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soulèvement au Cameroun en février 2008
Soulèvement au Cameroun en février
2008 (08-02-Cameroun)
Depuis juillet 2007, la tension sociale s’accentue au
Cameroun,
pour commencer un peu plus tard à se traduire par des
émeutes, dont les deux plus fortes se produisent le 17
septembre
à Abong Mbang et le 9 novembre à Kumba. Ce sont
alors les
coupures d’eau et
d’électricité qui font
office de déclics sur fond de contestation
d’élections et de protestations
musclées des
conducteurs de motos-taxi.
Au mois de février 2008, plusieurs facteurs contribuent
à
décupler la colère contre le régime :
augmentation
des prix du carburant, répression de l’opposition
et des
médias privés, exactions policières,
projet de
réforme constitutionnelle visant à assurer au
chef de
l’Etat un nouveau mandat présidentiel pour les
élections de 2011. A Douala, le principal port du pays,
considéré comme sa capitale commerciale, une
manifestation contre cette révision est
réprimée
le 13 février. Deux jours plus tard, l’Etat
interdit les
manifestations dans toute la région du Littoral. Le
lendemain,
un meeting d’opposants est à son tour
empêché, éparpillé par les
gaz
lacrymogènes policiers. Il est possible alors
qu’il y ait
quelques affrontements ainsi que des pillages. Le 23
février, la
tension monte d’un cran avec l’annulation
à la
périphérie de Douala d’un nouveau
meeting du
principal parti d’opposition (le Social Democratic Front).
Toutefois ce probable déclencheur des troubles qui vont
suivre
n’est pas avéré, les troupes du SDF
restant
apparemment assez maigres. Un accident de la circulation
entraînerait les premières émotions
collectives
dans la soirée et la nuit : blocages des principaux axes
routiers par des barricades en feu, pillages de commerces, incendies de
stations-service et d’un bus, possibles destructions de
kiosques
du PMU. Les tirs des flics font alors au moins un à deux
morts.
Le lendemain, la journée resterait calme, sinon quelques
coups
de feu près de l’aéroport.
Le lundi 25 février, la circulation est bloquée,
au moins
à Yaoundé et Douala, suivant le mot
d’ordre de
grève lancé par les syndicats des transports pour
protester contre les abus policiers et les hausses des prix du
carburant. Dans la plupart des quartiers de Douala, syndicats et flics
sont débordés par des groupes de jeunes qui
attaquent et
pillent commerces, bâtiments administratifs et entreprises.
Il
faut les renforts de l’armée pour tenter de
stopper les
émeutiers brûlant stations-service et camions du
début de la matinée jusque dans la nuit. De 4
à 12
tués sont alors dénombrés. Dans la
ville voisine
de Buea, la situation semble assez similaire : affrontements contre les
flics, barricades et pillages. D’autres combats de rue
auraient
lieu au moins à Bamenda et Kumba, peut-être
à
Foumbot, Dschang et Bafang. Yaoundé semble aussi
connaître
ses premiers remous avec l’incendie de guérites du
PMU.
Le lendemain, alors que la grève se poursuit, les gueux de
Limbe
(1 mort), Loum (6 morts) et Bafoussam (1 mort) se mesurent aux flics.
Aucun détail n’en est rendu dans les articles
à
disposition, sinon pour Bafoussam où un commissariat serait
attaqué. Rien ne semble plus filtrer de Douala (tout juste
sait-on que des affrontements se poursuivent), et Yaoundé
paraît rester calme.
Le 27, tandis que les syndicats et le gouvernement sont parvenus dans
la nuit à un accord pour une baisse des prix de
l’essence
équivalente à la moitié de
l’augmentation
opérée le 7 février, les deux grandes
villes
camerounaises s’agitent à nouveau.
Grève
levée ou non, on continue de s’affronter avec les
flics
derrière les barricades. La répression se durcit
encore
à Douala où des manifestants tentent
d’échapper aux balles réelles et aux
lacrymogènes lancées par
hélicoptère en se
jetant dans la rivière. A Buea, un nouveau manifestant est
tué. Ce jour, un vent de colère souffle sur
Njombé-Penja et Mbanga, où sont
implantées
plusieurs entreprises occidentales. Les patrons de la plantation
industrielle de bananes sont pris en otages tandis que les
équipements et les bureaux subissent un saccage en
règle.
« Des centaines de jeunes » détruisent
et pillent
plusieurs hectares de bananiers, non sans faire un sort à
l’usine d’eau minérale locale et aux
«
Brasseries du Cameroun ». De tels faits ne semblent pas
isolés, ceux-là sont seulement davantage
médiatisés parce que de pauvres investisseurs
français sont pris dans la tourmente.
L’intervention de
l’armée fait alors certainement plus que les 9
morts
encore dénombrés en juin dans l’article
du Monde,
comme en témoignent les nombreux corps retrouvés
dans la
bananeraie.
Malgré la répression massive, il y a encore des
«
émeutes » à Bafam (ou Bafang) et
Bamenda (3 morts)
le 28 février. Mais pour le reste du pays, suivant la
formule
médiatique alors choisie, c’est
l’accalmie.
C'est-à-dire qu’aux exécutions
sommaires,
qu’aux tirs dans la foule, succèdent les rafles
puis les
comparutions immédiates qui donnent lieu à des
peines
allant jusqu’à quinze ans
d’emprisonnement. Le 29,
dans certains quartiers de Douala et Yaoundé, on tente bien
de
faire reprendre le feu, mais la présence militaire a raison
des
derniers irréductibles.
Les bilans publiés après la bataille permettent
de se
faire une idée générale de
l’ampleur du
soulèvement. Douala en a été
le foyer principal. Si le quartier de
Bonabéri a paru le plus agité, toute la
ville a été en proie à
l’émeute, au
pillage massif, à la mise en cause du pouvoir
étatique.
C’est là aussi que la répression a
dû
être la plus dure, ayant fait peut-être 100 morts
pour
cette seule ville. De façon générale,
aucun bilan
humain n’est fiable, tous au final paraissent en
deçà de la vérité, les
associations des
droits de l’homme se disant elles-mêmes incapables
de
donner un chiffre. La version officielle donne d’abord une
fourchette entre 20 et 40 tués pour tout le pays, pour
finalement convenir d’au moins une centaine
récemment. Les
arrestations pourraient s’élever à
1671. Pour ce
qui est de l’extension émeutière,
certains articles
parlent de 31 villes touchées, cinq provinces
concernées.
Il reste donc une assez importante part d’ombre sur cette
semaine
insurrectionnelle. L’écart est grand entre ce que
nous
pouvons en percevoir et ce qu’a été sur
le terrain
une révolte généralisée,
incontrôlable, menée par des milliers
d’anonymes non
encadrés (comme ont dû le reconnaître la
plupart des
médias locaux).
Mars 2009
Descriptif
du soulèvement au Cameroun en février 2008