Ouvertures > Entrer dans le détail des faits > « Violences politiques » en Andhra Pradesh en janvier et mai 2005 (Inde)    





« Violences politiques » en Andhra Pradesh en janvier et mai 2005 (Inde)




Dans un premier temps relevés séparément, recueillis fin janvier et début mai 2005, les documents qui ont servi à l’élaboration de ce compte-rendu ont finalement été réunis. S’ils présentent des faits survenus à environ quatre mois d’intervalle, des liens existent entre eux qui ont motivé ce choix. Pourtant, il ne s’agit pas de s’arrêter à la description de leur contexte commun d’apparition, tel que le fixe l’information, parce qu’on confirmerait alors le rôle primordial de ce contexte. Au contraire, en réunissant ces faits on saisit mieux de quel contexte il s’agit, et comment ce qui s’y passe, manifestations possibles de révoltes, en procède mais en ébranle aussi l’apparente immuabilité, ces caractéristiques et ces règles admises a priori censées toujours se maintenir, toujours se reproduire.

Ces faits, ce sont deux manifestations de colère collective, de rue, surgies dans le même Etat de l’Inde, l’Andhra Pradesh. C’est par cet aspect qu’ils ont respectivement retenu notre attention au premier abord : au moment où j’écris, c’est pour mettre en lumière ce qui les lie, qui n’était pas encore apparu aux étapes du relevé systématique et de son bilan chronologique mensuel, parce que ces moments dépendent encore trop du rythme quotidien des actualités déversées suivant des perspectives d’analyse toujours trop courtes, voire complètement absentes. Alors que, à l’étape du traitement des informations que nous recueillons, on découvre ce qui unit de tels faits entre eux, au-delà du premier niveau de leur séparation et de leur isolement dans le flux global et incohérent des informations sur le monde chaque jour renouvelées.


-   le lundi 24 janvier 2005, un député du TDP (Telugum desam party, parti régional), Paritala Ravi ou Ravindra, est tué par balles à Anantapur (à environ 300 km au sud d’Hyderabad). S’ensuivent, « at several places across the state » – dont peu sont nommées – et jusqu’au lendemain, des rassemblements de « foules » dites formées par des « militants » du TDP : des centaines de bus publics sont endommagés ou incendiés, des bâtiments gouvernementaux sont visés, de même que des locaux du Parti du congrès (au pouvoir en Andhra Pradesh depuis 2004, qui a succédé à une coalition dirigée par le BJP – parti Bharatiya janata ou Parti du peuple indien, nationaliste hindou – à laquelle participait le TDP), et sans doute de la « private property » ;

-   le vendredi 13 mai 2005, des membres du TDP organisent l’inscription d’un des leurs à une prochaine élection, pour remplacer le mort de janvier. A Penukonda, aux abords du bâtiment administratif lieu de la procédure, des « militants de l'opposition » (TDP) s’affrontent avec les flics qui tirent et font 6 morts. « Des centaines de militants politiques » lapident un flic à mort, en blessent d’autres, s’en prennent à des commerces proches, brûlent des voitures et des camions. Au contraire du mois de janvier, il ne semble pas que les affrontements, attaques ou destructions s’étendent à d’autres lieux et d’autres jours.


Ces faits de destruction contre des propriétés étatiques, et privées, d’affrontements contre les flics, sont présentés de façon catégorique par l’information dominante comme des faits de « violence politique » : « Every year, political violence claims dozen of lives in Andhra Pradesh (...) ». De là, on doit comprendre que l’ensemble de leurs auteurs agit pour soutenir ou contrer telle variation dans l’alternance de la représentation politique. Si en cette première moitié de 2005 ce sont des supporters du TDP qui prennent la rue parce que le TDP s’oppose au Parti du congrès au pouvoir, plus tard ce seront des partisans du Parti du congrès parce que le TDP y aura accédé, ainsi va l’absence de vie en Andhra Pradesh. On apprend d’ailleurs qu’en une année 48 « militants politiques », la plupart du TDP, ont subi le même sort que Paritala : là oui, on peut parler de « violence politique », mais c’est l’extension de cette désignation aux événements des 24 et 25 janvier, et du 13 mai 2005, qu’il faut réfuter. L’opposition politicienne partisane existe, elle a des effets concrets, dont ceux d’amener des personnes à se rassembler dans les rues. On peut se référer à cette opposition spectaculaire pour parler de contexte. Mais il n’est tel que comme le conçoivent les leaders de partis, les flics, les journalistes, l’ensemble des gestionnaires et des communicants dominants. Eux affirment sa réalité, qui ne procède pourtant que de la surreprésentation de leurs visions particulières, de la manière dont ils s’organisent en conséquence, des rôles et des fonctions qu’ils occupent pour maintenir leurs prérogatives. Ainsi un cadre est fixé, auquel est ramené tout ce qui a lieu. Ces premiers conservateurs des limites invariables du cadre fixé ne sont pas les seuls à y croire et à s’y soumettre : d’autres personnes, anonymes, s’y reconnaissent, et agissent en tant que « militants » par exemple.

Mais quand ils sont des centaines, des milliers, à se manifester à la manière de ceux de janvier et de mai 2005 en Andhra Pradesh, on ne peut plus se satisfaire de cette désignation que son emploi réflexe veut imposer, qu’il ne s’agirait que de « militants politiques ». Car leurs actes ont peu à voir avec des actions planifiées telles qu’un parti pourrait les décider et les contrôler, en dépit des accusations portées contre des leaders du TDP par un responsable flic, qui ce faisant donne plutôt l’impression de vouloir se rassurer. Non, à la faveur d’occasions offertes par la concurrence entre rivaux politiques, ceux qui prennent les rues commettent des actes incontrôlables sinon par eux, bien plus spontanés que planifiés, qui tirent leur intensité et leur qualité possible du fait qu’ils sont l’œuvre de ce sujet collectif dans le cours de sa formation. Comme indice du mensonge consistant à attribuer toute « violence » à des supporters de partis, le Times of India du 25 février signale qu’au moment des funérailles de Paritala dans son village de Ventakapuram, la « foule » s’en prend à l’escorte policière du président du TDP, Chandrababu Naidu, un véhicule de flics est brûlé et des gardes de sécurité du parti sont blessés. Au travers de ce fait, et en considérant l’ampleur des attaques menées surtout en janvier, on peut au moins en conclure l’inadéquation entre ce que telle représentation politique prétend, le rôle qui lui est conféré, et la réalité qui lui échappe.


Reste que les émeutiers d’Andhra Pradesh ne paraissent pas être allés jusqu’à tirer un trait définitif sur ce contexte préfabriqué d’après lequel leurs actes continuent d’être brouillés et ramenés à de vieilles significations. Lorsqu’ils le feront, on pourra dire qu’ils auront inventé un autre contexte, une situation où ils ne pourront plus être ignorés au profit d’intérêts particuliers travestis en impératifs immuables.



Première rédaction en décembre 2005, révisé pour publication en mai 2007


Documents utilisés :

05-01-24 - Reuters Yahoo! News -- Andhra politician's killin sparks riots
05-01-25 - ABC News -- Indian politician's murder triggers riots
05-01-25 - The Hindu -- Bandh throws normal life out of gear
05-01-25 - The Times of India -- Vow of revenge at funeral
05-01-25 - The Washington Times -- Riots rock India's Andhra Pradesh state
05-01-25 - Voice of America -- General Strike Shuts Down South India After Politician’s Killing
05-05-14 - Reuters -- Cop stoned to death after shootings
05-05-14 - The Telegraph -- Six Desam workers killed in police firing
05-05-15 - La Prensa -- Policías matan a siete manifestantes




    « Violences politiques » en Andhra Pradesh en janvier et mai 2005 (Inde)

<- ... ->
Invitations au Débat sur la Totalité