Une expérience
d'assemblée en France au printemps 2006 – Critique
de l'AG en lutte
3. Suites de l’AG
en lutte
Installation de l’assemblée rue Servan
Le vendredi 24 mars à l’aube,
l’évacuation policière de
l’EHESS coupa l’assemblée dans son
élan.
Dès ce jour, on envisagea comment donner suite : rendez-vous
fut fixé le lundi 27 mars à
l’université de Tolbiac. Entre temps, le samedi,
une réunion se tint en comité restreint pour
envisager une nouvelle occupation. Le lundi, un des lieux
repérés, le restaurant du CROUS dans la rue de
Tolbiac, était investi pour la tenue de
l’assemblée du jour. Une centaine de personnes y
participa : on discuta d’un projet de blocage pour le
mercredi, de quels autres lieux possibles pour continuer
l’assemblée, de comment celle-ci pourrait mieux
consolider son unité, en se dotant notamment de moyens
propres de publication. Entre ce soir-là et le lendemain,
mardi 28, on trouva un autre lieu de réunion, squat
d’artistes dans la rue Servan, dont les habitants
acceptèrent d’héberger
l’assemblée, mais sous certaines conditions,
notamment d’horaires qui limitaient donc par avance la
durée des discussions.
A partir de cette date, c’est là que les
réunions se sont tenues, d’abord quotidiennement,
jusqu’à la première semaine
d’avril, puis de façon plus espacée
– inscription en italique dans l’agenda
d’Indymedia Paris pour des rendez-vous les lundi, mercredi,
jeudi,
dimanche de chaque semaine jusqu’au début du mois
de mai.
La fin de l’occupation de l’EHESS a
été une première raison,
immédiate, de la baisse du nombre de participants
à l’assemblée. Pour ceux qui
considéraient l’occupation comme but
plutôt que comme moyen, et l’assemblée
accessoire, l’aventure s’arrêtait
là. Quoique l’appel à rejoindre cette
assemblée « ouverte » ait
été maintenu, il se peut que la seule
désinformation médiatique à propos de
l’EHESS et de sa dévastation par des autonomes
armés ait éloigné de nouveaux
participants possibles. Et en général, le peu de
publicité faite par l’assemblée sur
elle-même portait préjudice à ce
qu’elle soit davantage rejointe. Si le nouveau lieu de
réunion ne pouvait accueillir autant de gens
qu’à l’EHESS, ça ne
s’avéra pas un problème : chaque soir
les présents se comptaient entre 50 et 100, en
général autour de la soixantaine.
Ces raisons, le changement de lieu modifiant les conditions du
débat, et influant peut-être sur sa teneur, sont
à prendre en compte pour expliquer ce qui a
changé après la première semaine.
Mais, il faut voir aussi ce que l’assemblée
elle-même est devenue au cours de sa deuxième
semaine d’existence, pour expliquer qu’elle en soit
ensuite restée là, n’ayant pas
attiré d’autres participants, ou peu, et en ayant
fait fuir certains.
Rétrécissement de
l’assemblée en comité
d’action élargi
Progressivement, mais assez vite, une seule perspective l’a
emporté : en prenant exemple sur les modes
d’actions qu’on estimait les plus favorables pour
appuyer l’extension du mouvement (blocages, occupations,
manifestations sauvages), il s’agissait d’organiser
des actions à partir de l’assemblée.
Dès lors, il n’était quasiment plus
question que de ces buts fixés à court terme, au
coup par coup. Toute autre considération était
plus ou moins ouvertement renvoyée au second plan,
qu’il s’agisse du projet d’une nouvelle
occupation, ou de la réflexion à peine
entamée sur cette assemblée comme moyen neuf de
débat.
Sans doute qu’une certaine urgence obligeait à se
concentrer sur de tels objectifs particuliers. Mais l’abandon
de ces autres questions, pourtant abordées dans
l’assemblée, porta préjudice
à une définition plus juste de ces objectifs
devenus exclusifs. C’étaient quelques certitudes
individuelles qui l’emportaient, au détriment de
l’effort collectif à fournir pour affronter la
complexité de la situation. Là où il
aurait fallu parvenir à prendre ensemble un certain temps
pour fonder en vérité une pratique nouvelle,
essentiellement subversive parce qu’elle serait
entrée immédiatement en contradiction avec tous
les modes d’organisation et de débat existants
– qui empêchent le débat –, on
se précipitait vers la cristallisation d’un
énième regroupement activiste, d’autant
plus à critiquer qu’on y revendiquait un rejet des
formes de récupérations traditionnelles,
dénoncées comme ennemies de la
révolte.
On insistait sur la collaboration entre flics et syndicats, et ce
publiquement (voir Bifurcation).
Soit. Mais si de telles
déclarations ne servent qu’à donner un
poids factice aux seules actions coups-de-poing portées par
quelques individus fermés à
l’approfondissement du débat, on ne se retrouve
plus très loin du double discours syndical. Ce qui est dit
ne provient plus de véritables tentatives pour saisir ce qui
a lieu, ce qu’on subit, et pour se donner les moyens
d’en sortir.
On assista à une domination sur
l’assemblée d’une tendance tout aussi
activiste que celle de la première semaine, plus
concentrée que diffuse, peut-être plus volontaire
que velléitaire, même si ses
réalisations ont été minimales :
l’AG en lutte
ne se reconnaissait plus qu’une
finalité, l’organisation d’actions,
auxquelles participaient pour l’essentiel ceux
qu’elle regroupait, même si d’autres
personnes répondaient aux appels lancés
publiquement.
En général –
c’est-à-dire pour la plupart des
réunions qui se sont tenues rue Servan, dont la description
qui suit servirait de schéma quasiment invariable
– les débats s’ouvraient par quelques
récits des faits du jour, déroulement
d’une manifestation, bilan d’arrestations, actions
ciblées pas forcément menées par des
participants à l’assemblée,
comptes-rendus d’AG tenues dans des facs. Ces
récits terminés et commentés, on
passait à l’annonce des
événements à venir, tenue
d’une AG à Nanterre ou Tolbiac, dates
d’actions ciblées décidées
par d’autres regroupements, prochaine manifestation. Venait
alors la question centrale : que faire ? L’AG en lutte,
résultat du consensus de sa majorité, y
répondait en affirmant sa volonté
d’élaborer ses propres plans d’actions,
indépendants et sur la base des timides positions critiques
qu’elle assumait, pour apporter de l’eau au moulin
de la contestation ; à la fois un désir de
dissociation mais tout en affirmant vouloir rester partie prenante du
« mouvement » dans son ensemble. Une fois
qu’une proposition d’action avait
emporté l’adhésion d’un plus
grand nombre suffisant, on passait à la
répartition des tâches techniques, tout en
veillant à apporter une justification minimale au projet
décidé, par l’élaboration
d’un tract explicatif. Environ la moitié des
participants à l’assemblée prolongeait
sa réflexion en comité plus restreint.
De fait, suite à la baisse du nombre des participants une
fois installés rue Servan, ce fut alors une
minorité de l’assemblée initiale,
devenue majoritaire, qui imposa ses vues à
l’ensemble du collectif. En dépit
d’ailleurs d’une des justifications
données au rejet du vote, à savoir
qu’il impliquerait justement la dictature de la
majorité sur la minorité. Les modes de
fonctionnement admis à la fondation de
l’assemblée étaient
conservés, mais la tendance générale
n’était pas à l’examen de
leur signification plus profonde.
Ceci dit, au cours de la dernière semaine du mois de mars,
quelques participants s’entendirent, avec l’aval de
tous mais bien peu encourageant, pour exprimer ce
qu’était cette assemblée, à
ce moment, dans le but de le rendre public. Ces rédacteurs
étaient beaucoup moins nombreux que ceux qui
s’investissaient dans la préparation
d’une action en vue de perturber la manifestation
autorisée du mardi 4 avril. Une esquisse de texte fut
présentée à
l’assemblée du jeudi 30 mars :
« Ce texte décrit
les fonctionnements d’une AG ou, à la
différence de ce qui se fait ailleurs, il n’y a ni
présidence, ni tribune, ni
tour de parole, ni ordre du jour. Cette structure n’est pas
rigide, elle évolue et est
ouverte à tous ceux qui veulent être acteurs de la
lutte (et donc elle n’est pas ouverte à ceux qui
viennent en tant
qu’observateurs, comme par exemple les journalistes).
En principe libre, la prise de parole
n’est pas organisée, pas imposée, et
dépend de l’envie de chacun
d’écouter ou intervenir. A des moments,
on s’écoute, qu’on se contredise ou
qu’on s’accorde, à d’autres
moments, le fil du débat se
perd et se raccommode.
Le vote, seulement envisagé
le premier jour de l’occupation de l’EHESS, a
été largement rejeté. Depuis, alors
qu’une dizaine
d’AG en lutte se sont tenues, le besoin de voter ne
s’est pas fait sentir, comme si l’AG
préférait lever ses voix
que ses mains.
L’AG ne cherche pas
à gommer les différences, les paroles multiples
se confrontent et lorsque le besoin s’en fait sentir
émerge une parole
collective. Cette dernière prend forme par un aller-retour
entre l’AG et quelques-uns qui la retranscrivent, ce texte en
est un exemple tout comme
l’appel au blocage des voies
de circulation.
L’AG fonctionne sans
porte-parole et sans représentant (chacun ne pouvant
représenter que lui-même).
L’individualité ne peut jouer
l’imposture d’être le groupe. Les
médias s’ils nous sollicitent, devront se
satisfaire de la parole collective.
L’AG n’est pas que
le moment de l’assemblée
générale. Elle est aussi l’ensemble de
ce que cette rencontre rend possible.
Tout le monde ne fait pas tout. Des initiatives fusent au cours de
l’AG, ceux qui le veulent
s’en emparent et prennent l’initiative de les
rendre effectives.»
Sa lecture en fin de réunion donna lieu à peu de
réactions. S’exprima notamment une forte
réserve quant au style, perçu comme trop
littéraire, enrobé – ce qui est vrai,
au vu de son imprécision sur les faits que compense un mode
de présentation de l’ordre du ressenti personnel,
individuel. On reprocha par ailleurs à une telle
présentation que ceux qui la revendiqueraient donneraient
l’impression de s’autocongratuler, en mettant en
avant leur propre pratique d’une manière
à se prévaloir d’une
réussite étrangère aux personnes
extérieures à l’assemblée
– sur la base de cette proposition, cette objection
n’est pas fausse. Mais elle provenait aussi d’une
prévention maintes fois exprimée, contre toute
tentative de saisir la spécificité de ce qui
avait lieu là dans le but de le publier, sous
prétexte qu’on se serait alors dissocié
de l’ensemble du « mouvement ».
« Mouvement » au demeurant bien plus
fantasmé, ou mythifié, qu’on essayait
de le comprendre le plus exactement possible pour déterminer
ce qu’il y avait de plus urgent à dire et
à faire, contre ses insuffisances nombreuses.
L’AG en lutte
offrait pourtant cette possibilité
de dire et de faire contre ces insuffisances, donc en prise avec le
« mouvement », en prise critique.
C’est
une absurdité profonde de penser qu’on aurait
voulu s’en détacher, pour s’enfermer
entre participants de cette assemblée. Mais pour faire quoi
? Et dans quel but ?
Pour certains, dont les auteurs du présent compte-rendu,
faire la publicité de ce qu’était
l’assemblée en cours, en insistant sur ses
qualités, en examinant ses insuffisances, constituait un
moyen adéquat pour d’une part l’obliger
à se définir elle-même plus clairement
et, dans le même temps, pour mettre en cause les limites
graves du « mouvement » depuis son commencement, et
ce collectivement
– tous les participants le souhaitant
engageant alors leur responsabilité, au nom de
l’assemblée. Une telle perspective
n’implique pas de vouloir fonctionner en cercle
fermé. Au contraire, sur la base de ce qui est mis en jeu en
tel endroit particulier, elle vise à son extension, dans la
confrontation avec ceux qui y reconnaissent la nouveauté,
c’est-à-dire l’ouverture sur un inconnu
dont on sait déjà que son exploration suppose le
dépassement définitif de tout ce qui contribue
à la conservation de l’ordre actuel sur le monde.
Tenant compte des observations faites ce jeudi soir, et du point de vue
de l’intention exprimée dans le paragraphe
précédent, un des participants à la
rédaction de la première proposition,
également co-rédacteur de ces lignes, en
rédigea une seconde, lue le lendemain à
l’assemblée :
« Depuis le 20 mars 2006, une assemblée
ouverte
à tous ceux qui entendent être acteurs de la
révolte se tient quotidiennement (sauf les week-ends
jusqu’à présent). Elle s’est
constituée dans le sillage de
l’élargissement et de la radicalisation de ce qui
n’était au départ qu’un
mouvement étudiant contre un nouveau contrat
précaire. Les manifs sauvages, les affrontements
de rue et les occupations (Sorbonne et Collège de France)
ont clairement exprimé une rupture avec les conditions
existantes et annoncé un dépassement du simple
caractère revendicatif du mouvement. Dans cette logique, un
appel a été lancé sur Internet lors du
week-end du 18 mars, week-end au cours duquel plusieurs villes dont
Paris étaient secouées par des fins de manifs aux
allures d’émeutes. Concrètement il
s’agissait de se doter d’un lieu de
débat et d’organisation pour ceux qui ne veulent
plus se reconnaître dans les catégories
(étudiants, intermittents, chômeurs,
salariés) qui leur sont imposées et qui les
maintiennent séparés. Dans la même
perspective, l’appel insistait sur la volonté de
ne pas se fixer de cadres de discussion préconçus
afin que soit laissée possible « la remise en
cause de tout ».
Les organisations existantes dans le mouvement
étudiant ne
permettaient pas de franchir ces deux caps tant par leur cloisonnement
que par leur mode de fonctionnement très dirigé
et très orienté. L’assemblée
s’est donc rapidement prononcée pour un
déroulement du débat radicalement
différent des AG universitaires. Dans
l’assemblée générale de
l’auto baptisée « AG en lutte
», il n’y a ni présidence, ni tribune,
ni tours de parole. Le vote, seulement envisagé le premier
jour au sujet de l’occupation de l’EHESS, a
été largement rejeté sans que son
utilité possible ne soit toutefois réellement
débattue. A ce jour, elle ne l’est pas plus.
Les décisions collectives prises par
l’assemblée générale sont
relativement peu nombreuses. Les principales concernent la
rédaction de plusieurs appels, l’un à
rejoindre l’AG
en lutte, l’autre au blocage des
voies de circulation. L’assemblée les a
signés de son nom, engageant de ce fait la
totalité de ses participants alors présents. Pour
la constitution de ces deux textes, une commission de quelques
personnes s’est réunie pour prendre en charge la
rédaction en fonction du seul contenu des discussions de
l’assemblée. Le résultat de la
commission est ensuite présenté,
discuté et éventuellement amendé lors
de l’assemblée générale
suivante.
Une attention est donc portée à conserver autant
que possible l’assemblée
générale comme base souveraine.
Dès les premiers jours, un consensus fort
s’est
exprimé contre la présence des médias
à l’assemblée comme dans les locaux
occupés. La prise de bouche avec les journalistes a
également été
considérée comme difficilement
tolérable, et les quelques initiatives individuelles prises
dans ce sens ont été condamnées (voir
article de Libération à partir du «
carnet de bord » d’un participant). L’AG
en lutte est ouverte à tous mais à
la condition
expresse de se considérer impliqués dans la
révolte, les observateurs ne sont pas acceptés.
De ce fait, les petits employés de l’information
qui parlent pour tous sans mandat et qui solidifient leur
carrière sur le dos de ceux qui se battent, devront se
contenter de la parole collective que l’assemblée
rend publique elle-même.
Pour l’instant l’AG
en lutte communique par le site
d’Indymedia Paris et par la diffusion de tracts.
L’assemblée n’est pas le seul
moment du
collectif qui se retrouve autour d’elle et se rencontre
à son occasion. Des comités informels se
constituent en fin de réunion pour aborder et mettre en
place les questions plus pratiques afin de rendre effectives les
initiatives proposées au cours de
l’assemblée générale. Car on
dissocie peu ici les questions d’ordre pratique concernant le
rôle de l’AG dans le mouvement, des questions plus
théoriques sur les buts et les perspectives. Des actions
sont ainsi régulièrement envisagées et
le cas échéant mises en œuvre.
Si l’assemblée
générale
reste un moment indispensable de l’organisation, elle
n’a pas, de par son mode de fonctionnement, le rôle
que peuvent lui faire jouer les directions syndicales ailleurs.
L’individu n’y est pas muselé, les
contradictions s’y expriment, aucune ligne politique
particulière n’y est imposée. Elle
reste ouverte et pour cette raison conserve une forme et un contenu
évolutifs.
Si cette présentation fait office
d’invitation et
d’information, l’AG en lutte
n’a pas pour
autant pour objectif de se considérer comme un
pôle de convergence de tous ceux qui rejoignent ses modes de
fonctionnement et ses propositions. Sachant qu’ils nous ont
été dictés par une situation
particulière, par un rapport de force, ils n’ont
d’intérêt que s’ils sont
reproduits par d’autres afin de perfectionner un outil
collectif qui n’en est encore qu’à ses
balbutiements.
L’organisation du débat est une
étape
de la guerre contre ceux et « ce » qui
l’empêchent au quotidien. »
Cette seconde proposition corrigeait les insuffisances de la
précédente ; même si elle
était encore à discuter par
l’assemblée pour l’améliorer,
pour en préciser, en tempérer
peut-être, certaines affirmations – par exemple, ce
passage sur les « questions plus théoriques sur
les buts et les perspectives », dont on se serait saisi au
même titre que « les questions d’ordre
pratique » : s’il est vrai que les
premières furent posées, ce fut plutôt
à la marge, ou dans un deuxième temps justement
par rapport aux secondes ; alors qu’il eu fallu
qu’elles ne soient pas ainsi
séparées.
A l’instar de celle de la veille, cette lecture ne donna lieu
qu’à un très court débat. Ce
furent toutes les discussions qu’on écourta ce
soir-là, car les participants à
l’assemblée décidèrent de
rejoindre la manifestation sauvage qui avait commencé de
traverser Paris à partir de la Place de la Bastille
– quelque peu ironiquement, ce fait démontre au
passage la supériorité de
l’imprévu sur les projections alors
calculées dans l’assemblée :
c’est à ce moment que l’idée
de « bifurcation » se réalisa de la
manière la plus réussie, et de loin, par rapport
à la tentative planifiée de la semaine suivante.
Mais cette raison particulière ne suffit pas pour expliquer
le désintérêt relatif au sujet de ce
texte, et de celui qui l’avait
précédé. La raison profonde est
décrite plus avant, soit la pétrification
progressive mais sûre de l’assemblée
possible en comité d’action élargi. Le
moment de la présentation de ces deux textes fut celui
où la transformation s’acheva.
Jusqu’à la semaine du 10 avril, et le soubresaut
provoqué par la fin officielle du « mouvement
», ça ne bougea plus.
Pour notre part, c’est alors que nous nous sommes
éloignés de l’assemblée, une
première fois, au début du mois
d’avril.
Plus particulièrement impliqués dans le but que
l’assemblée parvienne à se fonder et
à se définir en tant
qu’assemblée de base et souveraine, embryon
d’un sujet collectif nourri par l’engagement de
tous ses participants, nous nous refusions à pousser
davantage dans ce sens, parce que trop esseulés. En
dépit de ce qui avait réussi à
être mis en place de façon collective,
c’est-à-dire par l’implication de chacun
et que chacun seul n’obtiendra jamais, une semaine
après la fin de l’occupation de l’EHESS,
il n’y avait plus aucune place à
l’approfondissement dans ce sens.
Telle que l’assemblée fonctionnait à ce
moment, il eût été possible
d’insister, en tant que participants isolés,
associés à quelques autres, pour parvenir
à la publication de ce texte sur les déroulements
de l’assemblée comme bases de sa constitution plus
franche en tant qu’assemblée de base et
souveraine. Mais, au point où
l’assemblée en était, non
dépassé par la suite,
ç’aurait
donné une déclaration soutenue collectivement
seulement en apparence. Ç’aurait
été un
mensonge sur ce qui se passait en
réalité.
La semaine qui suivit, la manifestation du mardi 4 avril entre la Place
de la République et celle d’Italie donna lieu
à une tentative de bifurcation, à laquelle
succéda une occupation de quelques heures, d’une
annexe de la Bourse du Travail située dans la rue Turbigo.
Les occupants réunis en assemblée
générale parvinrent à la publication
d’une déclaration commune, qui soulignait
notamment l’actualité et l’importance de
la contestation en cours, et qui mettait son extension en perspective
par une généralisation de formes
organisationnelles indépendantes des encadrements
institués [3].
Fin du « mouvement » ; fin de
l’assemblée
Le lundi 10 avril, l’article de loi sur
l’instauration du CPE fut supprimé.
Ce jour-là, nous retournâmes à
l’assemblée.
C’était comme si le changement de situation
obligeait à s’y poser d’autres
questions. Comme si le retrait du CPE faisait violemment tomber
l’illusion que toute agitation particulière
participait au maintien de la contestation
générale, puisque lorsque celle-ci
était en passe de s’arrêter,
l’agitation particulière constata toute son
impuissance, toute sa vacuité.
Au milieu d’interventions dont certaines faisaient
sérieusement douter qu’on se trouvât
à la bonne adresse – conséquence
logique de l’incapacité à
s’être doté de moyens pour poser
quelques principes, et affirmer quelques positions, en dessous desquels
il aurait pour le moins paru incongru de s’engager dans cette
assemblée –, il s’exprimait notamment
une certaine critique des errements activistes dominants
jusque-là, une volonté d’analyser ce
qu’avait été le « mouvement
» dans son ensemble, de prendre plus fermement acte de ses
limites favorables aux ennemis de toute révolte, et le
constat que la question du fond avait fait grandement défaut
aux débats menés jusqu’alors.
En partie suivant ces réflexions, on se proposa de
réunir un comité d’écriture
pour le lendemain, alors qu’une prochaine
assemblée était prévue le mercredi
suivant.
Ce mardi 11, au moins une vingtaine de personnes se
retrouvèrent. Assez vite, les projets de textes possibles
furent mis de côté, pour se concentrer sur une
question centrale, à savoir la définition de la
pratique commune expérimentée depuis le 20 mars,
ce qu’elle avait été, ce
qu’elle pouvait être encore. A notre connaissance,
et il est bien dommage que ça n’ait eu lieu
qu’en comité restreint, c’est
là où le débat a
été le plus intense depuis que
l’assemblée était installée
rue Servan, où il a été le plus
intéressant, parce que le plus contradictoire. Ce serait
trahir la teneur de chaque intervention de ce soir-là que de
les ranger chacune dans deux camps strictement définis. De
même que chaque participant à
l’assemblée, plus largement, ne saurait
être définitivement étiqueté
suivant une telle appartenance. Tout dépend du moment : si
c’est celui du débat ouvert, qui suppose des
compromis possibles, ou nécessaires ; si c’est
celui du choix, où se prononcer peut être synonyme
de rupture, et de scission. Suivant le cas, l’expression
d’un avis, d’une opinion, ne prend pas le
même sens, n’entraîne pas les
mêmes conséquences.
Cependant un clivage s’est alors clairement
exprimé, entre deux positions inconciliables, ou une
position et sa négation sans compromis possible –
d’ailleurs, toute l’expérience de
l’AG en lutte
peut être comprise du point de vue de
ce clivage, entre ce qui a été rendu possible de
nouveau, et ce qui en a empêché
l’exploration, et l’affirmation. La position, ici,
consistait à se satisfaire du peu déjà
accompli, pour tenter de le conserver tant bien que mal, dans
l’intention toute velléitaire d’ouvrir
une nouvelle occupation, qui plus est de type squat, dans la
perspective réactionnaire de s’associer
à d’autres luttes corporatistes ; et en arguant
que la pratique de l’AG
en lutte ne pouvait être
que ce qu’elle avait été
jusque-là, parce que ç’avait toujours
été ainsi par
le passé ! Face
à ce bien triste renoncement, sa négation
s’exprima : dans la continuité des choix en
rupture faits depuis la création de
l’assemblée, encore à renforcer, mais
surtout par la critique de ses graves insuffisances, on pouvait
envisager de donner suite, peut-être.
Mais il faut dire que cette discussion venait trop tard. En fait de
nouveau départ, il s’agissait plutôt de
prononcer l’acte de décès de
l’assemblée. A nous, ceci nous apparut
clairement quand elle se réunit le lendemain.
En dépit de ce qui avait dominé quasiment depuis
son commencement, si cette discussion en comité restreint
pouvait encore augurer d’un changement de cap, en imaginant
que l’assemblée s’en saisisse pour se
prononcer sur ce qu’elle avait été
jusque-là, et pour se donner les moyens
d’être autrement, on se proposa la
rédaction de textes qui présenteraient les
différentes conceptions alors exprimées sur notre
pratique commune, destinés à cette continuation
du débat par l’assemblée.
Mais, le mercredi 12 avril, un seul texte fut distribué
(Une assemblée ?)
– écrit par deux des auteurs de ce rapport
– qui ne donna lieu à aucun débat par
l’assemblée moribonde.
Sans nous, l’assemblée continua encore de se
réunir jusqu’au début du mois de mai,
où sa
dissolution fut décidée entre le 3 et le 5,
d'après ce que nous ont appris des messages
postés
sur Indymedia Paris à ces deux dates.
3.
« Appel de l'assemblée
du 4 avril tenue à l'annexe
occupée de la Bourse du Travail rue de Turbigo
L'assemblée,
réunie ce jour, constituée de lycéens,
étudiants,
précaires, chômeurs, travailleurs et
ex-travailleurs, appelle à la
grêve générale illimitée et
au blocage des moyens de production et des
axes de circulation.
L'assemblée appelle
aussi à ne pas suivre les consignes syndicales
qui proclameraient la fin du mouvement et le début de la
négociation.
Elle invite à poursuivre la formation de collectifs dans les
quartiers,
les lieux d'étude, les lieux de travail, et à
leur coordination.
Bien au-delà du CPE et
de la loi sur l'égalité des chances, cette
lutte ne se limite pas à la demande de garanties
supplémentaires face à
la précarité croissante et constitutive de ce
système. Elle remet en
question les bases mêmes de sa
légitimité. Notre situation dans le
capitalisme ne peut de toutes façons aller qu'en s'empirant.
Assemblée du 04/04/06
tenue à l'annexe occupée de la Bourse du Travail
rue de Turbigo »
L'AG en lutte > 3. Suites de l'AG
en lutte