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Le 18 mai 2005 au camp de réfugiés de Soba Aradi (Soudan)



L’une des conséquences majeures des guerres civiles qui paralysent la question sociale pour une grande partie du continent africain consiste dans le déplacement forcé et massif d’humains. Les exilés, qui fuient généralement des combats ou des exactions commises directement contre eux par les combattants, se retrouvent pris au piège d’une extrême précarité, leur ôtant généralement toute possibilité de se révolter. Avec le Rwanda, le Soudan est l’un des Etats africains pour lequel ce phénomène d’exode a pris le plus d’importance au cours de ces dernières années. Comme au Rwanda, il participe de manœuvres de gestionnaires, en poste ou d’opposition, qui l’utilisent pour s’emparer ou conserver des régions entières que leurs spécificités les empêcheraient sinon d’espérer conquérir ou contrôler par un autre moyen. Avec le même objectif, il permet à l’Etat de couper un foyer régional de rébellion de l’éventuel soutien d’une population civile partisane.

Une fois en fuite, les « déplacés » sont regroupés dans des camps où les encadrent militaires, milices et ONG occidentales. La plupart du temps, ils y subissent maladies, malnutrition et humiliations. Le déracinement, le dénuement et la peur réduisent une force sociale potentiellement menaçante, de milliers d’individus, en un troupeau improductif laissé aux mains de la middleclass humanitariste par les dictateurs locaux.

Souvent, l’exode se fait d’un Etat vers un autre. Mais pour le Soudan, la plupart des exilés ont fui leur région pour gagner d’autres provinces du pays jugées plus sûres, principalement les abords de la capitale. D’après l’article d’une agence de presse, apparemment chrétienne, nommée Misna, sur les 4 millions de déplacés qui auraient fui la guerre civile du Sud depuis 20 ans, 2 millions seraient installés aux alentours de Khartoum. Ce qui est censé être temporaire se change au fil du temps en situation permanente, en exil sans fin. Alors la survie devient moins difficile, le quotidien remplace l’urgence, un semblant d’organisation sociale interne se crée. Il peut arriver que ce qui semblait un moyen hors pair de prévenir la révolte, placer les pauvres dans une situation d’importante vulnérabilité, devienne ce qui la provoque. C’est ce qu’on a déjà pu constater au mois de mars 2004 quand les réfugiés d’un camp au sud de Khartoum ont pris d’assaut un poste de police, ou encore lorsqu’au mois d’août de la même année, plusieurs centaines de Soudanais réfugiés en Egypte ont attaqué les installations de l’ONU au Caire.

Le samedi 18 mai 2005, le gouverneur de la province de Khartoum décide de mettre en application le projet de transférer les réfugiés du camp de Soba Aradi situé au sud de la capitale « conformément à un vaste plan gouvernemental de réorganisation des structures d’accueil des centaines de milliers de réfugiés dans l’Etat de Khartoum ». Une quantité non spécifiée de flics se pointe donc ce jour-là, pour déplacer des déplacés, sans bien sûr les informer de leur destination, plutôt comme on sort les poubelles. D’après Misna, les 2 000 personnes qui résident dans le camp y seraient depuis 14 ans. Les flics se heurtent donc logiquement à une résistance qui mène rapidement à des affrontements. Face au nombre, ils passent des lacrymos aux tirs à balles réelles, plusieurs personnes du camp seraient alors blessées voire tuées, ce qui déclencherait immédiatement l’ire de la foule : elle intercepte un véhicule policier transportant des détenus, en extrait un des flics et le lynche, puis, après s’être emparée de plusieurs armes à feu, prend le chemin du poste de police vers lequel les valets de l’Etat ont battu en retraite. Le bâtiment est attaqué et incendié, à l’intérieur les flics restent prisonniers des flammes, au moins treize d’entre eux y laissent leur peau.    

L’événement n’est rapporté par l’ensemble de l’information occidentale (à part les missionnaires de Misna qui publient un article le 19) que six jours après, à l’occasion de sa répression. Le mardi 24 mai, 6 000 flics sont déployés dans et autour du camp afin de restaurer les prérogatives de l’Etat. Ils procèdent à une cinquantaine d’arrestations visiblement arbitraires. De son côté, le gouverneur de la province assure qu’il ne renoncera pas au transfert des 2 000 réfugiés. Le récit du journaliste de la BBC, dans lequel il conte ses mésaventures avec les flics, permet d’entrevoir l’importance du dispositif répressif mis en place par le pouvoir suite à la sérieuse déconvenue subie une semaine auparavant (« A violent day in Khartoum's suburbs » paru le 24 mai). On ne sait pas de quoi sont faits ces six jours pour les émeutiers du camp de Soba Aradi, on peut seulement imaginer qu’ils étaient en position de force pour qu’il ait fallu ensuite 6 000 flics et militaires pour rétablir l’ordre. Une nouvelle preuve possible de l’intensité de l’opposition paraît au mois de juin par l’intermédiaire d’Amnesty International qui établit un bilan officieux de 50 morts parmi les résidents du camp au cours des affrontements du 18, et de 106 arrestations pour la rafle qui leur a succédé.



Première rédaction en octobre 2005, révisé pour publication en septembre 2007


Documents utilisés :

05-05-19 - Misna Vigilance Soudan -- Heurts entre police et déplacés dans un camp au sud de Khartoum ;  des morts
05-05-23 - RSF -- Un quotidien subit le « traitement très spécial » de la sécurité d’Etat
05-05-24 - AP Yahoo! Actualités -- Soudan: 56 arrestations dans un camp de réfugiés
05-05-24 - BBC News -- A violent day in Khartoum's suburbs
05-05-25 - IOL -- Cops swoop on refugee camp after deadly clash
05-05-25 - Sudan Tribune -- UN urges calm in Sudanese refugee
05-06-30 - Amnesty International -- Le sort de centaines de prisonniers politiques en suspens



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