Ouvertures > 2007-2008 > Planisphère > Descriptif du soulèvement de début 2007 au Teraï népalais    





Soulèvement de début 2007 au Teraï népalais (07-01_02-Nepal) 



Déjà fin décembre 2006, dernier événement mentionné dans notre chronologie générale sur 2003-2006, une première tension survient au sud du Népal, dans cette même région des plaines du Teraï située entre le Nord de l’Inde et le commencement des montagnes de l’Himalaya. Ce possible signe avant-coureur, qui trouve aussi son origine dans l’appel à la grève d’un parti régionaliste (le Nepal Sadbhawana Party) en protestation de la reformation en cours de l’Etat central, doit plutôt en être dissocié. D’une part parce que la ville concernée, Nepalgunj, se situe plus à l’ouest, éloignée des principales villes touchées par le soulèvement de début 2007, et regroupées dans la partie orientale du Teraï en bordure de l’Etat indien du Bihar. D’autre part parce que paraît y avoir pris le dessus une dimension de « communal violence », attaques ou représailles entre pauvres, apparemment menées par ceux désignés comme originaires du Nord, des montagnes, de la capitale (et possiblement sous l’œil bienveillant des flics), contre le mouvement de grève lancé au nom de ceux qu’on peut dire les autochtones des plaines [1] ; ce qui n’a pas été le cas en janvier-février 2007, même si le commencement du soulèvement a lui-même été déterminé par la déclaration de revendications au nom des « Madhesis », c'est-à-dire l’ensemble de ces habitants du Sud, davantage proches de populations du Nord de l’Inde, et Népalais de seconde zone traditionnellement discriminés, par opposition aux « Pahadis » du nord (d’après des estimations récentes, la moitié de la population totale du Népal serait constituée de ces habitants du sud, parmi lesquels un tiers de migrants ou originaires du nord). Dans la relation des faits, qui a été extrêmement discrète, la tendance majoritaire les explique comme ethniquement motivés, avec des annonces sur des affrontements et des attaques opposant des habitants entre eux. Mais de l’examen de l’ensemble des rapports disponibles, il ressort principalement que les soulevés s’en sont pris aux flics, aux représentations maoïstes et gouvernementales. Ce qui dément aussi les explications du genre de celles données par les propagandistes ultra-conservateurs de cet International Crisis Group, dans leur rapport « Nepal’s Troubled Tarai Region » daté de juillet 2007, bien obligés de remarquer, au milieu de leur prose d’érudits spécialistes où la brève description sur les actes se trouve noyée, que « The escalation of tensions surprised even those who led the movement », ce mouvement au cours duquel les dits « Activists looted government offices, police posts, banks, mainstream parties’ district offices and media organisations ».



Courant janvier 2007, alors que la nouvelle constitution est proclamée, et que les anciens rebelles maoïstes font leur entrée au parlement, « a little known group calling itself the Madhesi People's Rights Forum [2] called a general strike in the plains », contre la nouvelle loi étatique dénoncée comme défavorable aux habitants des plaines du sud, les Madhesis. Lancée le mardi 16, cette grève succède à trois jours d’une semblable mobilisation terminée le lundi 15, à l’appel du Janatantrik Terai Mukti Morcha, groupuscule armé dont le leader est un ancien maoïste ayant rompu avec son parti, « alleging the Maoists were doing nothing to protect Madhesi rights », et qui milite pour un Terai indépendant. Il ne paraît pas que cette première grève ait donné lieu à des débordements.

Au moins à partir du vendredi 19 janvier, la situation commence de se tendre dans le Teraï [3]. A Lahan  dans le district de Siraha, une foule attaquerait un bureau maoïste, et des tirs de défense font un mort, qui serait un adolescent de 16 ou 17 ans. A moins que les affrontements soient d’abord déclenchés par la tentative de maoïstes de forcer le blocage des protestataires en grève, ce qui n’empêche pas la source qui l’explique, le lundi suivant, d’établir ce vendredi comme le début d’une « sectarian violence » en passe de se prolonger au moins quatre jours. Plus sûrement, on sait au moins que des bus sont incendiés à la suite de la mort de l’adolescent, et qu’un couvre-feu est imposé dans cette ville où il semble en effet que des affrontements se poursuivraient : une douzaine de bureaux gouvernementaux y serait incendiée le dimanche 21 janvier. Ce même dimanche, des transporteurs initient une grève pour protester contre les blocages et les incendies de véhicules qui se multiplieraient depuis la fin décembre.

Le lundi 22 janvier « in turbulent Lahan town », il y a deux morts de plus, dont l’un au moins sous les balles des flics, identifié comme « a 15-year-old student ». Ce jour, suite à des protestations initiées le matin sous l’égide du « Forum », auxquelles des milliers de personnes prendraient part, un poste de police est attaqué. Du point de vue des actes commis, la situation paraît minimisée par les articles à disposition, noyée dans leurs commentaires généraux sur les changements institutionnels en cours. Il semblerait qu’il y ait plutôt trois morts ce lundi, auxquels s’ajoute autour d’une quarantaine de blessés du côté des protestataires depuis le samedi, et peut-être une cinquantaine du côté des flics.

« Hundreds of riot police patrolled two southeastern Nepal towns on Tuesday, imposing a day curfew after violent anti-government protests by ethnic Madhesis which have clouded a peace process ending a decade of civil war. » Mais s’il mentionne Lahan, l’article qui le dit ne précise pas de quelle deuxième ville il s’agit.

Le jeudi 25 janvier, tandis que se poursuit la « indefinite strike » des « activists » madhesis, la « violence » gagne Biratnagar, où les protestataires brandissent bâtons, lances, bêches, détruisant de nombreux camions, et Janakpur, avec des affrontements entre flics et protestataires défiant le couvre-feu. Les flics tirent et font au moins deux douzaines de blessés. Au moins trois bureaux gouvernementaux, un hôtel, trois véhicules sont vandalisés ou brûlés (auxquels s’ajouteraient des « shops » incendiés), des slogans sont criés contre le premier ministre et contre le chef maoïste Prachanda. Il y a encore une douzaine de blessés dans le district de Sunsari, où un véhicule gouvernemental est pris pour cible. Tandis que certaines informations continuent de suggérer que les protestataires s’en prendraient surtout aux habitants « whose origins were in the hills », d’autres permettent cependant de comprendre que ce genre d’affrontements pourraient plutôt opposer des grévistes à des manifestants anti-grévistes, tel que ce jeudi à Biratnagar. Quoique « MPRF took to the streets » à Lahan, l’ordre règnerait dans cette ville toujours sous couvre-feu, tandis que les mêmes mesures répressives s’appliquent alors à la plupart des villes des plaines, après que les protestataires s’en sont pris à des propriétés publiques, parfois seulement forcées à la fermeture. C’est le cas à Birgunj où on signale un « minor scuffle » pourtant ainsi détaillé : « The activists vandalized several hotels, shops, government offices and public houses from Ghantaghar to Revenue Office in the town today », avec cinq blessés dont un flic.

En plus des villes déjà mentionnées, un couvre-feu est imposé le vendredi 26 janvier à Gaur, où « Forum cadres today vandalized the District Court, Maoist office, Madheshi Mukti Morcha office, UML General Secretary Madhav Kumar Nepal's Gaur home, and BP Koirala's statue (…) », mais on ne sait pas exactement si ces lieux sont saccagés ou « cadenassés », mis à part le bureau mao qui semble bien vandalisé, et ses occupants cognés ; comme il reste difficile de savoir ce que recouvrent exactement les expressions de « Forum cadres » ou « activists », les plus souvent utilisées pour désigner ceux qui bloquent, manifestent, s’affrontent aux flics, saccagent : au vu du nombre de villes touchées, de l’ampleur donc prise par ce mouvement, il semble pour le moins réducteur de signifier ainsi que ses acteurs ne seraient que des militants, ceux d’une organisation par ailleurs décrite comme de faible envergure. Si les protestataires paraissent soutenir en masse les revendications portées par « leurs » leaders et représentants, il paraît surtout qu’à l’échelle de la partie du Teraï concernée, l’unanimité est très forte contre les politiciens de Katmandou, maoïstes et autres, en train de s’y partager le pouvoir, les « représentants » du sud jouant donc de leur différence, eux qui ne font pas partie de l’entente des partis basés dans la capitale.

A ce moment la situation générale est ainsi décrite : « Besides Lahan, Birgunj [où deux petits postes de police seraient brûlés et des sièges de partis assaillis], the hub of business activities, Janakpur, a famous pilgrim destination, and Biratnagar, the home of Prime Minister Girija Prasad Koirala lie under day-time curfew. Despite the curfew, young men in droves, flourishing bamboo and wooden sticks, have been running amok in the streets, vandalising passing vehicles, looting shops and attacking government offices. Dozens of demonstrators were injured Friday in as police fired in places. » Toujours à propos du vendredi, à moins que ce soit le lendemain : « Independent Image Channel television reported that the police opened fire on a large group of demonstrators belonging to Madhesi People's Rights Forum (MPRF) in the town of Kaliaya in Bara district, 80 kilometres south of the Nepalese capital Friday afternoon, after a protest rally turned violent ».

A propos du samedi 27 janvier, on sait seulement qu’à Birgunj, des affrontements continuent d’opposer protestataires et flics, avec une nouvelle attaque contre un poste de police dans cette ville où ses alentours – peut-être à Kalaiya justement, dans le district de Bara – avec un mort de plus. Toujours à Kalaiya, le lendemain, une manifestation donne lieu à des affrontements avec les flics, qui tirent et font un autre mort, et trois blessés, dont l’un succombe le lendemain. 

A propos de journalistes pris pour cibles par les « agitators » (comme c’aurait d’ailleurs été le cas à Nepalgunj), on apprend qu’au moins à Birgunj le dimanche 28 et le lundi 29, un local de radio est assailli et ses occupants battus, tandis que des journaux, une douzaine, sont contraints de stopper leur publication. Plusieurs journalistes fuient la région, et la Fédération nationale de ces enflures en appelle à la protection gouvernementale.

Le mardi 30 janvier semble-t-il, à Biratnagar, ce seraient des affrontements entre « Madhesis and "so-called Pahade" group » qui feraient un mort de plus, mais cette orientation est toujours contredite dans le même temps, ainsi : « Members of the Madheshi community, including the members of the interim legislature representing various political parties, contend that agitation in Terai is spontaneous and an expression of pent-up anger against exploitation and discrimination, and is not directed to Terai people with hill origins (often alluded to as Pahaades). »

Le mercredi 31 janvier dans le district de Morang, des manifestants lyncheraient un flic.

Le jeudi 1er février, tandis que des « protest leaders » rejettent une proposition de conciliation du premier ministre, à Inaruwa des centaines de protestataires assaillent six bâtiments gouvernementaux qu’ils enflamment. Les tirs des flics font trois morts, mais la situation resterait « out of control » dans le cours de la journée. Les couvre-feux sont maintenus dans « some major southern towns and cities » ; tandis que du fait des blocages qui se poursuivent, des pénuries, d’essence notamment, affectent les villes du nord dont la capitale.

Début février, le chef du « Forum », Upendra Yadav, pose comme condition au dialogue la démission du ministre de l’intérieur désigné comme responsable de la répression. Il semble que ce soit la première fois où la perspective d’un tel dialogue apparaît, ce Yadav ne revendiquant par ailleurs que des « peaceful protests », et déniant que ses « activists » auraient pris part « in looting, vandalising of government offices and arson », qu’il attribue à des « infiltrés », bien sûr non identifiés.

Le samedi 3 février à Birgunj et ses alentours, des affrontements entre « agitating activists » et flics, qui tirent, font encore un mort du côté des premiers, et peut-être vingt-cinq blessés, dont des flics. Une usine de sucre et les bureaux d’une compagnie de transport sont incendiés.

Le dimanche 4 février, il y aurait trois morts de plus, sans qu’on n’en sache plus, de même qu’à propos des jours suivants, jusqu’au mercredi 7 février, où l’on apprend que les « violent demonstrations » se poursuivent à Biratnagar, avec des affrontements avec les flics font deux morts, tandis que 16 protestataires et 22 flics sont blessés. Ce seraient des milliers de manifestants qui auraient défié le couvre-feu, assaillant les flics à coups de cocktails et de lances, ainsi qu’une prison enfermant un leader local arrêté.

C’est alors que le premier ministre cède et concède finalement, annonçant la modification du système électoral en faveur des « Madhesis ». Le jeudi 8 février, Yadav déclare la suspension des blocages en vigueur depuis trois semaines, en vue du dialogue à mener, quoique l’exigence de démission du ministre de l’intérieur soit maintenue. Ici se clôt le mouvement continu initié depuis le 19 janvier. Officiellement, il est question d’au moins 21 morts, et de centaines de blessés, avec sans doute un mort du côté des flics, celui qui aurait été lynché le 31 janvier. Des articles de fin février début mars donnent les chiffres de 25 à au moins 31 morts, Yadav parlant de 38 morts et 700 blessés. L’International Crisis Group indique plus de 30 morts, et 800 blessés, signalant que les leaders Madhesis auraient finalement parlé de 40 à 42 tués.
 

Dans les temps suivants, en 2007, on relève quelques situations liables à celle-ci


Le mercredi 27 ou le jeudi 28 février, une grève générale à l’échelle du pays, « sin (…) incidentes violentos », à l’appel d’une Fédération Népalaise des Minorités Indigènes, pour une réforme du système électoral.


Le samedi 10 mars, un couvre-feu est imposé dans deux villages du sud népalais, Khajura et Kohalpur, suite à des affrontements la veille entre « miembros de la etnia madhesi que piden más autonomía y aldeanos que se oponen a su protesta », ceci à la suite d’une nouvelle grève appelée par le MJF/MPRF, affrontements qui auraient fait un mort et 20 blessés (sans que les flics n’y interviennent semble-t-il).

 
D’après une dépêche AP du 21 mars, « De violents affrontements entre les ex-rebelles maoïstes népalais et des défenseurs du peuple madeshi ont fait au moins 25 morts et 35 blessés dans le sud du Népal, a annoncé la police. Les deux groupes s'étaient retrouvés sur le même terrain à Gaur, à environ 160 km au sud de la capitale Katmandou, ambitionnant d'y tenir un meeting. La querelle a éclaté autour du fait de savoir qui avait le droit d'utiliser ce terrain, et la bagarre a dégénéré, a expliqué Ram Kumar Khanal, chef de la police locale. La plupart des victimes ont succombé à des tirs de balles ou des coups portés à la tête. » Couvre-feu. Et rappel réducteur sur le contexte depuis le début de l’année.



Le dimanche 16 septembre (07-09-16-Nepal), ce qui paraît un petit chef et politicien local, Mohit Khan, décrit comme leader Madhesi et musulman, est assassiné, dans le district de Kapilbastu (ou Kapilvastu, qui se situerait au sud-ouest du pays, à 250 km de Katmandou sur la frontière avec l’Inde, c'est-à-dire à l’ouest de la zone du soulèvement du début d’année). S’ensuit dès l’après-midi une colère collective de « mobs » désignées en « Khan’s supporters », qui attaquent des « suspected Maoists supporters », saccagent des maisons, des hôtels, des véhicules ; avec deux à trois morts dont un flic, qui serait lynché par « la foule en furie ». Puis les troubles se poursuivent au-delà de ce jour, dans une évolution générale où il paraît surtout que les affrontements opposeraient des habitants entre eux, se transposant possiblement d’un village à l’autre, dans un cycle de représailles, où s’entrecroiseraient les différends entre maoïstes et anti-maoïstes (tels les soutiens du leader assassiné), natifs des plaines et migrants des montagnes, voire hindous et musulmans. Dans le premier district mentionné, sous couvre-feu, en plusieurs lieux des cadavres seraient découverts, mutilés ou brûlés. Le jeudi 20 septembre, des affrontements dans le même district font encore deux morts et douze blessés, dont cinq flics. Un couvre-feu est décrété dans la ville de Lamahi du district voisin de Dang, celui de Rupandehi étant aussi touché, tandis que des milliers de flics sont déployés dans le cours de la semaine. Le 21 septembre, le bilan officiel est de 22 morts, porté à 31 par des médias locaux.
 

Environ une semaine après le commencement des troubles, qui seraient alors terminés, on apprend que des milliers de personnes ont fui leurs habitations (5 000 dans le district de Kapilbastu), ce qui accréditerait la tournure prise d’affrontements entre pauvres. Et si c’est le cas, qu’aucun déplacement massif de ce genre n’ait eu lieu en janvier-février tendrait à prouver que les annonces d’alors sur de tels affrontements étaient au moins très exagérées, plus sûrement totalement fausses. On remarque d’ailleurs qu’en septembre, des sources apparaissent, notamment françaises et espagnoles, alors qu’elles étaient inexistantes au début de l’année. Aussi bien qu’elles se sont tues alors, elles accourent ici, attirées par ce genre d’affrontements « interethniques » dont elles se délectent. On peut d’ailleurs y voir une sorte de contrecoup de la limitation réussie par ce qui a été médiatisé du soulèvement de début 2007 : à force d’asséner la division et l’opposition entre gens du sud et gens du nord, le premier assassinat politique venu suffit à provoquer de tels affrontements, si utiles au pouvoir d’Etat, et à ses concurrents. Et l’amalgame d’opérer, rétroactivement, pour ne plus faire du Teraï que le lieu de ce genre de troubles, et pour mieux effacer par ce biais les dernières traces du soulèvement du début d’année.





Mars 2009





1. Par rapport au descriptif de la chronologie, et d’après des informations parues postérieurement, ce seraient 211 maisons et commerces qui auraient subi des destructions fin décembre à Nepalgunj.
2. Ainsi désigné dans sa traduction anglaise, le MPRF l’est aussi par le sigle MJF, pour Madhesi Janadhikar Forum.
3. La première dépêche à en faire état évoque d’abord une attaque de « 200 Maoists, carrying batons and stones » contre un poste de police, à Patabhar, située à 350 km au sud-ouest de Katmandou : ce qui est fort imprécis, puisqu’en suivant cette direction, on se retrouve plutôt en Inde. Il semble en tout cas qu’il ne s’agisse pas de faits en rapport direct avec la grève au Teraï, et que leur mention ne résulte que de la confusion journalistique.




    Descriptif du soulèvement de début 2007 au Teraï népalais

<- ... ->
Invitations au Débat sur la Totalité