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à la chronologie générale de la
révolte
dans le monde pour la période 2003-2006
Présentation à la chronologie
générale de la révolte dans le monde
pour la période 2003-2006
2003
/ 2004 / 2005 / 2006
Comme premier document de référence, cette
chronologie offre une vision d’ensemble sur les actes
négatifs portés à notre connaissance
grâce à l’activité
d’observation que nous avons menée en continu depuis 2003. D’emblée,
elle se veut une première démonstration de
l’actualité de la révolte, qui se
manifeste sur tous les continents, contre l’ignorance
quotidienne, l’occultation intéressée,
l’indifférence
généralisée régnant
à ce sujet. Cette chronologie dit d’abord :
voilà un point de vue contradictoire sur le monde
où nous sommes, et pour preuve les manifestations du conflit
qui l’anime. En même temps, la relation inaugurale
de l’ensemble de ces faits, un à un
décrits de façon sommaire tout en veillant
à ce qu’en apparaissent leurs
caractéristiques spéciales et
l’essentiel, vise à poser leur unité :
comme hypothèse et parti pris de notre part, constat
d’un manque qui les affecte tous dans leur isolement
respectif, mise en perspective d’un objectif
stratégique pour les révoltés
présents et à venir.
Conception et fonction générale
D’abord, comme l’explique Méthode de la
consultation et du tri élémentaire de
l’information (2003-2006), sur la base
de nos relevés de l’information nous avons
établi des chronologies mensuelles, depuis janvier 2003
jusqu’à décembre 2006. Au fur et
à mesure de notre observation, les connaissances et les
réflexions qu’elle alimentait nous ont conduit
à préciser nos choix quant à la
sélection des faits retenus. Pour l’essentiel,
cette sélection a consisté en un premier jugement
sur leur qualité et leur intensité, qui
dépendait pour une part de la conception sur le
négatif que nous partagions au commencement de nos
recherches, et donc, d’autre part, sur ce que ces recherches
nous révélaient : la chronologie
générale en constitue une synthèse,
puisque ce que les actes observés nous ont montré
« par et pour eux-mêmes » a agi sur le
cadre fixé initialement – qui, par définition,
l’avait été dans cette perspective, et
dans cette attente.
Une fois les premiers choix opérés à
la conception des chronologies mensuelles, nous avons
procédé à une seconde
sélection au moment de leur réunion. Par
l’examen de cet ensemble, en confrontant les faits entre eux,
grâce à des comptes-rendus plus
détaillés déjà
réalisés, suivant les opinions que nous nous
sommes forgées sur l’évolution de telle
situation dans un Etat particulier, ou les impressions
laissées par telle autre à mesure que nous en
observions les suites, nous avons pris le parti d’un certain
minimalisme : tout ce que nous avons appris en quatre ans ne figure pas
dans ce document. Il s’agit du résultat
d’une estimation subjective, forcément discutable
puisque la nôtre seulement, mais qui est aussi
fondée, pour nous. Par la publication de cette
chronologie, nous
commençons à mettre en évidence ce qui
nous paraît le plus significatif, le plus important à prendre en
considération. En comparaison de ce qui est dit
d’habitude, de tout l’inepte sur quoi les
attentions conformées se focalisent, des croyances
dominantes sur les révoltes particulières et sur
l’histoire en général, ce premier
document de référence, au vu de ce
qu’il révèle et contient, pourrait
apparaître comme exhaustif, ou définitif. Il ne
l’est pas. Il ne prétend pas à
l’être. Il est bien plutôt une autre
manière d’affirmer notre parti pris, la vue en
coupe des quatre dernières années du point de vue
de quelques pauvres animés par la ferme volonté
de se prononcer sur ce qui a lieu, pour le livrer et se livrer au
débat, à la lumière de cette base
négative.
Suivant ce qui nous apparaîtra par la suite, suivant ce que
d’autres pourraient nous adresser
d’après leurs propres connaissances et jugements,
certaines de nos appréciations pourront évoluer :
si elle se veut une première façon
d’exposer, d’affirmer
l’actualité primordiale de la révolte,
cette chronologie générale est aussi
conçue comme un document de référence
et de travail partiel, malléable, critiquable, ouvert. En
l’indiquant les cas échéants, nous
pourrons être amenés à le corriger. Car
il s’agit d’un moyen et d’une
étape, essentiels selon nous, parmi un ensemble
d’autres moyens encore à définir,
qu’il reste à forger au-delà de
l’association que nous formons.
Indications sur la mise en forme : descriptifs,
légende et catégories
Lorsque nous avons déterminé, au rythme
d’un bilan mensuel, quels faits négatifs nous
retenions, nous avons utilisé un système de
codifications qui consistait pour l’essentiel à
les différencier suivant les intensités
négatives respectives que nous leur reconnaissions. Au
moment de formaliser leur compte-rendu public d’ensemble,
nous avons réévalué ce
système, dans l’intention de le rendre plus
précis, plus pertinent. Dans sa forme publiée, la
chronologie générale présente ces
variations d’intensité, ou qualitatives,
auxquelles nous avons couplé une différenciation
entre des ensembles de faits, par la définition de
catégories, et qui est aussi une autre manière de
se prononcer sur leur qualité.
Chacun des faits négatifs, ou chacune des situations
conflictuelles, est daté et situé suivant
l’Etat, puis la ville ou le lieu où il survient,
les capitales étant soulignées – avec
pour les plus grands Etats la division administrative
intérieure à leurs frontières
où se situent cette ville ou ce lieu. Parfois,
même s’ils se sont étendus sur plusieurs
jours ou plusieurs lieux, les descriptions de certains faits, de
certaines situations, n’occupent pourtant qu’une
seule ligne de la chronologie : en général, ce
choix signifie que nous leur attribuons une importance moindre, en
termes de perspectives négatives, de la critique en actes ;
au contraire pour les faits ou situations jugés
supérieurs de ce point de vue, ce qui a lieu est
indiqué jour après jour, et pour le
même jour autant de lignes peuvent se succéder
qu’il y a de lieux concernés. De façon
la plus systématique possible, les faits ou situations sont
décrits par :
-
Une indication sur leur contexte et/ou sur un
prétexte déclencheur, avec parfois le rappel de
faits antérieurs auxquels ils sont liés ;
- si possible le nombre de personnes
impliquées – en reprenant parfois, et en le
signalant par l’emploi de guillemets notamment, certaines
désignations identitaires utilisées à
leur sujet, ce qui est en général une autre
façon d’indiquer quelque chose de
l’ordre d’un contexte particulier, d’un
prétexte déclencheur ;
- ce
qui constitue le cœur de ce qui a lieu, les
actes collectifs qui font le moment de révolte, ce que
ciblent les révoltés, la rupture qu’ils
créent, l’unité,
l’idée de cette unité, qu’ils
révèlent alors entre eux, à la fois
dans des contextes, suivant des prétextes, particuliers,
mais dans un moment pratique où leurs actes priment et
n’y sont plus réductibles ;
- des bilans sur les nombres de morts,
blessés, arrestations –
déterminés d’après
différents informateurs qui reprennent eux-mêmes
différentes sources, d’où
l’usage de fourchettes ;
- de façon moins
systématique, certaines mesures, certains usages
répressifs, plutôt lorsque nous apparaît
leur caractère inhabituel, significatif dans ce sens ;
- de façon moins
systématique parce qu’elles ne nous sont apparues
que rarement, d’autres indications relatives à la
situation des révoltés, parce qu’elles
révèlent, ou suggèrent, une extension
qualitative dans leur pratique – par exemple en termes
d’organisation.
Pour chacun de ces descriptifs, nous appliquons une mise en forme
typographique particulière, qui les différencie
suivant les degrés d’intensité, et les
catégories auxquelles ils appartiennent, tels que nous les
apprécions : leurs descriptifs respectifs en constituent une
première justification, que les explicitations
détaillées sur la légende
précisent d’un point de vue plus
général. Lorsque ce sera le cas, commentaires et
analyses supplémentaires, accessibles à partir de
liens insérés dans les lignes de la chronologie,
l’expliqueront davantage.
Nous avons opéré une première
différenciation générale,
représentée par le partage entre les styles de
police « normal » et « italique ». Le premier correspond à ce qu’on
pourrait nommer la catégorie du négatif
principal. Il concerne la grande majorité des faits dont
nous rendons compte. Le second repère des cas dont certaines
caractéristiques l’emportent selon nous sur ce qui
définit ce négatif principal en
général, à savoir
l’immédiateté dans
l’expression de la colère collective,
l’anonymat des acteurs non soumis à des rapports
hiérarchiques, l’attaque directe contre les
gestionnaires en place ou leurs concurrents
récupérateurs, le pillage et la destruction
contre la marchandise, l’agression et l’insulte
contre les informateurs professionnels, de tels actes commis de telle
façon qu’ils prévalent, ou paraissent
prévaloir, sur tout plan ou discours
préconçus, portés d’avance
par une ou quelques conscience(s) isolée(s). Toutes les
situations repérées en « normal » ne manifestent pas l’ensemble de ces
caractéristiques, mais elles en présentent au
moins certains aspects : pour les différencier entre elles,
suivant donc une gradation dans l’intensité, nous
en avons établi quatre niveaux – pour
l’instant, puisque relativement aux faits
observés. Leur attribution dépend du constat que
nous faisons sur ces caractéristiques : plus elles nous
apparaissent dans leur ensemble, relativement à une
situation de révolte particulière, plus nous
jugeons celle-ci intense, prometteuse, redoutable, tournée
vers l’essentiel, manifestation de cet essentiel.
L’intensité dépend aussi de
l’extension dans le temps, et dans l’espace. On
peut également l’estimer par rapport à
l’ampleur des moyens répressifs
convoqués contre les révoltés,
qu’indiquent parfois les nombres de morts, de
blessés, d’arrestations (bien que
l’information sur ces chiffres soit la plupart du temps
délivrée par ceux qui répriment,
d’où la nécessité de les
considérer avec prudence pour cette raison).
Pour ce qui concerne les faits repérés en
« italique », nous définissons six
catégories relatives à leurs
caractéristiques respectives plus particulières,
avec pour chacune deux niveaux possibles
d’intensité.
Explicitations détaillées sur la
légende :
« Négatif
principal »
Les degrés d’intensité que nous
repérons, pour le négatif principal, traduisent
avant tout une intensification, de l’un à
l’autre, dans la confrontation directe, dans la rupture en
actes. Chacune de ces mises en forme, notamment les deux
premières les plus largement appliquées,
recoupent des situations certes proches par plusieurs aspects, mais
aussi fort différentes, à considérer
aussi dans leurs particularités. Ceci pour dire que nous ne
voulons pas signifier un nivellement, un amalgame simplificateur,
l’affirmation d’une exacte identité
entre les actes de chacun des quatre ensembles. Les
différenciations que nous opérons valent surtout
pour le passage de l’une à l’autre, pour
signifier une gradation dans l’amplitude, la profondeur,
l’entièreté, de la critique en actes.
Nous n’idéalisons pas ces actes. Nous
n’en suggérons pas une quelconque perfection, ni
ne leur conférons la valeur d’un aboutissement ou
d’un summum. Il importe de les affirmer primordiaux
à la fois pour le courage, pour la rage, pour la vie qui
s’y manifestent, et pour saisir ce sur quoi ils butent,
pourquoi ils s’épuisent, comment vaincre ces
insuffisances.
-
en normal :
A ce premier niveau d’intensité, nous associons
les faits négatifs dont nous jugeons l’envergure
la moins grande. Souvent, il s’agit des moins
étendus dans la durée, autour de quelques heures,
n’en dépassant pas vingt-quatre dans leur grande
majorité. De même, leur espace est restreint,
plutôt une à quelques zones d’une
même ville, que plusieurs quartiers à
l’ensemble d’une ville. En
général, ce sont les faits pour lesquels les
nombres de personnes impliquées sont les plus faibles. Il en
va de même en termes de cibles visées, et des
bilans des affrontements ou de la répression ; dans ces cas
les morts sont les plus rares.
Par ailleurs, une série de limites diverses
empêchent selon nous l’accession de ces actes au
grade qualitatif supérieur, du moins tels qu’ils
nous apparaissent et que nous les jugeons : quand prévaut un
contexte particulier, lorsqu’ils surviennent à
l’occasion de manifestations
préméditées, encadrées,
commémoratives (par exemple en Colombie et au Nicaragua le
18 mai 2004, en Corée du Sud le 22 novembre 2006) ;
même genre de prévalence, lorsque des
déterminations identitaires, ethniques ou religieuses,
semblent dominer les motivations des acteurs, du commencement
à l’issue de leur engagement (par exemple, et
notablement pour ces deux Etats où on le constate souvent,
en Inde le 9 septembre 2003, ou au Nigeria le 28 janvier 2004) ;
lorsque certaines situations, dans un Etat particulier, se ritualisent
suivant les termes d’un conflit davantage commandé
par des partis ou des organisations politiques contestant le
régime en place (comme pour le Népal, ou le
Bangladesh, pour lesquels nous avons choisi de ne pas faire figurer un
certain nombre de faits initialement relevés,
préférant mettre l’accent sur des
moments où sont survenus des actes débordant les
pratiques habituelles – voir, pour le Népal, au
début du mois d’avril 2006 ; et pour le
Bangladesh, fin août 2004 et fin octobre 2006) ; lorsque les
auteurs des faits sont désignés comme appartenant
à la même corporation ou au même groupe
limité, notamment les étudiants, qu’il
semble que ce soit le cas, et que nous ne constatons pas de signes
probants que d’autres que ceux-là prennent part
à ce qui a lieu (comme c’est au contraire le cas
au Sri Lanka au début de mars 2005, ou à Belize
le 20 du mois suivant) ; dans le cas de rassemblements à
l’occasion de confrontations sportives, où ce
genre de prétexte paraît circonscrire par avance
l’extension de l’émeute (ceci
plutôt en Occident, notamment aux Etats-Unis ; avec ces
contre-exemples de mars 2005 au Mali, de septembre de la même
année en Zambie, de mars 2006 en Algérie, et
surtout du soulèvement en Syrie en mars 2004).
Car il arrive ainsi que ce genre de limites, s’il peut
apparaître au commencement d’une situation de
révolte, ou dans son cours, soit aussi renvoyé au
second plan, dépassé, par les actes
mêmes de ceux qui prennent les rues. Dans ce cas,
c’est une explication du passage au deuxième
niveau d’intensité négative.
- en
normal gras :
A partir de ce deuxième niveau, les faits négatifs
conquièrent ce qui définit, selon nous et
d’après ce qu’ils sont, leur
caractère exceptionnel, leur potentialité
historique. Alors, des humains créent ces moments
– ou bien ils y tendent de la façon la plus
conséquente, la plus prometteuse –
qu’aucune autre situation dans le monde
n’équivaut, du point de vue de leur devenir
sujet, de la possibilité de s’affranchir collectivement de la domination de
toute détermination préconçue, de
toute médiation autonomisée, sur lesquelles ils
ne statueraient pas en amont. Là où les faits du
niveau inférieur ne nous le paraissent pas de
façon probante, ceux-là contiennent selon nous ce
possible, avec bien plus d’évidence. Mais, il faut
immédiatement préciser cette
appréciation : nous ne disons pas que chacun de ces faits
négatifs réalise ce possible ; nous pensons
qu’ils constituent autant de situations où des
voies pour cette réalisation commencent à
être déblayées, effectivement ; et,
encore une fois, qu’elles placent aujourd’hui dans
le monde leurs acteurs à l’avant-garde de sa mise
en question.
Par rapport au degré inférieur, dans ces
situations de révolte les nombres de personnes
impliquées sont plus importants. En
général, elles ne se créent encore que
dans un seul lieu, et sur un seul jour – dans les cas
contraires, c’est parce qu’il nous paraît
que persistent certaines limites
de l'ordre de celles énumérées
précédemment, même si elles se trouvent
à la fois débordées dans ce qui a
lieu, que nous les maintenons à ce deuxième
niveau. Offensives, destructions, affrontements, mises en cause, sont
plus francs, plus amples, plus profonds : par le nombre de cibles
visées, par leur diversité.
L’augmentation des bilans répressifs indique aussi
la même intensification.
- en normal
gras avec ajout de l’abréviation
« s
», pour « soulèvement
» :
- Entre le 22 et le 27
février 2004 en Algérie ;
- entre le 12 et le 16 mars
2004 en Syrie ;
- du 2 au 4 juin 2004 en
République Démocratique du Congo ;
- du 27 au 29 octobre, et du 3
au 5 novembre 2004 en Chine ;
- le 10 avril 2005 en Chine ;
- du 24 au 27 avril 2005 au
Togo ;
- du 13 au 15 mai 2005 en
Ouzbékistan ;
- du 20 au 22 juillet 2005 au
Yémen ;
- du 1er au 3 août
2005 au Soudan ;
- du 28 mars au 1er avril 2006
en Turquie ;
- les 18 et 19 avril 2006 aux
Iles Salomon ;
- les 20, 22 et 23 mai 2006 au
Bangladesh ;
- les 12 et 13 juin 2006 en
Guinée ;
- du 26 au 29 août
2006 au Pakistan ;
- le 16 novembre 2006 aux
Tonga.
Ces
soulèvements ont manifesté une
dangerosité de la révolte, pour les ordres
qu’elle attaque, encore supérieure. Sur le mode de
l’explosion initiale, la colère se propage et se
renforce, ses ravages s’approfondissent.
L’immédiateté du commencement est
dépassée, elle inaugure le durcissement,
l’amplification du conflit. La révolte
s’étend à
l’échelle d’un même centre
urbain et/ou à plusieurs villes ; elle se poursuit
au-delà du premier jour. En ce qui concerne cette extension
dans la durée, deux dates y font cependant exception, dans
cette liste. Pour le 10 avril 2005 en Chine, il s’agit du
jour de l’émeute grâce à
laquelle les révoltés auraient gardé
le contrôle sur l’espace
libéré après avoir défait
les flics : pour cette raison nous parlons de soulèvement.
Pour les Tonga, si quelques destructions ont encore
été commises le 17 novembre, il semble bien que
l’essentiel ait eu lieu ce 16 novembre 2006 : c’est
l’étendue des dévastations, au
cœur de la capitale, qui vaut à ce jour la
qualification de soulèvement.
Dans ces situations, l’incendie et le saccage des
représentations étatiques, la destruction et le
pillage des marchandises, se généralisent. Si
l’estimation paraît quantitative, nous croyons
qu’elle traduit un véritable gain qualitatif.
Ceci dit, deux des cas que nous associons à cette
catégorie ne présentent pas ce dernier aspect,
notamment en ce qui concerne l’attaque de la marchandise. Il
s’agit encore du 10 avril 2005 en Chine, et de la
révolte qui précède en 2004 dans le
même Etat, de fin octobre à début
novembre : essentiellement, nous estimons cette dernière en
tant que soulèvement pour son extension dans la
durée, et pour le nombre de protestataires qui s’y
sont engagés.
Si plusieurs de ces soulèvements gagnent
l’ensemble d’une région à
l’intérieur d’un Etat (par exemple : la
wilaya d'Ouargla en Algérie, le Kurdistan syrien, le
Kurdistan turc), ou secouent fortement des capitales (par exemple : au
Yémen, au Soudan, dans les Iles Salomon et celles des
Tonga), il ne semble pas qu’ils aillent
jusqu’à mettre sur la sellette les
régimes, les gestionnaires en place : si
c’était le cas, ce serait une des conditions du
passage au pallier encore supérieur. Par ailleurs, en termes
de limitations à ces soulèvements, on peut aussi
remarquer ce phénomène, parce qu’on
l’observe à plusieurs reprises, comme en Syrie, au
Togo, au Soudan, d'une évolution vers des affrontements
entre pauvres, ce qui paraît alors un des moyens les plus efficaces
de leur répression.
En général, nous attribuons
l’abréviation «
s », ainsi
que celle qui suit, à l’ensemble des lignes se
rapportant au même événement, pour
signifier son unité. Il arrive que des variations
apparaissent, notamment au commencement ou à la fin de ce
genre de situations, par la mise en forme de certaines lignes en
« normal » ou en « gras »
seulement, pour traduire une gradation d’intensité
dans leur cours, ou sa baisse à l’inverse. Ce type
d’indications n’est pas systématique
dans la chronologie : pour chacune de ces situations, son
évolution sera mieux appréciée et
décrite dans le cadre de comptes-rendus à part
entière.
- en
normal
gras avec ajout de l’abréviation
«
S »,
pour «
soulèvement
majeur », ou «
situation insurrectionnelle »
:
- 2003 en Bolivie : les 12 et
13 février et du 8 au 16 octobre ;
- 2005 au Kirghizistan : du 20
au 26 mars.
Avec les caractéristiques du soulèvement tel que
précédemment décrit,
ceux-là gagnent une dimension supplémentaire,
majeure, insurrectionnelle. S’ils
n’éclatent et ne se propagent encore
qu’à l’intérieur
d’un seul territoire étatique, le
régime contre lequel les insurgés
s’érigent massivement est touché au
cœur, et il chancelle – dans ces deux cas, en
Bolivie comme au Kirghizistan, les présidents en place ont
en effet été contraints à la fuite.
Dans le cours des quatre années dont nous rendons compte,
les insurgés de Bolivie et du Kirghizistan sont sans doute
ceux qui sont allés au plus loin dans la création
de conditions pour s’approprier la définition et
la maîtrise du débat sur tout.
Mais, il faut remarquer qu’en comparaison des insurrections
de 2001-2002, en Algérie et en Argentine, il ne semble pas
que ces soulèvements majeurs se soient
accompagnés d’expériences neuves en
termes d'organisation, qui se
seraient renforcées, qui auraient perduré,
au-delà de la menée des frondes initiales. Si en
Bolivie, dans le cours de leur pratique les insurgés se sont
posés la question de l’organisation, il semble que
la réponse apportée a surtout consisté
à s’appuyer sur des structures anciennes, en acceptant au final
l’interposition des mots d’ordre
réformistes que leurs tenants se contentaient
d’afficher comme un summum. De même, ceux
d’Asie centrale paraissent avoir conservé une trop
grande crédulité à
l’égard des concurrents aux gestionnaires en
place, même si dans l’ultime offensive, les
pilleurs de Bichkek ont aussi montré que cette tendance
n’en était qu’une, qui a seulement pris
le dessus pour cette fois.
C’est là une première
manière de se prononcer sur l’état de
la révolte dans l’époque actuelle, du
point de vue de l’ensemble présenté
dans cette chronologie, et de ces deux manifestations que nous estimons
les plus importantes : si la révolte ne manque pas, si le
parti du négatif et de l’histoire remue toujours
les entrailles du monde, tout reste à faire pour transcender
cette puissance, pour que l’humanité en devienne
la maîtresse.
Catégories plus
particulières
A chaque ligne en « italique », un code est
attribué par l’inscription d’une
abréviation, qui correspond à l’une des
catégories suivantes. Pour chacune de ces
catégories, l’abréviation
correspondante, ou sa première lettre, peut être
passée en majuscules, pour signifier une
intensité, une ampleur, plus grandes ; dans ce cas,
l’« italique » du descriptif se double
d’un « gras
».
- « mm » ou
« MM » pour « mobilisation massive
» :
« mm » se rapporte à des faits plus
ponctuels, localisés.
Une majorité d’entre eux se situent dans des
contextes ruraux, souvent ils consistent en la contestation
d’activités industrielles ou
d’exploitation de matières premières
sous la coupe d’entreprises privées,
étrangères, au détriment des habitants
des régions concernées.
Plusieurs de ces frondes se dirigent contre des gestionnaires locaux
corrompus, ou leurs sbires, dont certains sont pris en otages, voire
lynchés – particulièrement au Mexique,
en août 2004, en janvier et mars 2005 ;
l’Amérique latine étant le continent
où ce genre de mise en cause apparaît comme le
plus répandu.
Dans cette catégorie, il faut signaler un cas
très particulier, entre la fin septembre et le
début octobre 2005, avec les assauts de migrants africains
sur les enclaves espagnoles du nord marocain, à Ceuta et
Mellila.
« MM » désigne des mouvements plus
longs, plus amples, pour lesquels le qualificatif de « massif
» prend véritablement son sens. Entre 2003 et
2006, nous repérons quatre mobilisations de cette envergure
supérieure :
- En juillet et août
2004, dans l’Etat de Manipur en Inde ;
- en avril 2005 en Equateur ;
- en mai et juin 2005 en
Bolivie ;
- de juin à
novembre 2006 à Oaxaca, au Mexique.
Le négatif est présent, mais il se manifeste sur
un mode moins offensif, moins direct, moins destructeur. Des ensembles
conséquents de personnes se forment, qui mènent
et organisent principalement leur protestation sur la base de cette
force collective que dès lors ils constituent, en imposant
leur volonté au moyen de grandes marches à
répétition, de blocages de routes et de rues,
d’occupations.
Si des organisations préexistantes jouent un rôle
dans ce qui a lieu, il semble plutôt qu’elles
s’y fixent, qu’elles s’y immiscent, mais
sans le contrôler, sans le diriger de bout en bout. Pour une
grande part, la masse des anonymes qui s’assemblent le fait
de son propre chef, c’est elle qui fait ces mouvements, comme
en Equateur en avril 2005. Mais, on peut aussi comprendre leur issue
limitée par un manque de critique et de défiance
à l’encontre de ce genre d’organisations
préexistantes, dont les mots d’ordre et les
représentants finissent alors par se substituer à
l’ensemble des acteurs et leurs aspirations, comme
ça a été notamment le cas en Bolivie
en juin 2005.
Car, si en actes la rupture est moins nette, l’engagement des
protestataires paraît porteur des perspectives d’un
bouleversement radical. Là où, dans le cas des
soulèvements du négatif principal, la
colère explose en déferlante
immédiate, elle se diffuse ici de façon plus
sourde, plus rentrée, à la fois comme contenue
mais plus sûre d’elle-même.
L’occupation du terrain, et la maîtrise sur la
durée, se font d’une manière
décidée, et conséquente. Au moins
jusqu’à atteindre un objectif principal, et
même si on peut en critiquer le caractère souvent
partiel, les protestataires ne lâchent pas les rues
facilement. Ce faisant, ils créent des situations propices
à l’élaboration de moyens
d’organisation nouveaux. Des bribes de discours
transparaissent, qui commencent de faire écho à
ce qui se manifeste en actes par ailleurs. Un possible est alors mis
en jeu, ou en passe de l’être, qui fait
défaut quand prévalent la rupture
immédiate, et le conflit qui s’étend et
se durcit en affrontements directs.
- « p » ou
« P » pour « pillage » :
Le pillage apparaît comme la pratique unique, ou largement
prédominante, au contraire de ces situations nombreuses
où il est commis dans le cours de révoltes dont
les acteurs ne s’y adonnent pas seulement.
Dans ces cas de pillages isolés, des situations, qui les
permettent pour ainsi dire, sont provoquées par des facteurs
extérieurs, c’est-à-dire
indépendants de la volonté des pilleurs, par
exemple des attaques militaires comme en mars 2003 en
République Centrafricaine ou en novembre 2006 au Tchad, par
exemple des ouragans, comme à la Nouvelle-Orléans
fin août début septembre 2005, et le mois suivant
au Mexique.
Nous usons également de cette désignation
particulière pour repérer des faits
simultanés à d’autres, dans le
même Etat, dans la même ville, dans le cours
d’un même «
événement ». Par exemple en
Haïti en février-mars 2004, ou au Timor Oriental en
mai-juin 2006, certains « faits négatifs
» deviennent ces facteurs extérieurs qui
provoquent le pillage : c’est parce qu’on suppose
alors une distinction entre les pillards et les auteurs de ces
« faits négatifs ».
Enfin, il faut signaler ici le cas exceptionnel de l’Iraq en
avril 2003, exceptionnel du point de vue de l’ensemble de la
période considérée, pour
l’ampleur du pillage qui s’y est
généralisé.
- « aa » ou
« AA » pour « affrontement
armé » :
Lorsque les acteurs des faits relatés, dont nous pensons
qu’il s’agit de pauvres en révolte, ou
bien certains d’entre eux, usent d’armes
à feu, et que les affrontements qu’ils ont avec le
parti adverse, ou les attaques qu’ils mènent,
constituent l’essentiel de ce qui a lieu.
Mis à part les cas uniques situés en
Indonésie (janvier 2004), au Yémen (novembre 2004), en
Bolivie (septembre 2006), et ceux
relevés respectivement pour le Nigeria (au moins février et
août 2003) et le Guatemala (août 2004 et janvier 2005), ce
genre de situation concerne deux Etats principalement :
l’Iraq à partir de l’invasion
occidentale contre le régime de Saddam Hussein, avec les
plus intenses affrontements armés en avril 2004 ; et
Haïti, en septembre 2003 suite au meurtre d’un chef
de gang, et surtout dans les quatre derniers mois de 2004,
après la rébellion armée et populaire
de février et mars qui a entraîné la
dislocation du régime d’Aristide.
A l'exception de ces cas que nous avons donc isolés,
l’usage d’armes à feu est quasi
inexistant, d’après ce que nous savons des faits
que nous rapportons, même si on pourrait parfois le supposer
au vu de certaines situations. On le constate dans des contextes
particuliers où le port d’armes est
répandu (comme au Yémen, au Nigeria), ou bien
lorsque leur usage a tendance à se
généraliser dans le même temps
qu’une situation devient plus chaotique, comme en Iraq ou en
Haïti. Quand l’usage des armes devient dominant,
qu’il se répand, il semble que ce soit souvent
dans le même temps les termes d’un conflit
limité qui s’imposent sur toute autre perspective.
Des groupes très restreints peuvent suffire à
l’entretenir, au détriment de la plus grande
majorité qui ne le subit que comme
procédé répressif, d’autant
plus qu’Etats et informateurs professionnels ont toujours
intérêt à ce que perdure ce genre de
conflit quelque part dans le monde, pour en tenir la chronique le doigt
sur le curseur du volume, à faire varier selon leurs
besoins.
- « f » ou
« F » pour « flic » :
Lorsque les acteurs des faits sont décrits en tant que
policiers, soldats, ou ex-soldats ; et lorsqu’il ne
paraît pas que ceux-ci soient rejoints par d’autres
personnes, comme c’est au contraire le cas, par exemple, au
Guatemala au début du mois de mai 2003, ou au Timor Oriental
à la fin du mois d’avril 2006.
Comme l’a montré la révolte de mars
2005 au Kirghizistan, le basculement des flics dans le camp des
révoltés représente un de ces moments
déterminants, en général, pour
précipiter la défaite du pouvoir.
D’où l’intérêt que
présentent les situations rassemblées dans cette
catégorie.
Cependant, de tels acteurs sont issus de groupes fortement soumis
à la hiérarchie, et programmés pour la
défense de l’ordre étatique. Dans le
moment où ils se révoltent, on peut
considérer qu’ils sortent de cette
détermination, qu’ils la dépassent ou
qu’ils tendent à le faire. C’est en
partie vrai au vu de certains des actes qu’ils commettent,
qui pour eux comme pour d’autres peuvent primer sur ce qui
les définissait et les contraignait auparavant, quand ils se
retournent contre ; mais dans ces cas, le renversement de perspectives
est certainement un des plus difficiles à opérer,
des moins évidents à maintenir. Les
révoltés de Bolivie l’ont appris
à leurs dépens, en février 2003,
lorsque les flics mutins du premier jour, d’apparents
alliés sont redevenus, à balles
réelles, leurs vrais ennemis le second.
- « mut. » ou
« Mut. » pour « mutinerie » :
Révoltes dans des lieux d’emprisonnement, dont
nous avons constaté de nombreuses manifestations, en
choisissant de ne retenir que celles où sont
avérées des évasions significatives,
nombreuses, sorte de preuve que les révoltés du
dedans ont pris le dessus, un moment au moins. Mais alors, ils ne sont
encore que peu nombreux, au contraire de ces situations où
l’enfermement est brisé avec l’aide du
dehors, comme en Ouzbékistan le 13 mai 2005, ou au Nigeria
le 22 février 2006.
- « sab. » ou
« Sab. » pour « sabotage » :
De toutes les catégories plus particulières,
cette dernière l’est le plus, puisque
qu’elle concerne, à l’exception du
Daghestan en Russie en décembre 2004, l’Iraq
seulement, où les sabotages, contre les oléoducs
surtout, apparaissent dès la deuxième
moitié de 2003, et se multiplient dans le cours de
l’année suivante. Au premier abord, les sabotages
ainsi mis en évidence le sont en tant qu’actes
isolés, au contraire d’autres qui sont commis dans
le cours de révoltes faites de pratiques diverses, comme le
10 octobre 2003 en Bolivie, le 20 avril 2005 à Belize, les
11 septembre 2003 et 2006 à Santiago du Chili. Mais ils le
sont surtout parce qu’ils concernent la situation en Iraq
dans son ensemble, en 2003 et 2004. Ils le sont en tant
qu’actes de résistance possibles, qui
s’ajoutent à l’ensemble des faits de
révolte qui se multiplient dans cette période, et
qui dessinent un conflit certes difficile à cerner, mais
tout autre que celui offert par la vision officielle, spectaculaire,
dont l’institution s’est
opéré en parallèle d’une
réduction des perspectives sur le terrain, et certainement
comme la cause principale de cette réduction, avec la
promotion des oppositions confessionnelles et ethniques,
matinées de cet opportun terrorisme à tout va.
Enfin, un dernier signe apparaît : « ≈
» accolé à un descriptif signale nos
doutes persistants au sujet des faits rapportés.
Certes, puisque nous
dépendons toujours des informations par le biais desquelles
nous prenons connaissance des faits, leur appréciation est
toujours sujette au doute. Cependant, en général,
la confrontation de différents comptes-rendus
journalistiques permet de se faire une idée assez
précise, qu’aucun de ces fragments insuffisants ne
saurait rendre, pris isolément. Mais il arrive que des
informations sommaires persistent en tant que telles, sans que nous
ayons pu mettre la main sur d’autres, pour les confirmer,
pour les préciser, pour affermir notre jugement. Parce
qu’il nous paraît que ces seules bribes disponibles
relatent une situation digne d’intérêt,
nous utilisons ce signe, ajouté à un descriptif
en style de police « normal ». Souvent, nous
l’utilisons parce que nous ne pouvons pas dire si les faits
en question ne se sont pas cantonnés à des
affrontements entre pauvres, lorsque des motifs notamment religieux
interviennent, comme en Inde, au Sri Lanka, en Indonésie, au
Nigeria.
Il est d’autres cas où nous faisons figurer ce
même signe en l’associant à des
descriptifs en « normal
gras » : pour Haïti en
février et mars 2004, le Nigeria et
l’Indonésie en avril 2004, le Liberia en octobre
de cette même année, le Nigeria en
février 2006, le Timor Oriental en mai 2006. Si
l’intensité de ces faits nous semble
avérée, il nous est plus difficile de nous
prononcer à leur sujet, sur cette espèce
d’évidence du négatif par ailleurs plus
visible, plus décelable. Ces situations méritent
d'être mieux examinées afin de résoudre notre
incapacité provisoire à trancher.
avril 2007
Présentation
à la chronologie générale de la
révolte dans le monde pour la période 2003-2006