Proposition
sur l’histoire – De la guerre du temps au
début du 21ème
siècle > Deuxième partie
Sous-continent indien
Dans les six dernières années, avec pour ce qui
le
concerne une intensification à partir de 2006, le
Sous-continent
indien est apparu comme une des régions au monde
où les
tensions sociales sont parmi les plus fréquentes et
profondes.
Quatre Etats principaux constituent cet ensemble : le Bangladesh
(autour de 150 millions d’habitants, 7ème rang des
populations mondiales), le Népal (autour de 28 millions), le
Pakistan (autour de 165 millions, 6ème rang),
l’Inde (plus
d’un milliard, 2ème rang), avec pour le
Bangladesh,
l’Inde dans sa quasi-totalité, auxquels on peut
ajouter
les provinces pakistanaises du Sind et surtout du Pendjab, des
densités parmi les plus élevées dans
le monde.
Trois de ces Etats ont été secoués de
révoltes qui ont récemment atteint divers
paroxysmes, au
Bangladesh sur l’année 2006
presque entière,
au Népal en avril 2006 puis au début de
l’année suivante, au Pakistan fin
décembre 2007. La
grande fédération indienne, dont plusieurs de ses
Etats,
en termes de superficie au moins, peuvent être mis sur le
même plan que ses voisins népalais et bangladeshi,
se
distingue pour n’avoir pas connu de tel pic. Elle trouve
cependant sa place ici car, en 2007 et 2008, des
événements, respectivement proches des
mégalopoles
de Calcutta et New Delhi, nous ont paru y
manifester une certaine nouveauté, du moins des
singularités à relever.
Le constat des proximités est une entrée en
matière au dessin d’ensemble des
révoltes dans
cette région du monde : géographiques et
temporelles,
dans des territoires où les oppositions
interétatiques,
issues des découpages à la dissolution de
l’empire
britannique et génératrices de conflits
conservateurs
puissants, agissent fortement pour maintenir
l’étanchéité aux
frontières.
C’est la proximité de leur nature plus profonde
qui
importe, dans la communauté avérée et
possible des
offensives lancées, contre tout ce qui en nie
l’idée par principe.
Bangladesh
En 2006 au Bangladesh, du mois de janvier à celui de
novembre,
l’agitation apparaît quasi-permanente (22 jours de
«
faits négatifs » mis en évidence dans
la
chronologie selon nos critères). Si dans l’une de
ses
dimensions elle prolonge les constats opérés
depuis 2003,
cette dimension est en même temps modifiée par
l’ouverture de plusieurs nouveaux fronts, dont deux
principalement, qui ne laisseront aucun répit à
l’Etat et ses défenseurs, surtout à
partir du
printemps où chaque mois ça éclatera
ici ou
là, et même ici et là.
Avant 2006 le Bangladesh nous est surtout apparu par des faits
liés à l’opposition institutionnelle
entre les deux
principaux partis politiques et leurs leaders. D’un
côté le BNP, Parti nationaliste du Bangladesh, au
pouvoir
en 2006, avec à sa tête la dirigeante Khaleda Zia
(premier
ministre depuis 2001, elle occupait déjà ce poste
entre
1991 et 1996) ; sur l’autre face la Ligue Awami, principal
parti
de l’opposition quand il n’est pas au pouvoir, avec
à sa tête la dirigeante Sheikh Hasina Wajed
(elle-même premier ministre entre 1996 et 2001). Comme on le
voit, les deux vieilles raclures se partagent l’exercice du
pouvoir depuis un bail, et si l’on s’en tient aux
histoires
officielles, on apprend que cette alternance «
démocratique » a fait suite à
l’instauration
du système idoine, en 1991, après
l’éviction
l’année précédente
d’un vilain
président, général putschiste
installé aux
commandes en 1982. Mais ce qu’on ne sait pas, c’est
que
dans cette période du tournant des années 1990
–
comme au Népal du reste, comme au Pakistan et en Inde, et
même, incroyable, en bien d’autres
contrées –
ce sont d’abord des Bangladeshis de la rue qui se sont
agités, révoltés, exprimés,
et il serait
pour le moins inconvenant de penser que cela eut pour sens celui des
histoires officielles, qu’ils espéraient, et
qu’ils appelèrent de leurs vœux, la
vertueuse démocratie médiatique et
pluripartite. Ce
n’est que conséquemment à cela,
c’est-à-dire à la répression
de la
révolte, que les belles carrières
d’Hasina/Zia,
accouplées de circonstance dans l’opposition au
régime à la fin des années 1980, puis
dans la
récupération de la révolte en 1990,
que ces belles
carrières, disions-nous, se sont construites
jusqu’ici.
Malheureusement, entre 2003 et 2005 au Bangladesh, les faits
négatifs paraissent largement pêcher par leur
soumission
à l’ersatz de conflit entretenu par Zia/Hasina. On
retrouve presque systématiquement une présence
dans les
rues mais à l’appel de la Ligue Awami, ou en
réaction à des attentats qu’elle subit,
mouvements
de grève et d’occupation des rues qu’on
nomme hartal
au Bangladesh, parfois agrémentés de quelques
saccages,
avec des épisodes de confrontations avec les flics, dont la
caractéristique principale est qu’ils se
répètent sans évolution, avec des
nombres parfois
conséquents de blessés et
d’arrestations. De ce qui
prendrait l’allure d’une litanie, sinon, deux
moments se
distinguent au moins, en août 2004 puis en janvier 2005,
où, pour le premier notamment, l’élan
de
colère dénote une vigueur proche de ces moments
où
le contrôle se perd. Ceci dit, le calendrier
étatique
continue de l’emporter, Zia devant quitter le pouvoir en
octobre
2006, suivant le processus censé mener aux
élections de
début 2007.
Mais dès janvier 2006, de l’imprévu, du
neuf
surgissent. Au début du mois dans le nord-ouest du pays, au
moins 3 000 villageois, mécontents des coupures
d’électricité à
répétition,
assaillent des propriétés de la compagnie en
charge,
caillassent des flics, qui tirent. Il y a deux morts et une
cinquantaine de blessés (dont six flics). C’est
là,
au moins, le point de départ d’un mouvement dont
on peut
comprendre qu’il se maintient jusqu’au
début
d’avril dans ce district de Chapainawabganj. Nouvelle
journée chaude le 23 janvier : suite à des
arrestations
liées à la contestation, une foule
assiège la
même compagnie, avec les flics dans son viseur, qui tirent et
font cinq à huit morts, avec des blessés nombreux
(dont
peut-être 48 flics). D’après les
informations
traitées on ne sait guère ce qu’il
advient dans les
deux mois suivants, sinon que le mécontentement perdure,
d’autant que des promesses de résoudre les
pénuries, faites en janvier, ne sont pas suivies
d’effet.
Le jeudi 6 avril, dans le même district (où
l’on
informe de « series of riots over power shortage
»), des
milliers de « farmers » veulent conspuer un
gestionnaire
local. Leur manifestation reçoit des bombes, il y a des
affrontements et quatre morts. Dans la soirée les routes
sont
bloquées pour se protéger. L’attaque
à coups
de bombes, qui n’est pas la première, serait
l’œuvre de militants du parti au pouvoir, et les
morts sa
conséquence. Au moins jusqu’au dimanche 9 les
barrages
sont maintenus, une sorte de plate-forme revendicative est
définie, œuvre d’un « Action
Council for Rural
Electrification » (dont ce seraient des leaders qui auraient
été arrêtés en janvier). La
répression multiforme, qui aurait fait 18 morts au total,
est
condamnée par certains partis politiques ou organisations
paysannes, ou d’autres voix du même genre. Le
dimanche 9
avril l’Etat interdit les rassemblements dans cette zone
limitrophe de l’Inde, et déploie un millier de
flics.
Un mois plus tard, le 5 mai, liée au même
problème
une suite est donnée, avec une extension aux abords de la
capitale. On ne sait qui l’organise exactement, mais des
milliers
de personnes participent au blocage de la voie principale reliant Dacca
à Chittagong, grand port du Sud. Des affrontements ont lieu
contre les autorités exigeant sa levée, qui se
poursuivent après l’intervention de dirigeants et
militants de partis, qui ne paraissent pas avoir dirigé le
blocage. Il y a cinquante blessés ce jour-là. La
manifestation suivante, quatre jours plus tard, serait le fait de
militants de l’opposition, tandis que des protestations
liées au même motif se poursuivent les mois
suivants. A
l’échelle nationale, la consommation
électrique a
augmenté dans les dernières années,
« as
fast growing industrial and domestic demand has outpaced supply
». C’est à dire que la mutation du pays
en
l’un de ces ateliers du monde marchand a pour
conséquence,
en même temps qu’elle se soumet ceux qui peuplent
les
villes, que ceux des campagnes en subissent le
dérèglement et la destruction des moyens
élémentaires de leur survie. Comme le
même genre de
« power riots » survient ailleurs dans le monde
(par
exemple en République Dominicaine, au Pakistan, en
Algérie, au Cameroun), plus proche du Bangladesh
c’est en
Chine et en Inde que l’imposition locale des mesures
nécessaires à la gestion marchande mondiale
provoque de
telles réactions de colère, en ce sens non
réductibles à la seule préservation de
conditions
matérielles locales, comme peut l’indiquer le
débordement des discours revendicatifs par les actes les
plus
offensifs.
En ce même mois de mai éclate ce qui a surtout
été représenté, connu,
comme la
révolte des ouvriers du textile. Le 20 mai au nord de la
capitale, à Gazipur, dans une de ces zones industrielles
à avantages fiscaux pour investisseurs étrangers,
des
flics interviennent contre des ouvriers en grève, dont
l’un est tué. Peut-être dès
le lendemain, et
sûrement le lundi 22 mai, à « Savar
» tout
près de Dacca, ils sont des milliers à
s’opposer
aux flics et autres gardes de sécurité des usines
ou
manufactures (« factories » dans les articles en
anglais),
les lieux du travail subissant les premiers saccages et incendies.
D’autres ferment ; une route vers la capitale est
barrée.
Certains poursuivent la destruction dans la nuit. Parmi la centaine de
blessés du premier jour, l’un meurt le lendemain,
voire
deux. Les destructions, avec des pillages, les affrontements contre les
flics plus nombreux, s’amplifient ; il y aura des douzaines
d’usines ou manufactures touchées, dont plusieurs
réduites en cendres ; la révolte gronde en
plusieurs
points en même temps, dont Gazipur, et ce sont plus que des
ouvriers qui y prennent part, tandis qu’il semblerait
qu’elle chemine davantage vers
l’intérieur de Dacca
(où une grève générale
aurait
été appelée). Mais là
où l’on
se bat, le déploiement répressif paraît
prendre le
dessus le mercredi 24, et sous cette garde le travail reprend le jour
suivant.
Tandis que des discussions rassemblent Etat, patrons et syndicats,
tandis qu’à cette manière si absurde
des mains
instigatrices, Inde, syndicats, islamistes, sont accusées,
tandis que tout ce qui se dit se résume au dilemme entre
répression stricte et concessions réformistes,
les mots
les plus justes sont peut-être ceux de qui
s’inquiète alors d’une « war
against economy
».
Dans la négation du moment du soulèvement, par
ceux
qu’il a stupéfiés sans qu’ils
n’en
comprennent un traître acte, des concessions sont
annoncées, rapport aux conditions de travail, une
plate-forme de
revendications sera à satisfaire. Une tension est maintenue,
par
la suite sans accès équivalent à ce
commencement,
du moins de la part de ce genre de « workers » dont
certains restent aussi sur la brèche, mais dans un conflit
se
fixant sur les objectifs revendiqués de réforme
du
travail. Alors que les mêmes effets de la domination
apparemment
attaqués vont au fond perdurer, rien ne change contre ce qui
les
provoque. Pourtant l’unanimité ravageuse
s’est
manifestée lorsque ceux qui ont pris les rues
n’étaient sûrement plus des ouvriers,
leur
élan ne se limitant pas, dès lors, à
ce qui ne
serait qu’un problème d’ouvriers. Cet
élan
ressemblant plutôt, en effet, au lancement, à la
menée, d’une guerre contre
l’économique.
Le 26 mai, à propos de la situation du pays, un analyste
appointé juge que « The signs are not good
». En
effet, des colériques du Nord-Ouest à ceux des
manufactures, ils n’ont pas été si bons
depuis un
moment au Bangladesh.
Alors, en juin, et avant que son importance ne croisse à
l’automne à un point inédit, le conflit
entretenu
par les partis politiques commence à revenir au premier
plan,
dans une ambiance où persistent des signaux affaiblis que
les
fronts déjà déclarés
pourraient se rouvrir,
notamment dans les zones économiques spéciales.
A la fin du mois d’août une troisième
révolte
inattendue éclate. Protestant contre le projet
d’extension
d’une firme anglaise exploiteuse de charbon, des milliers
d’habitants de la région de Dinājpur (environ 270
km au
nord-ouest de Dacca, à la frontière avec le
Bengale
Occidental en Inde) se confrontent aux flics et passent à
l’attaque contre des propriétés de la
firme. Si des
organisateurs, avec la mention d’une sorte de
comité de
défense, sont à l’origine du
rassemblement initial
(possiblement réprimé avant que des
protestataires ne
passent à l’attaque), ce qui s’ensuit,
entre le 26
et le 29 août, à Phulbāri exactement, prendrait
une toute
autre allure : « (…) the mass activity that has
seized the
town appears to have a strong autonomous element to it. Rail and road
links with the rest of the country are blocked. On Monday the troops
withdrew, as did Asia Energy staff, and the town fell into the hands of
thousands of protesters who ransacked the company offices. »
Comme pour Chapainawabganj en avril (district situé dans la
même division administrative principale, au nombre de six
pour
l’ensemble du pays), des militaires sont
déployés
en force, qui reprennent possession des rues et des routes.
Décidément sur la brèche, plusieurs
milliers de
flics sont encore déployés courant septembre, en
surveillance des manifestations de l’opposition qui se
déroulent en série. On accuse Zia de trafiquer le
processus électoral. Si comme prévu elle quitte
son poste
à la fin octobre, dès le jour où il
prend sa place
son remplaçant intérimaire est
contesté, dans la
continuité rituelle de la confrontation politicienne.
Mais à partir du lendemain, le vendredi 28 octobre,
l’envahissement des
rues paraît se faire plus désordonné
que jamais,
bien plus que lors des débordements des mobilisations
officielles. Si le même motif reste déterminant,
l’intensité des affrontements, des destructions,
laisse
entrevoir la perspective d’une déstabilisation
toute
autre, capable de laisser ce motif loin derrière. Les
caillasseurs sont par milliers, on bloque, brûle, casse, avec
une
prédilection semble-t-il marquée pour des cibles
BNP,
dont ses sièges, et des propriétés de
ministres.
Mais dans ce genre de ravage, ce qui paraît convenir
à
l’opposition officielle peut très vite se
retourner contre
elle. Le samedi l’agitation augmente, en même temps
que les
chefs de clans l’attisent de leurs appels. Si des groupes
s’affrontent entre eux, avec des tirs possibles, ils ont
aussi
affaire aux flics. « “We are facing a very volatile
and
unpredictable situation,” one police officer said.
“The
uncertainties are lingering and tension deepening.”
»
Après les premiers morts du vendredi, d’autres
s’y
ajoutent jusqu’au dimanche, pas seulement à Dacca
–
pour un total de 25 à 27, avec peut-être un
millier de
blessés. Même si finalement, à la
différence de ce que dit la
chronologie, les répresseurs
étatiques n’useraient que de
caoutchouc et de lacrymos, il ne semble pas que l’ensemble
des blessés
et des morts soit seulement attribuable, comme officiellement, aux
dérives d’une « street violence
»
réduite en « political riots », dont
l’intensité laisse penser qu’ils
n’ont plus
été de si simples affrontements partisans
conservateurs.
Décidément, l’ambiance paraît
bien volatile.
De novembre jusqu’à janvier, d’autres
appels de l’opposition sont
l’occasion de frictions, mais la tension demeure sous
contrôle, avant que la main militaire n’impose le
sien plus
nettement au début de 2007. Les élections sont
annulées et, couronnant la succession des
déploiements
répressifs des derniers mois, l’état
d’urgence est décrété le 11
janvier, ouvrant une longue
période où l’ordre se retisse, dans un
calme
apparent, sans que nous n’ayons depuis constaté de
situations à la hauteur de celles de 2006, au final
restées séparées les unes des autres,
du moins
dans ce que nous avons perçu. Séparées
par les
armes, renvoyées à des particularismes, on ne
sait si
depuis leurs foyers multiples, les motifs se seraient rejoints dans
leur discussion contradictoire. Quoique nous ne puissions mieux
évaluer la circulation locale, horizontale, de
l’information, on jurerait que l’ambiance
conflictuelle
alimentée depuis janvier a nourri
l’intensité du
désordre de fin octobre, et que la possibilité y
aurait
été comme jamais mise en jeu de se
défaire des
entraves cultivées par les partis gouvernementaux, en les
débordant tous. De là, les
révoltés des
régions rurales et des manufactures auraient pu voir leurs
perspectives renforcées par cette opposition
déclarée au pouvoir étatique. Que
l’armée ait dû finalement intervenir va
dans ce
sens. Aux promesses faites aux ouvriers seulement assoupis, et tandis
qu’on prévoit même de construire une
centrale
nucléaire pour que plus aucun pauvre ne manque de courant,
s’est ajoutée la mise en spectacle de la
liquidation des
vieilles dirigeantes, mais on a vu depuis que
c’était
seulement pour qu’elles puissent mieux revenir.
Inde
Depuis les constats opérés sur 2003-2004, les
mêmes
signes d’apparition du négatif ont globalement
continué de percer pour l’Inde, dans une
présence
continue de la révolte à la fois
éparse et
prononcée ponctuellement, mais sans que la tension ne
paraisse
s’y précipiter à la manière
du Bangladesh
par exemple, il est vrai bien moins vaste. Néanmoins,
tout proche de celui-ci d’une part, en 2007 dans
l’Etat du
Bengale Occidental, puis, dans un survol à travers le Nord
du
pays où on longerait les plaines du Sud népalais
en
direction de la frontière pakistanaise, dans celui du
Rajasthan
la même année, deux situations sont à
signaler pour
s’être chacune à sa manière
étendue
dans le temps, ce qui n’avait pas été
le cas depuis
le Manipur à l’été 2004.
Si l’on voulait encore illustrer nos premières
observations à son sujet, 2006 en Inde représente
une
année particulièrement significative.
D’une part
pour ce qui est de la répétition des
jaillissements
émeutiers d’un jour, où les foules
excitées
paraissent très vite menaçantes, tel
qu’en
témoigneraient les tués par balles
quasi-systématiques. D’autre part par la
permanence de
l’influence communautaire, produisant toujours autant de
ferments
potentiels à sa plus large réfutation –
par
exemple les premiers jours d’avril à Vadodara dans
le
Gujarat, pouvant faire penser à Veraval en 2004. En
comparaison,
ces situations de 2007 et 2008 partagent cette particularité
de
leurs aspects offensifs parfois moins évidents, quand le
même genre de jaillissement donne lieu à sa
prolongation
sous des formes plus encadrées, revendicatives, mais aussi
sacrément décidées.
Avec 80 millions d’habitants pour seulement 88 752
km², le
Bengale Occidental est le quatrième Etat le plus
peuplé
de l’Inde. Sa langue officielle et majoritaire est le
bengali, la
même qu’au Bangladesh. Car tous deux constituent
les deux
moitiés du même ancien territoire,
découpé
au moment de l’indépendance de 1947, lorsque sa
partie est
devint le Pakistan oriental, avant de
s’indépendantiser en
1971. Si ce n’était la frontière,
environ 250 km
séparent seulement Dacca et Calcutta. Jusqu’alors
peu
apparue en Inde, avec
ces
protestations contre l’implantation industrielle [17]
on retrouve une forme de révolte souvent observée
par
ailleurs, principalement en Amérique latine et en Chine
–
le Bengale Occidental étant lui-même
gouverné
depuis une trentaine d’années par un parti
«
communiste », qui s’occupe donc
aujourd’hui d’y
installer ses propres zones économiques
spéciales. En
2007, si proche des paysans du nord du Bangladesh, c’est cet
identique rejet de l’impératif marchand qui
s’est
encore affirmé, au plus fort dans la région de
Nandigram
où, en dépit d’une même
répression
lourde, la tenue du terrain s’est maintenue sans plier, dans
une
unanimité collective dont des férus
d’Oaxaca
auraient dû s’extasier, mais point de battage ici.
Malgré le rôle important que semble avoir
joué
l’encadrement politicien, et cet aspect
d’enfermement rural
qu’on pourrait juger rétrograde, dans son
éloignement par rapport au centre du monde, il y a
là
tout de même une portée non
négligeable,
d’autant qu’elle a menée à
l’annulation des projets qui voulaient
s’imposer [18].
De même que la situation au Bengale Occidental
présente
cet intérêt de s’être
prolongée sur
plusieurs mois, celle
des « Gujjars » du Rajasthan,
découpée en deux mouvements de plusieurs jours
à
un an d’intervalle, s’est donc aussi
distinguée par
cette inscription inhabituelle dans la durée. S’il
apparaît que leurs acteurs désignés
seraient
demeurés soumis aux revendications
d’intégration
sociale portées en leur nom, enfermés dans cette
dimension corporatiste, et qu’il s’est
là aussi agi
d’un contexte rural, l’ampleur du
désordre
qu’ils ont créé, à la fois
dans leurs
explosions de colère les plus
incontrôlées et par
leur détermination massive à ne pas
céder face
à la répression meurtrière, ont encore
conféré à cette révolte une
envergure
inhabituelle à l’échelle du pays.
A propos des castes indiennes apparues avec les « Gujjars
», et de leur possible influence dans la survenue et le
déroulement de situations négatives, depuis 2003
celle-ci
ne s’était avérée que
très
périphérique, au contraire de celle de la
division
religieuse. On peut néanmoins signaler à la fin
du mois
de novembre 2006 dans la région de Bombay le surgissement
négatif des « dalits ». C’est
là le
terme actuel substitué à celui
d’«
intouchables » ou « hors-castes »,
pauvres parmi les
pauvres ici chargés de cette étiquette fatale,
suivant la
tradition indienne, dès leur naissance et
jusqu’à
la mort, ce que le système des quotas de la
république
égalitariste a inscrit dans le marbre à sa
manière. Les dits « Dalits »
représenteraient
16 ou 17 pour cent de la population indienne. Ce sont donc plus de 160
ou 170 millions de personnes. Fin novembre 2006, sur fond
d’arbitraire permanent subi au quotidien, c’est
à la
nouvelle d’une offense à l’encontre
d’Ambedkar, figure « historique » de la
lutte
politicienne contre la discrimination ancestrale et originaire du
Maharashtra, qu’aurait succédé dans cet
Etat
l’éruption de colère collective.
Apparemment
massive dans son surgissement, elle a vite été
stoppée dès son deuxième jour, puis
résorbée par l’entremise de ce qui
semble avoir
été un processus de manifestation et
revendication
conformes, renvoyant les « Dalits » à
leur statut.
Ce qui suit ne veut pas donner à ce moment isolé,
dont
l’ampleur est restée manifestement mineure, un
sens et une
portée qu’ils n’ont pas eus. Mais dans
la
transposition de cette situation d’apparence
particulière
à sa potentialité la plus grande, se
découvre et
s’illustre de façon significative quelle
portée
pourrait conquérir la révolte possible de tous
les
dalits du monde. Dans la
négation de ces conditions les plus refoulées
parce que
les plus communes, irréductible à toutes les
catégories définitoires de quelque statut
particulier que
ce soit, au-delà de tous les discours et les
représentations établies « au
nom de », en
notre nom, si insignifiantes. Comme tant d’autres, ces
révoltés de novembre 2006 en ont
brièvement
entamé l’ouverture, et ils n’ont
été
renvoyés, eux qui n’en font pas partie,
qu’à leur
position sociale suivant l’échelle des castes,
intégrés à la normalité
admise comme
perpétuelle.
Népal
Dans une certaine correspondance avec la situation bangladeshie
d’avant 2006, le Népal est d’abord
apparu dans le
champ de l’observation par son instabilité
institutionnelle, avec la concentration d’une fronde
dirigée contre le pouvoir royal, sous
l’égide
d’une opposition démocratiste instigatrice de
manifestations à répétition, parfois
devenues
l’occasion de débordements mais de faible
envergure ; ceci
en parallèle d’une autre forme
de « contestation »,
apparue en
1996 avec le lancement d’une guérilla
d’étiquette maoïste. Alors que dans
l’agitation
de la révolte du début des années 1990
la
monarchie s’est habillée d’une
constitution, offrant
aux Népalais les indiscutables bienfaits du multipartisme,
dix
ans plus tard le nouveau roi, successeur de son frère
(zigouillé par le prince héritier en 2001, au
milieu de
plusieurs autres membres de la famille), entend rétablir ses
privilèges absolus, ce qu’il impose par exemple en
2005 en
s’arrogeant les pleins pouvoirs.
En parallèle, quelques exceptions se détachent,
notamment
le 1er septembre où une forte émeute
déferle
dans les rues de Katmandou, à la suite de
l’exécution d’otages népalais
en Iraq ;
courant 2005 où des hausses des prix servent de
prétexte
à des affrontements répétés
contre les
flics ; enfin le 14 novembre de cette même année
à
Darchula, dont on ne sait que peu de choses mais où ce
seraient
plus de 8 000 habitants qui sortiraient de leurs gonds à
coups
de destructions contre des propriétés
étatiques et
commerciales, et ce « Irate by pressure from the Maoists and
the
government ». Il y a donc là qui perce, au milieu
de
l’occupation d’attention par les querelles opposant
le
triumvirat des divers concurrents au pouvoir étatique,
roicos-maos-démos, les traces d’une insatisfaction
à l’allure plus familière pour qui
s’enquiert
de quelle révolte est dans le monde.
En avril 2006, la vindicte contre le roi se cristallise dans les rues,
et elle va finalement en avoir raison. C’est alors un
mouvement
de grande ampleur, massif, renforcé par la participation de
milliers de Népalais dans plusieurs grandes villes dont la
capitale, et qui s’étend sur presque trois
semaines,
jusqu’à son issue « victorieuse
». Dans la
chronologie générale, le mouvement dans cette
ampleur
n’apparaît pas en tant que tel : c’est
parce que, du
fait de notre jugement d’alors, nous avions opté
pour ne
faire apparaître que les faits indiquant une tendance au
débordement de l’objectif officiel
fixé, et de
l’encadrement l’ayant fixé. Si
l’évaluation d’alors a
été
confirmée, il importe ici d’apporter quelques
précisions.
Le 6 avril 2006 est le lancement d’une grève
générale, à l’appel de
l’opposition
démocratiste, soutenue par la guérilla (qui
annoncera le
15 avril un cessez-le-feu dans la vallée de Katmandou),
contre
le roi et pour « rétablir la démocratie
». Il
semble d’abord que les manifestations s’organisent
plutôt par corps de métiers, des journalistes par
exemples, et autres représentants de la dite «
société civile » ; mais il y a
certainement
là l’effet de l’insistance des
informateurs à
souligner cet aspect du mouvement naissant.
Mais, dès le deuxième jour de la
grève, qui
verrait l’occupation des rues se faire beaucoup plus massive,
et
par beaucoup plus que les
« militants » ou
« étudiants »
habituels, ça se tend
notablement dans
plusieurs villes autres que la capitale où les
manifestants bravent l’interdiction étatique,
toutefois proches de celle-ci (Bharatpur et Pokhara, à
l’ouest), voire très proche (Banepa). En termes de
confrontation d’aspect le plus
incontrôlé, ces
journées des 7, 8 et 9 avril paraissent les plus
évidentes, avec notamment des incendies contre plusieurs
représentations étatiques, et plusieurs morts
dans les
oppositions avec les flics.
S’ensuit une période de grandes manifestations
quotidiennes, qui toucheraient davantage de villes, et Katmandou dans
sa périphérie, les mesures de couvre-feu
paraissant
s’imposer au centre-ville de la capitale. La
répression se
durcit, avec des tirs qui font de nouveaux morts ; sans que les
manifestants ne cèdent pour autant dans leur occupation
quasi-permanente des rues. Des informateurs soulignent que les leaders
de l’opposition seraient écoutés et
suivis ; sans
doute qu’ils parviennent à tirer profit du
mécontentement profond et massif dirigé contre la
figure
royale, s’appuyant dessus en même temps
qu’ils se
trouvent contraints de refuser les premières concessions
tentées par le souverain. Le 21 avril, « Le roi
Gyanendra
du Népal a annoncé, lors d'une allocution, qu'il
remettait le pouvoir entre les mains de son peuple et invitait les
partis politiques, à l'origine du vaste mouvement de
contestation actuel, à recommander le nom d'un nouveau
Premier
ministre. » Le 22 avril, « Des dizaines de
personnes ont
été blessées (…)
à Katmandou
où la police a tiré sur des milliers de
manifestants
pro-démocratie au moment où l'opposition et les
rebelles
maoïstes rejetaient officiellement des concessions faites la
veille par le roi Gyanendra », avec une marche
d’au moins
200 000 personnes ce jour-là en direction du palais
royal,
protégé de tanks et
d’hélicoptères.
Le 24 avril, le roi rétablit le parlement dissous en 2002,
et,
tandis que l’opposition reconnaît cette «
victoire
», des rassemblements la fêtent à
Katmandou et
ailleurs. « The parties have reasserted their control over
the
protests in the last two days, leading largely peaceful demonstrations
after two weeks of confrontations with security forces. » De
leur
côté les maoïstes marquent leur
désaccord,
parce qu’ils ont pour but la convocation d’une
assemblée constituante, quoiqu’ils annoncent un
cessez-le-feu de trois mois. Un nouveau premier ministre est
nommé, dans l’enclenchement de ce qui se veut,
dès
lors, une période dédiée à
la refondation
institutionnelle.
Dans ce moment d’avril 2006 l’inattendu
n’a pas
dominé, au final. S’il paraît
indéniable que
le résultat arrêté à
l’ultime reculade
royale n’aurait pu être obtenu sans la mobilisation
massive
qui a jusqu’à ce point refusé de plier,
sa terminaison en
accord avec l’orientation fixée au commencement
ôte
à la rue toute perspective d’une autre
progression. Le but
partiel mais central d’abattre le pouvoir
étatique, dans
la chute de celui qui le personnifiait, explique sans doute la grande
énergie contestatrice libérée, mais
aussi comment
celle-ci est demeurée domestiquée au profit final
des
prétendants au même
pouvoir.
Dans les mois suivants, depuis les rues rien n’a paru
contredire
cette issue, du moins jusqu’au soulèvement
de
janvier-février 2007 dans la région du
Teraï, au sud
du pays, non concernée par le mouvement d’avril ou
seulement de façon périphérique. Si
cette
révolte a alors perturbé la
réorganisation
institutionnelle en cours, susceptible de s’approfondir en
mise
en cause de la satisfaction déclarée au
printemps, il
faut dire qu’elle est aussi demeurée
cantonnée
régionalement. L’évolution du contexte
national a
aussi conditionné sa survenue, dans la mesure où
il
s’est d’abord initié, sous sa forme
encadrée,
autour de réclamations d’intégration
à la
structure sociale établie, au nom de cet ensemble de
laissés-pour-compte traditionnels que
représentent les
Madhesis au Népal, ainsi emprisonnés dans le
même
genre de posture, par exemple, que les Kurdes en
général,
ce que tous les commentateurs autorisés, du moins le peu
d’entre eux qui s’y sont penchés, se
sont
chargés d’accréditer. Pourtant, dans
l’engagement massif, dans cette tendance prononcée
au
débordement des leaders et de leurs raisons, dans le cassage
contre les flics et les propriétés
gouvernementales, dont
celles de ces anciens guérilleros mutés en
gestionnaires
officiels, c’est l’inadéquation qui
s’est
révélée, entre ce
qu’établissent et
entretiennent tous les conservateurs de ce monde, dans leurs discours
justificateurs d’essentialisation identitaire, et ce qui,
encore
une fois, les a renvoyés à leur fonction
essentiellement policière.
Pakistan
Voisin de l’Afghanistan et repère
dénoncé de
la nébuleuse du terrorisme international, ennemi
héréditaire de son voisin indien,
équipé
comme lui de l’arme nucléaire, l’Etat du
Pakistan,
sous l’influence des enjeux guerriers de domination dans la
région, bénéficie d’une
place de choix dans
la représentation dominante sur le monde, avec à
l’intérieur de ses frontières, dans ce
qu’on
peut se figurer comme la sphère protéiforme de
ses
gestionnaires en place et aspirants, une instabilité
entretenue
par l’affrontement entrecroisé des
intérêts
de ceux qui ne visent que la conquête et la conservation du
pouvoir : le militaire putschiste Musharraf aux manettes depuis 1999,
allié des Etats-Unis, ses opposants politiques et leurs
partis,
laïcs et religieux, l’armée dont
l’influence
demeure déterminante, les services secrets dont on doit
comprendre que la leur le serait également, enfin une
mosaïque d’organisations aux dimensions plus
locales,
tribales et encore religieuses, tous ceux-là susceptibles de
s’adonner au terrorisme.
De notre point de vue, cet Etat est en effet agité de
nombreuses
manifestations conflictuelles, à cette différence
d’avec ce tableau qu’elles se jouent
d’abord dans les rues.
Entre
2003 et 2005
: on observe d’une part, pour les plus fréquents,
des
faits postérieurs à des attentats liés
à la
« violence sectaire », motivée par
l’opposition entre religieux chiites et sunnites ;
d’autre
part des colères déclenchées en
conséquences des effets quotidiens de la mauvaise gestion,
du
genre « power riots », et de brusques emportements
à
la suite de « bavures » policières.
Succèdent en 2006 deux moments négatifs majeurs
qui, en
comparaison, marquent le franchissement d’un premier palier.
Le 14 février à Lahore,
proche de la frontière avec l’Inde, puis le
lendemain
à Peshawar, ville du nord près de la
frontière
afghane, si des appels à se rassembler émanant
d’organisations locales, qui s’indigneraient
à leur
tour contre la caricature de Mahomet, sont d’abord
à
l’origine de la sortie de milliers de personnes dans les
rues, ce
qui s’ensuit, par les saccages et les pillages qui se
répandent, renvoie la dénonciation religieuse du
blasphème spectaculaire à son rang de simple
prétexte parmi d’autres, lorsque la fureur contre
tous les
éléments du décor quotidien devient le
guide
suprême de la manœuvre. Mais dans ces cas comme
tant
d’autres, une fois contenues et dissipées ces
déflagrations d’un instant, en même
temps
qu’elles sont officiellement déplorées
et
condamnées, les représentations
antécédentes reprennent leur droit, du moins dans
l’apparence. Ceci s’avérant
d’autant plus
aisé à l’intérieur et
à propos du
Pakistan, pour ce genre d’Etat au cœur de la
modélisation générale sur ce qui
serait
censé, à notre époque, couper le monde
en deux
– aidé par le rôle que jouent des
dirigeants
religieux postérieurement aux émeutes.
S’ils
n’en ont critiqué le joug, les
émeutiers de
Peshawar et Lahore ont au moins démontré que
leurs actes
ne cadraient pas avec les enjeux de cette division, et le
caractère primordial que lui attribuent ses
différents
propagandistes en concurrence, si bien soutenus par les caisses de
résonance médiatiques.
En ce mois de février 2006 (qui a vu des voisins afghans
s’animer de telles intentions offensives,
celles-là plus
spécialement dirigées contre les forces
d’occupations étrangères, comme
l’émeute de Kaboul
à la fin du mois de mai en
donnera une démonstration plus conséquente
encore), avec
Lahore et Peshawar on relève quelques traces d’une
agitation plus répandue à travers le Pakistan :
à
la suite des faits constatés depuis 2003 à
l’échelle du pays, et au regard des temps
à venir,
c’est alors la confirmation d’une
instabilité
négative, discontinue et en foyers épars, mais
qui ne
cesse, et dans le sens d’une ascension.
Le
Baloutchistan vient ensuite,
à la fin du mois d’août, avec un
soulèvement
d’envergure régionale. Province
éclatée sur
plusieurs Etats à l’image du Kurdistan, une
guérilla y est aussi présente, avec une
répression
étatique localement ancrée. Le 26 août
2006, le
déclencheur de la première émeute dans
la capitale
provinciale est d’ailleurs lié à ce
contexte. Par
contre, il n’implique aucun contrôle sur les actes
commis,
qui retrouvent plutôt, dans le ravage et l’incendie
des
commerces, banques, véhicules, le déroulement
courant et
explosif des fortes émeutes du Pakistan, et
d’ailleurs.
Dès le premier jour, où
l’armée intervient
à Quetta, il faut tout de même signaler des tirs
du
côté des protestataires : mais comme dans le cas
du
Yémen ou de l’Afghanistan par exemple,
d’une part
les fusillades ne constituent pas le moyen offensif principal,
d’autre part la possession d’armes y est
répandue :
celles-ci peuvent donc aussi servir dans le feu de l’action,
les
flics ne s’en privent pas. Dès le
deuxième jour,
puis encore le troisième, la poussée gueuse
s’amplifie au cœur de Quetta, et dans sa
région ;
seul un écho affaibli touche Karachi, dans la province du
Sind
qui borde la limite est du Baloutchistan. Le quatrième jour,
d’abord dédié à une
cérémonie
funéraire en l’honneur du chef tribal
tué par
l’armée le jour où le
soulèvement a
débuté, et en dépit d’appels
au calme, la
révolte est encore aussi forte à Quetta et dans
d’autres villes baloutches. Cette intensité
s’abaisse ensuite nettement, pour un arrêt
définitif
le sixième jour.
En 2007, c’est le phénomène
d’une crise
politique, institutionnelle, qui grandit peu à peu pour
occuper
le devant de la scène. En vue de préparer sa
réélection, Musharraf manigance, limogeant en
mars le
juge Chaudhry président de la cour suprême. Les
premières protestations émanent de la «
société civile », avec des
défilés
d’avocats réprimés à la
matraque, puis
d’autres manifestations plus massives de protestation donnent
lieu à des face-à-face où les jets de
pierres
répondent aux lacrymos. Ce genre d’agitation
continue en
avril et en mai, menée par divers acteurs dont les avocats
encore, et suivant les déplacements d’une ville
à
l’autre du juge limogé, devenu le symbole de
l’opposition officielle au régime, au sein de
laquelle se
trouvent associés les islamistes du MMA, et surtout les deux
principaux partis d’opposition, le Parti du Peuple
Pakistanais de
Bhutto, et l’aile de la Ligue musulmane du Pakistan
commandée par Sharif, les deux leaders alors encore
exilés. C’est à l’automne que
leur
rapatriement marquera une recrudescence des manifestations
dirigées contre Musharraf, à l’encontre
duquel
l’hostilité monte déjà
d’un cran en
mai à Karachi à l’occasion de la venue
de Chaudhry,
avec plusieurs jours d’affrontements armés,
meurtriers,
où domine le différend entre soutiens et
contestataires
du président, en même temps que transparaissent
des signes
d’émeutes. Dans cette période les
rassemblements
sont interdits à Islamabad. En juin, avec les fortes
chaleurs
puis une mousson particulièrement violente, une nouvelle
série de « power riots »
éclate dans la
mégalopole du Sind, consécutives aux coupures
d’électricité, et durant lesquelles les
blocages de
rues et de routes s’accompagnent de saccages. Dans une
atmosphère générale où pour
une grande part
les éléments conflictuels constatés
dans les temps
antérieurs reparaissent et se concentrent, intervient
l’épisode spectaculaire et sanglant de la
Mosquée
Rouge, au cœur de la capitale. Après plusieurs
mois de
tension entre militants islamistes et pouvoir central, la situation
s’envenime brusquement en juillet, quand
l’édifice
religieux est assiégé et assailli militairement,
avec des
dizaines de morts ; cette bataille entraînant
d’autres
actions en réaction à travers le pays,
particulièrement dans les zones tribales
frontalières
avec l’Afghanistan, attaques armées, attentats,
combats
intensifiés entre armée
régulière et
« pro-talibans » ; ce qui permettra aussi
à
Musharraf, début novembre, de justifier
l’imposition de
l’état d’urgence et la suspension de la
constitution, au prétexte de la lutte de l’Etat
contre son
si opportun ennemi islamiste de
l’intérieur.
Malgré la continuation de la protestation et la
réinstallation de Chaudhry à son poste le 20
juillet,
Musharraf obtient sa réélection le 6 octobre, qui
n’est cependant pas encore officialisée par la
cour
suprême. « L’élection
s’est
déroulée dans une relative
indifférence, la
population n’ayant manifesté massivement ni sa
joie, ni sa
colère (…) Mais l’enjeu principal pour
le Pakistan
n’est pas tant la présidentielle, que les
législatives prévues début 2008, au
suffrage
universel direct » (alors que la désignation du
président se fait au suffrage indirect). Dès ce
moment
les avocats reprennent le chemin de la rue, non sans se heurter aux
flics, avant que la tentative de coup de force de Musharraf,
début novembre, n’entraîne la dispersion
de telles
manifestations à coups de milliers d’arrestations
; tandis
que la cour suprême sur le point de rendre sa
décision est
à nouveau mise au pas. Mais, notamment reprochée
par les
Etats-Unis, l’option de cette reprise en mains autoritaire
n’est que provisoire, et le 15 décembre la
constitution
est rétablie, les mesures d’exceptions
levées.
Autorisés à remettre les pieds sur le sol
pakistanais
(pour Bhutto fin octobre, pour Sharif fin novembre), les anciens
premiers ministres, et plus particulièrement la chef du PPP,
personnalisent désormais la contestation middleclass,
focalisée sur l’objectif du scrutin de janvier
2008
où le sort de Musharraf devra se jouer. Pas
vraiment aux avant-postes des
débordements de la protestation défensive depuis
mars,
les gueux du Pakistan sont renvoyés à
l’arrière-plan
d’un scénario qui semble écrit par
avance. Mais
huit jours après la levée de
l’état
d’urgence, ils font leur retour comme acteur principal.
Le 27 décembre, l’ordure Bhutto succombe
à un attentat. C’est
le commencement
d’une déferlante d’émeutes
simultanées
qui s’étendent très vite à
plusieurs villes,
au plus fort dès ce premier jour et
jusqu’à la nuit
du lendemain, avant une baisse de leur amplitude
jusqu’à
leur contention définitive le 31 décembre, sous
l’effet d’une répression brutale
à la mesure
de la foudre qui s’abat. La première imputation
des actes,
à des supporters ou des soutiens du PPP, est plausible, si
l’on se figure le choc collectif provoqué par la
suppression physique de l’icône, d’autant
plus que
pour les pauvres au moins, qui ont pris l’habitude de ses
forfanteries, l’Etat en représente le principal
suspect.
Mais cette explication ne tient pas la route longtemps : justement sur
le terrain, et presque immédiatement, elle se
trouve
contredite par la généralisation des pillages et
des
incendies, tels qu’ils provoquent rapidement des
pénuries
dans le sud du pays en même temps qu’ils
réalisent
le dérèglement et l’arrêt des
flux habituels,
dans la destruction des gares et des trains, dans la perturbation des
axes routiers et la consumation des stations-service, dans les assauts
contre des centres industriels dont des usines partent aussi en
fumée. Apparemment épargné dans les
années
précédentes, le Nord du Sind est aussi bien
touché
que sa partie Sud, de même que des villes du Pendjab,
durement,
et les actes de protestation violents, sinon
l’émeute,
traversent le pays du Baloutchistan à la partie indienne du
Cachemire, jusqu’à Peshawar.
Moment majeur de la critique en actes au Pakistan, la violente
éruption de fin décembre 2007 a surgi comme la
synthèse supérieure des nombreuses
émeutes
antérieures dans cet Etat, à la fois leur point
culminant
et leur centre de gravité. Mais si l’amplification
quantitative est apparue comme une amplification qualitative, par son
inattendu et sa généralisation, par
l’intervention
massive de ces anonymes qu’on ne voulait voués
qu’au
rôle d’éternels spectateurs des joutes
pour le
pouvoir entre ses acteurs officiels, il faut constater comment cet
emballement de quelques jours, aux allures insurrectionnelles,
s’est stoppé presque d’un coup, ce qui
certes
s’explique, mais en partie seulement, par la
réaction
répressive sur le terrain, elle-même ensuite
renforcée par l’occupation de la
représentation,
à l’intérieur de l’Etat et
à son sujet
depuis l’extérieur, avec la promotion du processus
de
réorganisation gestionnaire (les élections ont eu
lieu,
et Musharraf a été finalement
évincé). Dans
le cas du Pakistan, le poids du prétexte aux
émeutes de
fin décembre a fortement joué, le moment de
l’explosion négative se trouvant
relégué en
conséquence fâcheuse du contexte de «
crise
politique ». La répression médiatique a
consisté à maintenir coûte que
coûte
l’assassinat de Bhutto comme
l’événement
primordial, reléguant la propagation
émeutière,
qui enflamma le pays comme jamais, à l’un de ses
malheureux dommages collatéraux.
Depuis la tendance est plutôt à
l’accalmie, du moins
comparativement à ce zénith, car le calme
paraît
toujours précaire au Pakistan. Parmi les multiples chahuts
qui
le perturbent ensuite, on peut citer les combats de rue meurtriers dits
entre avocats pro et anti-Musharraf à Karachi au mois
d’avril 2008, à nouveau accompagnés de
phases
émeutières.
17.
Des
mouvements similaires, dans la même période, se
seraient
déclarés dans l’Etat voisin
d’Orissa.
18.
Comme
l’expropriation des terres de Nandigram a
été
abandonnée, la construction des usines Tata a
été arrêtée en
septembre 2008.
3. 2006 et après, foyers principaux
(Sous-continent indien)