie générale de la révolte dans le monde pour la période 2003-2006


Invitations au Débat sur la Totalité