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soulèvement de décembre 2007 au Pakistan
Soulèvement de décembre 2007 au
Pakistan (07-12-Pakistan)
Rythmée par la fronde progressiste anti-Musharraf, 2007 a vu
la
remise en selle d’anciens premiers ministres
jusqu’alors
exilés pour des affaires de corruption, ou plus simplement
chassés par le putschiste à son
arrivée au
pouvoir. En cette fin d’année, Benazir Bhutto
paraît
la mieux placée pour tirer profit d’une
colère
générale contre le chef de l’Etat qui
s’est
progressivement accrue avec ses manœuvres récentes
pour
s’assurer la conservation du pouvoir. La dernière
en date,
consistant en l’imposition de l’état
d’exception durant plus d’un mois à
partir de
début novembre, s’est principalement traduite par
des
milliers d’arrestations parmi les militants de
l’opposition
et les avocats en protestation.
Le 27 décembre 2007, l’attentat qui tue la chef du
«
Parti du Peuple du Pakistan » lors d’un meeting
électoral à Rawalpindi fait sauter la devanture
middleclass, islamo-progressiste, qui maintenait les gueux pakistanais
à l’arrière plan. A l’annonce
de sa mort,
accompagnée de celles d’une dizaine
d’autres
personnes, et que le pouvoir attribue aux islamistes, la
réaction est immédiate dans plusieurs lieux du
pays.
C’est dans le Sind, présenté comme le
fief du PPP
pour sa partie nord, que les émeutes qui commencent alors
paraissent les plus vives : à Larkana la plus grande ville
de
cette zone où l’on va jusqu’à
piller des
armureries pour se mesurer aux flics, mais aussi à Naudero
et
Shahdadkot. Commissariats, banques, gares et trains sont
particulièrement visés par les destructions. Plus
au sud,
l’immense Karachi n’est pas en reste, la nuit y est
dédiée aux incendies et pillages, avec une
prédilection pour les voitures, commerces, stations-service,
ravagés par dizaines ; et à noter
déjà une
usine et deux « police station »
attaquées. On y
comptabilise dix morts au petit matin. Sans qu’il soit
possible
d’en établir une liste exhaustive, on comprend que
d’autres localités de la région sont
touchées de la sorte. Tando Allayar et Khairpur par exemple,
où des affrontements font des tués. Dans le
Pendjab, plus
au nord, c’est principalement Lahore qui se mêle
à
l’éruption émeutière, avec
des incendies de
commerces, et deux morts au moins. De l’autre
côté
du pays, près de l’Afghanistan, Peshawar
s’agite
plus faiblement, un poste de police y est caillassé. Attaque
qui
se renouvellera le lendemain de façon plus
décidée
par des centaines de gueux qui débordent une manifestation
de 4
000 personnes.
Ce vendredi 28 justement, alors que le gouvernement martèle
son
imputation de l’assassinat à Al-Qaeda et aux
talibans, il
s’occupe également à
déployer
l’armée là où
l’émeute a fait
rage ou menace. Il s’agit de stopper
l’irrésistible propagation d’une
offensive qui se
poursuit. Le Pendjab est maintenant plus significativement
touché, avec Hyderabad où les
dégâts sont
importants (fast-foods, trains, banques et voitures
brûlés
; tirs des flics), Multan (saccages de banques, affrontements durant
une manifestation de 7 000 protestataires), Taxila (vraisemblablement
commencés la veille, les assauts contre des
bâtiments
publics et privés continuent). Et c’est
jusqu’au
Baloutchistan, semble-t-il à Quetta, qu’on entre
dans la
partie, avec des actes similaires. Si l’ampleur prise semble
moindre, le Cachemire est aussi en proie à quelques
troubles, au
moins à Srinagar, dans la partie indienne, où
l’on
caillasse les flics. Même dans les provinces de la
Frontière du Nord-Ouest, à Taru Jabba exactement,
ce jour
ou la veille on brûle une gare et un poste de police. Mais le
foyer principal est maintenant Karachi. Outre les banques et les
stations-services qui partent en fumée, ce sont les usines
de la
périphérie qui se consument désormais.
On y compte
au moins 2 flics tués. Pour le reste du Sind, il
paraît
bien que ça continue, notamment dans la nuit qui suit,
à
Larkana entre autres.
L’information mondiale en est toujours à se
répandre sur Bhutto et les circonstances de sa mort. Ce
n’est que lapidairement qu’elle évoque
le
début d’insurrection où l’on
compte alors des
dizaines de tués, peut-être 200 banques
incendiées,
l’ensemble du transport ferroviaire suspendu entre le Pendjab
et
le Sind, la télévision et Internet semble-t-il
coupés également, et un déploiement de
16 000
Rangers (membres d’une police paramilitaire) qui ont ordre de
tirer à vue.
La presse locale, qui seule permet l’accès aux
détails des faits, profite de la baisse
d’intensité
du samedi 29 décembre pour tenter de quantifier les
dégâts causés par des actes
qu’elle assimile
ni plus ni moins qu’à de la
criminalité. Avec la
grève générale lancée la
veille et qui
continue, il y de grandes manifestations ; à Rawalpindi,
où l’on prolonge blocages, destructions et
affrontements
avec les flics commencés vendredi, à Lahore aussi
ou cela
semble rester calme.
A Karachi, ce sont maintenant des fusillades qui se font entendre dans
une ville décrite sinon comme morte, sans circulation mise
à part celle de l’armée.
C’est à
Lyari, en banlieue, que les principales actions gueuses ont lieu, avec
des centaines de jeunes s’en prenant à des
« markets
» et à divers bâtiments. Des quartiers
restés
calmes jusqu’ici sont secoués par des attaques de
commerces, que des tirs répressifs tentent vraisemblablement
d’endiguer.
Le 30, il paraît au premier abord que
l’armée et la
police ont repris le dessus, avec un total de 40 morts pour la seule
province du Sind. A partir du lendemain, les émeutes ne sont
quasiment plus traitées dans la presse internationale, sinon
comme évocation des « violences »
consécutives à la mort de Bhutto. Pourtant,
d’après Dawn et The News,
c’est apparemment
jusqu’au 31 que les actes émeutiers se
poursuivent, avec
donc au moins cinq jours de désordre. Mais peu de
détails
sont donnés sur les faits du 30 et du 31. Les articles se
concentrent sur la répression, les procédures
ouvertes
contre les émeutiers, au travers desquelles une part
jusque-là cachée du soulèvement se
dessine a
posteriori, ceux à quoi concourent également les
comptes-rendus journaliers des pertes financières secteur
par
secteur.
On prend ainsi la mesure de l’envergure de la
révolte. Par
les nombreuses localités qui apparaissent alors, sans avoir
jusqu’ici été mentionnées :
Dera Ghazi Khan,
Taunsa (banques, bureaux municipaux et police station auraient
été ciblés) dans le Pendjab, Dadu dans
le Sind
(incendie de banques et de bureaux gouvernementaux) ; région
de
Mirpur Khas dont Mirpur Khas même (122
propriétés
saccagées ou brûlées dans cette ville,
7 à
Kot Ghulam Mohammad, 11 à Jhuddo et 5 à Digri) ;
Qambar
(dont une banque brûlée avec tout le fric
qu’elle
contient, dont également le bâtiment du
« conseil
général » incendié, et des
évasions
dans deux prisons annexes de cette ville et d’une
localité
voisine).
Des bilans globaux parlent de centaines de gares et de trains
brûlés, d’une vingtaine
d’usines
pillées et incendiées autour de Karachi, de 500
agences
bancaires également détruites par le feu. Les
derniers
bilans humains quant à eux feront état
d’entre 44
et 58 morts, pour un chiffre qu’on peut penser
sous-estimé
au vu de la méthode répressive mise en
œuvre une
fois le complet débordement initial passé, et au
vu des
effectifs émeutiers auxquels elle a dû faire face.
Mars 2009
Descriptif
du soulèvement de décembre 2007 au Pakistan