Proposition
sur l’histoire – De la guerre du temps au
début du 21ème
siècle > Deuxième partie
Grande manœuvre ennemie et dernières offensives observées
Dans les semaines qui ont suivi le soulèvement camerounais, cet
assaut contre les représentants et le décor de la
misère du monde a pris sa place dans la liste des Etats qui
auraient été, dans cette période, touchés
par les dites « émeutes de la faim ». Avec ces
« food riots », une représentation mondiale sur la
révolte du point de vue de la conservation a alors
été propagée, dans une tentative, inédite
à cette échelle, de ramener sous la coupe du
totalitarisme gestionnaire la manifestation de ce qui le contredit et
le menace.
Selon ce que nous pouvons nous figurer de ce début 2008,
d’autres éclats négatifs sont survenus,
jusqu’à des débuts possibles de
soulèvements. Ceci peut-être dans l’Ouest de la
Chine en mars, mais il reste difficile de le mesurer en raison des
effets combinés du black-out étatique et du brouillage de
l’exagération médiatique. Plus sûrement en
Haïti dans les premiers jours d’avril. Auxquels se sont
ajoutés, le plus notablement, l’éclatement
émeutier du 5 février à Maputo, capitale du
Mozambique, celui du 1er mars à Erevan, capitale
d’Arménie, suivis par les tensions du Yémen et
d’Egypte en avril, où les émeutiers
d’Algérie se distinguaient une première fois, puis
encore le mois suivant en parallèle du retour au premier plan
des énervés du Rajasthan. L’arrêt de cette
énumération ne correspond qu’à la borne
temporelle que nous nous sommes donnée pour clore le
présent rapport. Comme d’autres l’avaient pu
auparavant, certaines de ces situations sont apparues liées
à la hausse générale des prix, motif que
l’on sait susceptible de jouer, au contraire de la famine, un
rôle d’accélérateur dans la libération
de l’insatisfaction collective. Il semble que c’ait
été le cas en plusieurs terrains africains [22], ainsi
qu’en Haïti et au Yémen.
Dans la même période, des manifestations encadrées
se sont déroulées dans le monde, en particulier suivant
des mots d’ordre contre la montée des prix –
notamment ceux des céréales et du carburant
consécutive aux géniales inspirations récentes des
administrateurs du besoin – mais sans débordement
d’après ce que nous en savons, a fortiori sans aucune
offensive émeutière. Elles n’en ont pas moins servi
aux démonstrations médiatiques fallacieuses, dont
certains canaux se piquèrent même, pour illustrer leur
amalgame et leur mensonge, d’en présenter des cartes
mondiales. Illustration de ce mépris si typique des informateurs
pour la vérité, du moment qu’il dispose du pouvoir
que leurs spectateurs leur confèrent, la formule-choc
d’émeutes de la faim, désignant une sorte
d’unitaire agitation plaintive du tiers-monde, s’est
trouvée inscrite en première page des semaines durant.
Pour que l’ensemble des situations puisse faire office de
conséquences catastrophiques, d’illustrations des effets
concrets de la « crise alimentaire », après la
climatique et avant la financière, il a fallu inventer,
calomnier, occulter assez largement. Certainement pour l’impact
vendeur et persuasif de son nombre de morts, le soulèvement au
Cameroun a été déterré de
l’indifférence médiatique de février, pour
servir en avril cette campagne de propagande, aux côtés de
certains Etats où il ne s’est pour ainsi dire rien
passé. Avec l’emballement aveugle habituel, tout ce qui
parle au service de la domination s’est fait le relais
d’une sorte d’immense propagation émeutière,
inédite et motivée par la soudaine disette des plus
misérables.
De notre point de vue, pour ce qui concerne le déroulement et
l’originalité des situations les plus remarquables de ces
premiers mois de 2008, leur ensemble a dessiné un moment de
regain ; en ce sens significatif de ce qui a motivé cette
opération calomniatrice à grande échelle. En
Arménie, la contestation électorale d’abord
convenue, et assez massive, a donné lieu à de rudes
combats quand les flics ont voulu y remettre de l’ordre, la foule
en contre-attaque s’en prenant aussi aux commerces. Non
rattachée aux « émeutes de la faim », la
situation de la mi-mars en Chine, parce qu’elle s’est
jouée au Tibet, a elle-même subi un traitement
médiatique hypertrophié, sous le joug militant
occidental, ce qui, nouvel exemple de ce phénomène si
récurrent des cantonnements régionaux, l’a
d’autant plus dissocié du reste de la Chine et par rapport
au monde, dans un isolement que les pillages du premier jour à
Lhassa avaient pourtant commencé de démentir. En
Haïti, et sans qu’aucun « rebelle » armé
n’y jouât de rôle déterminant, il s’est
agi du moment le plus fort depuis 2004, étendu sur près
d’une semaine d’assauts, débutés aux Cayes
dans le débordement d’une manifestation transformée
en agression collective contre les installations onusiennes, et qui
s’étendirent en prises des rues et en pillages,
semble-t-il à plusieurs autres villes, en tout cas
jusqu’aux portes du palais présidentiel à
Port-au-Prince. En Algérie, où la fréquence des
faits négatifs n’a pas baissé en 2007 et 2008,
l’agitation émeutière a gagné deux grandes
villes coup sur coup, Chlef en avril puis Oran en mai.
L’information internationale, d’ordinaire peu bavarde sur
les régulières poussées gueuses
algériennes, a bien dû les relayer, mais pour accorder
dans le même temps une exposition à peu près
similaire à ce qui a également été
qualifié d’émeutes, mais intercommunautaires
celles-là. A savoir de récurrents heurts violents entre
quartiers dans une ville du Sud-Est, Berriane, où l’on
peut plus confortablement s’étendre sur la vanité
de tels faits en les présentant comme opposant Arabes et
Berbères. Autre nouveauté non loin de là, la
révolte a pointé dans le reste du Maghreb :
déjà dans la ville marocaine de Sefrou en septembre 2007,
puis à Sidi Ifni en juin 2008, auxquelles s’ajouta
l’agitation de la région tunisienne de Gafsa. Plus
à l’est en Egypte, où ça restait
limité jusque-là, Mahalla el-Kobra a connu deux
journées chaudes en avril, dans le débordement
d’une grève générale réprimée.
Le Yémen sortant quant à lui de sa veille durant
plusieurs jours fin mars début avril, avec l’aboutissement
d’une série de manifestations d’anciens soldats
sudistes, réprimées depuis l’été
2007, dans le durcissement du défi à l’Etat,
ponctué de destructions et d’affrontements auxquels se
joignirent d’autres participants.
Contre ce que devrait être l’approfondissement de cette
question ouverte par le surgissement mondial de l’insatisfaction
en actes, l’opération « émeutes de la faim
» a consisté à vouloir renforcer les clôtures
qui l’empêchent. Avec l’imposition planétaire
du slogan, quand jusqu’ici les légitimations et annexions
de la révolte n’avaient cours que dans les limites de
certaines zones, il s’est agi d’en imposer le seul sens
admissible, d’en expurger négativité et
perspectives possibles. Des rapports onusiens avaient
déjà préparé le terrain en 2007, pour des
prévisions auxquelles s’était ajouté cette
espèce de précédent au Mexique en janvier de la
même année, tout aussi mensonger puisque ne
s’agissant que de manifestations, intitulé alors «
émeutes de la tortilla » et censément annonciateur
d’un phénomène mondial à venir, avec,
pouvait-on s’imaginer, des émeutes du couscous ici, du
mafé là.
A l’instar de la crise économique dont la menace
s’orchestre sur la base des mêmes préjugés
policiers, la représentation problématique ainsi
donnée sur le monde n’est que rétrograde, dictature
sur le sens, toute perspective de discussion étant censée
s’y soumettre. Du point de vue de la réflexion
générale sur les actes de révolte, c’est
là une de ces diversions permanentes, ici
particulièrement éloquente au vu de l’arsenal
spectaculaire déployé. Faisant mine de prendre pour
objet, si ce n’est les actes noyés dans la
déploration de l’excès émeutier, ce qui
serait donc leur cause, et le problème à résoudre
en conséquence, l’affabulation déversée,
où l’on en rajoute une couche dans
l’économisme glorificateur de la survie, réaffirme
cette définition préventive de la pauvreté,
à partir de laquelle le surgissement offensif des pauvres ne
saurait s’expliquer que par leur manque de nourriture. Aucune
puissance ne doit transpirer de l’insoumission collective, rendue
positive à tout prix, s’intégrant comme
épiphénomène dans la vision dominante.
Sous-entendant que l’on ne se révoltait pas jusque-là,
et que la satisfaction des estomacs renverra les agités pourrir
sagement dans leurs clapiers, la manœuvre est un cap de franchi
dans la tentative de séparer encore davantage les offensives
émeutières des brèches qu’elles ouvrent pour
l’humanité. L’anticipation s’avère
d’autant plus nécessaire dans une période où
l’incompétence gestionnaire mondiale menace de multiplier
les déclencheurs potentiels.
Se dessine là de façon éclatante, en
négatif de ces discours et représentations à
vocation « mondiales », le véritable rapport de
forces, la ligne de démarcation dans le conflit, quand
dirigeants et propagandistes s’inquiètent de la
révolte, et se demandent comment la gérer.
Et l’image de se substituer aux révoltes réelles
dans leur diversité et leur ensemble, ainsi exclues de tout
débat. Soit l’image d’une seule révolte, soit
sa seule signification possible, toujours ramenées à des
déterminations contingentes, triviales et limitées. En
vérité indifférentes, dans le sens où elles
s’affirment dans l’ignorance de la totalité, ce qui
a en même temps pour effet de nier la réalité
originale de chaque rupture, et la communauté que toutes leurs
ouvertures découvrent entre elles.
Le 8 mars 2009
22. Avec
d'autres situations plus directement liées à ce
prétexte, mais chacune de moindre intensité que celle au
Mozambique, comme en février dans plusieurs villes du Burkina
Faso, fin mars en Côte d'Ivoire, et dans la capitale somalienne
en mai.
3. 2006 et après, foyers principaux (grande
manœuvre ennemie et dernières offensives observées)