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La Bolivie insurgée en 2003
Panorama de la contestation en Bolivie, entre 2000 et 2002
Depuis le tournant des années 2000, l’Etat bolivien a fait
face à une série de frondes sociales dont la succession
ne lui a laissé que peu de répit.
A Cochabamba entre janvier et avril 2000, moment inaugural de cette
période, un mouvement se constitue principalement pour contester
le monopole d’une entreprise privée sur la gestion et
l’exploitation de l’eau – d’où
l’appellation de « guerre de l’eau » la plus
communément usitée pour s’y référer.
Sous l’égide d’une « coordination pour la
défense de l’eau » créée pour
l’occasion, blocages de routes, manifestations, paros* se
multiplient, dans Cochabamba et sa région ; à certains
moments la ville est « prise » et occupée par ses
habitants ; l’Etat en ordonne le placement sous contrôle
policier et militaire, avant de décréter
l’état de siège ; à deux reprises au moins,
au début de février puis courant avril, la confrontation
se durcit en affrontements ouverts, qui font plusieurs morts et
blessés ; enfin, face aux contestataires qui ne plient pas,
l’entreprise mise en cause lève le camp.
Dans ces trois années d’avant 2003, l’autre front le
plus conséquent est maintenu ouvert par des groupes de paysans,
dont les plus actifs sont les cocaleros*, qui contestent les mesures
restrictives et d’éradication imposées contre
l’activité de leur survie. Le bras de fer est permanent,
et il s’intensifie quand les cocaleros usent de leur arme
principale, le blocage de routes et de longue durée, parfois
armé, au cours desquels les cas de confrontations
meurtrières avec l’armée se multiplient, comme en
septembre 2000 (12 paysans tués et une vingtaine de
blessés lorsque les militaires interviennent contre les
blocages), en juin/juillet puis surtout de septembre à novembre
2001 (notamment lorsque des cocaleros encerclent, assaillent des
campements de militaires éradicateurs), à plusieurs
reprises mais de façon plus isolée dans le courant de
l’année 2002 (fait notable, à la mi-janvier, des
groupes de cocaleros armés attaquent des bâtiments
officiels dans la ville de Sacaba). 2003 commence avec une nouvelle
campagne de blocages, qui s’étendent sur une vingtaine de
jours à partir du lundi 13, notamment dans la région du
Chapare, avec plusieurs cas d’affrontements qui font une dizaine
de morts au moins. La motivation centrale en est toujours le refus des
plans imposés quant à l’éradication de la
coca, mais d’autres revendications sont exprimées par les
représentants des contestataires, parmi eux Evo Morales*,
notamment au sujet de l’ALCA* et de l’exportation du gaz,
cette dernière question ayant déjà fait son
apparition dans le courant de l’année
précédente – le 29 août 2002 dans plusieurs
villes, des manifestations ont été appelées par
des syndicats, « contre l’actuel modèle
économique », et pour « refuser l’exportation
de gaz à travers un port chilien ».
A ces frondes principales s’ajoute une multitude de
manifestations, d’actions de moindre envergure, la plupart du
temps menées au nom de revendications partielles,
décrétées par tel ou tel représentant de
« secteurs » définis suivant les catégories
établies du travail, dont prévaut ainsi le
caractère plaintif et défensif, mais dont le nombre
entretient aussi la permanence d’un climat général
d’autant plus agité.
Pour l’essentiel, c’est la consultation des chronologies
dites du « conflit social », publiées par la revue
« del Observatorio Social de América Latina », qui a
rendu possible cette vue d’ensemble sur la situation en Bolivie
entre 2000 et 2002. Cette revue trimestrielle paraît depuis juin
2000, elle se compose d’« analyses de cas », surtout
consacrées aux révoltes et mouvements sociaux les plus
importants des dernières années sur le continent
latino-américain, et donc de chronologies établies pour
chaque Etat sur la base des informations délivrées par
plusieurs organes de la presse locale courante. Face à cette
documentation dense il a fallu faire le tri, car les observateurs de
cet Osal privilégient l’exhaustivité là
où il nous paraît plus approprié de scruter et de
mettre en évidence la qualité négative que
certains faits de révolte manifestent, ou du moins le paraissent
selon nous. Ainsi, sur la base de ces rapports chronologiques confus de
ce point de vue, une chronologie plus orientée a
été établie (consultable ici).
C’est cette base principalement qui a servi à dessiner le
panorama qui précède, dans le but d’isoler puis de
rassembler les moments et les lieux où ceux qui se sont
soulevés en Bolivie l’ont fait de la façon la plus
conséquente, la plus ample, la plus offensive. Deux cas
particuliers sont encore à signaler : le 6 mars 2002
à Marchacamarca près d’Huanuni, 4 000
« mineurs et habitants » bloquent une route pour
exiger le
départ de gestionnaires locaux corrompus, l’intervention
des flics provoque des affrontements, à coups de pierres et de
dynamite pour riposter aux lacrymogènes et aux balles en
caoutchouc ; le 23 octobre de cette même année à
Trinidad, des centaines de « moto-taxistas, estudientes de
secundaria y universitarios » manifestent pour la
démission d’officiels accusés de la mort d’un
étudiant, puis incendient deux bâtiments de la police,
s’en prennent au ministère public et à la cour
supérieure de justice, avant d’assiéger une
cinquantaine de flics, jusqu’à l’occupation de la
ville par des militaires.
Mais il faut remarquer que, même dans les cas de Cochabamba ou
des cocaleros, certaines limites, qu’on pourrait dire propres
à la plupart des manifestations de révolte en Bolivie
dans cette période, sont demeurées très
déterminantes, lorsque les discours préétablis de
la contestation dirigent sa menée, lorsque des objectifs
fixés en amont gouvernent le sens de ce qui a lieu, ou du moins
paraissent au final l’avoir gouverné. Il importe de faire
ce constat avant d’aborder 2003, car 2003 a été une
année charnière, où les révoltés de
Bolivie, en février puis en octobre, dans la succession et la
confrontation de ces deux moments, ont porté par leurs actes
à son paroxysme ce débat sur la révolte et ses
enjeux. La condition pour en saisir le cœur, c’est
d’abandonner toute certitude fondée sur ces
représentations présupposées d’après
lesquelles les forces de l’ordre et de l’habitude
voudraient que chacun saisisse le monde et sa vie. La seule certitude,
ce sont des actes, les actes de ceux qui ont fait la révolte en
Bolivie, en février puis en octobre. Le récit à
suivre vise donc, d’abord, à rendre à ces actes
leur place centrale, dans l’intention de déceler ce qui
s’y est manifesté mais dont l’interprétation
n’a pas encore été proposée, parce que comme
pour le monde en général les discours qui ont
prévalu à ce sujet n’ont servi qu’à en
dissimuler la complexité et le sens possible.
En s’arrêtant à la surface de la somme des
commentaires dominants sur ce qui a eu lieu en Bolivie en 2003, et au
préalable équipé de ses meilleurs croyances
économistes sur la situation des pauvres en Amérique
latine en général et dans cet Etat en particulier, on
devrait croire qu’en février il s’est agi
d’une protestation contre une augmentation d’impôts,
et qu’en octobre peu ou prou le même « peuple »
s’est érigé contre un projet d’exportation du
gaz national jugé défavorable, et que ces deux mouvements
successifs, bien que fortement réprimés, ont eu raison
d’un président honni ; suite à quoi une phase de
transition, par moments encore un peu chaotique, a tout de même
mené à l’accession de Morales à la
présidence, au début de 2006, c'est-à-dire
à cet aboutissement censément victorieux pour les
damnés de la terre en Bolivie.
Mais, rien n’est moins vrai.
Février 2003 de La Paz à El Alto, le redoutable coup de semonce
Au commencement de 2003, sous la pression du FMI*, les gestionnaires de
l’Etat bolivien, s’ils veulent compter sur des fonds de la
Banque Mondiale et d’autres entités du même genre,
se voient contraints d’assainir leurs finances. Le dimanche 9
février, le président Gonzalo Sánchez de Lozada*
présente « le budget général de la
nation », qui comporte le projet d’une nouvelle
taxation de 12,5 %
sur certains salaires, des fonctionnaires notamment, de ceux qui
appartiendraient plutôt à la classe moyenne. Aux premiers
désaccords exprimés dès le lendemain,
Sánchez de Lozada plein de bonté se justifie par la
volonté de ne pas porter préjudice « aux plus
pauvres ».
Assez unanimement, différents représentants, des partis
politiques d’opposition, des syndicats, des entrepreneurs
privés, prennent donc publiquement les devants, le lundi 10,
pour signifier leur mécontentement au sujet de la nouvelle
mesure d’impôts, localement nommée
« impuestazo ». Tous s’entendent sur son
rejet, et ils
décident et planifient divers moyens pour la contester. Entre
autres, les entrepreneurs privés sollicitent une audience pour
demander son retrait ; des représentants de l’EMPB*
appellent à une mobilisation pour le mercredi 12 ;
les syndicalistes de la COB* annoncent
grèves et marches pour le jeudi 13 ; pour ce même jour
assemblées de quartiers, Comité civique, politiciens
opposants de la ville de Santa Cruz annoncent à
l’argentine un « cacerolazo » ; le leader
indigène et paysan Felipe Quispe* appelle à des
« revueltas » contre le gouvernement ; Evo
Morales, leader du
MAS*, à la lutte au congrès et
dans les rues. Comme leur rôle le réclame, à la
faveur d’une si scandaleuse annonce que cet impuestazo,
encadreurs et professionnels de la contestation prennent leurs
positions habituelles, bien décidés à guider ce
« peuple » une fois de plus spolié, au nom
fantasmé duquel ils parlent une fois de plus. La contestation de
cet énième diktat gestionnaire tend à
s’inscrire dans la continuité du différend
normé entre sbires boliviens du FMI et opposants degauches,
« modernisés » à la sauce
indigéniste
mâtinée d’altermondialisme. Juste auparavant, en
janvier et en parallèle de l’importante campagne de
blocages menée dans plusieurs régions du pays dont le
Chapare principalement, ces derniers ont officialisé une
« nouvelle » forme d’unification, avec
l’instauration
de cet Etat-major du peuple, censé porter en bloc
l’ensemble des revendications défendues par les multiples
organisations sociales foisonnant en Bolivie. De la même
manière que celui du projet d’exportation du gaz
déjà en gestation, le rejet de l’impuestazo est
pour ainsi dire inscrit au programme de ces opposants,
fédérés autour de la figure centrale d’Evo
Morales et de son MAS, à peine perdants de
l’élection présidentielle de 2002. Si ce
n’était la part essentielle d’imprévisible
susceptible de surgir depuis les rues, c’est comme si la
planification de la contestation précédait l’offre
de son occasion. Tous les commentateurs dominants valideront cette
« logique » pour justifier du déroulement
des faits,
de leur origine et de leur essence. Mais, en février,
l’impuestazo n’est qu’une cause particulière,
avec comme conséquence la plus directe, outre les
déclarations d’intentions des opposants officiels, la
grève des flics, qui va elle-même devenir une des raisons
concrètes du déchaînement massif de la
révolte. Puis, de façon quasi-immédiate et dans
son déploiement complet, la déferlante collective du
négatif en actes va renvoyer ces causes particulières
à leur rang secondaire, de simples déclencheurs ou
prétextes.
A Oruro le lundi 10, Sánchez de Lozada et autres comparses
gestionnaires se rendent pour une commémoration : il faut croire
que ces cons manquent d’à propos, il s’agit du
222ème anniversaire d’une révolte,
de 1781, contre
le « joug espagnol » ! On voit alors le
« peuple » commencer à se manifester, des
gens les sifflent et les
huent.
Entre le lundi soir et le mardi 11 à La Paz, capitale
administrative et siège du gouvernement (la ville de Sucre
étant l’autre capitale, constitutionnelle), des policiers
de plusieurs zones refusent de partir en patrouilles, ils demandent une
augmentation de leurs salaires de 40 %. En dépit des tentatives
gouvernementales de négociations dans le cours de la nuit, au
matin suivant la grande majorité des 7 000 policiers de La Paz,
et des zones alentours, s’est jointe à la grève.
D’après les rapports de journalistes, ils ajoutent une
série d’autres revendications corporatistes à leur
requête salariale, en s’associant au rejet
fédérateur de l’impuestazo. Du côté de
la rue, à El Alto, des « universitaires »
brûlent des pneus et bloquent la circulation dans un quartier de
cette ville-périphérie qui forme un seul et même
ensemble urbain avec La Paz. Tandis que les syndicalistes de la COB
poursuivent leurs appels et préparatifs aux manifestations du
jeudi, des « marches spontanées de citoyens »
auraient lieu dans « le pays », sans que le journaliste qui
les évoque n’en donne plus de détails.
Le mercredi 12 février au matin, les rues de La Paz, de
même que celles d’El Alto, sont libérées de
toute surveillance policière, si ce n’est la
présence de militaires gardant le palais présidentiel sur
la place Murillo, où se situe aussi le parlement, à la
façon typique de ces capitales sud-américaines et de
leurs places centrales où se concentrent les sièges du
pouvoir étatique. S’y trouvent également les
quartiers généraux du Groupe spécial de
sécurité (GES, police anti-émeute),
transformés en quartier général des policiers en
grève. Il y aurait alors « au moins deux
manifestations » distinctes sur cette place :
d’un côté des
policiers en grève et en civil, de l’autres des
« estudiantes del colegio Ayacucho » qui
réclameraient le
remplacement du directeur de leur école. Parvenus aux abords du
palais présidentiel, ceux-ci lancent le premier assaut de la
journée, ils caillassent le bâtiment, avant
d’entreprendre de démolir ses portes qui résistent,
tandis que d’autres personnes commencent à se joindre
à eux. Si des toits d’un bâtiment, des policiers
mutinés tirent quelques lacrymogènes, ce sont surtout les
militaires qui interviennent contre les assaillants depuis
l’intérieur du palais, à coups de gaz et de balles
en caoutchouc. La situation conflictuelle grandit, puisque des
« centaines de curieux » s’assemblent avec
les premiers
assaillants dans un coin de la place, tandis que 200 soldats arrivent
en renforts pour y prendre position. A ce moment, quand
s’engagent davantage d’anonymes à la suite des
jeunes éclaireurs d’Ayacucho, aux abords et contre le
centre et le symbole de l’Etat bolivien, les tirs croisés
entre flics mutinés et militaires redoublent et prennent le
dessus. Les balles réelles, la dynamite, et autres munitions de
guerre se substituent aux lacrymogènes, quand certaines
balancées par les premiers atteignent les seconds, à
moins que ce ne soit l’inverse. L’échange de feux
apparaît très intense, d’après les rapports
disponibles ça mitraille dru surtout du côté des
militaires mieux équipés, et pendant un bon moment,
jusque dans l’après-midi où on décompte
environ une quinzaine de morts, plutôt du côté des
policiers, et une centaine de blessés au moins. Alors, les
« civils », comme l’information les
désigne,
ne semblent prendre qu’une part secondaire à la bataille.
Retransmises en direct par les télévisions, ce sont
peut-être les images de ces affrontements entre les deux bras
armés de l’Etat, et leur caractère traumatisant
pour ceux qui le dirigent et le représentent, qui ont raison de
l’impuestazo : après qu’il aurait fui de son
palais
caché dans une ambulance, Sánchez de Lozada y intercale
la sienne pour en annoncer le retrait.
« Y en la calle la realidad era distinta »
Du côté où ça se passe, dans les rues, si
ces mêmes images ont un effet il est tout autre. Au moment
où la tête de l’Etat se rétracte piteuse, en
se soumettant à l’exigence « populaire »
à laquelle elle jurait ne pouvoir accéder à peine
deux jours plus tôt, ceux qui sont ce « peuple », que
pour notre part nous nommerons maintenant les révoltés,
commencent d’en poser de nouvelles, à leur manière
et selon leur bon vouloir, suivant leurs goûts, leurs
désirs et leurs colères, sous la forme de ces
perspectives qu’on ouvre en actes, collectivement, au-delà
de toute planification syndicale ou du même acabit.
Aucun rapport de l’information n’en estime le nombre avec
exactitude mais, en croisant les descriptions qu’elle livre sur
les attaques, saccages, incendies, pillages, qui vont illuminer La Paz
et El Alto entre le mercredi 12 février en fin
d’après-midi et le lendemain dans le cours de la
journée, on peut dire que les révoltés,
c'est-à-dire l’ensemble de ceux qui prennent part à
cette offensive généralisée contre les symboles et
les structures de l’ordre en place, se comptent largement par
centaines, voire davantage.
« El reloj marcaba cerca a las 16.00 y en las calles
aledañas a las plazas Murillo y San Francisco y la avenida
Mariscal Santa Cruz se empezaron a formar grupos que, de a poco,
contagiaban la ira en sus vecinos, amigos y hasta en desconocidos. » [1] D’abord, à La Paz, ce sont des bâtiments
étatiques qui sont visés : le ministère du
travail, celui du développement durable, la
vice-présidence, le tribunal militaire, la cour suprême de
justice, les sièges de 4 partis politiques (ceux de la coalition
gouvernementale : MNR*, MIR*, UCS* ; et celui de l’ADN*). Les
deux ministères sont envahis, vidés de leurs mobiliers et
documentations, qu’on balance par les fenêtres ou pour
alimenter les incendies qu’on y allume, sous les acclamations de
ceux qui en font le siège. Le feu sert de signal, et il se
propage : « La humareda entusiasmó a los otros grupos, que
vieron las lenguas del fuego desde la plazuela de la Alcaldía
paceña ; se armaron de fierros y piedras y al grito de
¡Viva Bolivia! forzaron las puertas de ingreso y las ventanas de
la Vicepresidencia. » [2]
Celle-ci, comme le tribunal militaire et
la cour suprême de justice, subit peu ou prou le même sort,
ces bâtiments dévastés partent en flammes.
« Un coro de voces dio la orden de partir a la “casa
rosada”,
sede del MNR. A las 19.00, centenares de jóvenes emprendiarion
contra la sede emenerista, ubicada en la calle Nicolás Acosta,
San Pedro. Los gritos de la turba que pasaban por la carcel, hizo
cundir el conflicto en esa penal. » [3]
Alors, tandis qu’au
moins trois autres sièges de partis politiques sont
attaqués par la même foule, 200 prisonniers se rebellent,
exigeant leur libération, ils mettent le feu à
l’intérieur des murs les séparant de la
révolte, malheureusement contenus par leurs gardes et des
pompiers demeurés à leurs postes – au contraire
d’autres qui se seraient joints à la grève des
policiers. Pour s’opposer à la furia, à la
déferlante des révoltés, il ne reste que les
militaires, dont l’impact répressif semble très
faible – sans doute que la plupart sont en place pour
pallier une
autre attaque éventuelle sur la place Murillo. Si des barricades
sont érigées, si des affrontements sont signalés
place San Francisco au centre de La Paz, et à El Alto, le
constat général est plutôt que «
(…) la bronca ya es incontenible. Hay incendios y actos
vandálicos
por doquier. » [4] Ceux qui s’y opposent n’y peuvent
rien, l’impression dominante est d’une gradation,
d’une intensification ravageuse. Les bureaux de deux
chaînes de télévision, dont celle d’Etat,
sont attaqués – un bilan fait état de 4
journalistes blessés dans le cours de la révolte, dont 2
paraissent l’avoir été sur la place Murillo le
mercredi, pour les autres on ne sait qui s’en est pris à
eux ; un des textes d’Osal signale cependant que les
émeutiers d’El Alto, par ailleurs engagés plus
massivement qu’à La Paz, auraient expulsé les
journalistes de leurs rues. Le déchaînement collectif
atteint une dizaine de banques au moins, autant de distributeurs de
billets, des « dizaines » de commerces, ceux du centre
commercial Ismar également incendié, ceux de la zone
commerciale « Gran Poder » (« Grand Pouvoir »),
des restaurants, une brasserie. Un des articles décrit le
passage de « dizaines d’hommes et de jeunes »
chargés de leurs butins, sur la route entre le cimetière
général et El Alto. Là, c’est la mairie,
sans doute la principale représentation du pouvoir politique
séparé dans cet ensemble urbain, qui est aussi bien
saccagée et brûlée que les ministères du
centre de La Paz. Au moins dans cinq quartiers d’El Alto,
commerces et banques sont pris d’assaut. Les bâtiments des
entreprises publiques Aguas de Illimani et Electropaz sont
incendiés, de même que les cabines de péage. Les
entrepôts douaniers sont pillés.
Alors qu’il semblerait qu’à La Paz la razzia perde
en intensité dans le cours de la nuit, quoique soient encore
signalés des groupes de pilleurs sillonnant les rues au matin
suivant, à El Alto les pillages, et notamment celui des
entrepôts douaniers, se poursuivent jusqu’au lendemain.
« Con la característica típica del acto
vandálico, la turba —compuesta por niños,
jóvenes y hombres y mujeres de diferente clase social—
invadieron la Aduana. » [5] Dans le cours de la nuit, des dizaines
de véhicules stationneraient à son abord pour être
chargés en marchandises.
Jusque-là largement débordés, touchés au
cœur et plus menacés sur leurs bases que jamais, les
ennemis des révoltés, dans le cours de la journée
du 13, s’échinent à se réorganiser, et ils y
parviennent peu à peu. Du côté de la
répression directe, davantage de militaires prennent position,
la place Murillo est gardée par des tanks. L’Etat promet
d’accéder aux revendications des flics, qui acceptent de
retourner à leurs sales besognes. Forcés de modifier leur
mot d’ordre, en passant du rejet de l’impuestazo à
l’exigence de démission du président
désigné premier responsable du sang qui a coulé,
les leaders syndicaux et politiques d’opposition maintiennent
l’appel aux marches prévues depuis le lundi, à
La Paz et dans d’autres villes. Comme enrobage de ses
comptes-rendus
sur les faits, la presse bolivienne consacre une large part de ses
commentaires à la mutinerie policière et aux
affrontements initiaux avec l’armée, avec cette forte
tendance à en faire le centre, l’importance de ce qui a
lieu, alors qu’il ne s’agit que d’épisodes
très particuliers largement dépassés par ce qui
leur a succédé, même s’ils ont aussi permis
dans une certaine mesure ce dépassement. La grève des
flics affaiblit l’ennemi, et ceux qui se révoltent
profitent de cette faiblesse : pour autant la portée de leurs
actes ne saurait être réduite à la seule saisie de
cette opportunité, au contraire de ce que plusieurs observateurs
ne se privent pas de suggérer. A cette manière de se
concentrer sur ce qui n’est pas l’essentiel, du point de
vue du négatif exprimé et ce sur quoi il ouvre,
s’ajoute une entreprise de calomnie à l’encontre des
révoltés, dont les actes de pillage notamment sont
dénoncés en vandalisme, et leurs auteurs traités
de délinquants, alcooliques, contrebandiers. Par le simple
croisement des différents articles recueillis, la calomnie tombe
d’elle-même. Plus d’une description, livrées
par la même information, contredisent ce jugement moral et
injurieux, utile pour rassurer ceux qui l’émettent et ceux
qui veulent bien le croire, quand ceux qui sont passés à
l’offensive – et c’est là ce qui fonde avant
tout la communauté momentanée qu’ils forment alors,
ce qui importe – apparaissent bien plus justement comme un
ensemble hétéroclite, multiple, de personnes, non
réductible à quelque catégorie que ce soit.
Si on en cherche d’après les perceptions habituelles, une
des caractéristiques générales de cet ensemble
serait que ces personnes sont pauvres, matériellement parlant,
et qu’il a été constitué par une
majorité de jeunes. Ce dernier constat a son importance,
relativement aux mouvements sociaux des dernières années
en Bolivie : les jeunes, les plus jeunes, échappent sans doute
plus que leurs aînés à la multitude des
encadrements de la contestation et aux illusions qu’ils
entretiennent, fondés sur des catégories définies
suivant le travail, auxquelles se mêlent et s’ajoutent dans
cet Etat les divisions identitaires indigènes. On comprend que
ce sont eux pour beaucoup, mais pas les seuls, qui se sont
lancés de façon si radicale dans cette offensive de
février, comme pour montrer une voie, un possible, jamais si
clairement découverts en Bolivie dans l’époque
récente. Et, à propos des acteurs de la révolte,
ces deux observations sur qui ils sont invalident le simpliste rapport
de causalité posé par la plupart des commentateurs
autorisés, entre l’annonce de l’impuestazo et ce qui
a suivi, comme si le refus du premier pouvait circonscrire
l’explication de ce qui a été mis en jeu dans les
rues.
Sur les faits négatifs de la journée du 13, les
descriptifs livrés par l’information sont moins
détaillés qu’à propos de ceux de la veille.
On sait qu’à El Alto, des « centaines de
vandales », « une foule de jeunes et
d’adultes »,
assaillent les bâtiments de l’usine de boissons gazeuses
Embol : son siège et les tentatives d’y
pénétrer durent plusieurs heures, sans succès
sinon l’envahissement d’un bureau. Finissant par
répondre aux appels des employés barricadés, des
soldats interviennent, ils tirent : 3 assaillants sont
tués. Ce
moment paraît assez représentatif d’un rapport de
force en train de se renverser au cours de cette deuxième
journée de révolte. La répression gagne du
terrain, et les informateurs professionnels s’empressent
d’en renforcer le premier rôle, comme pour mieux
s’employer à effacer des esprits la profondeur des marques
brûlantes laissées depuis la veille. Dans le centre de
La Paz, tandis que des incendies du mercredi continuent
jusqu’au
jeudi dans la soirée, un premier rassemblement s’organise
en hommage à certains des flics tués sur la place
Murillo. A ce cortège funéraire succède la
manifestation encadrée, de quelques milliers – entre
2 000
et 5 000 d’après deux sources distinctes (on peut
remarquer, si ces estimations sont justes, que c’est peu, et
peut-être y voir une preuve que pour beaucoup l’enjeu est
ailleurs). Aux abords de la place Murillo, cette manifestation serait
dispersée par les militaires, dont les tirs feraient 6
blessés, voire des morts. Comme au sujet de l’affrontement
entre policiers et soldats, ce genre de tirs meurtriers est à
plusieurs reprises attribué à des
« francotiradores » : alors même
qu’ils sont désignés en
tant que membres de l’armée, ces snipers sont
traités, par le vice-président et des
représentants humanitaristes annonçant l’ouverture
d’enquêtes, par la presse relayant ces déclarations,
comme une espèce de responsables isolés, personnification
du mal meurtrier. Avec placés au centre les cadavres policiers
du mercredi, la mort constitue ainsi un des leitmotivs principaux des
beaux discoureurs dominants, la mort dont ils s’horrifient, et
qu’ils condamnent. C’est là l’argument de
Sánchez de Lozada pour appeler le
« peuple » au
calme ; c’est là celui de ses opposants demandant sa
démission ; le même que tous ceux qui soulignent par ce
biais, de façon plus ou moins implicite, les excès de la
révolte et la nécessité du retour à la
« raison ». Les morts de ces deux jours sont en
effet
nombreux : au total, à La Paz et El Alto, ils seraient 32,
16
pour chaque jour. Pour le mercredi, les bilans les plus précis
en comptent 10 du côté des policiers mutinés
– et 17 blessés – et 4 chez les militaires –
et 50 blessés ; il faut donc en déduire, et il est
probable qu’ils aient été pris dans
l’échange de feu entre les deux corps armés, 2 dans
les rangs des « civils », auxquels s’ajoute
une
soixantaine de blessés. Le jeudi, il y a donc autant de morts
que le mercredi. Mais cette fois, ceux qui tombent sous les balles, ce
sont ceux qui poursuivent sur la lancée de la veille, car
même s’ils ne sont évoqués que vaguement, on
sait que de nouveaux assauts sont lancés contre des commerces et
d’autres bâtiments. La différence est maintenant
qu’on tire à vue sur les révoltés. Les
mêmes qui affichent leur déploration sont les
commanditaires et les complices de ces exécutions. Ils
conservent leurs places à ce prix, ceux qui s’abritent
derrière la représentation d’un accident et
d’une folie regrettables, là où des anonymes
s’engagent dans l’assaut entier contre toute leur
hypocrisie et leur lâcheté. Il y a 8 morts à
La Paz, parmi lesquels sont identifiés une
infirmière et
deux « pilleurs », et 26 blessés. A
El Alto,
où des pillages dureraient jusqu’à la nuit, il y a
8 morts aussi, dont les 3 assaillants d’Embol, et une douzaine de
blessés. On compte une centaine d’arrestations dans
chacune des deux villes. Si les rapports disponibles ne permettent pas
de mettre en évidence autant d’actes offensifs pour ce
second jour que pour le premier, le constat de cette répression
ample et sanglante démontre que la menace de la révolte
n’en demeurait pas moins grande, et que l’Etat n’a
pas lésiné sur les moyens pour se maintenir.
Dans cette tâche, certains parmi le « peuple »
l’ont aidé, qui ont donc choisi leur camp, même si
leur influence sur le cours des événements a certainement
été moindre que l’importance que leur donnent
plusieurs journalistes dans leurs rapports. Dès le mercredi
soir, des « vecinos » forment des « piquetes de
autodefensa ». En fait de simples « habitants », il
appert qu’il s’agit surtout de commerçants : non
protégés par les flics toujours en grève à
ce moment, ils s’organisent en petites milices pour
défendre la marchandise. Ces collaborateurs interviennent
à La Paz et à El Alto, et certains d’entre eux ne
font pas que patrouiller ou surveiller, ils s’affrontent aux
révoltés, il y a quelques blessés. Dans le
même genre, des « travailleurs » de la brasserie
bolivienne nationale se battent à coups de bouteilles et de
canettes contre les « jeunes vandales en furie » qui
assaillent l’entreprise. Rapportant cet affrontement, avec un
guillemet oublié si bien qu’on ne sait s’il cite un
témoin ou non, un journaliste bave : « “No iban a
permitir que la gente del mundo negro les arrebate todo el sacrificio
de su vida ? » [6] Plus loin, dans cet article intitulé
« Los saqueos arrasaron con los grandes comercios paceños » [7],
le même revient sur la dévastation du centre
commercial Ismar, avec cette fois un renvoi clair aux
déclarations d’un de ses responsables :
« (…) el país está viviendo un
caos y un gran convulsión
social de la cual se están aprovechando los vándalos que
están atentando contra el comercio formal establecido.
(...) el
consolidar una empresa es un gran sacrificio y une gran
inversión que se esfumó en pocas horas. » [8] A
propos du « commerce formel établi », celui qui
s’en réclame tient sans doute, en bon élève,
à se démarquer des Boliviens qui pratiquent le commerce
ambulant, de rue, illégal. La même représentation
est utilisée pour expliquer le pillage des entrepôts
douaniers, notamment attribué à des « contrebandiers » qui en auraient profité pour
récupérer leurs marchandises confisquées et
augmenter leurs stocks. Si de telles intentions ont pu exister, il
serait là aussi abusif d’y réduire ce qui a eu
lieu. Plus largement, cette déclaration a ce mérite assez
limpide de montrer que la petitesse à laquelle certains veulent
conformer leur vie, eh bien elle n’est pas du goût de tous,
elle n’est pas du goût de ces révoltés
del mundo negro, qui n’ont que faire de se
sacrifier au nom de quoi que ce soit, et qui en effet ont
commencé à faire un sort à ce qu’ils ne
respectent pas, eux, et qui semble alors si facile à supprimer,
en quelques heures à peine.
L’information étrangère articule l’essentiel
de ses commentaires après coup sur des considérations
économistes. La révolte est présentée comme
un symptôme et une conséquence des difficultés des
gestionnaires locaux à s’adapter aux règles et mots
d’ordre dominants en la matière, et de ce point de vue
elle est comparée avec d’autres situations récentes
relevées dans d’autres Etats d’Amérique
latine, notamment l’Argentine de fin 2001/début 2002. Sur
les faits de révolte eux-mêmes, cette information est bien
moins précise que sa filiale bolivienne. Au premier abord, si on
en croit ses rapports assez vagues, qui permettent tout de même
de saisir l’importance de ce qui a lieu dans la capitale
administrative, on peut même se faire une idée assez
trompeuse de la situation sur l’ensemble du territoire
délimité par les frontières de l’Etat
bolivien. Car plusieurs articles affirment que la
« violence » et les pillages
s’étendraient « across the
country », que « the worst riots and killings
seen since
the country’s return to democracy 21 years ago »
auraient
lieu dans plusieurs « cities across Bolivia » [9]. Mais les
informations délivrées par des journalistes boliviens ne
corroborent pas cette représentation, au contraire elles tendent
à montrer que les faits de La Paz/El Alto ont constitué
le centre et l’essentiel de la charge négative de la
révolte de février 2003 en Bolivie. Puisque c’est
sa capitale administrative qui a été si violemment
secouée, on peut dire en effet que l’Etat bolivien a
été ébranlé dans ses fondements, mais ce
n’est malheureusement pas parce que l’ouverture de tels
fronts se serait étendue à l’échelle du
pays.
En ce qui concerne les autres villes que La Paz/El Alto, on apprend
d’abord qu’un certain nombre d’unités de
police se joignent à la grève qui s’y est
initiée, à partir du mercredi, ou bien sont en passe de
le faire, à Santa Cruz, Cochabamba, Oruro, Trinidad, Tarija,
Potosí. Annoncée deux jours plus tôt, la marche
à l’initiative de l’EMPB a lieu ce
mercredi à Cochabamba, elle rassemble des
« travailleurs
et paysans ». Dans l’après-midi des rues sont
bloquées dans cette ville, où il règnerait une
certaine « tension ». Ceci se confirme le
lendemain,
puisque des « groupes de jeunes »,
menaçant les
sièges des MNR et MIR, s’opposeraient à des
militants et dirigeants de ces partis. Des tanks sont en position,
d’autres groupes se forment dans les rues, quelques
« vols » de « produits de plusieurs
entreprises commerciales et
financières » sont commis, il y a un blessé
par
balle, et il serait procédé à une quinzaine, voire
une quarantaine, d’arrestations. C’est dans la ville de
Santa Cruz qu’une semblable tension paraît la plus
forte [10],
traduite en actes les plus ressemblants à ceux de La
Paz/El Alto, même si leur envergure demeure bien moindre. Le
jeudi, une marche et un meeting rassemblent 5 000 personnes,
affiliées à la COD* et à d’autres
organisations corporatistes. C’est alors l’occasion de
quelques jets de cocktails, attribués à des
« infiltrés », et de destructions contre
un édifice
parlementaire. « Entonces los líderes desaparecieron
y
algunos desadaptados empezaron a correr hacia los negocios
desguarnecidos. » [11] L’initiative de ce mouvement est
attribuée à une sorte de black bloc dont les participants
se proclameraient « défenseurs du peuple ». Des
locaux commerciaux sont assaillis, pendant une demi-heure environ, puis
des attaques menées contre les sièges des MNR, MIR, UCS.
Les flics interviennent, tirent quelques lacrymogènes, il y a
quelques blessés, une cinquantaine d’arrestations. Si des
« actes de vandalisme » sont signalés à
Oruro, on n’en sait pas plus. A Sucre, Potosí, Tarija,
Trinidad, il n’est question que de marches encadrées, ou
de suspensions des activités, le jeudi ou le vendredi. Enfin,
à partir du jeudi matin des cocaleros mettent en place des
blocages sur la route entre Cochabamba et Santa Cruz, où un
affrontement avec des militaires fait un mort, au moins 4
blessés, et 8 arrestations – ces blocages seraient
décidés suite à l’échec des
négociations avec le gouvernement au sujet de
l’éradication de la coca, il s’agirait donc
plutôt de suites de janvier que de faits manifestant la
nouveauté de février.
Au regard de la déflagration des 12/13 à
La Paz/El Alto,
ce panorama sur la situation dans les autres régions de Bolivie
en renforce encore le caractère exceptionnel et
supérieur, d’un point de vue qualitatif. A ce propos, il
faut tout de même émettre cette hypothèse que
certains faits négatifs à la hauteur de ceux de
La Paz/El Alto soient restés dans l’ombre, parce
que les
informateurs auraient dans un premier temps concentré leurs
projecteurs sur ce centre urbain, et puis parce qu’ils auraient
ensuite, plus ou moins sur injonction policière directe, tu les
faits de ce genre, pour ne pas rajouter de l’huile sur le feu.
Rien ne permet de l’affirmer, mais on ne peut en écarter
la possibilité.
Ce qui a ainsi lieu dans les autres villes montre par ailleurs,
surtout, que les formes de la contestation normée,
encadrée, moins réprimée que
tolérée, reprennent leurs droits.
Les jours suivants, le constat est d’une reprise
générale du contrôle policier sur les rues,
à La Paz et El Alto. Le lundi 17 février, commence une
grève générale de 48 heures à l’appel
des syndicats, des milliers défilent qui scandent et affichent
des mots d’ordre contre le gouvernement, pour condamner la
répression de la semaine passée, pour demander la
démission du président. Le mardi 18, celui-ci
reçoit la démission de l’ensemble de ses ministres,
puis forme un nouveau gouvernement où 7 des mêmes
conservent leurs postes. Quelques jours plus tard, un nouvel accord est
trouvé avec le FMI. La comédie recommence, mais pour
combien de temps encore ?
Octobre 2003 d’El Alto à La Paz, âpre et grande bataille de tranchées
Le territoire contrôlé par l’Etat bolivien
recèle des réserves de gaz parmi les plus importantes du
continent latino-américain. Dans le courant de
l’année 2003, les gestionnaires au pouvoir finalisent un
projet d’exportation de cette marchandise, à destination
principale des Etats-Unis, et via un port chilien puisque l’Etat
bolivien ne dispose d’aucun accès propre à la mer.
Depuis plusieurs mois déjà, le projet est contesté
par les représentants syndicaux et de l’opposition
politique, et l’imminence de sa réalisation les conduit
à réagir de façon plus conséquente. Le 28
août à La Paz, une manifestation a lieu à
l’appel de la COB, avec comme mots d’ordre principaux le
rejet de ce projet, et la mise en cause de l’ALCA. Au cours du
mois de septembre, sur ces bases la contestation s’étend,
des manifestations se succèdent, à La Paz et dans
d’autres villes, à El Alto un « paro
cívico »* est décrété le lundi
15 par la Fejuve* et
la COR*, pour un temps illimité mais qui ne semble pas avoir
été ainsi maintenu à ce moment, des cocaleros
initient des blocages sur plusieurs routes des Yungas et de
l’altiplano paceño*, autour de Felipe Quispe
d’autres paysans entament une grève de la faim, aux
premiers appels à manifester de la COB s’associent le MAS
et l’EMPB.
Tout ce que la Bolivie compte d’organisations d’opposition
au régime est de la partie. Représentants et leaders
usent de l’arsenal de leurs moyens habituels pour faire pression
sur le camp adverse. Dans leurs bouches, tel que le rapportent les
informateurs à l’intérieur et hors de Bolivie,
l’enjeu principal du mouvement en train de se constituer consiste
à refuser l’exploitation de la
« richesse »
principale du pays par une minorité de possédants
« blancs », au détriment de la
majorité des Boliviens
d’origine et d’identité indigènes. De
façon centrale, le problème est présenté
comme un problème de gestion, ceux qui parlent au nom du
« peuple » mettant en avant la solution de
l’étatisation, de la
« récupération » de la
« richesse » au profit de la majorité
jusque-là privée de ce qui serait censé lui
appartenir. En interprétant la situation de cette façon,
les encadreurs des pauvres en Bolivie tiennent un discours qui touche
et qui fédère : ils condamnent l’inadmissible
de
situations concrètes dont en effet beaucoup de ceux qui les
connaissent ne sont pas satisfaits ; ils prennent pour objet,
malgré leur charabia économiste, un état
généralisé où la définition de
l’existence échappe à la maîtrise de chacun
et donc de tous ; ils envisagent malgré la pauvreté de
leurs projets affichés la possibilité d’un
renversement. Mais tous ces discours ne seraient rien sans la
présence et l’engagement effectifs de l’ensemble des
acteurs d’un mouvement social, d’une révolte. Il
s’agit donc de faire la part dans ce qui est dit, entre les
paradigmes que ceux qui s’instituent représentants de la
révolte avancent de leur propre chef, avec une possible
influence sur ce qui se produit ensuite, et ce qu’ils sont
contraints d’exprimer pour donner le change, pour
préserver l’illusion qu’ils maîtrisent et
décident là où c’est l’ensemble des
anonymes dans les rues qui dicte le sens qu’ils créent et
qu’ils choisissent eux-mêmes. La difficulté
d’octobre 2003 en Bolivie, c’est qu’il ne
s’agit pas d’un mouvement de révolte où
dominent le spontané, l’immédiat, le surgissement
d’une colère généralisée en actes
négatifs qui renverseraient tout sur leur passage. Octobre est
moins explosif que février, plus lent à se mettre en
place, avec pourtant une amplitude, spatiale et temporelle, qui a
manqué à février.
Le samedi 20 septembre surviennent les premiers faits qui anticipent le
durcissement du conflit. A la rescousse de touristes
« prisonniers », des militaires se dirigent sur
Sorata dans
l’altiplano paceño. Aux alentours de Warisata, ils se
heurtent à des paysans bloqueurs, il y a des affrontements qui
font 6 morts, parmi lesquels 5 bloqueurs et 1 soldat, et
plus
d’une vingtaine de blessés. Puis, à Sorata
même, après que le ministre de la défense en visite
est expulsé, des bâtiments publics et privés sont
assaillis, saccagés.
Suite à ça, par la voix de Quispe une intensification des
blocages est annoncée, tandis que des profs décident
d’un arrêt illimité du travail la semaine suivante
dans le département de La Paz. Des dirigeants de la COB
déclarent eux-mêmes une grève
générale à partir du lundi 29 septembre. Des
manifestations se succèdent à La Paz, les mardi 30
septembre et mercredi 1er octobre. Ce deuxième jour
l’intervention répressive des flics anti-émeute
provoque quelques affrontements et arrestations. Le jeudi 2 octobre un
nouveau paro est organisé à El Alto à
l’initiative de « diverses organisations sociales » :
ceux qui y participent contraignent des commerces à la
fermeture, provoquant en retour l’intervention de flics avec
lesquels on se mesure, les affrontements font quelques blessés
notamment des étudiants de l’université locale qui
paraissent parmi les plus impliqués. Le lendemain vendredi 3
octobre, nouvelle manifestation de milliers à La Paz, ainsi que
dans d’autres villes, de cocaleros et autres paysans à
Cochabamba autour de laquelle des blocages sont installés, de
profs à Potosí, de mineurs à Oruro. En ce
début de mois d’octobre le conflit s’étend,
mais sur un mode qui demeure sous le contrôle des organisations,
que ce soit la COB d’envergure nationale, ou d’autres aux
influences plus locales, réparties par « secteurs »
ou par régions. Il y a bien quelques affrontements, mais qui ne
signifient pas ni n’ont pour conséquence qu’une
majorité des personnes impliquées prendrait la situation
à son compte, au-delà des mots d’ordre syndicaux
parmi lesquels un nouvel objectif fait son apparition : la COB double
son appel à la grève générale de
l’exigence de démission du président, qui est mise
sur le même plan que la revendication sur le gaz.
C’est à partir de la semaine suivante que la confrontation
va se faire plus ample et plus dure sur le terrain. A la suite des
mêmes mobilisations qui ont précédé depuis
septembre, une nouvelle manifestation encadrée se déroule
à La Paz le lundi 6 octobre. Ce même jour, une colonne de
mineurs partie d’Huanuni s’engage sur la route en direction
d’El Alto. Dans cette ville le mercredi 8, un nouveau paro
s’initie, qui cette fois ne se limitera pas à une
journée : au contraire, même si ce qui va suivre
dépendra de facteurs multiples alors imprévisibles,
c’est là le commencement d’un mouvement qui tend
à prendre une tournure tout autre que s’il
s’était poursuivi dans la continuité des plans
d’actions annoncés et suivis jusque-là.
Au début des années 2000, El Alto est devenu la
troisième ville du pays (elle compterait 750 000 habitants en
2003 – La Paz environ 1 million, et le pays aux alentours de 9 millions).
Sa population a rapidement augmenté depuis la fin du
siècle précédent, sous l’effet d’un
important exode rural. Une majorité de ses habitants est ainsi
constituée par d’anciens paysans,
« indigènes », notamment Aymaras ; plus de
la moitié ont moins de 25
ans ; dans l’ensemble, leur situation matérielle est des
plus misérables.
D’autres commentateurs, tels certains de l’Osal affichant
leur soutien aux révoltés de Bolivie, ont basé
leurs analyses du soulèvement d’El Alto sur des
considérations sociologiques où ils soutiennent en
premier lieu l’essentiel de l’identité
indigène. Sans doute qu’il faut la prendre en compte, mais
comme composante
particulière dont l’influence ne saurait
être définie comme supérieure à toute autre,
d’autant que ce parti pris rejoint exactement le fonds de
commerce du récupérateur Morales, tel qu’il
l’a cultivé depuis son apparition sur le devant de la
scène. Un de ces rédacteurs d’Osal, promoteur le
plus évident de ce point de vue, se présente comme
« sociologue indigène aymara »
[12] : la
défense de son parti pris consiste à étendre le
particulier identitaire, et son poids ancestral, en
détermination générale et centrale. Certes il
concède la spécificité actuelle de la situation
d’El Alto en 2003, mais elle ne l’emporte pas dans sa
démonstration, où
aucune référence
n’est faite à février, où il
préfère s’étendre sur la mémoire de
luttes plus que passées. Il ne s’agit pas de rejeter en
bloc toute réflexion sur ce genre d’élément,
mais à s’y enfermer ainsi, on perd la possibilité
d’une vision plus générale, c'est-à-dire qui
envisage le soulèvement des insurgés d’El Alto
relativement à leurs contemporains, au même monde
qu’ils mettent tous en question, au conflit d’ensemble
qu’ils y mènent. Comme le tempère un autre
rédacteur de la même revue, qui pour sa part situe
février en tant qu’« antécédent
important », « No se puede reducir lo acontecido en la
ciudad de El Alto a las circunstancias y al contorno de las
revendicaciones indígenas. »
[13]
Au premier jour du paro illimité, le mercredi 8 octobre, il
semble que prévaut encore une forte dimension de direction de la
contestation par des organisations préexistantes, puisque le
blocage de la ville est appelé par le triumvirat que forment la
COR, la Fédération des gremiales et la Fejuve.
La Centrale ouvrière régionale fédère les syndicats de la ville.
La Fédération des gremiales représentent les travailleurs du commerce informel.
Fejuve est l’abréviation
pour Federación de juntas vecinales, qu’on peut traduire
par Fédération des assemblées, ou associations,
des quartiers. D’entre les trois, c’est
l’organisation préexistante qui paraît la plus
présente et influente dans le cours des
événements. La Fejuve d’El Alto regroupe autour de
500 assemblées/associations réparties dans les 9
districts de la ville. Il y a un président pour chaque
unité de base, et entre une vingtaine et 46 dirigeants pour la
fédération, dont un président, deux
vice-présidents, un secrétaire général, et
plusieurs « portefeuilles » (« carteras »). Ce
sont des articles de la presse bolivienne qui livrent ces quelques
détails sur cette structure, et qui permettent de saisir son
rôle prépondérant par rapport aux deux autres, sans
pour autant que soit affirmée la domination de sa direction sur
la pratique des habitants insurgés. Un journaliste est plus
précis, qui attribue un rôle directeur à 14
dirigeants de la Fejuve, acceptés pour leur indépendance,
parce qu’ils n’appartiennent à aucun parti politique
ni ne sont affiliés à la COB : ces dirigeants
condamneraient les prétentions de Morales ou Quispe à
« exproprier [leur] mouvement ». Dans un autre article, il
est établi que « le pouvoir dans la ville d’El Alto » dépend, le temps du blocage
généralisé, des « 562 présidents
d’assemblées/associations des quartiers ». Mais
à plusieurs reprises, d’autres commentaires
suggèrent que la pratique des habitants insurgés leur
doit à eux avant tout, plus qu’à un quelconque
pouvoir centralisé, que ce soit entre les mains de 14 ou 562
individus. « “Aquí no hay partidos ni sindicatos,
ésta es una lucha de toda la población que está
cansada de este Gobierno”, dice Edgar, vecino de El Kenko. »
[14] Aucun commentateur ne consacre de description ou
d’analyse plus poussée à cet important sujet,
c’est seulement au détour de certains comptes-rendus
qu’on peut s’en faire une idée, en lisant par
exemple que les habitants se retrouvent « en asambleas
permanentes en sus barrios »
[15], ou que « Las juntas
vecinales de cada zona se han convertido en microgobiernos
territoriales, toda acción se coordina a través de estas
instancias. »
[16]
Ce qu’on peut avancer, à
la lumière des lignes qui suivent sur le déroulement du
soulèvement dans son ensemble, c’est que les
assemblées/associations des quartiers d’El Alto,
structures anciennes servant habituellement à traiter de
problèmes du quotidien, à porter des revendications
partielles, ont été utilisées par les
insurgés à d’autres fins, dans le moment de leur
révolte. Ce moyen préexistant a sans doute
constitué un avantage non négligeable pour communiquer et
s’organiser de façon efficace ; il se peut aussi que par
son intermédiaire organisation et communication soient
demeurées sous des déterminations finalement
préjudiciables à la révolte.
Dans les rues d’El Alto les activités sont
suspendues, les
bloqueurs armés de fouets et de bâtons empêchent
toute circulation. Des « profs de campagne »
veulent
bloquer la voie principale qui relie El Alto à La Paz,
c’est alors le moment des premiers affrontements avec les flics
qui répriment à coups de balines*, il y a deux
blessés parmi les manifestants, puis les affrontements se
poursuivent sur l’avenue 6 de Marzo, où étudiants
et habitants s’opposent aux flics et soldats. Pendant deux heures
les tirs de gaz répondent aux jets de dynamites, pour un bilan
de 16 à 20 blessés, puis arrivent sur les lieux des
marcheurs identifiés comme « comunarios de
Zongo »
(sans doute des habitants de la commune de Zongo, on trouve une
localité de ce nom à une cinquantaine de
kilomètres au nord de La Paz) qui sont gazés quand
leur
groupe est rejoint par celui des étudiants. Suite à la
blessure d’un des nouveaux arrivants, ses compagnons menacent de
couper l’alimentation de La Paz en eau et
électricité. Si alors la menace n’est pas mise
à exécution, avec l’intention qui s’est
manifestée ce même jour de bloquer l’accès
à cette ville – où, du reste du pays, on ne
parvient qu’en passant par El Alto, traversé par la
route
panaméricaine qui relie le Pérou à toute la partie
Est de la Bolivie au-delà de La Paz, c'est-à-dire
où se situent toutes les autres villes principales –
l’idée du blocus du siège du gouvernement est
lancée, et il s’en faut bien peu pour qu’elle ne
mûrisse très vite, comme on va le voir. Hors
d’El Alto mais tout proche, d’autres points de tension
sont
signalés, sur la route vers Viacha près du croisement de
Villa Adela, et à Ventilla où deux marcheurs/bloqueurs
sont blessés par des tirs de balines sur le chemin
d’El Alto.
Le jeudi 9 octobre est le deuxième jour du paro d’El Alto,
ville occupée, sous le contrôle de ses habitants
insurgés. A une dizaine de kilomètres vers
l’intérieur du pays, à Ventilla où la veille
déjà on s’est donc échauffé, les
mineurs d’Huanuni en marche depuis le lundi
s’apprêtent à combler le dernier tronçon qui
les sépare d’El Alto. Mais les flics s’interposent.
Sur cette route qui lie La Paz à Oruro, un blocage a
été mis en place par ces mineurs ou d’autres, des
paysans, des habitants de Ventilla. Des véhicules bloqués
sont caillassés, dont une jeep estampillée
« Reuters », qui pour s’être ainsi
affichée est
sur le point d’être incendiée. « Los
exaltados
ánimos contra periodistas y vehículos de los medios de
communicación que llegaron a la zona incluyeron una
intimidación contra un chofer de la cadena televisiva RTP, a
quien algunos mineros le pusieron un taco de dinamita en la boca y
amenazaron con encenderlo al grito de
‘mentirosos’. » [17]
Mais c’est du côté de leurs ennemis en
armes que les mineurs en révolte ont plus fort à faire,
s’ils veulent s’ouvrir l’accès vers El Alto.
Des soldats prennent position autour de la zone de combat, ils
préparent des petites tranchées, en soutien des flics
barrant la route. Dans l’autre camp, les mineurs reçoivent
d’une façon similaire l’appui d’habitants qui
forment eux-mêmes un anneau pour empêcher
l’avancée d’autres renforts de soldats. Aux jets de
pierres et de dynamites balancés à la fronde, les flics
et soldats ne riposteraient que par des gaz, ce qu’infirment des
déclarations de mineurs au sujet de la mort de l’un
d’entre eux, qu’ils attribuent à l’explosion
d’une grenade – tandis que les flics évoquent
le
mauvais maniement d’un bâton de dynamite. La bataille de
Ventilla durerait une heure et demie, 21 blessés sont
dénombrés au final, et il ne semble pas que les
révoltés soient alors parvenus à se frayer
d’accès vers El Alto où, à la nouvelle du
mort de Ventilla, d’autres mineurs s’affrontent aux
militaires qui interviennent pour reprendre le contrôle des rues.
Tandis qu’un député qui s’interpose pour
négocier est battu, on s’affronte notamment dans le
quartier de Senkata, où un insurgé touché par un
tir sera le deuxième mort de la journée.
« L’épuisement physique » des
mineurs mettrait fin aux
combats de cette journée, dans la prévision
d’autres actions pour le lendemain.
Ce vendredi 10 à El Alto, ceux qui prennent part au
soulèvement maintiennent une forte présence aux abords de
la planta* de Senkata protégée par des tanks, où
restent bloqués les camions destinés à ravitailler
La Paz en combustible. Seule une poignée de voies demeurent sous
le contrôle des flics et militaires, dont celle qui mène
à l’aéroport. C’est le troisième jour
consécutif de manifestations dans cette ville, dont une marche
d’universitaires mais sans affrontements, il y a des blocages
dans chaque quartier, des habitants « [intimident]
jusqu’aux simples citoyens marchant dans El Alto »,
exigeant qu’ils demeurent chez eux jusqu’à la fin du
paro. D’autres habitants craignant le pillage renforcent la
protection de leurs commerces. Lors d’une réunion sous
l’égide de la COR, il est prévu de renforcer
à partir du lundi le blocage de toute circulation par
l’érection de barricades de pierres et de pneus
enflammés dans toutes les rues d’El Alto, et de
l’étendre à la zone sud de La Paz. D’autres
actions encore sont laissées à l’initiative des
manifestants de chaque district. Dirigeants d’assemblées
de quartier et d’organisations syndicales s’accordent pour
refuser tout dialogue sectoriel avec le gouvernement, déclarant
que le seul possible doit être mené avec la COB.
Dans la soirée, la protection militaire des édifices
gouvernementaux est renforcée à La Paz. La ville
n’est quasiment plus approvisionnée en aliments et
combustibles. Dans la nuit du vendredi au samedi, au niveau
d’Achachicala entre La Paz et El Alto, un gazoduc est
saboté à la dynamite (par 3 personnes qui
s’enfuient aussitôt, d’après des
témoignages).
La bataille majeure d’El Alto
Les trois journées qui vont suivre sont le moment
décisif, la bataille d’El Alto où
l’insurrection atteint son point culminant lorsque ses ennemis
échouent à la mâter.
Car ce samedi 11, au 4ème jour du paro d’El Alto,
l’Etat décide d’un plus conséquent
déploiement de troupes dans le but de reprendre le
contrôle des rues. Mais : « Los vecinos de El Alto
rompieron (...) los cálculos gubernamentales y la
tradición de la protesta. » [18]
L’opération
militaire a notamment pour objectif d’ouvrir le passage aux
convois de combustibles entre Senkata et La Paz, et elle se heurte en
plusieurs points à la résistance des insurgés
postés aux barricades, dans les tranchées.
« Manifestantes y policías libraban duras batallas
por el control
de una pista que une La Paz y El Alto. » [19] Il y a des
affrontements toute la journée, dans au moins cinq quartiers.
Les soldats tirent à la mitraillette contre les insurgés,
ils font de 2 à 3 morts et une quinzaine de blessés. Une
information isolée fait état d’un flic tué,
mais les bilans les plus repris ne constatent aucun mort ni
blessé dans le camp des ennemis de la révolte. On apprend
cependant qu’un flic au moins est pris en otage, mis nu et
enveloppé dans un drapeau, avant d’être
emporté vers Ventilla avec l’intention de le supprimer :
l’intervention de médiateurs droitdelhommistes permet sa
libération.
A l’issue de ce premier jour de combats, des représentants
de l’Etat communiquent sur le rôle
prépondérant que joueraient des groupes armés
organisés, auxquels sont attribuées plusieurs attaques
contre « des objectifs stratégiques » à
travers El Alto. Si plusieurs organes de presse la relaient sans la
discuter, cette accusation n’est portée que par ces
voix-là, qui la rendent publique dans le même temps
où ils expliquent l’insurrection en cours comme fruit
d’un coup d’Etat fomenté par les leaders de
l’opposition, dont Morales principalement – qui de leur
côté s’en défendent. Dans cette
manière de réduire ce qui a lieu, puisqu’il
s’agit seulement de ce qu’en disent les adversaires des
insurgés, sans doute que certains gestionnaires en place, le
président en tête, cherchent à se rassurer en
fantasmant un adversaire limité aux seules intentions
qu’ils comprennent, de concurrent au même pouvoir,
incapables de saisir l’ampleur et la profondeur exceptionnelles
de la menace qui les défie, dont ceux qui la portent en actes ne
sont alors soumis à aucune direction particulière. Et, de
façon plus prosaïque, une telle représentation sert
à justifier l’opération de répression
massive en cours, à grands renforts de proclamations pour la
défense de la nation et de la « démocratie »,
sur le mode en général utilisé par les garants de
l’ordre dans les Etats modernes, qui consiste à afficher
le plus de valeurs vides là où ils mettent leurs
contraires en pratique. Dans le même registre, d’autres
voix plus périphériques, porte-parole de l’Eglise,
d’une assemblée des droits de l’homme, de la
fédération des travailleurs de la presse, se proposent
comme médiateurs en vue de négociations : on voit bien
à quoi sert ce genre de salopes, pour lesquelles le retour
à la paix signifie l’ignorance et la négation du
conflit, donc du débat, dont une majorité qui les
dépasse largement a provoqué l’ouverture. Si le
projet d’une rencontre est alors évoquée, entre
organisations sociales et gouvernement, ce dernier ne donne pas suite.
Morales, qui se déclarerait prêt à revenir sur
l’exigence de démission de Lozada si la loi sur les
hydrocarbures est révisée, se voit opposer une fin de
non-recevoir. Comme ils s’y sont engagés ce samedi, les
décideurs étatiques valident leur choix répressif,
les manoeuvres d’invasion militaire des rues d’El Alto vont
encore redoubler le dimanche matin.
Car c’est bien là que tout se joue, dans ces rues dont les
insurgés ont pris possession, faisant montre de leur pouvoir par
la pression qu’ils maintiennent sur l’Etat, en
empêchant toute circulation entre La Paz et le reste du pays. Ce
sont eux qui sont en position de force, et la débauche
répressive dont l’Etat fait le choix en apparaît
dès lors comme la preuve, il abat sa dernière carte, la
seule possible s’il n’accepte de céder sur la base
des exigences fixées au commencement du soulèvement. De
ce point de vue, l’agitation de tous ceux qui se situent du
côté de la représentation, des institutions,
gouvernementale, syndicale, de l’Eglise et de la
société civile, n’est que vaine, si ce n’est
pour conserver les apparences d’une situation
problématique dont elles seraient encore maîtresses, mais
qui leur échappe, qui les dépasse. Alors que, ce qui se
meut en réalité, la force inhabituelle mise en jeu,
historique, est le soulèvement d’un ensemble massif de
révoltés qui pourrait bien leur faire un sort à
tous. Si ce n’est à ce moment une force qui serait comme
consciente d’elle-même, sa puissance se manifeste dans cet
engagement général d’habitants occupant une ville
entière contre toutes les tentatives d’y
réinstaurer l’ordre ancien. De ce point de vue, la mise en
cause par l’Etat du rôle joué par des
« groupes organisés » en vue d’un
« coup
d’Etat » n’est pas qu’une basse calomnie,
à sa manière il reconnaît qu’en effet les
insurgés sont forcément organisés, pour
réussir à tenir leurs positions. Et que certains parmi
eux soient armés – bien que les bilans connus de morts et
blessés du côté des flics et soldats, par leur
faiblesse, sembleraient plutôt l’infirmer – se
comprend si on se souvient de la répression subie en
février.
« El domingo tenía toda la apariencia de un centro de
batalla, con sus calles plagadas de militares armas en ristre,
controladas por tanques de guerra y, con enfurecidos pobladores, entre
ellos jóvenes casi niños que corrían por sus
calles enfrentando con palos y piedras a militares y policías,
ante la mirada temerosa del resto. » [20]
Des
hélicoptères survolent la ville soulevée,
d’où sont balancées des bordées de grenades
lacrymogènes, les militaires font usage de mitraillettes
lourdes, de munitions de gros calibre. Comme la veille, certains des
affrontements les plus durs se produisent lorsque les insurgés
s’opposent aux passages des camions-citernes escortés par
les chars. Depuis El Alto les troubles s’étendent aux
quartiers hauts de La Paz, qui lui sont attenants : une voiture est
incendiée, « plusieurs adolescents »
tentent
d’ériger des barricades pour s’opposer à la
progression des flics et soldats. Au total, 22 morts au moins sont
dénombrés ce dimanche, parmi lesquels un
« conscrit » – avec deux versions bien
différentes à son
sujet : soit des manifestants s’en seraient emparé pour le
tuer ensuite, soit un officier l’aurait abattu pour cause
d’insubordination. Au terme de cette journée où les
troupes répressives ont encore échoué à
faire rompre les insurgés, malgré tout le zèle
meurtrier qu’elles y ont mis, Sánchez de Lozada rencontre
des représentants de la COR et de la Fejuve d’El Alto
– ceux-là pour sûr ne sont donc plus en phase avec
« leurs » bases – pour annoncer dans la
foulée
la suspension du projet sur l’exportation du gaz, et la
consultation à venir des « institutions
représentatives du pays ». Toujours les mêmes
guignols démontrent encore leur retard et leur
inconséquence, tandis que l’insurrection continue de
gagner en puissance.
D’El Alto enfin, comme certains l’ont déjà
entamé le dimanche dans ses quartiers hauts, La Paz entre dans
la danse le lundi 13 octobre. « Las manifestaciones de protesta
no son comandadas por dirigentes políticos, cívicos ni
vecinales. Los pobladores están dispuestos a enfrentar las balas
de fuerzas del orden. La ciudad se va convirtiendo en un gran campo de
batalla. » [21] A
l’appel de la Fejuve de La Paz, qui
comptent des dizaines de milliers
d’« affiliés », on descend dans les
rues en vue d’un rassemblement sur
la place San Francisco, dont l’accès est barré par
la police. Il y a des tirs de balines et de lacrymogènes dont
les manifestants tentent de contrer les effets en allumant des feux. A
l’instar d’El Alto, une majorité des quartiers
de La Paz se change en foyers de révolte, les rues, la
chaussée
comme les trottoirs sont parcourus par des groupes armés de
bâtons et de pierres. Autour de la place San Francisco, où
plus de 10 000 marcheurs en provenance d’El Alto se
joignent
à plusieurs milliers d’autres, les affrontements entre
révoltés et flics/soldats durent pendant 5 heures,
la
foule fait reculer ses ennemis à plusieurs reprises. Dans la
zone Pérez Velasco ce sont 3 000 personnes qui se mesurent
aux
flics anti-émeutes, l’intention se manifeste de
brûler le palais présidentiel, mais les tentatives pour ce
faire échouent sur les cordons de ses défenseurs. Jusque
dans la soirée des milliers de protestataires sont
rassemblés aux abords de la place San Francisco et sur celle de
Los Héroes, allumant des feux tandis qu’ils sont
toujours
la cible de tirs de gaz. Il y aurait aussi des pillages dans cette zone
du centre-ville – que plusieurs rapports de journalistes
mentionnent mais sans beaucoup de détails : on sait
qu’une
galerie commerciale est incendiée, sans doute dans la rue
Murillo où est également attaquée une station de
police ; sur l’avenue Camacho, des « groupes
d’adolescents » commettent des destructions contre des
propriétés publiques et privées, banques et
distributeurs d’argent sont visés, le bâtiment de
l’intendance municipale est assailli ;
« Después de
media hora de desmanes y actos vandálicos provocados, en su
mayoría por jóvenes, los efectivos de la Policía
llegaron y los dispersaron mediante el uso de gases lacrimógenos
y balines de goma. Asimismo, se pudo apreciar la presencia de
policías civiles armados. » [22] Il y a au moins un mort
par balle dans les rues du centre, et des blessés. Par ailleurs,
les troubles agitent la zone Sur. Des habitants et paysans sont
interceptés par des militaires à coups de
lacrymogènes et balines, avant que ces derniers
débordés n’abandonnent leur camion qui est
retourné et incendié ; une autre version parle
d’affrontements qui font 4 morts du côté des
manifestants, et 2 soldats. Dans le cours de cette journée,
outre les tirs répressifs et les affrontements, des policiers
négocieraient avec des marcheurs pour éviter
l’attaque de bâtiments, ou l’envahissement de la
place Murillo, avec l’argument que les militaires les y recevront
à balles réelles. Dans la soirée des tanks
prennent finalement le contrôle du centre après avoir
dispersé les groupes de manifestants bloquant les rues
principales ; tandis que les chefs de l’armée communiquent
sur leur fidélité au régime, et leur disposition
à toute intervention nécessaire pour préserver la
« démocratie ».
Ce même jour, à El Alto les affrontements se poursuivent
entre insurgés et militaires. Les camions-citernes sont toujours
bloqués à Senkata. Dans la zone de Río Seco, des
insurgés s’emparent d’une station-service, et
utilisent ses réserves pour préparer des molotovs,
l’explosion d’une citerne fait des blessés et 1
mort. Sur l’avenue Bolivia dans la même zone il y a des
affrontements, et aussi une explosion, qui font plusieurs
blessés et 1 mort. Cependant un journaliste constate « une
journée relativement tranquille » au 6ème jour du
paro d’El Alto, sans l’expliquer par le départ des
10 000 marcheurs descendus vers La Paz. Il y a plusieurs marches
« spontanées », où les gens armés de
bâtons expriment « protestation et indignation »
suite aux morts de la veille. Les militaires seraient quasiment absents
des rues, quoique leur présence à El Alto soit tout de
même conséquente puisque pour cette raison La Paz
n’a pu être militarisée en entier. Dans la zone de
La Ceja, des vitres de plusieurs pensions et bars sont brisées
car on reproche à leurs propriétaires de ne pas
s’être joints au paro. Suite au discours du
président refusant toute démission, davantage de
personnes sortent dans les rues pour réitérer
l’exigence de son départ. Si la présence militaire
paraît moins importante dans les rues d’El Alto, des tanks
sont envoyés pour barrer la route à
l’avancée de 750 mineurs d’Huanuni, qui ne sont pas
les mêmes que ceux de la semaine précédente
toujours bloqués à Ventilla. Ces derniers arrivants sont
accueillis dans l’université de San Andrés. Au
total, entre La Paz et El Alto, les affrontements de ce lundi ont fait
au moins une vingtaine de morts, 12 dont 3 soldats dans la
première ville, et 8 dans la seconde, où succombent en
plus 8 blessés de la veille.
Après la bataille majeure
Le mardi 14 octobre, à l’issue de la bataille
livrée pendant 3 jours à El Alto principalement, et dont
le terrain s’est étendu jusqu’au centre de La Paz,
les insurgés conservent leurs positions, les rues ne leur ont
pas été reprises : les bases du conflit ouvert à
la fin de la semaine précédente, quand il s’est agi de
résister aux tentatives de reconquête ennemie, se trouvent
confirmées, voire même renforcées puisque
l’insurrection n’a pas été battue
malgré les charges auxquelles elle a dû faire face. Elle
n’est pas non plus victorieuse, la phase qui s’ouvre est
plutôt celle d’un temps mort, d’un statu quo
où les deux camps entreraient comme dans un round
d’observation. L’onde de choc fait ailleurs sentir ses
effets : d’une part au sommet de l’Etat sacrément
secoué, et puis sur d’autres terrains en Bolivie,
où les ralliements à la contestation se multiplient, sans
toutefois que par ceux-là le conflit ne s’aiguise
davantage : l’augmentation du nombre des contestataires peut en
devenir un facteur, encore faut-il que la pratique de ces renforts ne
ternisse pas celle de leurs devanciers.
Ce mardi, à El Alto comme à La Paz ce serait plutôt
un « calme relatif » qui règnerait. Le
paro
d’El Alto est maintenu, et plusieurs rues du centre de la
capitale sont encore affectées par des blocages. Pour leur
majorité, les habitants impliqués seraient ce
jour-là occupés à la « veillée
des
morts » tombés depuis le week-end. Plusieurs marches
traversent les rues des deux villes, où flics et militaires ne
se montreraient qu’avec parcimonie. Seule la zone
« Sur » de la capitale paraît en proie
à
l’agitation, qui n’a cependant rien à voir avec
celle des jours précédents. Là les militaires et
leurs tanks seraient plus visibles, des gaz sont tirés contre
des manifestants en marche vers la maison du président. En un
autre point ce sont des tirs de balines qui font 5
blessés ;
ailleurs encore d’autres manifestants sont aux prises avec des
habitants qui voudraient déblayer une de leurs barricades,
l’affrontement fait un blessé par balle du
côté des premiers. Car de la même manière
qu’en février, à El Alto comme à La Paz
certains habitants de ce genre prennent activement leur parti contre la
révolte. D’après ce qu’en racontent les
informateurs professionnels, il s’agit en particulier, mais pas
seulement, de commerçants. Des réunions se tiennent, dans
une église par exemple, où des comités sont
formés chargés de la surveillance des
propriétés, des commerces et des maisons.
A ce sujet il faut remarquer que le pillage apparaît, dans le
cours de cette révolte d’octobre, comme une pratique
très périphérique, quasiment absente. Mis à
part dans le centre de La Paz le lundi 13, seules quelques situations
isolées sont relevées. S’il est question de
pillage, c’est bien plus de son éventualité et du
climat de peur
qu’elle engendrerait, que pour en constater des
cas avérés – en fait de peur du pillage à
venir, c’est plutôt le souvenir refoulé de la
déflagration de février qui se manifeste, chez ceux
qu’elle a tant surpris et choqué. En s’appuyant pour
ce faire sur d’opportunes déclarations de tel ou tel
anonyme effrayé par la révolte parce qu’il estime
ne pas s’en trouver concerné, les informateurs agitant
cette peur fabriquent une représentation générale
de ce qui a lieu où, s’ils sont forcés de
reconnaître l’insurrection en cours, ils s’emploient
à en nier l’ampleur réelle, et possible. A mesure
que la contestation s’étend ils se font ainsi les
échos de plusieurs rumeurs qui circuleraient au travers du pays,
par exemple d’attentats contre un oléoduc ou une
station-service – si de telles installations ont en effet subi la
destruction, l’interprétation en une sorte de terrorisme
n’est qu’à la mesure crasse des malhonnêtes
qui la véhiculent –, ou d’empoisonnement de
réserves d’eau, ou de pillages. Sur le même
registre, ils consacrent plusieurs de leurs commentaires à la
pénurie affectant les habitants de La Paz coupée de tout
approvisionnement. Par cette façon orientée
d’informer sans avoir l’air d’y toucher, ils ne font
pas que rendre compte d’un sentiment de crainte ou d’une
situation de manque matériel provoqués par la
révolte en marche : par le pouvoir de publicité dont ils
disposent ils en répandent et en grossissent
l’impression ; par ce biais ils encouragent voire même
ils créent la
division, entre ceux qui y succombent et ce fantasme de
révoltés mauvais qui les menaceraient. Le même
procédé est toujours mis en œuvre, pour occulter
les enjeux que la révolte se découvre, dans le
présent de son déploiement. Le principal exprimé
à ce moment, que les informateurs relaient comme s’il
était le seul, consiste encore en l’éjection du
président fort mal en point.
Dès le lundi Sánchez de Lozada a été
lâché par 4 ministres, qui démissionnent du
gouvernement, emboîtant le pas au vice-président Mesa* qui
s’est lui-même désolidarisé de son
supérieur, dont il réprouve l’option
répressive. En dépit de ce délitement, Lozada
s’accroche à son poste, qui lui assure de recevoir encore
plusieurs soutiens, des chefs de l’armée, et depuis
l’étranger, par la voix de gestionnaires US – dont
le mercredi des employés de l’ambassade seront
transférés depuis La Paz jusqu’à Sucre
– et de l’OEA*, quoique se fasse sentir la marge infime
séparant désormais le statut du chef de l’Etat de
sa métamorphose en simple fusible. « Según la
proyección de la OEA, si en Bolivia se rompe el orden
constitucional, la violencia, que ya provocó más de 60
muertes en la última semana de conflictos, no se
detendrá. Eastman explicó que el apoyo de la
organización está dirigido al gobierno. Tras el anuncio
que hizo el presidente Sánchez de Lozada de no renunciar a su
cargo, a pesar de las protestas y la falta de respaldo de su
vicepresidente, la OEA y, por separado, los países del
hemisferio expresaron su respaldo al actual régimen
democrático. » [23] L’inquiétude des
gestionnaires de tout poil est à la mesure de la force aux
allures irrésistibles conquise par les insurgés, qui
pourrait bien donner des idées à leurs voisins
par-delà les frontières – ce n’en est alors
qu’un signe annonciateur, plus qu’une preuve, mais le mardi
14 des camionneurs boliviens entament un blocage à la
frontière avec l’Argentine. La sérieuse
préoccupation gestionnaire est confirmée par le
secrétaire général de la police mondiale, Kofi
Annan, qui en rajoute une couche dans la même langue toute
menteuse, pour justifier la conservation de l’ordre à tout
prix : « "Deben preservarse y fortalecerse las instituciones
democráticas y debe prevalecer el gobierno de la ley". » [24]
Le mardi Lozada reçoit le chef du NFR*, qui lui présente
ses exigences, c'est-à-dire qu’il reprend à son
compte, en appelant à une consultation sur le gaz et à
une assemblée constituante, des revendications parmi les
principales exprimées depuis septembre par les syndicats et
autre Etat-major du peuple. Si ce chef de parti ne va pas, encore,
jusqu’à celle de démission du président, il
n’en écarte pas l’option néanmoins. Ce genre
de retournement de veste démontre combien la révolte
déstabilise l’Etat, mais il valide aussi une autre
progression, qui joue contre la révolte si on l’admet sans
limites préconçues, à savoir le terrain
gagné par le discours en surface, officiel, de la contestation,
sur lequel s’entendent représentants des organisations
sociales, agents de l’information dominante, gestionnaires en
place.
A n’en pas douter, une majorité des révoltés
d’octobre en Bolivie s’accordaient sur la liste des
revendications arrêtées par « leurs »
représentants, puisqu’elles ouvraient même ainsi sur
la perspective d’un changement de leurs conditions. Pour autant
ce que rendaient possible les actes de sa frange la plus
impliquée, celle qui se souleva depuis les rues d’El Alto
jusqu’à celles de La Paz, ne saurait être
ramené à ce seul horizon, parce qu’ils n’en
avaient pas eux-mêmes, encore, fondé la définition
sur la base de leurs actes. Qu’ils se soient organisés
pendant plusieurs jours, qu’ils aient communiqué entre eux
pour affirmer leur maîtrise du terrain et défier
l’Etat tout entier, c’était là si on se place
de leur point de vue leurs premiers pas seulement vers une constitution
en sujet maître de la situation. Ce n’est pas que ces
insurgés d’octobre en Bolivie auraient manifesté
comme un seul homme, et en connaissance de cause, cette intention et
cet objectif supérieurs, mais à voir et à saisir
ce qu’ils étaient en train de réaliser, une des
directions pointées l’était vers ce
possible-là, au milieu et dans la complexité d’une
multitude d’autres idées inégales, soit qui
manquaient trop d’être plus clairement formulées et
creusées, soit qui auraient pu être abandonnées
parce que déjà trop répétées, par
là vidées de leur contenu. Dans ce débat à
l’intérieur du camp des révoltés,
semble-t-il plus informel et souterrain que saisi en tant que tel par
une majorité d’entre eux, une des questions centrales
tient alors, au sortir de la bataille d’El Alto/La Paz, aux choix
à faire hors de ce cœur de l’insurrection.
Comme c’est le cas depuis le mois précédent la
contestation continue de s’y exprimer, dans d’autres villes
et régions, mais sur un mode le plus souvent encadré, par
« secteurs » et suivant les directives de telle
organisation syndicale, de tel « comité civique ». A
Santa Cruz, Oruro, Potosí, Sucre, Cochabamba, des rassemblements
sont organisés, d’abord autour du mot d’ordre sur le
gaz, puis davantage centrés sur la démission du
président, suite à la répression des 11/12/13. A
compter du lundi 13, ces manifestations urbaines s’amplifient, et
le mardi 14 quelques affrontements ont lieu : mais au contraire
d’El Alto/La Paz, ces surgissements d’un négatif en
actes demeurent périphériques, au second plan par rapport
aux menées contestatrices encadrées. Cependant les
insurgés d’El Alto/La Paz ont ouvert une voie qui contre
eux n’a pu être refermée, préservant ainsi la
possibilité qu’on leur emboîte le pas,
c’est-à-dire qu’ailleurs en Bolivie soit au moins
mise en œuvre une pratique semblable à la leur. Il semble
que ce soit à Cochabamba et Santa Cruz que des habitants soient
en passe de s’y engager le plus nettement. Dans la
première de ces villes, comme à El Alto une semaine plus
tôt, un « paro indefinido » est déclaré
le mercredi 15 : la manifestation du jour donne lieu à des
affrontements qui dureraient 3 heures, préfecture et
commandement départemental de la police sont la cible de pierres
et de cocktails, des manifestants s’affrontent aux flics,
quelques destructions sont commises, il y a 22 à 25
arrestations, et 5 blessés. S’ensuivent des annonces de
mobilisations quotidiennes, et de marches sur les routes qui relient la
ville aux autres régions. Pour ce qui concerne Santa Cruz,
c’est ainsi ses alentours qui sont affectés par des
blocages depuis la semaine précédente au moins, et le
lundi 13 un affrontement entre paysans bloqueurs et flics fait 1 mort
et de 4 à 7 blessés à San Julián ; puis les
blocages s’étendent, et les manifestants désireux
d’accéder à la ville se heurtent à
l’hostilité de militants irrédentistes partisans du
gouvernement, en conséquence ils menacent la ville de blocus.
On voit par ces deux exemples les plus probants que sont réunis
des ingrédients proches de ceux qui ont amené les
insurgés d’El Alto/La Paz à disputer sans
céder le contrôle des rues et de villes entières
à l’Etat. Pour renforcer la mauvaise posture de ses
tenants, à l’exemple des paysans de la région de
Santa Cruz, plusieurs autres ajoutent à la rébellion
urbaine la prise des voies de circulation qui traversent les campagnes.
L’ensemble de ces blocages, dans les régions de Sucre,
Oruro, Potosí, Santa Cruz, Cochabamba et le Chapare, autour de
La Paz, ne débute pas dans le cours de cette semaine –
plusieurs ont été mis en place depuis septembre –
mais alors cet ensemble grandit. Simultanément à cette
prise de contrôle généralisée du territoire,
divers groupes décident de marches, entre le mercredi 15 et le
jeudi 16 octobre, dans le but commun de converger vers La Paz –
comme les blocages, de tels déplacements se sont
organisés les jours précédents ; la
différence étant désormais qu’ils se
multiplient de façon significative. Des centaines d’autres
mineurs d’Huanuni s’engagent vers le même objectif,
à bord de leurs camions : le mercredi ils se heurtent aux
militaires qui les interceptent à Patacamaya,
l’échange de tirs et de dynamite fait de 2 à 3
morts et une vingtaine de blessés. Si ceux-là
n’atteignent pas leur but, le jeudi 16 octobre ils seraient au
moins 50 000 manifestants à investir le centre de La Paz,
depuis
les quartiers de cette ville, depuis El Alto toujours occupée,
depuis d’autres régions pour ceux qui sont parvenus
jusque-là. Par groupes de centaines, de milliers, tous
convergent vers la place San Francisco. Des dirigeants y prennent la
parole contre Lozada, réitérant le refus de tout dialogue
tant que celui-là n’aura pas sauté. A l’issue
de ce rassemblement du matin, Solares* de la COB appellerait à
la prise du palais présidentiel, ne faisant qu’exprimer ce
qui est forcément dans l’air. L’après-midi,
au cri de « Vamos al Palacio », des groupes de
marcheurs
s’attaquent à coups de pierres à deux hôtels,
à la cour suprême de justice, et se confrontent aux flics.
Tirs de gaz et jets de pierres durent plusieurs heures, un monument de
la place de Los Heroés est démoli, ses débris
alimentent un feu et la construction d’une barricade ; il
semble
qu’il s’agisse plutôt de petits groupes (de
« jeunes », de
« vandales », de « gens »)
qui parcourent les rues pour harceler les flics. Il y a
3 blessés et 28 arrestations.
Le lendemain vendredi 17 octobre les manifestations et blocages se
poursuivent. Dans la soirée, la démission de
Sánchez de Lozada est annoncée. Qualifié
d’« indépendant » parce qu’il
n’appartient à aucun parti, le vice-président Mesa
le remplace, qui promet un référendum sur le gaz, une
révision de la loi sur les hydrocarbures, la convocation
d’une assemblée constituante, la formation d’un
gouvernement « sans politiques », la tenue possible
d’élections anticipées – en désespoir
de cause, Lozada lui-même avait consenti, le mercredi soir,
à faire siennes les trois premières de ces promesses, ce
qui n’avait rien changé à la fronde
concentrée contre sa personne.
Les dirigeants des syndicats, des partis et des organisations
d’opposition, expriment leur satisfaction, et leur disposition
à traiter avec les gestionnaires remplaçants, auxquels
une « trêve » est accordée dans
l’attente qu’ils remplissent leurs promesses.
Le samedi 18, l’occupation des rues d’El Alto est
levée, de même que les blocages au travers du pays ;
mineurs et paysans quittent La Paz et les autres villes où ils
s’étaient rassemblés. Avec la chute de Lozada le
soulèvement d’octobre se termine. Une telle issue
tempère la victoire de ceux qui ont tenu les rues, parce
qu’ils les quittent justement, là où ils avaient si
bien commencé à en prendre possession pour imposer leurs
volontés, pour réaliser leurs aspirations. Dans ce
retrait, les possibilités de pousser encore l’avantage se
perdent, et les vielles lunes prévalent à nouveau sur le
temps et l’espace libérés par le mouvement de
l’insurrection. De la vague de questions ouvertes en actes par
les révoltés d’octobre et leurs devanciers de
février, si unis et si différents à la fois, il ne
subsiste que l’écume artificielle qu’en
représentent ceux qui parlent en leur nom, alors même que
cette vague contenait de quoi les emporter aussi. Dans cette conclusion
l’apparente victoire, partielle, se changerait plutôt en
défaite, dans le fond.
De février à octobre, et retour
De La Paz à El Alto, d’El Alto à La Paz,
principalement, les révoltés de Bolivie en 2003 ont
mené le débat sur leurs vies et le monde, en deux temps
de la même ouverture, lorsque leur pratique est devenue le centre
et la raison de tout autre mouvement, que ce soit en octobre dans la
prise et la tenue des rues, ou par leur envahissement ravageur de
février. Tous ceux qui s’arrogent le contrôle de la
représentation publique, pour le maintien de leurs pouvoirs
séparés, ont été mis en cause : les
gestionnaires en place et leurs milices, personnifiés par
Lozada, en tant qu’ennemis les plus évidents parce que les
plus directs ; les encadreurs des pauvres, à plusieurs reprises
tout aussi dépassés par la tournure des
événements que ceux dont ils lorgnent la place ; les
informateurs professionnels, à juste titre perçus comme
complices du maintien de l’ordre, et principaux promoteurs de la
mascarade de sa fausse critique. Certes, on peut remarquer que de
telles mises en cause n’ont pas été poussées
jusqu’à des conséquences susceptibles
d’atteindre des points plus extrêmes et définitifs,
mais elles se sont manifestées au moins comme tendances fortes,
et ce en actes collectifs.
En créant ces situations exceptionnelles, comme premières
conditions à la poursuite du débat déjà
alimenté par la négation des prérogatives de ses
usurpateurs, de façon plus indirecte semble-t-il les
révoltés de Bolivie ont aussi instauré le
débat entre eux, dans le passage de février à
octobre, autour d’une question fondamentale mais qui serait
encore restée trop souterraine ou latente : « comment
poursuivre après l’émeute sans perdre ce
qu’elle pose comme exigences, comme principes négatifs ? »
En février, un fulgurant renversement s’opère, dans
l’instant où incendiaires et pilleurs imposent leurs
rages : une lumière aveuglante est jetée contre tous
les
carcans de la régulation dominante sur leurs vies, ils sont mis
à bas. Si ce n’est que le temps de quelques heures, ce fer
rouge brandi et manié par des centaines de bras laisse son
empreinte brûlante, en dépit de l’oubli que
voudraient en imposer ceux qu’il a marqués en pleine face.
« Febrero fue una sorpresa no sólo para el gobierno
sino
también para las fuerzas del MAS, que fueron desbordadas en las
ciudades. Quienes estuvieron en las calles el 12 y 13 de febrero no
estaban organizados en ninguna fuerza política ni
organización social. Evo Morales era sin duda un referente muy
importante en el levantamiento, pero no era la dirrección del
mismo. » [25]
Dans l’esprit des rues la mémoire demeure ; sans doute des
leçons sont tirées, comme de nouvelles armes sont
fourbies. Si bien que l’insurrection d’octobre conquiert
certainement sa puissance parce que la déferlante de
février a découvert des enjeux jamais si clairement, si
franchement déclarés en Bolivie dans les dernières
années, bien que ce n’ait été «
qu’en » actes, non prolongés par leurs auteurs en
des discours d’une intransigeance semblable, à notre
connaissance.
En octobre, la ténacité succède à la rage,
et comme si elle s’en nourrissait, à sa manière
elle la prolonge et l’amplifie. Le gros des troupes
s’engage dans le sillage de ses éclaireurs
intrépides, pour remporter une bataille en faisant plier cet
avant-poste ennemi que représente Lozada. Au vu de la puissance
et de l’unité alors mises en jeu, on ne peut que
déplorer que cet objectif soit devenu exclusif, ou central et
prioritaire, d’autant plus vis-à-vis de l’ensemble
des cibles pour ainsi dire désignées par février,
dont l’idée de les abattre toutes n’a pas
été pleinement saisie pour cette fois, alors même
que les moyens mis en œuvre pour l’occupation des rues
d’El Alto auraient pu servir de prémices à
l’élaboration d’une organisation pour ce faire, et
bien plus encore.
Premières rédactions en décembre 2006 (pour février 2003)
et janvier 2007 (pour octobre 2003) ;
révisées, réunies et complétées en juin 2007
Glossaire
Documents utilisés : pour février, pour octobre
notes :
1. « Il était près de 16 heures et dans les rues voisines des
places Murillo et San Francisco et de l’avenue Mariscal Santa
Cruz des groupes ont commencé à se former qui, peu
après, transmettaient la colère à leurs voisins,
amis et jusqu’à des inconnus. »
2.
« La grande fumée enthousiasma les autres groupes, qui
virent les langues du feu depuis la petite place de la Mairie de La Paz
; ils s’armèrent de fers et de pierres et au cri de Vive
la Bolivie ! ils forcèrent les portes d’entrée et
les fenêtres de la Vice-présidence. »
3.
« Un chœur de voix donna l’ordre de partir à
la “casa rosada”, siège du MNR. A 19 heures, des
centaines de jeunes s’en prirent à celui-ci, situé
dans la rue Nicolás Acosta, San Pedro. Les cris de la foule qui
passait près de la prison, firent se propager le conflit
à celle-ci. »
4.
« (…) la bronca est maintenant irrépressible. Il y
a des incendies et des actes de vandalisme dans tous les coins. »
5.
« Avec la caractéristique typique de l’acte de
vandalisme, la foule – composée d’enfants, jeunes et
hommes et femmes de différentes classes sociales –
envahirent la Douane. »
6.
« “[Ils n’allaient/Vous n’allez] pas permettre
que les gens du monde noir [leur/vous] arrachent le sacrifice de toute
une vie ? »
7. « Les pillages ont ravagé les grands commerces de La Paz »
8.
« (…) le pays est en train de vivre un chaos et une grande
convulsion sociale dont profitent les vandales qui portent atteinte au
commerce formel établi. (…) consolider une entreprise est
un grand sacrifice et un grand investissement qui s’est
volatilisé en quelques heures. »
9.
A ce sujet, la chronologie publiée par la revue Osal va
plutôt dans le même sens : y sont affirmés des
affrontements, pillages, destructions, incendies le mercredi à
Cochabamba ; et le jeudi, dans cette même ville ainsi
qu’à Oruro, Santa Cruz et Beni, « une vague de
pillages et d’incendies d’édifices publics et
privés » dont les sièges des MNR et MIR. Mais les
textes de cette même revue ne le confirment pas, au contraire ils
font aussi de La Paz/El Alto le centre de ce qui a lieu.
10.
Au sujet de cette appréciation, il faut dire qu’elle est
peut-être due à la provenance des articles sur lesquels ce
récit est basé, en effet pour ce qui est des sources
boliviennes une majorité est extraite d’un journal de
Santa Cruz, El Deber, un des seuls qui offrait la possibilité
d’accéder à des archives pour 2003.
11.
« Alors les leaders disparurent et quelques
désadaptés commencèrent à courir vers les
commerces dégarnis. »
12.
Voir revue Osal n°12, le texte « El rugir de la multitud :
levantamiento de la ciudad aymara de El Alto y caída del
gobierno de Sánchez de Lozada »
13.
« On ne peut pas réduire ce qui a eu lieu dans la ville d’El Alto aux circonstances et au contour des revendications
indigènes. »
14.
« “Ici il n’y a ni parti ni syndicat, c’est une
lutte de toute la population qui est fatiguée de ce
gouvernement”, dit Edgar, habitant d’El Kenko. » (El Kenko
est un quartier d’El Alto).
15. « en assemblées permanentes dans leurs quartiers »
16.
« Les assemblées/associations de quartier se sont
converties en microgouvernements territoriaux, toute action se
coordonne à travers ces instances. »
17.
« Les esprits exaltés contre les journalistes et les
véhicules des moyens de communication qui sont arrivés
dans la zone (ont inclus) une intimidation contre un chauffeur de la
chaîne bolivienne RTP, à qui quelques mineurs ont mis un
bâton de dynamite dans la bouche en menaçant de
l’allumer au cri de ‘menteurs’. »
18.
« Les habitants d’El Alto ont brisé (…) les
calculs gouvernementaux et la tradition de la protestation. »
19.
« Manifestants et policiers livraient de dures batailles pour le
contrôle d’une route qui relie La Paz et El Alto. »
20. « Le dimanche avait toute l’apparence d’un
centre de bataille, avec ses rues remplies de militaires leurs armes en
arrêt, contrôlées par des tanks de guerre et, avec
des habitants en fureur, dont des jeunes presque enfants qui couraient
pour affronter les soldats et les policiers à coups de
bâtons et de pierres, devant les autres au regard apeuré. »
21. « Les manifestations de protestation ne sont pas
commandées par des dirigeants politiques, civiques ou de
quartiers. Les habitants sont prêts à affronter les balles
des forces de l’ordre. La ville est en train de devenir un grand
champ de bataille. »
22.
« Après une demi-heure d’excès et
d’actes de vandalisme provoqués, pour leur majorité
par des jeunes, les effectifs de la Police sont arrivés et les
ont dispersés par l’usage de gaz lacrymogènes et de
balles en caoutchouc. De la même manière, on a pu
apprécier la présence de policiers en civil et
armés. »
23.
« Selon la projection de l’OEA, si l’ordre
constitutionnel est rompu en Bolivie, la violence, qui a
déjà provoqué plus de 60 morts au cours de la
dernière semaine de conflits, ne s’arrêtera pas.
Eastman a expliqué que l’appui de l’organisation est
dirigé vers le gouvernement. Après l’annonce
qu’a faite le président Sánchez de Lozada de ne pas
renoncer à son poste, malgré les protestations et le
manque de soutien de son vice-président, l’OEA et,
séparément, les pays de l’hémisphère
ont exprimé leur soutien à l’actuel régime
démocratique. »
24.
« Les institutions démocratiques doivent être
préservées et renforcées et le gouvernement de la
loi doit prévaloir. »
25.
« Février a été une surprise non seulement
pour le gouvernement mais aussi pour les forces du MAS, qui ont
été débordées dans les villes. Ceux qui ont
été dans les rues les 12 et 13 février
n’étaient organisés en aucune force politique ni
organisation sociale. Evo Morales était sans doute un
référent très important dans le
soulèvement, mais il n’était pas sa direction
réelle. » (cf. revue Osal n°10, « Radiografía de un febrero »).
La Bolivie insurgée en 2003