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Fin octobre 2004 dans le comté de Zhongmou (Chine)




Les faits ici décrits et commentés se déroulent dans la province chinoise du Henan, dont la capitale Zhengzhou est située à environ 620 km au sud de Pékin. Cette province est l’une des plus densément peuplée du pays, elle compte autour de 100 millions d’habitants. Parmi eux, 10 % peuvent être désignés en tant que Huis, qui représentent une des communautés musulmanes de Chine – dont la majorité de la population est définie en tant que Han (du nom de la dynastie qui aurait la première « unifier effectivement la Chine »).


Paysans huis et hans se côtoient dans des villages comme ceux du comté de Zhongmou, à 30 km de Zhengzhou, aux abords du Huang He (fleuve jaune), pour certains davantage peuplés par des membres de l’un ou l’autre groupe. C’est dans ce comté que des affrontements mettent aux prises des centaines voire des milliers d’entre eux, sans doute à compter du mercredi 27 octobre 2004 (bien que plusieurs documents situent leur commencement au vendredi 29), et jusqu’au dimanche 31.

Sur ces faits, les premières informations paraissent seulement le lundi 1er novembre, d’une part via l’agence étatiste Chine Nouvelle (Xinhuan), de l’autre via des organes de presse occidentaux qui, de façon unitaire et insistante, en affirment la dimension communautaire et ethnique. L’information d’Etat réfute cette présentation, et se voit accusée par l’information occidentale de mentir pour préserver le dogme de l’unité nationale, impliquant d’après l’idéologie du Parti que toutes les communautés et ethnies de la Chine sont égales et cohabitent en bonne harmonie. Par ailleurs, l’information occidentale dénonce le black-out imposé par l’Etat, qui l’empêcherait de saisir précisément le déroulement des faits. L’essentiel de ses sources consiste en des témoignages locaux, individuels, recueillis par téléphone, qui permettent de tourner la censure mais qui laissent aussi libre cours au grossissement de telle ou telle simple rumeur relayée par tel ou tel individu qui n’a aussi bien pas vu, qui n’a aussi bien pas vérifié ce qu’il relaie. La diversité de ces témoignages a pour conséquence de multiplier les déclencheurs possibles de l’événement, et entraîne des variations importantes quant aux nombres donnés pour les morts et les blessés. A l’exemple de Libération, il est donc déploré la difficulté à livrer des rapports satisfaisants, mais ce constat n’empêche aucun de ces journalistes d’affirmer haut et fort les raisons et la justification communautaristes des affrontements, comme un seul croyant.
 
Si on sépare un instant ce que livrent ces comptes-rendus de cette interprétation imposée, voilà ce qui peut être dit : le mercredi 27 (ou le vendredi 29), une première dispute éclate entre quelques habitants de deux villages voisins, sans doute Nanren et Langchenggang, suite à un problème de circulation routière (les mots hui et han ayant préalablement été supprimés de ces explications, on a au choix : un accident entre deux tracteurs, un différend entre jeunes conducteurs, ou une fillette tuée par un routier). La première dispute donnerait lieu à des représailles, puis les affrontements, auxquels jusqu’à 5 milliers auraient participé, s’étendent sur plusieurs jours et à des villages autres que les deux premiers cités : Weitan ou Nanweitan ; Huihuizhai ; Xinzhuang. Des maisons sont incendiées, une fabrique de briques détruite, on se bat à coups de bâtons et d’outils agricoles. Depuis d’autres zones, des renforts (désignés comme huis) tentent de rejoindre le champ de bataille, par la route et par le train. Certains passent, d’autres sont stoppés par des barrages de flics, soldats, membres de la police armée populaire, présents par milliers pour contenir la dispute aux proportions décuplées. Celle-ci prendrait fin le dimanche 31, avec l’imposition de la loi martiale dans plusieurs villages.

Officieusement, et dans un premier temps par l’intermédiaire du seul New York Times, le chiffre des morts grimpe jusqu’à 150, avant de se stabiliser autour d’une vingtaine, auquel s’ajoutent « des centaines » de blessés. Par la voix d’un de ses porte-parole, l’Etat fixe un bilan de 18 arrestations, 42 blessés, 7 morts (dont des circonstances assez précises sont données : 3 villageois tués à Nanren ou Langchenggang, puis 4 tués en représailles), de même que le déclencheur de la dispute est officiellement fixé : c’est une fillette han qui aurait été renversée par un camionneur hui, d’après un journaliste de The Sydney Morning Herald (brièvement arrêté en compagnie d’un autre du Monde alors qu’ils tentaient de pénétrer à Nanren au début du mois de novembre), qui constate encore l’embarras des autorités à reconnaître l’interprétation communautariste.
 

Malgré la vraie pauvreté des rapports disponibles, il est possible de tempérer à la fois ces deux avis opposés : si une « dimension ethnique » peut certainement avoir joué, il n’en reste pas moins qu’on peut lire entre les lignes, et même plus sûrement d’après certaines dépêches ou articles, qu’il ne s’est pas seulement agi d’affrontements entre villageois, huis ou hans : des villageois, des gens, huis ou hans, se sont opposés aux flics, aux paramilitaires, à la People’s Armed Police, et sans doute dans des proportions grandes, vu le nombre des seconds envoyés dans la zone concernée. C’est aussi et peut-être pour cette raison qu’on peut comprendre le black-out imposé par l’Etat chinois, et son besoin de communiquer pour minimiser ce qui a eu lieu, dans une époque où les « incidents » ont plus qu’une forte tendance à se multiplier sur son sol, et qu’il n’est plus si simple de les entourer de murs de silence pour contenir toute envie de s’imiter, de se reconnaître, de communiquer.



Première rédaction en janvier 2005, révisé pour publication en mai 2007


Documents utilisés :

04-11-01 - Abc.es -- Diez muertos y decenas de heridos en los peores disturbios étnicos de los últimos años en China
04-11-01 - AP Yahoo! Actualités -- Loi martiale décrétée dans le centre de la Chine après des émeutes meurtrières interethniques
04-11-01 - Asia News -- Several killed in ethnic clashes in Henan
04-11-01 - Las Vegas SUN -- Chinese Police Patrol After Deadly Riots
04-11-01 - The Washington Post -- Ethnic Clashes Result in Martial Law in Rural China
04-11-01 - Turkish Press -- At least 20 killed in ethnic clashes in central China local residents
04-11-02 - Libération -- Violents affrontements en Chine
04-11-02 - Reuters Yahoo! News -- Rural China Reels from Violent Protests
04-11-02 - The Statesman -- China cordons off villages, post riots
04-11-03 - Asia News -- Henan, Shaanxi, Sichuan, Inner Mongolia shaken by social tensions
04-11-03 - Resource  of  Pakistan -- China responds to ethnic unrest with military blockade
04-11-03 - RFI -- Affrontements entre la minorité hui et la majorité han
04-11-06 - Le Monde -- A Nanren, en Chine, autorités et religieux cherchent à prévenir les tensions
04-11-06 - The Sydney Morning Herald -- Fear of ethnic uprising haunts Beijing



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