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Le 30 mai 2005 à Karachi (Pakistan)



Un an exactement après les émeutes les plus fortes de 2004 au Pakistan, la turbulente ville de Karachi est de nouveau agitée par des troubles similaires. Attaque à la bombe d’une mosquée ou meurtre d’un personnage religieux, colère et émeute d’un jour ou deux ; il s’agit maintenant d’un scénario récurrent, que la capitale du Sind n’est d’ailleurs pas la seule à connaître : à Quetta et Sialkot, des attentats ont aussi donné lieu à des brèves sorties gueuses en 2003 et 2004. De tels faits se répètent dorénavant sans évolution qualitative ni quantitative apparente, les perspectives qu’ils ouvrent paraissent quasi-nulles, le débat très faible. D’après les résultats de notre observation, ils sont pourtant à ce moment-là les faits négatifs les plus intenses qui ont lieu sur le territoire pakistanais.

C’est donc le lundi 30 mai 2005 que l’attentat se produit. Plusieurs hommes armés attaquent une mosquée chiite dans le quartier « middle-class » de Gulshan, l’un d’eux se fait sauter à l’intérieur du bâtiment. Le bilan est de cinq morts dont deux assaillants, ces derniers ayant échangé des tirs avec des gardes postés devant l’édifice religieux. L’attaque se produit dans une période où le « conflit sectaire » est particulièrement aigu, trois jours auparavant un attentat suicide contre une procession religieuse a fait 19 morts à Islamabad.

L’explosion conduit au rassemblement d’une foule d’un millier de personnes dans la rue. Dans la nuit, les manifestants attaquent et incendient véhicules, commerces, transformateurs électriques et stations-service. Un fast-food est brûlé, six de ses employés meurent, prisonniers des flammes pour quatre d’entre eux, de la chambre froide pour les deux autres. La virée gueuse reste apparemment limitée au quartier, le nombre de ses cibles à quelques dizaines. Parmi elles un journal néo-zélandais recense un hôpital, sans émettre d’hypothèses sur les motifs d’une telle attaque. On peut penser qu’il est alors visé parce que les terroristes blessés y sont soignés.

Le lendemain, au cours des funérailles des victimes de l’explosion, l’agitation se poursuit et s’étend même à plusieurs quartiers de Karachi. Alors que la coalition des partis islamistes a appelé à une journée de grève, notamment parce qu’un de ses représentants a été kidnappé et tué quelques heures avant l’attentat, des « jeunes » caillassent les flics ainsi que des voitures et des magasins. Ils tenteraient de nouveau d’embraser un fast-food américain KFC. Au cours de la journée, douze bus partent en fumée. Dans la nuit, plusieurs quartiers connaissent des situations tendues, les rues y sont coupées par des barrages de pneus enflammés. Près de la mosquée, des affrontements entre dits sunnites et dits chiites vont jusqu’à la fusillade, un dit sunnite est tué. A l’occasion de ses funérailles le lendemain matin, ce sont des jeunes alors décrits comme sunnites qui s’émeuvent. Dans le quartier de Malir, dans l’est de la ville, une centaine d’entre eux brûlent des échoppes et caillassent les flics.


Si, dans ces actes collectifs de destruction, les gueux de Karachi paraissent s’affranchir du simple contexte du conflit religieux auquel les salariés de l’information voudraient les cantonner, il semble tout de même que l’instabilité générale qui a cours dans cette ville demande à relativiser la négativité et le possible contenus dans de tels événements, notamment quand ils deviennent monnaie courante.

Il règne une sorte d’agitation permanente à Karachi, comme c’est le cas dans une moindre mesure dans le reste du pays, et elle n’est constituée qu’en partie, voire minoritairement, de critiques en actes ; attentats, règlements de comptes, assassinats, y semblent assez fréquents. Comme pour l’ensemble du Pakistan, cette agitation paraît intégrée à la méthode de gestion des dirigeants pakistanais. Arrivés au pouvoir grâce au coup d’Etat de 1999 et alliés des Américains depuis la guerre en Afghanistan en 2002, ils souffrent d’un fort déficit de popularité, et on peut imaginer qu’une instabilité maîtrisée et source de divisions n’est pas pour leur déplaire. On sait par exemple que les services secrets sont, historiquement, les créateurs et les financiers des principaux groupes terroristes qui agissent aujourd’hui contre les « chiites », et il est ainsi fort possible que la main de l’Etat soit derrière certains épisodes de l’artificielle opposition sectaire.

Une telle gestion, qui ne peut être que relativement contrôlée, est un pari risqué pour ceux qui la manient, parce qu’elle est aussi susceptible d’engendrer une plus grave menace pour l’Etat, à savoir sa remise en cause fondamentale par ceux qu’il soumet par la force. Or des signes sont bien là au Pakistan, laissant pointer une insatisfaction plus profonde que celle que l’information dominante met en scène. Cette émeute à Karachi comme celle de Gilgit au début de la même année en représentent des pics, elles demandent une lecture prudente. D’autres événements moins importants, qu’on pourrait plus difficilement qualifier d’émeutes, offrent la possibilité d’une analyse plus franche, plus évidente. Les manifestations de colère, de plus en plus fréquentes, à l’occasion des coupures d’électricité dans la mégalopole du Sind en sont peut-être les exemples les plus parlants.




 Première rédaction en décembre 2006, révisé pour publication en décembre 2007


Documents utilisés :

05-05-30 - AP  Yahoo! Actualités -- Attentat contre une mosquée de Karachi
05-05-30 - El Mundo -- Un atentado en una mezquita chií deja varios muertos en Pakistán
05-05-31 - Al Jazeera -- Toll rises in Pakistan sectarian riot
05-05-31 - AP  Yahoo! Actualités -- Pakistan : Une émeute fait six morts après un attentat contre une mosquée
05-05-31 - NEWSCHANNEL 5 -- Mosque bombing sparks riot in Pakistan, killing six
05-06-01 - Arab News -- Karachi Violence Toll Hits 11
05-06-01 - BBC News -- Strike in Karachi over violence
05-06-01 - Fairfax New Zealand Limited -- Six KFC workers burnt to death in Karachi
05-06-01 - Gulf Daily News -- 12 killed in Karachi riot
05-06-01 - Pittsburg live -- Deadly rioting erupts after mosque attack
05-06-01 - The Scotsman -- More Riots in Karachi as Unrest Rumbles On
05-06-01 - Le Figaro -- Flambée de violences interreligieuses à Karachi
05-06-02 - Khaleej Times -- Riots erupt despite Karachi shutdown
05-06-08 - Hindustan Times -- Pak arrests eight suspects after KFC torching




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